CAA de BORDEAUX, 3ème chambre - formation à 3, 21/02/2019, 17BX00739, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision21 février 2019
Num17BX00739
JuridictionBordeaux
Formation3ème chambre - formation à 3
PresidentM. DE MALAFOSSE
RapporteurM. Laurent POUGET L.
CommissaireMme DE PAZ
AvocatsLAPLAGNE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...D...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 20 mai 2016 par lequel le maire de la commune de Libourne a prononcé sa mise à la retraite pour invalidité.

Par un jugement n° 1603157 du 30 décembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, un mémoire et des pièces, enregistrés les 2 mars 2017, 20 juin 2017 et 6 novembre 2018, MmeD..., représentée par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision contestée ;

3°) d'enjoindre à la commune de Libourne de la réintégrer dans un poste compatible avec son état de santé ;

4°) subsidiairement, d'ordonner une expertise médicale ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- il n'est pas justifié que le maire ait été absent ou empêché et qu'en conséquence, le premier adjoint était compétent pour signer la décision de l'arrêté du 20 mai 2016 ;
- la décision a été prise prématurément ;
- l'autorité administrative a violé l'obligation de reclassement ; elle n'a pas été informée de cette possibilité de reclassement ; le maire de Libourne n'a effectué aucune recherche de poste adapté, se bornant à rédiger une attestation moins de 20 jours après la rédaction du certificat médical pour certifier qu'il était impossible de trouver un tel poste ; aucun réel effort de reclassement n'a été fait ;
- le maire n'a pas pris en compte la rechute de la maladie professionnelle déclarée le 29 avril 2016, qui impliquait qu'il soit statué sur l'imputabilité au service et que les conséquences de cette rechute soient prises en compte pour la liquidation de la pension ;
- la contre-expertise médicale qu'elle avait demandée a été ajournée et n'a pas eu lieu avant que soit prise la décision litigieuse ; elle a donc été privée d'une garantie ; à tout le moins, cette expertise doit être ordonnée avant dire droit.

Par un mémoire enregistré le 9 juin 2017, la commune de Libourne, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 500 euros soit mise à la charge de Mme D...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :
- l'arrêté a été signé par une autorité compétente ;
- la procédure suivie a été parfaitement régulière ;
- compte tenu de l'âge de l'agent et de l'absence de capacités physiques, la commune ne pouvait lui proposer un quelconque reclassement ; la commune a cherché en vain mais aucun poste lui correspondant n'était disponible ;
- la requérante a annulé elle-même les opérations de contre-expertise ;
- au jour de la décision, aucun élément ne permettait de remettre en cause les constatations opérées et aucune demande d'instruction complémentaire n'était formulée ;
- Mme D...n'a pu faire l'objet d'une rechute alors qu'elle se trouvait déjà en arrêt maladie ;
- elle ne peut contester désormais devant le juge les conclusions du rapport d'expertise médicale et de la commission de réforme ;
- elle perçoit ses droits à la retraite.

Par une ordonnance du 7 novembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 22 novembre 2018 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Pouget,
- les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant MmeD....


Considérant ce qui suit :

1. MmeD..., adjoint technique de première classe au sein des effectifs de la commune de Libourne, a souffert à compter de 2006 de plusieurs pathologies reconnues imputables au service, en particulier une cervicalgie et, à compter de 2014, une ténosynovite du poignet gauche. A raison de cette dernière, elle a été placée en congé de maladie à compter du 14 avril 2014. Lors de sa séance du 17 juin 2015, la commission de réforme a constaté à ce titre un taux d'incapacité permanente partielle de 2 %, s'ajoutant à un taux préexistant de 6 %, ainsi que l'inaptitude de l'agent à continuer d'exercer les fonctions pour lesquelles elle avait été recrutée, et a préconisé en conséquence un reclassement sur un poste adapté, ce que Mme D... a accepté. La commune lui a cependant fait savoir qu'elle n'était pas en mesure de lui proposer un tel poste et l'a informée le 18 août 2015 de l'engagement d'une procédure de mise à la retraite d'office pour invalidité. Après examen de Mme D...par le médecin expert, la commission de réforme a émis le 16 décembre 2015 un avis favorable à la mise à la retraite d'office de l'intéressée et, par un arrêté du 20 mai 2016, le maire de Libourne a prononcé sa mise à la retraite pour invalidité à compter du 1er juin suivant. Mme D...relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté du 20 mai 2016 :

2. Aux termes de l'article 81 de la loi du 26 janvier 1984 : " Les fonctionnaires territoriaux reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions peuvent être reclassés dans les emplois d'un autre cadre d'emplois, emploi ou corps s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. / Le reclassement est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé ". Selon l'article 1er du décret du 30 septembre 1985 relatif au reclassement des fonctionnaires territoriaux reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions : " Lorsque l'état physique d'un fonctionnaire territorial ne lui permet plus d'exercer normalement ses fonctions et que les nécessités du service ne permettent pas d'aménager ses conditions de travail, le fonctionnaire peut être affecté dans un autre emploi de son grade après avis de la commission administrative paritaire. (...) ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " Lorsque l'état physique d'un fonctionnaire territorial, sans lui interdire d'exercer toute activité, ne lui permet pas d'exercer des fonctions correspondantes aux emplois de son grade, l'autorité territoriale..., après avis du comité médical, invite l'intéressé soit à présenter une demande de détachement dans un emploi d'un autre corps ou cadre d'emplois, soit à demander le bénéfice des modalités de reclassement prévues à l'article 82 de la loi n° 84 53 du 26 janvier 1984 ". Aux termes de l'article 36 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraites des agents des collectivités territoriales : " Le fonctionnaire qui a été mis dans l'impossibilité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées, soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public, soit en exposant ses jours pour sauver la vie d'une ou plusieurs personnes, peut être mis à la retraite par anticipation soit sur sa demande, soit d'office, à l'expiration des délais prévus au troisième alinéa de l'article 30 et a droit à la pension rémunérant les services prévue au 2° de l'article 7 et au 2° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un fonctionnaire est reconnu, par suite de l'altération de son état physique, inapte à l'exercice de ses fonctions, il incombe à l'administration de rechercher si le poste occupé par ce fonctionnaire ne peut être adapté à son état physique ou, à défaut, de lui proposer une affectation dans un autre emploi de son grade compatible avec son état de santé. Si le poste ne peut être adapté ou si l'agent ne peut être affecté dans un autre emploi de son grade, il incombe à l'administration de l'inviter à présenter une demande de reclassement dans un emploi d'un autre corps. Il n'en va autrement que si, en raison de l'altération de son état de santé, cet agent ne peut plus exercer d'activité et ne peut ainsi faire l'objet d'aucune mesure de reclassement. Il peut alors être mis à la retraite pour invalidité.

4. Il ressort des pièces du dossier que tant le comité médical, en sa séance du 17 juin 2015, que le médecin expert, dans son rapport du 26 octobre 2015, ont conclu à l'inaptitude de Mme D...à continuer d'exercer ses fonctions d'agent d'entretien mais à la possibilité pour elle de bénéficier d'une mesure de reclassement dans un autre emploi. Alors qu'il est constant que l'intéressée avait sollicité un reclassement, la commune de Libourne, qui se borne à produire une attestation non circonstanciée du 26 octobre 2015 jointe au dossier présenté lors de la séance de la commission de réforme, qui indique sans davantage de précisions qu'il n'a pas été possible de trouver à Mme D...un poste adapté ou un emploi de reclassement lui permettant de continuer son activité dans des conditions compatibles avec son état de santé, et qui fait valoir devant la cour que " compte tenu de l'âge de l'agent, de l'absence de capacité physique, la commune de Libourne ne pouvait lui proposer un quelconque reclassement ", ne justifie pas s'être livrée à une recherche effective de postes vacants pour le reclassement de l'intéressée. Par suite, la décision contestée méconnaît notamment l'article 81 de la loi du 26 janvier 1984 et l'article 1er du décret du 30 septembre 1985.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête et de statuer sur les conclusions subsidiaires à fin d'expertise, que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. L'illégalité de l'arrêté du 20 mai 2016 implique que la commune de Libourne reconstitue juridiquement la carrière de Mme D...à compter de son éviction illégale et qu'elle examine la possibilité actuelle de sa réintégration effective. Il y a lieu d'enjoindre à la commune d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de MmeD..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Libourne une somme de 1 500 euros à verser à Mme D... sur le fondement des mêmes dispositions.


DECIDE :


Article 1er : Le jugement n° 1603157 du tribunal administratif de Bordeaux et l'arrêté du maire de Libourne en date du 20 mai 2016 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la commune de Libourne de procéder à la reconstitution juridique de la carrière de Mme D...et d'examiner la possibilité de sa réintégration effective, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : La commune de Libourne versera à Mme D...la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...D...et à la commune de Libourne.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2019 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,
Lu en audience publique le 21 février 2019.

Le rapporteur,



D...POUGET Le président,



Aymard de MALAFOSSE Le greffier,



Christophe PELLETIERLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX00739