CAA de MARSEILLE, 8ème chambre - formation à 3, 05/03/2019, 17MA01461, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... E... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le centre hospitalier intercommunal des Alpes-du-Sud (CHICAS) à lui verser la somme de 91 380 euros au titre du préjudice économique résultant de la maladie contractée en service et d'ordonner une mesure d'expertise afin de déterminer et de chiffrer les autres préjudices subis.
Par un jugement n° 1408247 du 6 février 2017, le tribunal administratif de Marseille a condamné le CHICAS à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral, des souffrances endurées et des troubles qu'elle a subis dans ses conditions d'existence.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 6 avril 2017 et le 25 janvier 2019, Mme A..., représentée par la SCP Alpes Provence Avocats, demande à la Cour :
1°) de réformer ce jugement du 6 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Marseille a limité à la somme de 10 000 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le CHICAS en réparation du préjudice qu'elle a subi ;
2°) d'ordonner une mesure d'expertise afin de déterminer et de chiffrer son préjudice moral, les souffrances endurées et les troubles qu'elle a subis dans ses conditions d'existence et de lui allouer une provision de 10 000 euros à ce titre ;
3°) de condamner le CHICAS à lui verser la somme complémentaire de 91 380 euros en réparation du préjudice économique subi ;
4°) de mettre à la charge du CHICAS la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
* les premiers juges ont fait une évaluation insuffisante de son préjudice moral, des souffrances endurées et des troubles qu'elle a subis dans ses conditions d'existence que le CHICAS doit réparer sans faute ;
* la responsabilité de son employeur est engagée pour faute compte tenu de l'absence d'information de ses agents sur les risques résultant de l'utilisation de produits désinfectants, de leur utilisation inadaptée, de l'absence de ventilation des locaux et de l'absence de mise à disposition des agents de vêtements de protection ;
* le préjudice économique résultant de la fin anticipée de son activité s'élève à 91 380 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 janvier 2019 et le 24 janvier 2019, le centre hospitalier intercommunal des Alpes-du-Sud, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
* le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
* le code de la sécurité sociale ;
* le code du travail ;
* la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
* le décret n° 63-1346 du 24 décembre 1963 ;
* le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 ;
* le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
* le décret n° 2005-442 du 2 mai 2005 ;
* le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
* le rapport de M. d'Izarn de Villefort,
* les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
* et les observations de Me B..., de la SCP Alpes Provence Avocats, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Le 1er avril 2010 et le 29 avril 2010, la commission départementale de réforme a reconnu aux allergies cutanées et aux allergies respiratoires dont est atteinte Mme A..., manipulatrice électroradiologie en fonctions au service de l'imagerie médicale de l'établissement de Sisteron au sein du centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud (CHICAS), le caractère de maladies professionnelles et leur imputabilité au service. Par décision du 30 novembre 2011, le directeur du CHICAS a accepté la démission à compter du 1er décembre suivant de Mme A..., laquelle a bénéficié par ailleurs du versement d'une indemnité de départ volontaire de 45 734,71 euros. Une allocation temporaire d'invalidité de 10% a été ultérieurement accordée à celle-ci. Mme A... a recherché la responsabilité pour faute du CHICAS afin d'obtenir réparation de l'intégralité des préjudices subis du fait des pathologies précitées. Par un jugement du 6 février 2017 dont elle fait appel, le tribunal administratif de Marseille a estimé qu'aucune faute n'était imputable au centre hospitalier et a condamné ce dernier à verser à Mme A... une somme de 10 000 euros au titre des préjudices non patrimoniaux subis par cette dernière, à savoir son préjudice moral, les souffrances endurées et les troubles qu'elle a subis dans ses conditions d'existence.
2. L'article 80 de la loi du 9 janvier 1986 impose aux établissements de santé d'allouer aux fonctionnaires atteints d'une invalidité résultant d'un accident de service entraînant une incapacité permanente d'au moins 10 % ou d'une maladie professionnelle une allocation temporaire d'invalidité cumulable avec leur traitement et versée à compter de la date de reprise des fonctions. Compte tenu des conditions posées à son octroi et de son mode de calcul, l'allocation temporaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions qui instituent cette prestation déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. En revanche, ces dispositions ne font obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
3. Atteinte de maladies professionnelles, Mme A... peut donc prétendre, en l'absence de faute du CHICAS, à la réparation de l'ensemble des préjudices personnels et patrimoniaux qui en ont résulté, à l'exception des préjudices résultant des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle. Dans le cas où cet accident serait imputable à une faute du centre hospitalier, elle peut, en outre, prétendre à la réparation de ces derniers chefs de préjudice à la condition que ceux-ci ne soient pas déjà entièrement réparés par l'allocation temporaire d'invalidité dont elle bénéficie.
Sur la réparation des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle :
4. Il résulte de l'instruction que les fonctions exercées par Mme A... au CHICAS la conduisaient à procéder à la désinfection systématique du matériel d'endoscopie et des tables d'examen en utilisant un produit contenant notamment des ammoniums quaternaires. Ce type de produit détergent désinfectant présente des risques d'irritation et d'allergie au contact de la peau ou en cas d'inhalation des vapeurs. Il n'existe pas de produit de substitution à cette catégorie de produits destinée à lutter contre les infections nosocomiales et préconisée par la société française d'hygiène hospitalière. Une expertise réalisée au sein du centre hospitalier en 2004 a mis en évidence l'insuffisance de l'information apportée aux personnels sur ces risques et sur les mesures de prévention adéquates, le non-respect du protocole d'utilisation défini en 2001, notamment en raison de difficultés d'approvisionnement de gants longs et de masques, et la ventilation insuffisante des pièces dans lesquelles le produit était préparé voire utilisé. Le CHICAS soutient sans être contredit que, à la suite de cette expertise, des consignes de sécurité ont ensuite été établies en 2005 en vue d'alerter les personnels sur les risques dont s'agit et les équipements de protection individuelle appropriés. Un nouveau protocole d'utilisation du produit désinfectant retenu, applicable à compter du 11 avril 2007, a imposé le port d'un masque, de lunettes et de gants longs et a indiqué précisément le dosage et la méthode de dilution à mettre en oeuvre. Les attestations de collègues de travail produites par la requérante confirment que le personnel chargé de cette tâche avait connaissance de ce protocole et qu'ils le respectaient quand bien même la fiche de données de sécurité mise à jour au 21 juillet 2009 n'aurait pas été affichée. Si l'un des auteurs de ces attestations, en retraite, a relevé que l'approvisionnement de gants longs avait été insuffisant, il n'a pas mentionné à quelles dates ces incidents étaient survenus. Par ailleurs, une fiche d'évaluation des risques réalisée le 10 janvier 2008 relève l'existence d'un risque physique lié à l'aération, regardé comme un risque existant et nécessitant des actions correctives. Toutefois, ni ce document ni les photographies du local dans lequel s'effectuait la préparation du produit n'établissent que l'évacuation des émanations produites était insuffisante et était de nature à intoxiquer les agents alors que le risque chimique identifié lié à l'utilisation des désinfectants a été considéré comme un risque existant et maîtrisé, compte tenu de la mise en place d'une procédure adaptée et du respect des consignes de sécurité. Au surplus, la requérante ne conteste pas l'affirmation faite par le CHICAS selon laquelle les protocoles d'utilisation ont été référencés en 2009 dans des classeurs d'hygiène. Dans ces conditions, l'information apportée aux agents sur les risques résultant de l'utilisation du produit désinfectant sélectionné contenant des ammoniums quaternaires ainsi que les mesures de protection individuelle mises en oeuvre doivent être regardées comme suffisantes. La requérante, qui fait valoir que ces tâches incombaient normalement aux aides-soignants, ne précise pas quelles seraient les dispositions législatives ou réglementaires qui s'opposeraient à ce que ces tâches soient confiées à des agents titulaires du grade de manipulateur en électroradiologie. Mme A..., qui a présenté volontairement sa démission et qui a bénéficié à ce titre d'une prime de départ volontaire, n'est pas davantage fondée à reprocher à son employeur d'avoir omis de chercher à la reclasser.
5. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de faute commise par le CHICAS, Mme A... ne peut obtenir réparation du préjudice économique qui résulterait selon elle de la fin anticipée de son activité.
Sur la réparation des préjudices non patrimoniaux :
6. Il résulte de l'instruction que Mme A..., qui avait présenté une première réaction cutanée au cours de son service le 19 octobre 2009, a dû être hospitalisée en urgence le 23 octobre suivant à la suite d'une toux allergique avec asthme. Elle a été placée en arrêt de travail jusqu'à la date effective de sa démission le 1er décembre 2011. Selon les rapports des expertises élaborés dans le cadre de la procédure devant la commission de réforme, elle a dû observer un traitement corticoïde au long cours. Les troubles qu'elle a présentés ayant cessé en l'absence d'exposition à l'allergène, elle ne peut être regardée comme restant atteinte d'une incapacité permanente partielle. Elle justifie cependant d'un préjudice moral qui résulte de l'angoisse engendrée par la persistance du risque permanent d'affection en cas d'exposition à l'allergène, rendant nécessaire pour elle de se munir en permanence d'un ensemble permettant l'injection d'adrénaline et de corticoïde. Elle a d'ailleurs présenté une réaction allergique cutanée à l'occasion d'une intervention en milieu hospitalier en 2015. En lui allouant une indemnité de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral, des souffrances endurées et des troubles qu'elle a subis dans ses conditions d'existence, les premiers juges, qui n'étaient pas tenu d'ordonner une mesure d'expertise, n'ont pas fait une évaluation insuffisante de ces préjudices.
7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a limité à la somme de 10 000 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le CHICAS en réparation du préjudice qu'elle a subi. En conséquence, les conclusions tendant à l'octroi d'une provision et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... épouse A...et au centre hospitalier intercommunal des Alpes-du-Sud.
Délibéré après l'audience du 5 février 2019, où siégeaient :
* M. Gonzales, président,
* M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
* M. Jorda, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 mars 2019.
N° 17MA01461 2