CAA de PARIS, 9ème chambre, 11/04/2019, 17PA01107, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à lui verser la somme de 160 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire préalable et les intérêts capitalisés, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de la maladie professionnelle dont il est atteint.
Par un jugement n° 1403962/2-1 du 31 janvier 2017, le Tribunal administratif de Paris a condamné la ville de Paris à verser à M. A...une somme de 52 876,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 novembre 2013 au titre de ses préjudices personnels et des préjudices patrimoniaux non réparés forfaitairement. Il a également jugé que les intérêts échus à la date du 7 novembre 2014, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seraient capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire et des mémoires, enregistrés les 31 mars, 10 mai 2017 et le 26 février 2018, M. A..., représenté par la SCP Masse-Dessen, G. Thouvenin et O. Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1403962/2-1 du 31 janvier 2017 du Tribunal administratif de Paris en tant que, par ce jugement, celui-ci n'a que partiellement fait droit à sa demande d'indemnisation ;
2°) de condamner la ville de Paris à lui verser la somme de 174 139, 50 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire préalable et des intérêts capitalisés, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de la maladie professionnelle dont il est atteint ;
3°) de mettre à la charge de la ville de Paris le versement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la minute du jugement n'a pas été signée par les magistrats, en méconnaissance des prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'il ne pouvait être indemnisé des préjudices liés à la perte de revenus et à l'incidence professionnelle résultant de son incapacité physique dès lors qu'il ne justifiait pas d'un préjudice distinct ou d'un montant supérieur à celui réparé forfaitairement par le versement de la rente viagère d'invalidité ; il peut prétendre à la réparation du préjudice de carrière ; ce chef de préjudice doit être réparé à hauteur de 40 000 euros au regard de ses perspectives d'évolution de carrière amputées et d'une mise en retraite pour invalidité prématurée ;
- il sollicite des indemnisations à hauteur de 35 000 euros au titre des souffrances physiques et morales subies, de 35 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, de 15 000 euros au titre du préjudice d'agrément et de 35 000 euros au titre des troubles dans ses conditions d'existence ;
- il sollicite une indemnisation d'un montant de 14 139,50 euros au titre des frais dentaires et d'optique restant à sa charge après les remboursements de sécurité sociale et de mutuelle ;
- il sollicite une indemnisation d'un montant de 1 893,27 euros au titre d'une prothèse de la hanche.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 février et 13 mars 2018, la ville de Paris, représentée par la SCP Claisse et associés, conclut à titre principal, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du 31 janvier 2017 et au rejet des conclusions indemnitaires présentées par M.A..., à titre subsidiaire, à la confirmation de ce jugement en tant qu'il a limité à 52 876,50 euros le montant de l'indemnisation mise à sa charge, et à ce que le versement de la somme de 2 400 euros soit mis à la charge de M. A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'une faute ; aucun retard ne saurait lui être reproché dans le changement d'affectation de son agent ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle aurait dû mettre en oeuvre une procédure de reclassement au bénéfice de son agent ;
- les montants alloués au requérant par les premiers juges sont excessifs ;
- tous les préjudices dont il se prévaut ne présentent pas nécessairement un lien avec la maladie qu'il a contractée en service.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Stoltz-Valette,
- les conclusions de Mme Mielnik-Meddah, rapporteur public,
- et les observations de Me Brière, avocate de la ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ancien agent de maîtrise de 1ère catégorie de la ville de Paris, a été affecté du 10 mai 1971 au 30 juin 1984 au service de l'architecture puis, du 1er juillet 1984 au 2 octobre 1995, à la section de l'assainissement et, à compter du 3 octobre 1995, à la direction des parcs, jardins et espaces verts de la ville de Paris. La choroïdite rétinienne bilatérale évolutive dont il est atteint, diagnostiquée le 19 mars 1993, a été reconnue comme une maladie professionnelle le 15 février 2008 par une décision du maire de Paris. A compter du 1er avril 2010, M. A...a été admis à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité, son taux d'invalidité étant fixé à 62 %. Par une réclamation en date du 7 novembre 2013, M. A...a sollicité l'octroi d'une indemnité complémentaire réparant ses préjudices personnels et patrimoniaux causés par cette maladie professionnelle en invoquant tant la responsabilité sans faute que la responsabilité pour faute de la ville de Paris. M. A...relève appel du jugement du 31 janvier 2017 en tant que le Tribunal administratif de Paris n'a que partiellement fait droit à sa demande indemnitaire à concurrence de la somme de 52 876, 50 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 novembre 2013 au titre de ses préjudices personnels et des préjudices patrimoniaux non réparés forfaitairement et a rejeté le surplus de ses conclusions. Par la voie de l'appel incident, la ville de Paris demande l'annulation de ce jugement à titre principal et sa confirmation à titre subsidiaire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " (...) la minute est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance transmis à la Cour que la minute du jugement attaqué comporte l'ensemble des signatures prévues par les dispositions précitées de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par ailleurs, si l'expédition du jugement du Tribunal administratif de Paris notifié à M. A...ne comporte pas ces signatures, cette circonstance n'est pas de nature à entacher la régularité du jugement attaqué.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité, déterminent forfaitairement la réparation des pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par l'accident de service ou la maladie professionnelle, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
S'agissant de la réparation des préjudices au titre de la responsabilité sans faute :
5. Il résulte de l'instruction que le caractère professionnel de la maladie du requérant a été reconnu par un arrêté du maire de Paris du 15 février 2008 et qu'à compter du 1er avril 2010, M. A... a été admis à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité, son taux d'invalidité étant fixé à 62 %. Il résulte de ce qui a été rappelé ci-dessus au point 4 que M. A...est fondé à demander à la ville de Paris la réparation de ses préjudices personnels ou patrimoniaux non réparés forfaitairement par la rente d'invalidité qu'il perçoit, même en l'absence de faute de celle-ci.
6. Il résulte de l'instruction que l'intensité des souffrances physiques et morales endurées par M. A...a été évaluée par l'expert à 4 sur 7 et sont constituées par le fait que l'intéressé est atteint d'une choroïdite rétinienne bilatérale évolutive diagnostiquée en mars 1993 entraînant une cécité de l'oeil gauche et une réduction importante de l'acuité visuelle de l'oeil droit fixée à 1/10 ayant nécessité des longues hospitalisations et de nombreuses interventions chirurgicales très lourdes ainsi que des complications pariétales et digestives secondaires en relation avec le traitement corticothérapique au long court qu'il a dû suivre, ayant également entraîné de lourdes interventions. Contrairement à ce que soutient la ville de Paris, les souffrances physiques et morales de M. A... sont imputables aux traitements et opérations subis. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ses souffrances en fixant la réparation à la somme de 15 000 euros.
7. Le préjudice esthétique dont se prévaut M. A...et résultant de sa cécité et de ses cicatrices a été évalué par l'expert à 0,5 sur 7. Il y a lieu de confirmer la somme de 1 000 euros accordée en première instance au titre de ce chef de préjudice. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que la chute de ses dents présenterait un lien avec la maladie professionnelle.
8. Il résulte de l'instruction que M. A...a effectué un stage de formation au pilotage d'hélicoptère en 1992 et qu'il a, à cette fin, subi un examen ophtalmologique en mai 1992 afin de pouvoir préparer ce brevet de pilote. Le rapport d'expertise relève l'arrêt définitif des activités de pilotage d'hélicoptère et l'impossibilité de poursuivre les activités associatives, la pratique du vélo, du ski ou de fréquenter les salles de cinéma. Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient la ville de Paris, M. A...a subi un important préjudice d'agrément tenant à l'impossibilité de continuer à pratiquer, à titre privé, les activités de loisir et de sports auxquels il s'adonnait avec régularité avant son handicap. Au regard de ces éléments, il y a lieu de porter à 15 000 euros la somme allouée au titre de ce préjudice d'agrément subi par l'intéressé.
9. Le rapport d'expertise a conclu que M. A...présentait une incapacité fonctionnelle permanente de 78 % en raison de ses troubles oculaires et une incapacité permanente partielle de 15 % en raison des troubles associés d'ordre musculaires et digestifs et que sa situation justifiait l'assistance d'une tierce personne 2 heures par jour, trois jours par semaine. Il résulte également de l'instruction que M. A...a subi de nombreux désagréments résultant de la nécessité d'entreprendre de multiples démarches administratives et judiciaires. Si le requérant se prévaut de troubles osseux affectant sa hanche droite ainsi que de problèmes dentaires, les pièces produites ne permettent pas d'établir l'existence d'un lien de causalité avec la maladie d'origine professionnelle dont il souffre ou le traitement suivi. En outre, son état dépressif réactionnel et ses troubles du sommeil, qui trouvent leur origine dans sa maladie contractée dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, ont déjà été pris en compte au stade de l'indemnisation de ses souffrances physiques et morales. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature dans les conditions d'existence de M. A...en évaluant l'indemnité due à ce titre à la somme de 30 000 euros, sans que la ville de Paris puisse utilement faire valoir que M. A...bénéficie de la majoration de pension pour assistance d'une tierce personne, laquelle vise à indemniser un préjudice patrimonial ni que l'indemnisation de ce préjudice serait déjà concernée par celle effectuée au titre de ses souffrances physiques.
10. Si M. A...demande l'indemnisation des frais dentaire et d'optique restés à sa charge après les remboursements effectués par la sécurité sociale et la mutuelle, à concurrence de la somme de 14 139,50 euros, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que les frais dentaires ne peuvent être rattachés à la maladie reconnue d'origine professionnelle et que seuls les frais d'optique pourront être retenus à hauteur de 1 876,18 euros.
11. Si M. A...demande l'indemnisation des frais engagés par la pose d'une prothèse de la hanche à concurrence de la somme de 1 893,27 euros, il résulte de ce qui précède que les pièces produites ne permettent pas d'établir l'existence d'un lien de causalité avec la maladie d'origine professionnelle dont il souffre ou le traitement suivi.
S'agissant de la réparation des préjudices au titre de la responsabilité pour faute :
12. M. A...demande en outre le versement d'une indemnité de 40 000 euros au titre du préjudice professionnel et financier qu'il subit du fait de son état. Si M. A...fait valoir que la ville de Paris a commis une faute en s'abstenant de prendre les mesures nécessaires justifiées par sa maladie d'origine professionnelle, il résulte de l'instruction que M. A...n'a sollicité un changement d'affectation que par un courrier du 31 août 1995 en se prévalant d'une demande d'adaptation de ses conditions de travail formulée le 11 juillet 1995 par un médecin du service médical de la ville de Paris. Le 3 octobre suivant, M. A...a bénéficié d'une nouvelle affectation à la direction des parcs, jardins et espaces verts de la ville de Paris. Dans ces conditions, et alors même que sa maladie a été constatée le 19 mars 1993 et qu'une déclaration d'accident de travail avait alors été déposée, il n'est pas fondé à soutenir que la ville de Paris aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander que l'indemnité de 52 876, 50 euros que le Tribunal administratif de Paris a condamné la commune de Paris à lui verser soit portée à la somme de 62 876,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 novembre 2013. Les intérêts échus le 7 novembre 2014 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la ville de Paris une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A...le versement de la somme que la ville de Paris demande sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 5 000 euros que le jugement n° 1403962/2-1 du 31 janvier 2017 du Tribunal administratif de Paris a condamné la ville de Paris à verser à M. A...au titre de son préjudice d'agrément est portée à la somme de 15 000 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 novembre 2013. Les intérêts échus le 7 novembre 2014 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 2 : Le jugement n° 1403962/2-1 du 31 janvier 2017 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La ville de Paris versera à M. A... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A...est rejeté.
Article 5 : Les conclusions d'appel incident de la ville de Paris ainsi que celles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la caisse nationale de retraites des agents des collectivités territoriales et à la ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- M. Dalle, président assesseur,
- Mme Stoltz-Valette, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 11 avril 2019.
Le rapporteur,
A. STOLTZ-VALETTELe président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA01107