CAA de NANCY, 3ème chambre - formation à 3, 25/06/2019, 17NC01643, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... A...E...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision du 26 juin 2015 par laquelle le directeur général des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) a refusé de reconnaître comme imputables au service les évènements survenus au sein du service de neurologie au cours de l'année 2009, notamment l'accident du 3 juillet 2009, et, d'autre part, de condamner les HUS à lui verser la somme de 83 000 euros au titre de ses arriérés de traitement, ainsi que la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice résultant de la résistance abusive de l'administration.
Par une ordonnance du 19 juillet 2016, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué le jugement de cette affaire au tribunal administratif de Nancy.
Par un jugement n° 1602345 du 4 mai 2017, le tribunal administratif de Nancy a rejeté, comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, les conclusions de Mme A...E...tendant au versement d'indemnités journalières et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 juillet 2017 et un mémoire en réplique enregistré le 30 mars 2019, Mme G... A...E..., représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 4 mai 2017 ;
2°) de faire droit à ses conclusions d'annulation et de condamnation présentées devant les premiers juges ;
3°) de mettre à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les mentions erronées figurant dans le rapport des médecins du travail destiné à la commission de réforme l'ont privée d'une garantie ;
- sa pathologie présente un lien direct avec l'accident survenu le 3 juillet 2009 lors de l'entretien avec la responsable du service ;
- cette pathologie est donc imputable au service, quand bien même le lien de causalité ne serait pas exclusif ;
- l'accident de service dont elle a été victime ouvre droit à l'indemnisation de ses souffrances physiques et morales, de son préjudice esthétique et de son préjudice d'agrément, même en l'absence de faute de l'administration ;
- un tel accident ouvre droit à réparation de l'intégralité des préjudices subis dès lors que l'administration a exposé un agent à des matières dangereuses ou à des conditions de travail constitutives de harcèlement moral ;
- elle a droit à l'intégralité de ses traitements.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 6 septembre 2017 et le 16 avril 2019, les Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS), représentés par MeD..., concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Les HUS soutiennent que :
- la pathologie dont souffre la requérante est sans lien avec le service ;
- les conclusions indemnitaires présentées sur le fondement de la responsabilité sans faute sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables ;
- ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées en l'absence de lien entre la pathologie et le service ;
- le harcèlement moral invoqué n'est pas établi ;
- les moyens de la requérante présentés devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 1er avril 2019, l'instruction a été close à la date du 16 avril 2019, à 16 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de Me C...pour les HUS.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A...E..., infirmière diplômée d'Etat titulaire, a été recrutée par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) en septembre 2008, par voie de mutation, et a été affectée au sein du service de neurologie vasculaire de cet établissement. Elle a été placée en congé de maladie à compter du 6 juillet 2009, après avoir eu un entretien avec l'infirmière, responsable du service, le 3 juillet 2009. Mme A...E...a demandé, le 20 novembre 2009, à être placée en congé de longue maladie puis a présenté, le 14 janvier 2010, une déclaration d'accident de travail se rapportant aux faits survenus lors de l'entretien du 3 juillet 2009, auxquels elle impute la survenance de sa pathologie. Par une décision du 26 juin 2015, le directeur général des HUS a refusé de reconnaitre l'imputabilité de cet accident au service. Mme A...E...a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à l'annulation de cette décision et à la condamnation des HUS à lui verser la somme de 83 000 euros au titre de rappels de salaire, ainsi que la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant selon elle de la résistance abusive opposée par son employeur dans l'instruction de sa demande d'imputabilité. Par un jugement du 4 mai 2017 dont elle relève appel, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur la légalité de la décision du 26 juin 2015 :
En ce qui concerne la légalité externe :
2. Aux termes de l'article 9 du décret du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière : " Le médecin du travail attaché à l'établissement auquel appartient le fonctionnaire dont le cas est soumis au comité médical ou à la commission départementale de réforme des agents des collectivités locales prévue par le décret du 9 septembre 1965 susvisé est informé de la réunion et de son objet. Il peut obtenir, s'il le demande, communication du dossier de l'intéressé. Il peut présenter des observations écrites ou assister à la réunion. Il remet obligatoirement un rapport écrit dans les cas prévus aux articles 16, 21, 23 et 32 ".
3. Il ressort des pièces du dossier que les médecins du travail ont transmis leur rapport écrit du 13 février 2015 à la commission de réforme avant que celle-ci ne se prononce sur la situation de Mme A...E.... Si la requérante soutient que les médecins du travail ont omis de mentionner, dans leur rapport, le certificat médical établi le 9 juin 2010 par un praticien du service des pathologies professionnelles du centre hospitalier universitaire de Lille, ce document a été directement transmis par son conseil, le 8 novembre 2012, à la commission de réforme. Dans ces conditions, l'omission reprochée aux médecins du travail n'a, en tout état de cause, privé la requérante d'aucune garantie et n'a eu aucune influence sur le sens de la décision contestée.
En ce qui concerne la légalité interne :
4. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants / (...) Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de la maladie ou de l'accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ".
5. Le droit, prévu par ces dispositions, de conserver l'intégralité du traitement est soumis à la condition que la maladie mettant l'agent dans l'impossibilité d'accomplir son service soit en lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d'un accident de service.
6. Selon sa déclaration, présentée le 14 janvier 2010 plus de six mois après son arrêt de travail, Mme A...E...impute la décompensation anxio-dépressive justifiant son congé de maladie à l'entretien qu'elle eu le 3 juillet 2009 avec sa supérieure hiérarchique. Il ressort des pièces du dossier que la responsable du service a provoqué cet entretien afin d'obtenir de la requérante qu'elle s'explique sur son comportement particulièrement agressif à l'égard d'une infirmière stagiaire dont elle assurait l'encadrement. Il n'est pas établi, au vu notamment des propres déclarations de Mme A...E...jointes à sa déclaration d'accident, que sa responsable aurait tenu à son égard des propos vexatoires, humiliants ou dégradants au cours de l'entretien. Il ressort au contraire de l'attestation établie par sa supérieure hiérarchique, dont les termes sont corroborés par les témoignages de deux autres collègues, que la requérante faisait preuve d'agressivité à l'égard des personnels du service, refusait de remettre en cause sa pratique professionnelle et provoquait par là même des difficultés dans l'organisation du travail en équipe. Selon le rapport du médecin psychiatre du 12 février 2013, déposé devant la commission de réforme, Mme A...E...présente une " personnalité sensitive " dont la fragilité a entrainé une décompensation dépressive dans un contexte professionnel difficile, et qui ne permet pas de regarder l'entretien du 3 juillet 2009 comme un accident imputable au service. A cet égard, l'intéressée ne produit aucun certificat médical d'arrêt de travail établi dans les suites immédiates de cet entretien qui ferait état d'une dégradation de son état de santé en lien direct avec lui. Par ailleurs, si la requérante soutient n'avoir jamais présenté de pathologie psychiatrique avant 2009 et avoir toujours été bien notée dans son travail, il ressort encore des pièces du dossier qu'elle éprouvait de graves difficultés dans sa vie personnelle, à l'origine d'une souffrance morale qui n'a pas permis une bonne intégration dans son nouveau cadre professionnel. Les rapports et certificats médicaux produits à l'instance par Mme A...E..., notamment le rapport établi le 15 juillet 2010 par un médecin psychiatre de l'établissement public de santé Maison Blanche, indiquant l'absence d'antécédent psychiatrique et affirmant que sa pathologie est imputable à l'accident survenu le 3 juillet 2009, ne sont pas de nature à contredire les conclusions du médecin agréé désigné pour réaliser les opérations d'expertise devant la commission de réforme. Par suite, si la dépression de l'intéressée a pu être favorisée par certaines conditions de son activité professionnelle et s'est révélée à la suite de l'entretien du 3 juillet 2009, cette pathologie ne présente pas de lien avec un accident de service. Mme A... E...n'est donc pas fondée à soutenir que le directeur général des HUS ne pouvait légalement refuser de reconnaitre l'imputabilité au service du congé maladie consécutif à l'entretien litigieux.
Sur les conclusions indemnitaires :
7. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme A...E..., qui n'établit pas que sa période d'arrêt de travail serait imputable au service, n'a pas droit au versement intégral de son traitement dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986. Par ailleurs, si la requérante fait état de l'absence de position régulière entre le 6 octobre 2010, date à laquelle sa mise en disponibilité d'office a pris fin, et le 22 mai 2016, date de sa réintégration, il n'est pas contesté que l'intéressée n'a accompli aucun service pendant cette période. Il ne résulte pas de l'instruction que, eu égard à son état de santé, Mme A...E...aurait pu exercer ses fonctions pendant la période litigieuse et que son absence de service résulterait de la méconnaissance, par l'administration, de l'obligation qui est la sienne de la placer dans une situation régulière et de l'affecter, dans un délai raisonnable, sur un emploi correspondant à des fonctions effectives.
8. En second lieu, Mme A...E...soutient que le fonctionnaire qui subit, du fait de son invalidité ou de sa maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature que ceux qui sont réparés par une rente d'invalidité ou une allocation temporaire d'invalidité ou qui subit des préjudices personnels, peut obtenir de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice. Elle soutient encore qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage peut être engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne.
9. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que la requérante n'est pas fondée à soutenir que sa maladie serait imputable à un accident de service. Elle n'est donc pas plus fondée à demander une indemnisation de ses préjudices au titre de l'obligation de la personne publique qui l'emploie de la garantir contre les risques encourus dans l'exercice de ses fonctions.
10. D'autre part, si Mme A...E...invoque un droit à la réparation intégrale de ses préjudices, elle n'apporte à l'instance aucun élément de nature à démontrer une faute de l'administration, notamment des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non recevoir opposée par les HUS, que Mme A... -E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des HUS, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont Mme A...E...demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A...E...la somme dont les HUS demandent le versement sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... E...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions des HUS présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F...E...et aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg.
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N° 17NC01643