CAA de DOUAI, 3ème chambre, 31/07/2019, 17DA01595 - 18DA01524, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision31 juillet 2019
Num17DA01595 - 18DA01524
JuridictionDouai
Formation3ème chambre
PresidentM. Albertini
RapporteurM. Hervé Cassara
CommissaireM. Arruebo-Mannier
AvocatsCLAEYS ; CLAEYS ; BROUTIN

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a, notamment, demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 13 juin 2016 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires du Nord Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie a prononcé son licenciement pour inaptitude définitive à toute fonction au sein de l'administration pénitentiaire, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de le réintégrer dans ses fonctions, de procéder au versement des traitements dus pour la période où il a été illégalement évincé, de lui attribuer ses droits sociaux pour cette même période, et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation des préjudices moral et financier subis à la suite de la perte de son emploi.

Par un jugement n° 1602543 et 1603645 du 20 juin 2017, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :

I. - Par une requête, enregistrée sous le n° 17DA01595 le 4 août 2017, M. E... A..., représenté par Me F... D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;



2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 13 juin 2016 par laquelle directeur interrégional des services pénitentiaires du Nord Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie, a prononcé son licenciement pour inaptitude définitive à toute fonction au sein de l'administration pénitentiaire ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de le réintégrer dans ses fonctions, sous astreinte de 100 euros à compter d'un délai d'un mois après la notification de la décision à intervenir, de condamner l'Etat à lui verser ses traitements mensuels depuis la date de son licenciement jusqu'à la date de sa réintégration et de lui attribuer les droits sociaux acquis depuis la date de son licenciement ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me B... C..., représentant M. E... A....



Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus n° 1701595 et n° 1801524, présentées pour M. A..., concernent sa situation et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y être statué par un seul arrêt.

2. M. A... était adjoint de sécurité à la circonscription de sécurité publique de Beauvais lorsqu'il a été victime, le 2 mai 2002, d'un accident reconnu imputable au service. Reconnu travailleur handicapé, il a, par la suite, été recruté, par contrat du 4 juin 2010 d'une durée d'un an, à compter du 7 juin 2010, en vue d'exercer les fonctions de surveillant pénitentiaire stagiaire à temps complet au centre de détention de Val-de-Reuil. Le 29 juillet 2010, il a été placé en arrêt maladie. Le 17 mai 2011, la commission de réforme a reconnu que cet arrêt maladie constituait une rechute de l'accident survenu le 2 mai 2002. Par un second avis du 21 juin 2011, la même commission s'est prononcée favorablement à " une reprise de travail uniquement sur un poste aménagé en fonction des indications du médecin du travail et avec un suivi attentif de ce dernier ". Par un avenant n° 1 signé le 7 juillet 2011, son contrat de travail a été renouvelé pour une année, soit jusqu'au 6 juin 2012, et, à la suite des préconisations du médecin de prévention, M. A... a été réintégré et affecté à un poste aux écoutes téléphoniques du centre de détention de Val-de-Reuil. Il y a travaillé du 11 juillet au 22 juillet 2011, puis il a pris ses congés annuels, avant de déclarer un accident de service survenu le 22 août 2011. Le 30 août 2011, il a demandé à être titularisé et affecté sur un poste aménagé. Cette demande s'est heurtée à un refus, qu'il a déféré au tribunal administratif de Rouen, qui a rejeté sa requête par un jugement n° 1200238 du 4 avril 2013. Son contrat a été renouvelé par un second avenant, signé le 1er août 2012, pour une nouvelle année, soit jusqu'au 6 juin 2013. L'accident survenu le 22 août 2011 a été reconnu comme imputable au service et comme une rechute de l'accident du 2 mai 2002 par une décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille du 6 mai 2013, à la suite des avis en ce sens de la commission de réforme. Puis, par une décision du 27 mai 2013, le même directeur a décidé de licencier M. A... pour inaptitude. M. A... a alors déféré cette seconde décision devant le tribunal administratif de Rouen, qui, par un jugement n° 1302630 du 28 mai 2014, l'a annulée et a enjoint au directeur interrégional des services pénitentiaires du Nord Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie de saisir la commission départementale de réforme avant le 31 juillet 2014, et de statuer à nouveau sur sa situation dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement. La commission de réforme s'est à nouveau réunie le 17 novembre 2015 et a reconnu l'inaptitude totale et définitive de M. A... à ses fonctions et à toutes fonctions dans l'administration pénitentiaire. Puis, par une nouvelle décision du 13 juin 2016, le directeur interrégional des services pénitentiaires du Nord Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie, a prononcé son licenciement pour inaptitude définitive à toute fonction au sein de l'administration pénitentiaire. M. A... relève appel du jugement n° 1602543, 1603645 du 20 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant, notamment, à l'annulation de cette décision, et demande également qu'une expertise médicale soit ordonnée.

3. En premier lieu, aux termes de l'article 10 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " Il est institué auprès de l'administration centrale de chaque département ministériel, une commission de réforme ministérielle compétente à l'égard des personnels mentionnés à l'article 14 ci-après : / Sous réserve des dispositions de l'article R. 46 du code des pensions civiles et militaires de retraite, elle est composée comme suit : (...) 4. Les membres du comité médical prévu à l'article 5 du présent décret. (...) ". Aux termes de l'article 5 de ce même décret : " (...) Ce comité comprend deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, pour l'examen des cas relevant de sa qualification, un spécialiste de l'affection pour laquelle est demandé le bénéfice du congé de longue maladie ou de longue durée prévu à l'article 34 (3e et 4e) de la loi du 11 janvier 1984 susvisée.(...) Les membres titulaires et suppléants du comité médical ministériel sont désignés par le ministre intéressé pour une durée de trois ans. Ils doivent être choisis sur les listes établies par les préfets dans les conditions fixées à l'article 1er ci-dessus. (...) ". Aux termes de l'article 19 de ce décret : " La commission de réforme ne peut délibérer valablement que si la majorité absolue des membres en exercice assiste à la séance ; un praticien de médecine générale ou le spécialiste compétent pour l'affection considérée doit participer à la délibération. (...) ".

4. Tout d'abord, s'il est constant qu'un seul médecin généraliste a siégé lors de la séance de la commission de réforme du 17 novembre 2015, les dispositions citées au point 3 n'imposaient pas, pour que les règles de quorum soient respectées, que les deux médecins généralistes membres de la commission de réforme siègent lors de cette séance.

5. Ensuite, il ressort du procès-verbal de la séance de la commission de réforme du 17 novembre 2015 que le docteur Remaoun, psychiatre et non neurologue comme l'indique à tort le requérant, était présente, en qualité de médecin spécialiste de l'affectation de M. A.... Si M. A... fait à nouveau valoir que la présence d'un médecin neurologue et celle d'un médecin ORL était également requise, il ressort des pièces du dossier que le docteur Dupuy, neurologue, a conclu, dans son rapport du 4 décembre 2014, qu'il n'a pas " décelé d'inaptitude en raison d'une pathologie neurologique ", et que le docteur Routier, médecin spécialiste ORL, a également conclu, dans son rapport du 12 janvier 2015, que " M. A... n'a pas de symptôme déficitaire ORL " et que " ce n'est pas son état ORL qui le rend inapte à toutes fonctions ". Par suite, alors que le requérant n'apporte toujours aucun élément de nature à remettre en cause ces avis, dont disposait au demeurant la commission de réforme lors de sa délibération, et dès lors que les dispositions citées au point 3 prévoient que seul un médecin spécialiste compétent pour l'affection considérée doit participer à la délibération, il n'y avait pas lieu qu'un neurologue et un ORL, dont les spécialités sont sans lien avec la question de l'aptitude de M. A... compte tenu des conclusions des expertises des 4 décembre 2014 et 12 janvier 2015 précitées, siègent lors de la délibération de la commission de réforme.

6. Enfin, contrairement à ce qu'allègue à nouveau M. A... en cause d'appel, le docteur Remaoun figurait sur la liste des médecins agréés dans l'Eure.

7. Il résulte des points 3 à 6 que le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté.

8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la commission de réforme composée, ainsi qu'il a été dit aux points 4 et 5, notamment d'un médecin généraliste et d'un médecin psychiatre, a, lors de sa séance du 17 novembre 2015, émis l'avis suivant : " après nouvelle étude attentive du dossier, la commission de réforme confirme l'inaptitude totale et définitive à ses fonctions et à toutes fonctions dans l'administration pénitentiaire ". Pour démontrer que le directeur interrégional des services pénitentiaires du Nord Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie a commis une erreur d'appréciation en suivant cet avis pour prononcer son licenciement, M. A... s'appuie d'abord sur le rapport d'expertise du 28 mai 2014 du docteur Glouzmann, médecin psychiatre agréé auprès du comité médical. S'il est vrai que, dans le fil de son rapport, ce médecin indique qu'une " reprise sur un poste aménagé semble possible ", sa conclusion, par laquelle il relève qu'" une reprise sur un poste de surveillant stagiaire ne paraît pas envisageable, et la capacité de reprise sur un poste aménagé paraît limitée " est, toutefois, très réservée quant à sa capacité à une telle reprise. S'il est également vrai que le docteur Glouzmann avait aussi préconisé des expertises complémentaires sur les plans ORL et neurologique, comme le fait valoir M. A..., ces expertises ont bien été ordonnées par la commission de réforme, qui a sursis à statuer, à cette fin, lors de sa séance du 23 septembre 2014. Les conclusions de ces deux expertises complémentaires, rappelées au point 5, sont claires pour écarter toute inaptitude qui serait liée à un problème neurologique ou ORL, mais les médecins spécialistes précisent l'un comme l'autre qu'ils ne peuvent émettre un avis sur le plan psychiatrique. M. A... tire également argument d'anciennes expertises du premier semestre 2011 qui concluaient à son aptitude à reprendre ses fonctions sur un poste aménagé. Mais ces conclusions ont été suivies, M. A... ayant été réintégré le 11 juillet 2011 sur un poste dit " fixe " aux écoutes téléphoniques du centre de détention de Val-de-Reuil, et il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été rappelé au point 2, que cette reprise s'est soldée par une rechute quelques jours plus tard. Quant aux avis médicaux datés de 2012 qu'il produit, ils sont peu circonstanciés et antérieurs de plus de quatre ans à la date de la décision attaquée. M. A... s'appuie aussi sur l'expertise du docteur Teboul, médecin psychiatre, du 6 décembre 2012. S'il est vrai que ce médecin ne se prononce que sur une inaptitude de l'intéressé à exercer les fonctions de surveillant, " même sur un poste adapté ", précise-t-il quand même, on ne peut pas en déduire pour autant qu'il aurait reconnu M. A... apte à exercer d'autres fonctions, comme l'allègue ce dernier. D'ailleurs, dans un avis ultérieur du 19 septembre 2013, le docteur Teboul s'est ensuite très clairement prononcé sur une inaptitude totale et définitive de M. A... à exercer sa fonction et même toutes fonctions, nonobstant la circonstance qu'il préconise, dans le même avis, un taux d'invalidité de 40 %. Il ressort aussi des pièces du dossier que M. A... a refusé de se rendre aux deux expertises psychiatriques proposées par l'administration en janvier et mai 2015, sans que ces convocations ne puissent être regardées comme une manoeuvre destinée à lui nuire, ainsi qu'il l'allègue aussi. Enfin, si M. A... fait valoir qu'il a été reconnu apte à travailler en 2018 et qu'il occupe désormais un poste d'agent polyvalent de nuit à temps plein, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée conclu avec l'association Emmaüs à Beauvais, cette circonstance, au demeurant postérieure de deux ans à la date de la décision attaquée à laquelle le juge de l'excès de pouvoir doit se placer, n'est pas de nature, à elle seule, à démontrer que le directeur interrégional des services pénitentiaires du Nord Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie aurait commis une erreur d'appréciation en prononçant son licenciement pour inaptitude définitive à toute fonction au sein de l'administration pénitentiaire. Dans ces conditions et compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit être écarté, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise médicale.

9. En troisième lieu, il résulte d'un principe général du droit, dont s'inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés qui, pour des raisons médicales, ne peuvent plus occuper leur emploi, que les règles statutaires applicables dans ce cas aux fonctionnaires, que, lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié se trouve de manière définitive atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l'employeur de le reclasser dans un autre emploi. Si M. A... soutient, à nouveau en cause d'appel, que la décision du 13 juin 2016 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires du Nord Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie a prononcé son licenciement pour inaptitude définitive à toute fonction au sein de l'administration pénitentiaire est illégale, en ce qu'elle n'a été précédée d'aucune proposition de reclassement, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'il a été reconnu de manière définitive inapte à toute fonction au sein de l'administration pénitentiaire, sans erreur d'appréciation, ainsi qu'il a été dit au point 8. Par suite, le directeur interrégional des services pénitentiaires du Nord Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie n'était pas tenu de lui adresser une proposition de reclassement avant de prendre la décision de licenciement en litige.

10. En dernier lieu, contrairement à ce que M. A... allègue à nouveau en cause d'appel, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'administration fasse preuve d'un acharnement manifeste à son égard, ni que la décision attaquée soit entachée d'un détournement de pouvoir. Par suite, le moyen doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la garde des sceaux, ministre de la justice, ni d'ordonner une mesure d'expertise médicale, M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.


DÉCIDE :


Article 1er : Les requêtes de M. A... n° 17DA01595 et 18DA01524 visées ci-dessus sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et à la garde des sceaux, ministre de la justice.



N°17DA01595 - 18DA01524 6