CAA de PARIS, 6ème chambre, 22/10/2019, 18PA03401, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision22 octobre 2019
Num18PA03401
JuridictionParis
Formation6ème chambre
PresidentMme FUCHS TAUGOURDEAU
RapporteurMme Marie-Isabelle LABETOULLE
CommissaireM. BAFFRAY
AvocatsCHOCRON

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :
M. B... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle le directeur général de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) a implicitement rejeté sa demande d'obtention de la carte du combattant en date du 13 janvier 2016, ainsi que la décision du 30 mars 2018 par laquelle la directrice générale de l'ONACVG a explicitement rejeté sa demande et d'enjoindre au directeur général de l'ONACVG de lui délivrer la carte du combattant.
Par un jugement n° 1606207 du 4 octobre 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 25 octobre 2018, 2 mai 2019 et 5 juillet 2019 M. E..., représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 4 octobre 2018 ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de délivrance de la carte du combattant présentée le 13 janvier 2016 ;

3°) d'annuler la décision du 30 mars 2018 de la directrice générale de l'ONACVG refusant de lui délivrer de la carte du combattant ;

4°) d'enjoindre à l'ONACVG, à titre principal de lui délivrer la carte de combattant, ou à défaut de procéder au réexamen de sa demande dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'ONACVG une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement comporte des erreurs de fait relatifs aux témoignages de ses camarades dès lors notamment que deux d'entre eux et non un seul est titulaire de la carte de combattant ;
- sa demande de première instance n'était pas tardive dès lors d'une part, qu'après sa demande initiale de délivrance de la carte de combattant il avait formulé une nouvelle demande le 13 janvier 2016, qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet le 14 mars suivant, qu'il était recevable à contester par demande du 20 avril 2016 et d'autre part, que le silence gardé sur sa première demande n'avait pu faire naitre de décision en l'absence de tout accusé de réception indiquant les conditions de naissance d'une décision de rejet ; en tout état de cause une décision explicite est intervenue le 30 mars 2018 qui s'est substituée aux précédentes ;
- le jugement est entaché d'erreur de droit et d'appréciation dès lors qu'en application de l'article R. 311-9 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, il suffisait qu'il ait appartenu pendant trois mois au moins à l'une des formations supplétives visées par ces articles pour se voir délivrer la carte de combattant, sans avoir à justifier du nombre et de la nature des actions auxquelles il aurait participé ;
- le jugement est également entaché d'erreur d'appréciation en ce qu'il a retenu que les pièces du dossier ne permettaient pas d'établir la durée de ses services au sein des GMS et en ce qu'il s'est fondé sur l'absence d'archives le concernant ;
- il satisfait aux conditions pour se voir délivrer la carte de combattant.
Par des mémoires en défense enregistrés les 17 juin 2019 et 16 juillet 2019, l'ONACVG demande à la Cour de rejeter la requête.
Il soutient que :

- la requête de première instance est irrecevable car tardive, dès lors qu'il n'est pas établi que la lettre du 13 janvier 2016 contenant à nouveau une demande de délivrance de la carte de combattant serait parvenue à l'ONACVG ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 5 juillet 2019, la clôture de l'instruction a été reportée du 8 juillet 2019 au 26 juillet 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,
- et les conclusions de M. Baffray, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. M. B... E..., né le 15 février 1944 en Algérie, a présenté le 15 octobre 2014 une demande de carte de combattant en faisant état de son appartenance aux groupes mobiles de sécurité (GMS) et d'une affectation sur le territoire de La Calle, département de Bône, de 1958 à mars 1962. Il indique avoir renouvelé cette demande auprès du directeur général de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) par une lettre du 13 janvier 2016, avant de saisir le Tribunal administratif de Paris, le 20 avril 2016, d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet opposée à sa demande. Par un jugement du 12 mars 2018, le tribunal a ordonné, avant dire droit, un supplément d'instruction en vue de la production de tous documents permettant de déterminer, d'une part, la durée des services de l'intéressé au sein des groupes mobiles de sécurité et, d'autre part, s'il avait pris part à des actions de feu ou de combat au cours des opérations effectuées en Afrique du Nord entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962. Puis en cours de procédure, la directrice générale de l'ONACVG a explicitement rejeté la demande de M. E... par une décision du 30 mars 2018, dont l'intéressé a également demandé l'annulation. Par jugement du 4 octobre 2018, et après avoir jugé que cette décision expresse de rejet s'était substituée à la décision implicite et que les conclusions de la demande devaient ainsi être regardées comme dirigées uniquement contre cette décision du 30 mars 2018, le tribunal a rejeté cette demande.

2. Aux termes de l'article L. 311-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Ont vocation à la qualité de combattant les militaires des armées françaises qui ont participé (...) à la guerre d'Algérie (...), les membres des forces supplétives françaises, (...) / La reconnaissance de la qualité de combattant dans les conditions prévues par le présent chapitre donne lieu à l'attribution de la carte du combattant. ". L'article R. 311-9 de ce code dispose que " I. Sont considérés comme combattants (...) les membres des forces supplétives françaises mentionnés au II qui ont participé aux opérations effectuées en Afrique du Nord jusqu'au 2 juillet 1962 inclus : (...) 3° En Algérie, à compter du 31 octobre 1954. / II. Sont considérées comme combattants au sens du I les personnes : / 1° Qui ont appartenu pendant trois mois, consécutifs ou non, (...) à une des formations supplétives énumérées par décret et assimilées à une unité combattante ; 2° Qui ont appartenu à une unité ayant connu, pendant leur temps de présence, neuf actions de feu ou de combat ; 3° Qui ont pris part à cinq actions de feu ou de combat ; 4° Qui ont été évacuées pour blessure reçue ou maladie contractée en service, alors qu'elles appartenaient à une unité combattante ou à une formation assimilée sans condition de durée de séjour dans cette unité ou formation ; 5 ° Qui ont reçu une blessure assimilée à une blessure de guerre quelle que soit l'unité ou la formation à laquelle elles ont appartenu, sans condition de durée de séjour dans cette unité ou formation ; 6° Qui ont été détenues par l'adversaire et privées de la protection des conventions de Genève. ". L'article R. 311-13 du même code prévoit qu' " Une durée des services d'au moins quatre mois dans l'un ou l'autre des pays mentionnés au I de l'article R. 311-9 est reconnue équivalente à la participation aux actions de feu ou de combat exigée au 2° du II du même article, y compris lorsque ces services se sont poursuivis au-delà du 2 juillet 1962 dès lors qu'ils n'ont connu aucune interruption. ". Aux termes de l'article D. 111-1 de ce même code : " Les formations supplétives françaises en Afrique du nord (...) sont les suivantes : (...) 4° Goums, groupes mobiles de sécurité y compris groupes mobiles de police rurale et compagnies nomades (...) ".
3. Si M. E... fait valoir en premier lieu que le tribunal aurait commis des erreurs de fait quant aux caractéristiques des auteurs des témoignages qu'il produit, notamment en retenant que seul l'un des trois avait la carte de combattant alors que deux d'entre eux en étaient titulaires, de telles erreurs n'ont pu avoir d'incidence sur l'appréciation à laquelle se sont livrés les premiers juges et sont également sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.
4. Par ailleurs, si le tribunal a retenu que les attestations fournies par M. E..., émanant de trois camarades de régiment, étaient insuffisamment probantes quant à la durée de sa présence au sein des GMS, et insuffisamment circonstanciées sur la nature et le nombre des actions auxquelles il aurait pris part, il n'en résulte pas que les premiers juges auraient à tort considéré que M. E... devait tout à la fois justifier de la durée de service prévue au 1° de l'article R. 311-9 cité ci-dessus du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, et de sa participation ou de celle du corps auquel il appartenait, à des actions de combat conformément aux 2° et 3° du même article, mais seulement qu'il n'établissait satisfaire à aucune de ces conditions alternatives.
5. Enfin, il ressort par ailleurs des pièces du dossier que les démarches entreprises par l'administration auprès du centre des archives du personnel militaire et du bureau central des rapatriés, tant initialement qu'après l'intervention du jugement avant-dire droit, n'ont pas permis de retrouver la trace du passage de M. E... dans les groupes mobiles de sécurité ni, par suite, d'en établir la durée ou les caractéristiques. Par ailleurs si, comme l'y invitait le jugement avant-dire droit, M. E... avait la possibilité d'établir, par tout document, la durée de ses services au sein des groupes mobiles de sécurité ainsi que son éventuelle participation à des actions de feu ou de combat, les témoignages produits sont insuffisamment probants pour établir le bien-fondé de ses allégations. Les premiers témoignages versés au dossier de première instance consistent en effet en trois documents identiques, stéréotypés, non datés, dactylographiés, établis par écrivain public et émanant de M. E... lui-même et de deux de ses camarades, Messieurs C... et Bougradja, et par lesquels chacun d'eux attestait avoir accompli avec les deux autres " le service militaire en qualité de GMS 2ème classe dans la région de la Calle, département de Bône Algérie au cours de la guerre d'Algérie entre 1957 et 1962 ", ou, dans l'une de ces attestations " entre 1958 et 1962 ". Les deux autres attestations ultérieurement produites, dont l'une émane encore de M. C... et l'autre d'un troisième camarade de M. E..., M. A..., portant toutes deux la date du 19 mars 2018, sont elles aussi identiques entre elles, dactylographiées et écrites par écrivain public. De plus si leurs auteurs attestent sur l'honneur que M. E..., quoique né seulement en 1944, a bien servi avec eux dans les rangs de l'armée française et " a pris part à des opérations de combat ", en donnant 1958 comme année d'engagement et mars 1962 comme date de fin de service, il est constant que le certificat administratif concernant M. C... n'établit de services de celui-ci que de 1961 à 1962, ce qui limite la force probante de son témoignage, et que par ailleurs M. A... a, quant à lui, obtenu sa carte de combattant du fait de services effectués au sein du 22ème régiment de tirailleurs algériens en qualité de militaire engagé, sans qu'il soit par conséquent établi, ni même sérieusement allégué, qu'il aurait pu servir avec M. E... dans un GMS et par suite avoir connaissance de la durée et des caractéristiques de ses services. Dans ces conditions, de tels documents ne permettent pas d'établir que M. E..., né en février 1944, s'il est titulaire d'une carte d'appartenance à un groupe mobile de sécurité, aurait appartenu pendant trois mois, consécutifs ou non, à celui-ci conformément au 1° de l'article R. 311-9. Par ailleurs, il n'établit pas davantage satisfaire aux conditions, certes, alternatives, des 2° et 3° du même article en ayant appartenu à une unité ayant connu, pendant son temps de présence, neuf actions de feu ou de combat, ou en ayant pris part à cinq actions de feu ou de combat. Le tribunal a pu par suite, sans erreur de droit ni erreur d'appréciation, juger que la décision attaquée n'était pas entachée d'illégalité.

6. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête ne peut dès lors qu'être rejetée, y compris ses conclusions à fins d'injonctions sous astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de sa demande de première instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme F..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 octobre 2019.
Le rapporteur,
M-I. F...Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 18PA03401