CAA de LYON, 5ème chambre, 27/02/2020, 17LY02738, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision27 février 2020
Num17LY02738
JuridictionLyon
Formation5ème chambre
PresidentM. ARBARETAZ
RapporteurM. Philippe SEILLET
CommissaireM. VALLECCHIA
AvocatsSCP BAKER & MCKENZIE

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 3 novembre 2015, par laquelle le directeur des ressources humaines de l'UPR Sud-est de la société Orange a refusé de reconnaitre l'imputabilité au service de son état anxio-dépressif et d'enjoindre à cette société de prendre en charge son état anxio-dépressif comme maladie imputable au service.

Par un jugement n° 1600023 du 18 mai 2017, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé la décision du 3 novembre 2015 et enjoint à la société Orange de prendre en charge la maladie de Mme C... en tant que maladie imputable au service.


Procédure devant la cour

Par requête enregistrée le 13 juillet 2017, et des mémoires enregistrés le 10 octobre 2017 et le 31 janvier 2020, présentés pour la société Orange, il est demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1600023 du 18 mai 2017 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;
2°) de rejeter la demande de Mme C... devant le tribunal administratif.


Elle soutient que :
- le jugement est intervenu au terme d'une procédure irrégulière, faute pour la société d'avoir été destinataire de la demande de Mme C..., à la suite d'un dysfonctionnement de l'application informatique Télérecours ;
- c'est à tort que les premiers juges ont fait droit aux conclusions de la demande de Mme C... en se bornant à constater l'absence de contestation de la société, alors qu'il leur appartenait de porter une appréciation sur les circonstances de droit et de fait qui leur étaient soumises ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'état anxio-dépressif invoqué par Mme C... était imputable au service, alors que l'intéressée n'avait pas apporté d'élément démontrant l'existence d'un lien direct et exclusif entre l'état dont elle se prévalait et l'exercice de son activité professionnelle et que la commission de réforme avait émis un avis défavorable à la reconnaissance de cette imputabilité.
Par mémoires enregistrés le 7 septembre 2017, le 24 octobre 2019 et le 31 janvier 2020, présentés pour Mme C..., elle conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Orange d'une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés à l'occasion de la présente instance.

Elle soutient que la requête est irrecevable et qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le décret n° 90-1111 du 12 décembre 1990 ;
- le décret n° 96-1174 du 27 décembre 1996 ;
- le décret n° 2014-107 du 4 février 2014 ;
- le code de justice administrative ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;


Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Seillet, président assesseur ;
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
- les observations de Me A... pour la société Orange ainsi que celles de Me D... pour Mme C... ;

Considérant ce qui suit :


1. Mme C..., fonctionnaire en service à France Télécom devenu la société Orange, qui avait bénéficié de plusieurs congés de maladie en raison de son état de santé et avait ainsi été placée en congé de longue maladie du 6 juin 2012 au 5 juin 2015 avant que, le 29 janvier 2015, le comité médical d'Orange l'estime inapte totalement et définitivement à l'exercice de toutes fonctions et qu'elle soit mise en retraite d'office pour invalidité au mois de décembre 2015, avait demandé, par une lettre du 17 avril 2015, à ce que son état de santé, caractérisé par des troubles anxio-dépressifs, soit reconnu imputable au service. Toutefois, à la suite d'un avis, émis le 22 octobre 2015, par la commission de réforme de la société Orange, défavorable à la demande de reconnaissance d'imputabilité au service de la pathologie de Mme C..., le directeur des ressources humaines de l'UPR (unité de production réseau) Sud-est de la société Orange, par une décision du 3 novembre 2015, a refusé de reconnaitre l'imputabilité au service de son état de santé. La société Orange interjette appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, sur la demande de Mme C..., annulé cette décision et lui a enjoint de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie.
Sur la fin de non-recevoir opposée par Mme C... :
2. La présentation d'une action par un de ces mandataires ne dispense pas la juridiction de s'assurer, le cas échéant, lorsque la partie en cause est une personne morale, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour engager cette action. Une telle vérification n'est toutefois pas normalement nécessaire lorsque la personne morale requérante est dotée, par des dispositions législatives ou réglementaires, de représentants légaux ayant de plein droit qualité pour agir en justice en son nom. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 225-51-1 et L. 225-56 du code de commerce applicables aux sociétés anonymes, en vertu desquelles le directeur général, ou lorsque la direction générale de la société est assumée par le président du conseil d'administration, le président-directeur général, ainsi que les directeurs généraux délégués, sont investis des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société et représentent la société dans ses rapports avec les tiers, que ces personnes ont de plein droit qualité pour agir en justice au nom de la société. Il ressort des pièces du dossier que la requête est signée par l'avocat mandaté par la société requérante et mentionne qu'elle est présentée pour la société anonyme Orange représentée par son représentant légal et il n'en ressort pas qu'elle ait été présentée par un organe qui ne tenait pas de ses fonctions le pouvoir d'interjeter appel au nom de ladite société sans avoir à justifier de la régularité d'un mandat conformément aux dispositions sus-rappelées du code de commerce. Par suite, la fin de non-recevoir opposée à la requête par Mme C..., au motif que la requête n'indique pas l'identité du représentant légal de la société anonyme requérante habilité à agir pour le compte de celle-ci, doit être écartée.
Sur la légalité de la décision en litige :
3. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, dans sa rédaction alors applicable : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants (...) Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) ".
4. Ainsi qu'il a été dit au point 1 la commission de réforme de la société Orange a émis, le 22 octobre 2015, un avis défavorable à la demande de reconnaissance d'imputabilité au service de la pathologie de Mme C..., en raison de l'absence d'éléments médicaux pouvant lier cette pathologie à son activité professionnelle. Si Mme C... a produit une attestation de son médecin traitant, du 23 mars 2015, selon laquelle son état de santé était " imputable au service dans lequel elle travaillait chez Orange " au moment de son arrêt de travail du 6 juin 2012 et une attestation d'un psychanalyste du 1er avril 2015, mentionnant un suivi en thérapie depuis un " début d'état dépressif et traumatique consécutif au service dans lequel elle exerçait dans le groupe Orange ", ces attestations ont été établies sur la base des seules déclarations de l'intéressée et de son propre ressenti des événements. Les comptes rendus d'un psychiatre agréé qui avait examiné l'intéressée à plusieurs reprises, à la demande du comité médical de France Télécom, durant la période du 1er janvier 2013 au 23 décembre 2014, dans le cadre de son placement puis de sa prolongation en congé de longue maladie, qui indiquent qu'il n'existe ni antécédent familial ni antécédent somatique important et, selon le dernier de ces documents, que la problématique reste patente et que l'intéressée est extrêmement déstabilisée dès qu'est abordée la fonction professionnelle, ne comportent aucune appréciation sur l'existence d'un lien entre le service et la pathologie de Mme C.... Ainsi, les pièces du dossier, et en particulier ces pièces médicales produites tant en première instance qu'en appel par Mme C..., qui avaient au demeurant été portées à la connaissance de la commission de réforme, et alors que le dernier compte-rendu du médecin psychiatre agréé évoque un premier épisode dépressif transitoire lors d'un accident du travail de l'époux de Mme C..., tout comme les déclarations de l'intéressée qui se borne à évoquer un changement d'affectation en 2008 pour un poste de conseiller satisfaction clients, traitement des réclamations, orienté vers la clientèle de professionnels, puis un poste supposant l'utilisation d'un logiciel qu'elle aurait eu beaucoup de difficultés à exploiter faute d'une formation adaptée, ce qui l'aurait conduite à subir des réflexions sur son rythme de travail oralement puis dans son évaluation écrite, ne font apparaître aucune circonstance particulière tenant à ses conditions de travail, susceptible d'avoir occasionné la pathologie dont elle souffre. Dès lors, la maladie dont souffre Mme C... ne peut être regardée comme imputable au service et l'autorité compétente n'a commis aucune illégalité en refusant de reconnaître l'imputabilité au service des affections dont se plaignait l'intéressée. C'est, par suite, à tort que les premiers juges se sont fondés sur le motif tiré de la méconnaissance de l'article 34 précité de la loi du 11 janvier 1984 pour annuler la décision en litige.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C... devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand et en appel.
6. Aux termes de l'article 2 du décret du 4 février 2014 relatif à la création du comité médical national et de la commission de réforme nationale de la société anonyme Orange : " Il est institué au sein de la société anonyme Orange une commission de réforme nationale qui exerce les fonctions des commissions de réforme prévues à l'article 10 du décret du 14 mars 1986 (...) ". Aux termes de l'article 13 du décret du 14 mars 1986 susvisé : " La commission de réforme est consultée notamment sur : 1. L'application des dispositions du deuxième alinéa des 2° et 3° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 (...) 5. La réalité des infirmités résultant (...) d'une maladie professionnelle, la preuve de leur imputabilité au service et le taux d'invalidité qu'elles entraînent, en vue de l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité (...) ". Aux termes de l'article 26 du même décret : " (...) les commissions de réforme (...) sont obligatoirement consultées dans tous les cas où un fonctionnaire demande le bénéfice des dispositions de l'article 34 (2°), 2° alinéa, de la loi du 11 janvier 1984 (...) Le dossier qui leur est soumis doit comprendre un rapport écrit du médecin chargé de la prévention attaché au service auquel appartient le fonctionnaire concerné (...) ".
7. Ces dispositions imposent la consultation de la commission de réforme dans tous les cas où le bénéfice du texte précité est demandé par un agent, hormis le cas où le défaut d'imputabilité au service est manifeste, afin de déterminer notamment si l'affection dont souffre l'agent est ou non imputable au service. Il ne ressort toutefois pas de ces dispositions ni d'aucun autre texte que la commission de réforme ne pourrait statuer sans avoir au préalable ordonné une mesure d'expertise. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait intervenue au terme d'une procédure irrégulière à défaut pour la commission de réforme d'avoir ordonné une telle mesure doit être écarté.
8. Il résulte de ce qui précède que la société Orange est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé la décision en litige et lui a enjoint de prendre en charge la maladie de Mme C... en tant que maladie imputable au service.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Orange, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par Mme C....



DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1600023 du 18 mai 2017 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.
Article 2 : Les conclusions de Mme C... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Orange SA et à Mme B... C....
Délibéré après l'audience du 6 février 2020 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 27 février 2020.
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