CAA de PARIS, 4ème chambre, 17/04/2020, 19PA00130, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du
6 juin 2016 par laquelle la directrice générale de l'office national des anciens combattants et victimes de guerre a refusé de lui reconnaître la qualité de combattant.
Par une ordonnance n° 1807817 du 30 novembre 2018, le vice-président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 janvier 2019 et 18 août 2019, M. E..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1807817 du 30 novembre 2018 par laquelle le vice-président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
2°) d'annuler la décision du 6 juin 2016 par laquelle la directrice générale de l'office national des anciens combattants et victimes de guerre a refusé de lui reconnaître la qualité de combattant ;
3°) d'enjoindre à l'office national des anciens combattants et victimes de guerre de lui délivrer la carte du combattant avec versement rétroactif des droits ou, à défaut, de réexaminer sa situation, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'office national des anciens combattants et victimes de guerre la somme de 1 500 euros à verser Me B... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il peut bénéficier de la qualité de combattant dès lors qu'il remplit la condition générale d'accomplissement d'une durée de services d'au moins 90 jours ainsi que la condition particulière spécifique à l'Algérie d'une durée de services d'au moins quatre mois ;
- l'office national des anciens combattants et victimes de guerre a commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité en ne lui précisant pas la nature des documents complémentaires à apporter au soutien de sa requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2019, l'office national des anciens combattants et victimes de guerre conclut au rejet de la requête.
Il sollicite une substitution de motifs de la décision et soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, par lettre du 4 février 2020, en application de l'article
R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que le vice-président du Tribunal administratif de Paris a fait une inexacte application des dispositions du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative dès lors que la demande de première instance n'était pas manifestement non assortie des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 19 mars 2019 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Paris.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
- l'ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mach, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant algérien né en 1933, a sollicité l'attribution de la carte du combattant le 15 août 2015. Par décision du 6 juin 2016, notifiée le 25 mars 2018, la directrice générale de l'office national des anciens combattants et victimes de guerre a rejeté sa demande. M. E... relève appel de l'ordonnance du vice-président du Tribunal administratif de Paris du 30 novembre 2018 rejetant, sur le fondement du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, sa demande d'annulation de la décision du 6 juin 2016.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif (...) le vice-président du tribunal administratif de Paris, (...) peuvent, par ordonnance : (...) / 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ".
3. Devant le tribunal, M. E... a fait valoir qu'il avait été incorporé au service militaire français du 14 juillet 1954 au 27 mars 1956 et a, par ailleurs, produit un extrait de service à l'appui de ses allégations. Ainsi, en jugeant que cette demande n'était pas assortie de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé et pouvait être rejetée par ordonnance sur le fondement du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, le vice-président du Tribunal administratif de Paris a fait une inexacte application de ces dispositions. Par suite, l'ordonnance du 30 novembre 2018 est entachée d'irrégularité et doit être annulée.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. E....
Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 6 juin 2016 :
5. Aux termes de l'article L. 253 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur : " Il est créé une carte de combattant qui est attribuée dans les conditions fixées aux articles R. 223 à R. 235. ". Aux termes de l'article L. 253 bis du même code, alors en vigueur : " Ont vocation à la qualité de combattant et à l'attribution de la carte du combattant, selon les principes retenus pour l'application du présent titre et des textes réglementaires qui le complètent, sous la seule réserve des adaptations qui pourraient être rendues nécessaires par le caractère spécifique de la guerre d'Algérie ou des combats en Tunisie et au Maroc entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 : / Les militaires des armées françaises, / Les membres des forces supplétives françaises, / Les personnes civiles qui, en vertu des décisions des autorités françaises, ont participé aux opérations au sein d'unités françaises, qui ont pris part à des actions de feu ou de combat au cours de ces opérations. / Une durée des services d'au moins quatre mois dans l'un ou l'autre ou dans plusieurs des pays mentionnés au premier alinéa est reconnue équivalente à la participation aux actions de feu ou de combat exigée au cinquième alinéa, y compris lorsque ces services se sont poursuivis au-delà du 2 juillet 1962 dès lors qu'ils n'ont connu aucune interruption. ". Aux termes de l'article L. 253 ter du même code, alors en vigueur : " Ont également vocation à l'attribution de la carte du combattant, dans les conditions prévues à l'article L. 253 bis, les militaires des forces armées françaises ainsi que les personnes civiles qui, en vertu des décisions des autorités françaises, ont participé au sein d'unités françaises ou alliées ou de forces internationales soit à des conflits armés, soit à des opérations ou missions menées conformément aux obligations et engagements internationaux de la France. / Un arrêté conjoint des ministres concernés fixe notamment les bonifications et les périodes à prendre en considération pour chacun de ces conflits, opérations ou missions. ". Aux termes de l'article R. 224 du même code, alors en vigueur : " (...) / D-Pour les opérations effectuées en Afrique du Nord entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 inclus : (...) / c) En Algérie, à compter du 31 octobre 1954. / I.-Sont considérés comme des combattants les militaires des armées françaises et les membres des forces supplétives françaises : 1° Qui ont appartenu pendant trois mois, consécutifs ou non, à une unité combattante ou à une formation entrant dans l'une des catégories énumérées par l'arrêté interministériel prévu au troisième alinéa de l'article L. 253 bis et assimilée à une unité combattante ; (...) / E.-Pour les autres opérations ou missions, définies à l'article L. 253 ter du présent code. / I.-Sont considérés comme combattants les militaires des forces armées françaises ainsi que les personnes civiles possédant la nationalité française à la date de leur demande qui : / 1° Soit ont appartenu pendant trois mois, consécutifs ou non, à une unité combattante ; pour le calcul de la durée d'appartenance, les services accomplis au titre des opérations mentionnées aux paragraphes A, B, C et D ci-dessus se cumulent entre eux et avec ceux des opérations et missions visées au présent paragraphe ; (...) ".
6. Il résulte des dispositions citées au point 5, d'une part, que sont considérés comme combattants, pour les opérations effectuées en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 2 juillet 1962 inclus, ou pour des conflits armés, des opérations ou missions menées conformément aux obligations et engagements internationaux de la France, notamment les personnes ayant appartenu pendant trois mois, consécutifs ou non, à une unité combattante ou à une formation assimilée à une unité combattante ou satisfaisant à une autre des conditions posées par les D ou E de l'article R. 224 et, d'autre part, que pour une personne ayant servi en Algérie, une durée de quatre mois de services dans ce pays est reconnue équivalente à la participation aux actions de feu ou de combat requises.
7. Pour refuser de reconnaître la qualité de combattant à M. E..., la directrice générale de l'office national des anciens combattants et victimes de guerre s'est fondée sur la circonstance que l'intéressé n'avait pas effectué de services pendant les périodes de guerre ou assimilées sur les territoires où se déroulaient des combats telles que définies par les textes en vigueur et non sur le caractère imprécis ou incomplet de la demande. Par suite, le moyen tiré de ce que l'office aurait commis un excès de pouvoir et une faute de nature à engager sa responsabilité en ne lui précisant pas les documents complémentaires à fournir est inopérant.
8. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'extrait des services en date du 13 décembre 2016 ainsi que des vérifications de la demande de carte de combattant effectuées les 1er septembre 2015 et 30 août 2019 par le centre des archives du personnel militaire, que M. E... a servi en Algérie du 17 mai au 14 juillet 1954, avant de rejoindre la France le 15 juillet 1954 puis l'Allemagne du 16 juillet 1954 au 25 mars 1956. Après être resté en France les 26 et 27 mars 1956, il a fait l'objet d'une permission libérable en Algérie du 30 mars au 5 mai 1956. Ainsi, le motif retenu dans la décision attaquée selon lequel M. E... n'a pas effectué de services pendant les périodes de guerre ou assimilées sur les territoires où se déroulaient des combats telles que définies par les textes en vigueur, est entaché d'inexactitude matérielle des faits.
9. L'administration peut, en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
10. L'office national des anciens combattants et victimes de guerre soutient en appel dans son mémoire en défense communiqué à M. E..., que les services accomplis par ce dernier ne lui permettent pas de lui reconnaître la qualité de combattant. Il ressort, en effet, des pièces du dossier, d'une part, que M. E... ne justifie pas, contrairement à ce qu'il allègue, avoir accompli les quatre mois de services en Algérie requis par l'article L. 253 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre pour se voir délivrer la carte du combattant et que, d'autre part, son temps de service en France et en Allemagne ne peuvent être pris en compte pour l'octroi de cette carte dès lors qu'il était affecté sur un territoire hors conflit. Enfin, il ne justifie d'aucun jour de service en unité combattante au sens des dispositions de l'article R. 224 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre. Dans ces conditions, l'office national des anciens combattants et victimes de guerre aurait pris la même décision s'il s'était initialement fondé sur le motif substitué. Cette substitution ne privant M. E... d'aucune garantie procédurale, il y a lieu d'y faire droit.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 6 juin 2016. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1807817 du 30 novembre 2018 du vice-président du Tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le Tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions présentées en appel à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et à l'office national des anciens combattants et victimes de guerre.
Délibéré après l'audience du 14 février 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme C..., présidente,
- Mme Portes, premier conseiller,
- Mme Mach, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 avril 2020.
La présidente de la formation de jugement,
M. C...La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA00130