CAA de BORDEAUX, , 16/04/2020, 19BX04014, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision16 avril 2020
Num19BX04014
JuridictionBordeaux
AvocatsBAUDORRE ALICE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal des pensions de Bordeaux d'annuler la décision du 24 juillet 2017 par laquelle le ministre des armées a rejeté sa demande tendant à l'octroi d'une pension militaire d'invalidité.

Par un jugement n° 1700028 du 17 janvier 2019, le tribunal des pensions de Bordeaux a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 15 mars 2019 et 27 novembre 2019, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 janvier 2019 du tribunal des pensions de Bordeaux ;

2°) d'enjoindre au ministre de communiquer l'ensemble des procès-verbaux des interventions auxquelles il a participé et d'annuler la décision du 24 juillet 2017 par laquelle le ministre des armées a rejeté sa demande tendant à l'octroi d'une pension militaire d'invalidité ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant-dire droit une expertise ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :
- gendarme de carrière engagé depuis 1982, il a assisté à un grand nombre d'évènements particulièrement traumatisants entre 1982 et 2011 ; il souffre d'un syndrome post-traumatique et a été placé en congé de maladie longue durée à partir du 1er avril 2013 ;
- le jugement n'a pas statué sur sa demande d'expertise qu'il avait présentée à titre subsidiaire ;
- le tribunal s'est livré à une appréciation erronée des faits ; ses troubles psychiques sont imputables au service, ainsi que l'admet d'ailleurs l'expertise médicale du 10 mars 2016 ; le lien entre son état de santé et l'exercice de ses fonctions militaires est établi par les pièces médicales ;
- il convient d'enjoindre au ministre des armées de communiquer l'ensemble des procès-verbaux relatant l'ensemble des interventions auxquelles il a participé ;
- si la cour ne s'estime pas suffisamment éclairée, elle devra ordonner une expertise.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mai 2019.

Par des mémoires en défense enregistrés les 23 juillet 2019 et 12 décembre 2019, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les sujétions invoquées par le requérant étaient communes à l'ensemble des militaires appartenant à son groupe, de sorte qu'il ne rapporte pas la preuve de l'imputabilité de sa maladie au service au sens de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité, alors en outre que M. B... souffre depuis de nombreuses années de problèmes dépressifs sans lien avec le service.

Par une ordonnance du 20 décembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 janvier 2020 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- la loi n°2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense ;
- le décret n°59-327 du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif pris pour l'application de l'article 51 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense ;
- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents des cours administratives d'appel, les premiers vice-présidents des cours et les présidents des formations de jugement des cours, ainsi que les autres magistrats ayant le grade de président désignés à cet effet par le président de la cour peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter les conclusions à fin de sursis à exécution d'une décision juridictionnelle frappée d'appel, les requêtes dirigées contre des ordonnances prises en application des 1° à 5° du présent article ainsi que, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire les requêtes d'appel manifestement dépourvues de fondement ".


2. M. B..., gendarme depuis le 13 avril 1982, relève appel du jugement du 17 janvier 2019, par lequel le tribunal des pensions de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 24 juillet 2017 du ministre des armées lui refusant l'octroi d'une pension militaire d'invalidité au motif que son infirmité pour " syndrome anxiodépressif avec ruminations, troubles du sommeil, changement d'humeur " n'est pas imputable au service.

3. La loi n°2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, et le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif pris pour l'application de l'article 51 de la loi précitée, et portant diverses dispositions intéressant la défense ont eu pour effet de transférer aux juridictions administratives de droit commun le contentieux des pensions militaires d'invalidité. Par suite, la cour administrative d'appel de Bordeaux, à qui la cour régionale des pensions de Bordeaux a transmis la requête de M. B..., est compétente pour statuer sur l'appel interjeté contre le jugement du tribunal des pensions de Bordeaux.


Sur la régularité du jugement :

4. En considérant que les éléments médicaux versés au dossier imputaient les troubles psychologiques dont M. B... est atteint à ses conditions générales de service imposées par les fonctions de gendarme et que l'intéressé ne faisait pas état de fait précis de service en lien direct avec son syndrome, le tribunal doit être regardé comme ayant nécessairement considéré la demande, présentée à titre subsidiaire, de M. B... tendant à ce que soit ordonnée avant-dire droit une expertise comme inutile. Le requérant n'est ainsi pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité sur ce point.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service. ". Aux termes de l'article L. 121-3 du même code : " Lorsque la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes mentionnées à l'article L. 121-1 ne peut être apportée, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée : a) Soit avant la date du renvoi du militaire dans ses foyers ; b) Soit, s'il a participé à une des opérations extérieures mentionnées l'article L. 4123 du code de la défense, avant la date de son retour sur son lieu d'affectation habituelle ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle ait été constatée après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant l'une des dates mentionnées au 1°. En cas d'interruption de service d'une durée supérieure à quatre-vingt-dix jours, la présomption ne joue qu'après le quatre-vingt-dixième jour suivant la reprise du service actif. La recherche d'imputabilité est effectuée au vu du dossier médical constitué pour chaque militaire lors de son examen de sélection et d'incorporation. La présomption définie au présent article s'applique exclusivement, soit aux services accomplis en temps de guerre, au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre ou en opération extérieure, soit au service accompli par les militaires pendant la durée légale du service national, les constatations étant faites dans les délais prévus aux précédents alinéas. Dans tous les cas, la filiation médicale doit être établie entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. ".
6. Il résulte des dispositions citées ci-dessus que, lorsque le demandeur d'une pension ne peut pas bénéficier de la présomption légale d'imputabilité au service, il incombe à ce dernier d'apporter la preuve de cette imputabilité par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges. Dans les cas où sont en cause des troubles psychiques, il appartient au juge de prendre en considération l'ensemble des éléments du dossier permettant d'établir que ces troubles sont imputables à un fait précis ou à des circonstances particulières de service. Lorsqu'il est établi que les troubles psychiques trouvent leur cause directe et déterminante dans une ou plusieurs situations traumatisantes auxquelles le militaire en opération a été exposé, en particulier pendant des campagnes de guerre, la seule circonstance que les faits à l'origine des troubles n'aient pas été subis par le seul demandeur de la pension mais par d'autres militaires participant à ces opérations, ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité. L'avis des experts n'est en aucun cas de nature à lier le juge dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation.
7. Il ressort des nombreux certificats médicaux versés au dossier que M. B... présente un état dépressif ancien et a développé un syndrome anxiodépressif en lien avec " les nombreuses interventions " réalisées dans l'exercice de ses fonctions, en réaction aux " nombreuses situations traumatiques vécues en contexte professionnel ". Il a débuté un alcoolisme qu'un médecin a qualifié de " thérapeutique " en 2000. Il a bénéficié, en raison d'un état de stress post-traumatique, de congés de longue durée depuis 2013 et a sollicité une pension militaire d'invalidité. Si M. B... affirme que ses troubles psychiques trouvent leur origine dans de multiples interventions réalisées entre 1982 et 2011, il ne fait toutefois pas état de circonstances particulières de service à l'occasion des décès qu'il a dû constater dans le cadre normal de ses fonctions, et ne saurait se borner à demander qu'il soit fait injonction au ministre de produire l'ensemble des procès-verbaux d'interventions auxquelles il a participé au cours de sa carrière entre 1982 et 2011. Dans ces conditions, si l'existence d'une relation entre l'infirmité en cause et l'activité professionnelle de M. B... est établie, ce dernier ne démontre cependant pas qu'elle serait imputable à un fait précis dérogeant aux conditions générales inhérentes aux fonctions de gendarme, ou encore à des conditions particulières de service. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, c'est par une exacte application des dispositions citées au point 5 que le ministre des armées a rejeté sa demande tendant à l'octroi d'une pension militaire d'invalidité.
8. Il résulte de ce qui précède que la requête d'appel de M. B..., qui est manifestement dépourvue de fondement au sens des dispositions précitées du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, doit être rejetée, en application de ces dispositions, y compris ses conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :



Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et à la ministre des armées.
Fait à Bordeaux, le 16 avril 2020.



La présidente de la 2ème chambre,



Catherine GIRAULT


La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

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N° 19BX04014