CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 12/05/2020, 19BX03922, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... a demandé au tribunal des pensions militaires de Bordeaux d'annuler la décision du 15 février 2015 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant au bénéfice d'une pension d'invalidité en qualité de victime civile de la guerre d'Algérie.
Au cours de cette procédure, il a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, qui a donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel rendue le 8 février 2018, n° 2017-690 QPC, déclarant inconstitutionnelle la limitation aux seuls Français du droit à pension des victimes civiles de la guerre d'Algérie prévue à l'article 13 de la loi n°63-778 du 31 juillet 1963.
Le tribunal des pensions, par un jugement n° 1500006 du 13 juin 2019, a constaté que M. C... a bénéficié à la suite de cette décision de l'octroi d'une pension d'invalidité au taux de 40 % à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, et que sa requête était devenue sans objet.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 août 2019, et un mémoire enregistré le 3 février 2020, M. C... a demandé à la cour régionale des pensions de Toulouse d'annuler ce jugement du 13 juin 2019 du tribunal des pensions militaires de Bordeaux en ce qu'il a " dit qu'il bénéficie d'une pension militaire d'invalidité à compter du 9 février 2018 ", et de fixer la date d'entrée en jouissance de sa pension au 14 février 2014.
Il soutient que :
- c'est à tort que l'entrée en jouissance de ses droits a été fixée au 9 février 2018, date de la publication au Journal officiel de la République française de la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-690 QPC du 8 février 2018 ; la date que le tribunal aurait dû retenir est celle de la réception par l'administration de sa demande initiale, soit le 14 février 2014, en application de l'article L.151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le Conseil Constitutionnel s'est prononcé sur les conditions d'ouverture du droit à pension, alors que sa demande concernait quant à elle le régime juridique du droit à pension.
Par une requête enregistrée le 9 août 2019, M. C... a également demandé à la cour régionale des pensions de Bordeaux d'annuler ce jugement du 13 juin 2019 du tribunal des pensions militaires de Bordeaux en ce qu'il " dit qu'il bénéficie d'une pension militaire d'invalidité à compter du 9 février 2018 ", et de fixer cette date au 14 février 2014.
Les deux requêtes ont été transférées à la cour administrative d'appel de Bordeaux où elles ont été respectivement enregistrées sous les n° 19BX03922 et 19BX04027.
Par un mémoire, enregistré le 9 octobre 2019 à la cour régionale des pensions de Toulouse et le 29 novembre 2019 à la cour administrative d'appel de Bordeaux, le ministre des armées conclut à la jonction des deux appels présentés devant les cours des pensions de Toulouse et de Bordeaux, et au rejet de la requête.
Il soutient que M. C... a déposé sa demande le 15 décembre 2014 et non le 14 février, et que la décision du Conseil Constitutionnel a prévu que la date d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité est celle de la publication de sa décision, soit le 9 février 2018.
Par une ordonnance du 3 février 2020, la requête enregistrée sous le N° 1904027 a été radiée pour être jointe à la requête n°19BX03922.
Par un mémoire enregistré le 3 février 2020, M. C... persiste dans ses précédentes conclusions et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article " 27 " de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963 ;
- la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 portant prise en charge et revalorisation de droits et avantages sociaux consentis à des Français ayant résidé en Algérie ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense ;
- le décret n° 59-327 du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif pris pour l'application de l'article 51 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-530 QPC du 23 mars 2016 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-690 QPC du 8 février 2018 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., de nationalité algérienne, a été blessé par balles à l'abdomen le 4 février 1958, à l'âge de huit ans, lors d'un attentat terroriste à Mascara, en Algérie. Il a sollicité par lettre de son conseil du 12 décembre 2014, reçue par la sous-direction des pensions le 15 décembre 2014, l'octroi d'une pension d'invalidité au titre de l'article 13 de la loi n°63-778 du 31 juillet 1963 en sa qualité de victime civile de la guerre d'Algérie. Cet article prévoyait à l'origine que : " Sous réserve de la subrogation de l'Etat dans les droits des victimes et de leurs ayants cause, les personnes de nationalité française à la date de la promulgation de la présente loi ayant subi en Algérie depuis le 31 octobre 1954 et jusqu'au 29 septembre 1962 des dommages physiques du fait d'attentat, ou de tout autre acte de violence en relation avec les évènements survenus sur ce territoire ont, ainsi que leurs ayants-cause, droit à pension. ". Sa demande a été implicitement rejetée le 15 février 2015. M. C... a contesté ce rejet devant le tribunal des pensions militaires de Bordeaux par une requête du 13 mars 2015. Au cours de cette procédure, il a déposé une question prioritaire de constitutionnalité, transmise au Conseil d'Etat et renvoyée au Conseil constitutionnel, qui a donné lieu à la décision n°2017-690 QPC du 8 février 2018, reconnaissant, au regard du principe d'égalité, l'inconstitutionnalité des termes " de nationalité française " dans l'article précité, une précédente décision du Conseil constitutionnel ayant déjà censuré les termes " à la date de la promulgation de la présente loi " sous le n° 2015-530 QPC.
2. Le tribunal des pensions militaires de Bordeaux, qui avait sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel, a constaté, par le jugement attaqué du 13 juin 2019, que l'administration avait ultérieurement repris l'instruction de la demande et accordé à M. C..., par décret de concession du 25 mars 2019, une pension d'invalidité au taux de 40% à compter du 9 février 2018. Il a alors estimé que la requête était ainsi privée d'objet, et alloué à M. C... une somme de 3 000 euros " au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ". M. C... relève appel de ce jugement " en ce qu'il dit que M. C... bénéficie d'une pension d'invalidité en sa qualité de victime de la guerre d'Algérie à compter du 9 février 2018 " et demande à la cour de fixer la date d'entrée en jouissance de sa pension au 14 février 2014, date qu'il estime être celle de sa demande initiale de pension à l'administration.
3. La loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, et le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif pris pour l'application de l'article 51 de la loi précitée, et portant diverses dispositions intéressant la défense ont eu pour effet de transférer aux juridictions administratives de droit commun le contentieux des pensions militaires d'invalidité. Par suite, la cour administrative d'appel de Bordeaux est compétente pour statuer sur l'appel formé par M. C....
4. Compte tenu de l'objet de son appel, M. C... doit être regardé comme contestant le non-lieu prononcé par le tribunal, au motif que l'arrêté de concession de pension ne lui a pas accordé entière satisfaction. Toutefois, le ministre avait indiqué dans un mémoire enregistré au tribunal des pensions de Bordeaux le 3 avril 2019 que la requête était devenue sans objet, et M. C..., qui n'avait pas précisé la date escomptée de la pension sollicitée, n'a pas alors contesté cette analyse. Il soutient pour la première fois devant la cour qu'il convenait de faire application de l'article L 151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, lequel dispose que : "La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée à la demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. ". Ces dispositions sont applicables aux victimes civiles de guerre en application de l'article L.152-1 du même code.
5. Aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ". Aux termes du deuxième alinéa de son article 62 : " Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ". Enfin, aux termes du troisième alinéa du même article : " Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ". Il résulte des dispositions précitées de l'article 62 de la Constitution qu'une disposition législative déclarée contraire à la Constitution sur le fondement de l'article 61-1 n'est pas annulée rétroactivement mais abrogée pour l'avenir à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision.
6. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2017-690 QPC du 8 février 2018, a déclaré inconstitutionnels les mots " de nationalité française " figurant deux fois au premier alinéa de l'article 13 de la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963, dans sa rédaction résultant de la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 portant prise en charge et revalorisation de droits et avantages sociaux consentis à des français ayant résidé en Algérie, modifiée par la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-530 QPC du 23 mars 2016. Le Conseil constitutionnel a rappelé " qu'en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. ". Et il a enfin décidé au paragraphe 10 de sa décision que: " La déclaration d'inconstitutionnalité du paragraphe 8 de la présente décision prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision ". Par suite, le Conseil constitutionnel n'ayant entendu déclarer les termes " de nationalité française " inconstitutionnels qu'à partir de la publication de sa décision, sans réserver l'application de cette déclaration d'inconstitutionnalité à l'instance en cours, cette circonstance fait obstacle à ce qu'une pension d'invalidité puisse être accordée, au titre de la loi ainsi modifiée, pour compter d'une date précédant cette modification.
7. Il résulte de ce qui précède que M. C..., qui n'a en tout état de cause pas contesté l'arrêté de concession de pension sur d'autres points que la date d'effet, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a constaté que sa requête contestant le refus opposé à sa demande au regard de sa nationalité algérienne était devenue sans objet.
8. M. C... étant la partie perdante dans l'instance d'appel, ses conclusions tendant à l'application de l'article " 27 " de la loi du 10 juillet 1991 au profit de son conseil ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 11 février 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme A... B..., présidente-assesseure,
M. Thierry Sorin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 mai 2020.
Le président de la 2ème chambre,
Catherine Girault
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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