Conseil d'État, 2ème chambre, 10/06/2020, 423649, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision10 juin 2020
Num423649
Juridiction
Formation2ème chambre
RapporteurM. Paul Bernard
CommissaireM. Guillaume Odinet
AvocatsSCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal des pensions de Nancy d'annuler la décision du 15 janvier 2016 par laquelle le ministre de la défense a refusé la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de ses infirmités pensionnées ainsi que la prise en compte de nouvelles infirmités. Par un jugement n° 16/00004 du 23 mai 2017, le tribunal des pensions de Nancy a infirmé la décision du ministre de la défense et porté le taux d'invalidité pour les infirmités " subluxation acromio claviculaire épaule droite " et " séquelles d'acromioplastie de l'épaule gauche " à 30 % et dit que le taux de l'infirmité " lombalgie " devait être fixé à 15 %. M. B... et la ministre des armées ont fait appel de ce jugement devant la cour régionale des pensions de Nancy.

Par un arrêt n° 1495/18 du 21 juin 2018, la cour régionale des pensions de Nancy a :
1°) annulé le jugement rendu par le tribunal des pensions de Nancy en tant qu'il rejetait les demandes de M. B... relatives aux infirmités " acouphènes bilatéraux permanents " et " séquelles de fracture des os du nez " ;

2°) fixé à 10 % le taux d'invalidité afférent à l'infirmité " acouphènes bilatéraux permanents " ;

3°) jugé que l'infirmité " séquelles de fracture des os du nez " avait un lien avec le service et ordonné une expertise médicale afin que soit déterminé le taux d'invalidité afférent à cette infirmité ;

4°) déclaré M. B... irrecevable en ses demandes tendant à voir fixer le taux d'invalidité des infirmités oculaire et relative à sa santé psychologique ;

5°) renvoyé l'affaire à l'audience de la cour régionale des pensions militaires du jeudi 13 décembre 2018, après dépôt du rapport d'expertise ;

6°) rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un pourvoi, enregistré le 27 août 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre des armées demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de M. B... en tant qu'elle demande une révision de sa pension imputable aux infirmités résultant de la subluxation acromioclaviculaire de son épaule droite et de l'acromioplastie de son épaule gauche.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Bernard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de M. B... ;





Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... bénéficiait d'une pension militaire d'invalidité au taux de 20 % au titre de la subluxation acromioclaviculaire de son épaule droite, pour un taux d'invalidité de 10 % à titre définitif, et des séquelles de l'acromioplastie de son épaule gauche, pour un taux d'invalidité également de 10 % à titre définitif. Le 19 octobre 2012, M. B... a demandé au ministre de la défense la révision de sa pension pour aggravation de ses infirmités pensionnées ainsi que la prise en compte de nouvelles infirmités. Par une décision du 15 janvier 2016, la demande de M. B... a été rejetée. Par un jugement du 23 mai 2017, le tribunal des pensions de Nancy a infirmé la décision du ministre de la défense, porté le taux d'invalidité pour la subluxation acromioclaviculaire de son épaule droite et les séquelles d'acromioplastie de son épaule gauche à 30 % et dit que le taux de l'infirmité de la lombalgie devait être fixé à 15 %. M. B... et la ministre des armées ont fait appel de ce jugement devant la cour régionale des pensions de Nancy. Par un arrêt du 21 juin 2018, la cour régionale des pensions de Nancy a confirmé le jugement rendu par le tribunal des pensions de Nancy en tant qu'il portait le taux d'invalidité pour les infirmités " subluxation acromio claviculaire épaule droite " et " séquelles d'acromioplastie de l'épaule gauche " à 30 %, au lieu de 20 %, infirmé le jugement rendu par le tribunal des pensions de Nancy en ce qu'il rejetait les demandes de M. B... relatives aux infirmités " acouphènes bilatéraux permanents " et " séquelles de fracture des os du nez ", fixé à 10 % le taux d'invalidité afférent à l'infirmité " acouphènes bilatéraux permanents ", jugé que l'infirmité " séquelles de fracture des os du nez " avait un lien avec le service et ordonné une expertise médicale afin que soit déterminé le taux d'invalidité afférent à cette infirmité, jugé qu'était irrecevable la demande tendant à ce que soit fixé le taux d'invalidité des infirmités oculaire et relative à sa santé psychologique et renvoyé l'affaire à une audience ultérieure.

2. Aux termes de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa rédaction applicable à la date du litige : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. Cette demande est recevable sans condition de délai. La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins du pourcentage antérieur. (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 14 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa rédaction applicable à la date du litige : " Dans le cas d'infirmités multiples dont aucune n'entraîne l'invalidité absolue, le taux d'invalidité est considéré intégralement pour l'infirmité la plus grave et pour chacune des infirmités supplémentaires, proportionnellement à la validité restante. / A cet effet, les infirmités sont classées par ordre décroissant de taux d'invalidité. / Toutefois, quand l'infirmité principale est considérée comme entraînant une invalidité d'au moins 20 %, les degrés d'invalidité de chacune des infirmités supplémentaires sont élevés d'une, de deux ou de trois catégories, soit de 5, 10, 15 %, et ainsi de suite, suivant qu'elles occupent les deuxième, troisième, quatrième rangs dans la série décroissante de leur gravité. Tous les calculs d'infirmités multiples prévus par le présent code, par les barèmes et textes d'application doivent être établis conformément aux dispositions de l'alinéa premier du présent article sauf dans les cas visés à l'article L. 15 ". Il résulte des dispositions de l'article L. 9 du même code, dans sa rédaction applicable à la date du litige et dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 125-3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, que " (...) Quand l'invalidité est intermédiaire entre deux échelons, l'intéressé bénéficie du taux afférent à l'échelon supérieur (...) ".

4. Quand le titulaire d'une pension militaire d'invalidité pour infirmité sollicite la révision de celle-ci du fait de l'apparition de nouvelles infirmités ou de l'aggravation de ses infirmités n'entrainant pas une invalidité absolue, le calcul de sa pension révisée doit s'effectuer sur la base du degré réel d'invalidité correspondant aux infirmités déjà pensionnées et du degré réel d'invalidité correspondant aux infirmités supplémentaires avec une exactitude arithmétique, sans qu'il soit possible d'arrondir à l'unité supérieure les chiffres fractionnaires intermédiaires. La règle de l'arrondi énoncée à l'article L. 9 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ne s'applique, le cas échéant, qu'une fois obtenu le degré global d'invalidité pour déterminer le taux de pension correspondant.

5. Pour confirmer le jugement par lequel le tribunal des pensions de Nancy a annulé la décision du 15 janvier 2016 et enjoint à la ministre des armées de calculer à nouveau la pension concédée à M. B..., la cour régionale des pensions de Nancy a jugé que le taux d'invalidité pour les blessures aux épaules de M. B... était passé de 10 à 15 % pour chaque épaule. Elle a jugé que le pourcentage d'invalidité résultant de l'ensemble de ces infirmités avait été fixé à 10 %, ce qui portait le total du taux d'invalidité de 20 % à 30%.

6. En premier lieu, la première cause d'invalidité de M. B... a été estimée à 10 %. La seconde a été calculée en appliquant son taux de 10 % à la validité restante, soit 90 %. Ainsi le taux d'invalidité en relation avec la seconde infirmité a été évalué à 9 % et la somme des deux représentait un taux d'invalidité initial cumulé de 19 %.

7. En second lieu, l'infirmité à l'épaule droite, initialement évaluée à 10 %, a été portée au taux de 15 % et l'infirmité à l'épaule gauche, initialement évaluée à 10 %, a aussi été portée au taux de 15 %. La validité restante après la première infirmité était donc de 85 % et le taux d'invalidité en relation avec la seconde infirmité devait alors être évalué à 12,75 %, soit le produit entre la validité restante de 85 % et le taux d'invalidité de 15 %. Au total, l'invalidité, après prise en compte de l'aggravation des deux infirmités, était de 27,75 %.

8. Pour juger que le total du taux d'invalidité était passé de 20 % à 30 %, la cour régionale des pensions de Nancy a implicitement mais nécessairement procédé à des arrondis, de 19 % à 20 % et de 27,75 % à 30 %. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de prendre en compte le degré réel d'invalidité correspondant aux infirmités, elle a commis une erreur de droit. Par suite, la ministre des armées est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 21 juin 2018 de la cour régionale des pensions de Nancy est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : Les conclusions de M. B... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre des armées et à M. A... B....

ECLI:FR:CECHS:2020:423649.20200610