CAA de NANCY, 2ème chambre, 18/06/2020, 18NC01095, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision18 juin 2020
Num18NC01095
JuridictionNancy
Formation2ème chambre
PresidentM. MARTINEZ
RapporteurMme Laurence STENGER
CommissaireMme PETON
AvocatsSOCIETE D'AVOCATS FIDAL DE BESANCON

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2011, et des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 1506792 du 9 janvier 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 5 avril 2018 et le 5 février 2019, M. B... C..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 9 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;

2°) de prononcer la décharge de cette imposition à hauteur de 16 680 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice.

Il soutient que :
- à titre principal, les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation en considérant que les rachats de cotisations de " deuxième pilier ", versées à la caisse de pension de Novartis, son employeur suisse, constituent des cotisations à un régime de prévoyance facultatif ;
- à titre subsidiaire, les cotisations de rachat étant obligatoires, il pouvait les déduire intégralement de son revenu imposable en application des dispositions combinées du 1° de l'article 83 du code général des impôts et de l'article L. 351-14-1 du code de la sécurité sociale ;
- la limitation à douze trimestres applicable aux rachats d'années d'études ou d'années insuffisamment cotisées n'est pas une limitation fiscale de la déduction du revenu imposable mais un plafond de rachat résultant de la législation sociale ; il se prévaut à ce titre de la doctrine BOI-RSA-BASE-30-10-10-20120912 n°10 et 20 ;
- l'administration n'est pas fondée à lui appliquer cette limitation de douze trimestres dès lors qu'elle n'existe pas dans la législation sociale suisse ;
- conformément à l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, l'administration n'est pas fondée à lui notifier des redressements sur le fondement d'une doctrine fiscale qui ne s'appliquait pas en 2011, comme l'atteste le formulaire de déclaration de revenus n° 2047-SUISSE qui devait être annexé à la déclaration de revenus n°2042 des travailleurs frontaliers français au titre de cette même année ;
- sa situation de travailleur frontalier cotisant au régime social suisse étant différente de celle d'un salarié cotisant au régime social français, il doit recevoir un traitement différent et par conséquent la limitation de douze trimestres ne lui était pas applicable.


Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Des pièces, présentées par l'administration, ont été enregistrées le 20 janvier 2020.


Vu :
- les autres pièces du dossier ;

Vu :
- l'accord franco-suisse du 11 avril 1983 relatif à l'imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.




Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. M. C..., résident fiscal français, domicilié à Saint-Louis (Haut-Rhin), était employé en 2011 par la société suisse Novartis Pharma AG en qualité de travailleur frontalier. Au titre de cette même année, il a déduit de ses salaires une somme de 94 000 francs suisses, soit 76 140 euros, qu'il avait versée à la caisse de pension de son employeur suisse dans le cadre du système de prévoyance professionnelle dit " deuxième pilier " et correspondant à des rachats de cotisations. A la suite d'un contrôle sur pièces, le service a remis en cause cette déduction, par une proposition de rectification du 18 juin 2013, et rehaussé en conséquence les salaires de M. C..., qui ont été portés de 56 762 euros, montant initialement déclaré, à 132 902 euros. Dans la réponse aux observations du contribuable du 17 juillet 2014, le service a finalement accepté, sur le fondement des dispositions de l'article L. 351-14-1 du code de la sécurité sociale, la déduction des sommes versées à la caisse de pension de l'employeur suisse, au titre du rachat de cotisations, en la limitant toutefois à 58 518 francs suisses, somme correspondant au montant théorique des cotisations rapporté à douze trimestres, soit trois années, fixé dans une attestation de la caisse de pensions de Novartis du 13 mai 2014. L'administration a déduit de ce montant un versement de 18 689 francs suisses déjà versé en 2010 par M. C... pour des rachats de cotisations et a plafonné la déduction au titre de l'année 2011 à 39 829 francs suisses. Les salaires imposables de M. C... au titre de l'année 2011 ont été fixés à 100 643 euros et il a été assujetti, en conséquence, à une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu s'élevant à 15 530 euros en droits et 2 150 euros de pénalités. M. C... relève appel du jugement du 9 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette imposition supplémentaire.

Sur le bien fondé de l'imposition :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. / Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française. ". Aux termes de l'article 4 B du même code : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A :/a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ;(... "). Enfin, aux termes de l'article 1er de l'accord franco-suisse du 11 mars 1983 relatif à l'imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers : " Les salaires, traitements et autres rémunérations similaires reçus par les travailleurs frontaliers ne sont imposables que dans l'Etat où ils sont les résidents, moyennant une compensation financière au profit de l'autre Etat. ". Il est constant qu'en 2011, M. C... était domicilié à Saint-Louis dans le département du Haut-Rhin. Il était par conséquent résident fiscal français au sens des dispositions précitées de l'article 4 A et sa situation était donc soumise au régime fiscal français. Dans ces conditions, il ne saurait soutenir que la limitation de douze trimestres fixée à l'article L. 351-14-1 du code de la sécurité sociale ne pouvait pas lui être appliquée au motif qu'elle n'existe pas dans la législation suisse. Pour les mêmes raisons, il ne saurait soutenir qu'étant dans une situation différente de celle d'un salarié cotisant au régime social français, la limitation précitée ne pouvait pas lui être appliquée. Par suite, ces moyens doivent être écartés.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 83 du code général des impôts : " Le montant net du revenu imposable est déterminé en déduisant du montant brut des sommes payées et des avantages en argent ou en nature accordés : 1° Les cotisations de sécurité sociale, y compris : a) Les cotisations d'assurance vieillesse versées en exercice des facultés de rachat prévues aux articles L. 351-14-1 du code de la sécurité sociale, L. 9 bis du code des pensions civiles et militaires de retraite, ainsi que celles prévues par des dispositions réglementaires ayant le même objet prises sur le fondement de l'article L. 711-1 du code de la sécurité sociale... ". Aux termes de l'article L. 351-14-1 du code de la sécurité sociale : " Sont également prises en compte par le régime général de sécurité sociale, pour l'assurance vieillesse, sous réserve du versement de cotisations fixées dans des conditions définies par décret garantissant la neutralité actuarielle et dans la limite totale de douze trimestres d'assurance : 1° Les périodes d'études accomplies dans les établissements, écoles et classes mentionnés à l'article L. 381-4 et n'ayant pas donné lieu à affiliation à un régime d'assurance vieillesse lorsque le régime général est le premier régime d'affiliation à l'assurance vieillesse après lesdites études ; ces périodes d'études doivent avoir donné lieu à l'obtention d'un diplôme, l'admission dans les grandes écoles et classes du second degré préparatoires à ces écoles étant assimilée à l'obtention d'un diplôme ; les périodes d'études ayant permis l'obtention d'un diplôme équivalent délivré par un Etat membre de l'Union européenne peuvent également être prises en compte ; 2° Les années civiles ayant donné lieu à affiliation à l'assurance vieillesse du régime général à quelque titre que ce soit, au titre desquelles il est retenu, en application du deuxième alinéa de l'article L. 351-1, un nombre de trimestres inférieur à quatre. ".

4. Les dispositions précitées du a) du 1° de l'article 83 du code général des impôts renvoient expressément aux " cotisations d'assurance vieillesse versées en exercice des facultés de rachat prévues aux articles L. 351-14-1 du code de la sécurité sociale ". Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir, notamment dans ses écritures en réplique, qu'au regard de la loi fiscale française, les rachats de cotisations au régime de prévoyance obligatoire sont intégralement déductibles du revenu brut imposable et que la limitation à douze trimestres visée à l'article L. 351-14-1 du code de la sécurité sociale correspond seulement à un plafond de rachat résultant de la législation sociale.
5. En troisième lieu, il est constant que le versement litigieux de 94 000 francs suisses, soit 76 140 euros, correspond à des rachats de cotisations versés par M. C... à la caisse de pensions de son employeur suisse, la société Novartis, dans le cadre du " deuxième pilier ", système de prévoyance institué par la loi fédérale du 25 juin 1982 sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (dite LPP) et plusieurs ordonnances subséquentes (dites OPP). Ce dispositif présente le caractère d'un régime de retraite complémentaire par capitalisation, comprenant une part obligatoire pour les salaires compris entre certains seuils et une part facultative dite " surobligatoire ". Comme le fait valoir l'administration en défense, ces cotisations de rachats sont intervenues dans le cadre des dispositions de l'article 79 de la loi fédérale précitée et des articles 60a et 60b de l'ordonnance sur la prévoyance professionnelle (dite OPP 2) et ont été déclarées par l'intéressé à hauteur de 94 000 francs suisses, dans l'annexe à sa déclaration de revenus n°2047 pour l'année 2011, au titre des " cotisations LPP pour le rachat (2ème pilier) ". Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration fiscale a finalement pris en compte, dans la réponse aux observations du contribuable du 17 juillet 2014, le montant théorique des cotisations de rachats, indiqué dans l'attestation de la caisse de pension Novartis du 13 mai 2014, soit 58 518 francs suisses, calculé sur la base des douze trimestres mentionnés à l'article L. 351-14-1 du code de la sécurité sociale, duquel elle a déduit la somme déjà versée à ce titre en 2010 par l'intéressé, soit 18 689 francs suisses, pour n'admettre en déduction des salaires déclarés en 2011 par M. C... qu'une somme plafonnée à 39 829 francs suisses.
En ce qui concerne le bénéfice de l'interprétation administrative de la loi :

6. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. /Il en est de même lorsque, dans le cadre d'un examen ou d'une vérification de comptabilité ou d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, et dès lors qu'elle a pu se prononcer en toute connaissance de cause, l'administration a pris position sur les points du contrôle, y compris tacitement par une absence de rectification./Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales. ".

7. En premier lieu, les imprimés utilisés pour les déclarations de revenu ne peuvent pas être considérés comme contenant une interprétation des textes fiscaux dont le contribuable pourrait se prévaloir au sens du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Par suite, le moyen tiré de ce que l'annexe à la déclaration n°2047-SUISSE pour l'année 2011 n'indiquait pas, contrairement à celle rédigée pour la déclaration de revenus au titre de 2013, une limite de douze trimestres pour la prise en compte des cotisations de rachats, est sans influence sur la légalité des impositions en litige.

8. En deuxième lieu, M. C... demande, sur le fondement du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, le bénéfice des énonciations de la documentation administrative référencée BOI-RSA-BASE-30-10-10-20120912 n°10 et 20, lesquelles précisent d'une part que " Il résulte des dispositions du 1° de l'article 83 du CGI que sont déductibles sans limite des revenus professionnels les cotisations de sécurité sociale " et que d'autre part, " Les dispositions du 1° de l'article 83 du CGI s'appliquent aux cotisations courantes versées aux régimes de retraite concernés ainsi qu'aux cotisations de rachat aux mêmes régimes. Il en est notamment, et expressément, ainsi des cotisations versées, dans la limite globale de douze trimestres, au titre du rachat d'années d'études ou d'années civiles d'affiliation à ces régimes validées pour moins de quatre trimestres(" années insuffisamment cotisées ") effectué dans les conditions prévues aux articles L351-14-1 du code de la sécurité sociale ou L9 bis du code des pensions civiles et militaires de retraite. ". Ces énonciations ne donnent pas une interprétation différente du dispositif légal de celle mentionnée au point 3 ci-dessus en ce qui concerne la limitation à douze trimestres des cotisations de rachats. Elles ne sauraient dès lors être utilement invoquées sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.


D E C I D E :




Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'action et des comptes publics.


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N° 18NC01095