CAA de LYON, 7ème chambre, 26/06/2020, 19LY04019, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision26 juin 2020
Num19LY04019
JuridictionLyon
Formation7ème chambre
PresidentM. JOSSERAND-JAILLET
RapporteurM. Daniel JOSSERAND-JAILLET
CommissaireM. CHASSAGNE
AvocatsMVA MENDEL - VOGUE ET ASSOCIÉS

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal des pensions de Dijon d'annuler la décision du 20 juin 2018, par laquelle la ministre des armées a refusé de faire droit à sa demande de pension militaire d'invalidité et de lui reconnaître un droit à pension pour infirmités à la suite d'une blessure reçue en opération de guerre le 3 août 1957.

Par un jugement n° 18/00006 du 12 juin 2019, le tribunal des pensions a rejeté sa demande.


Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2019, et un mémoire, enregistré le 30 mars 2020, M. A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal des pensions du 12 juin 2019 ;
2°) de fixer pour chacune de ses quatre infirmités un droit à pension pour blessures au taux de 10 % ;



3°) A titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :
- la limitation des amplitudes articulaires responsable de boiterie de son membre inférieur gauche résulte de ses blessures ; le taux de cette infirmité doit être fixé à 10 % ;
- la blessure à sa cuisse droite ayant provoqué l'infirmité n° 4 de gêne fonctionnelle participe à sa boiterie globale et doit par suite être indemnisée au taux de 10 % ;
- les deux autres infirmités justifient qu'elles soient indemnisées à un taux de chacune 10 %.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le 19 mai 2020 (non communiqué), la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :
- M. A... n'est pas recevable à augmenter ses conclusions en appel au-delà de ses conclusions de première instance, limitées à l'infirmité n° 4 ;
- en l'absence de gêne fonctionnelle, M. A... ne justifie pas d'un droit à pension au titre de cette infirmité ;
- la limitation des amplitudes articulaires responsable de boiterie de son membre inférieur gauche ne résulte pas de ses blessures ;
- le requérant ne produit aucun élément médical nouveau à l'appui de taux supérieurs à ceux retenus.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 novembre 2019.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;


Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Josserand-Jaillet, président,
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;


Considérant ce qui suit :


1 Appelé à l'activité militaire le 19 octobre 1955, le maréchal des logis Georges A... a participé aux opérations en Algérie jusqu'à sa radiation des contrôles de l'armée le 18 décembre 1957. Le 3 août 1957, il a été blessé en opération aux jambes par une décharge de chevrotines, qui lui a occasionné une plaie perforante dans chaque cuisse sans lésion osseuse, vasculaire ou nerveuse. Le 6 mai 2014, faisant valoir une boiterie, des douleurs à la jambe gauche et une gêne fonctionnelle grandissante pour gravir des escaliers, il a sollicité une pension militaire d'invalidité pour quatre infirmités. Par une décision du 20 juin 2018, au titre de chacune de ces infirmités, la ministre des armées a rejeté sa demande. M. A... demande l'annulation du jugement du tribunal des pensions de Dijon du 12 juin 2019 qui a rejeté son recours contre cette décision et qu'il soit fait droit à sa demande de pension.
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense par la ministre des armées :
2 Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ouvrent droit à pension : /1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; (...) Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle (...) sauf faute de la victime détachable du service. " Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Est présumée imputable au service : (...) 2° Toute blessure constatée durant les services accomplis par un militaire en temps de guerre, au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, d'une opération extérieure mentionnée à l'article L. 4123-4 du code de la défense ou pendant la durée légale du service national et avant la date de retour sur le lieu d'affectation habituelle ou la date de renvoi dans ses foyers ; (...). " L'article L. 121-2-3 dudit code précise que " La recherche d'imputabilité est effectuée au vu du dossier médical constitué pour chaque militaire lors de son examen de sélection et d'incorporation. Dans tous les cas, la filiation médicale doit être établie entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. "
3 Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'une pension, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité au service, doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.
4 D'autre part, aux termes de l'article L. 121-4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le taux d'invalidité résultant de l'application des guides barèmes mentionnés à l'article L. 125-3. " L'article L. 121-5 précise que " La pension est concédée : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le taux global d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; (...) / Aucune pension n'est concédée en deçà d'un taux d'invalidité de 10 %. "
5 Il ressort de l'état signalétique des services de M. A... que celui-ci " a été blessé le 3 août 1957 dans le secteur de Miliana (Algérie) par des chevrotines aux cuisses lors d'un accrochage avec des rebelles ". Sa fiche de séjour à l'hôpital mentionne, à la date du 3 août 1957, des " plaies transfixiantes par chevrotine des deux cuisses sans lésions osseuses, vasculaires ou nerveuses ".
Sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée à titre subsidiaire par le requérant :
Sur l'infirmité n°1 " limitation des amplitudes articulaires du membre inférieur gauche responsable de boiterie " :
6 Il résulte de l'instruction que M. A... a conservé de ses blessures à la cuisse gauche deux cicatrices de point d'entrée et de sortie au tiers moyen de la face interne de la cuisse, achromiques et non adhérentes, mais sensibles. En créant au vu de l'expertise, par son avis du 8 septembre 2016, l'infirmité n°1 " limitation des amplitudes articulaires du membre inférieur gauche responsable de boiterie ", le médecin de l'administration a nécessairement constaté objectivement l'existence de cette infirmité chez M. A.... Toutefois, ainsi qu'il ressort d'ailleurs du rapport d'expertise médicale du docteur Barthélémy du 21 juillet 2016, cette infirmité, dont aucun élément du dossier ne permet de la qualifier de séquelle des blessures reçues le 3 août 1957, ne trouve pas son explication dans ces dernières. Dès lors, la filiation médicale, au sens des dispositions précitées de l'article L. 121-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, entre cette blessure et l'infirmité invoquée n'est pas établie et c'est en tout état de cause à tort que le médecin de l'administration a retenu cette dernière, fût-ce à un taux non indemnisable, au titre de la maladie imputable au service. M. A... n'est par suite pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal des pensions a rejeté sa demande sur ce point.
Sur l'infirmité n° 3 " limitation des amplitudes articulaires de la hanche droite en rotation interne " :
7 Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert en date du 21 septembre 2016, d'une part, que " seule la rotation interne (de la hanche droite de M. A...) est limitée ". Cet élément n'est pas repris par l'expert dans sa conclusion, qui ne retient que la boiterie dont il a été dit au point précédent qu'elle est consécutive à la limitation des amplitudes articulaires du côté opposé. D'autre part, les plaies transfixiantes à la cuisse droite, mentionnées au point 5, consécutives aux blessures reçues le 3 août 1957 ne s'étendaient pas aux tissus osseux, vasculaires ou nerveux et, par suite, ne peuvent être à l'origine de la limitation des amplitudes articulaires de la hanche droite au titre de laquelle M. A... demande que lui soit reconnue une infirmité au taux de 10 %. Dans ces conditions, à supposer même, comme l'allègue le requérant sans l'établir par les éléments du dossier, que cette infirmité participe à sa boiterie, sa filiation médicale avec les blessures reçues n'est pas établie.
Sur les infirmités n° 2 et n° 4 " séquelles de plaie perforante sans lésion osseuse, vasculaire ou nerveuse : cicatrices de point d'entrée et de sortie, achromiques et non adhérentes " :
8 Il résulte de l'instruction sans être contesté que M. A... a conservé pour séquelles des plaies transfixiantes consécutives à ses blessures reçues le 3 août 1957 deux cicatrices de point d'entrée et de sortie achromiques et non adhérentes au tiers moyen de la face interne de la cuisse gauche, sensibles, et deux cicatrices de même nature, non sensibles, à la face postérieure de la cuisse droite. Le lien de filiation médicale entre ces séquelles et les blessures est établi. La demande de M. A... au titre des deux infirmités n° 2 et n° 4 rentre ainsi dans le champ de l'article L. 121-1 précité du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.
9 Si l'expert, dans son rapport du 21 septembre 2016, a fixé un " taux global " de 10 %, sans distinguer entre les différentes infirmités invoquées par le requérant, contrairement aux prétentions de ce dernier le rapprochement de ce taux avec les conclusions du rapport, qui ne mentionnent ainsi qu'il été dit au point 7 que la boiterie malgré le défaut d'explication du lien de celle-ci avec l'infirmité n° 1, écarte une évaluation au taux de 10 % de chacune des deux infirmités n° 2 et n° 4 par l'expert. En revanche, le médecin de l'administration, dans son avis du 8 septembre 2016 postérieur à l'expertise et au vu de cette dernière, a évalué, d'une part, à 0 % le taux de l'infirmité n° 4 pour les séquelles à la cuisse droite et, d'autre part, à 5 % le taux de l'infirmité n° 2 pour les séquelles à la cuisse gauche, au titre de la sensibilité dont fait au demeurant spécialement état M. A.... Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de retenir ces taux respectifs.
10 Il résulte dès lors de tout ce qui précède que le taux d'invalidité global de M. A... au regard de ses droits à pension militaire d'invalidité s'établit à 5 %.
11 Toutefois, en application des dispositions de l'article L. 121-5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre précitées au point 4, aucune pension ne peut être concédée si le taux d'invalidité n'atteint pas 10 %. C'est par suite à bon droit que la ministre des armées a, par la décision contestée du 20 juin 2018, rejeté la demande de M. A....
12 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions de Dijon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions qu'il présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.



DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 25 mai 2020 à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 juin 2020.


N° 19LY04019