CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 15/07/2020, 19MA04827, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision15 juillet 2020
Num19MA04827
JuridictionMarseille
Formation8ème chambre
PresidentM. BADIE
RapporteurMme Thérèse RENAULT
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsPAOLANTONACCI

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :
Par une requête enregistrée le 12 février 2019, M. D... a demandé au tribunal des pensions militaires de Marseille d'annuler la décision du 3 janvier 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité de " séquelles de traumatisme lombaire sur rétrolisthésis L5 sur S1 ".
Par un jugement n° 19/00174 du 30 août 2019, le tribunal des pensions militaires a annulé la décision de la ministre des armées en tant qu'elle rejetait la demande de pension pour l'infirmité précitée et a reconnu à M. B... un droit à pension pour cette infirmité, à compter du 14 novembre 2016, au taux de 30%.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 novembre 2019 et 30 janvier 2020, la ministre des armées demande à la Cour, à titre principal, d'annuler le jugement du 30 août 2019, subsidiairement, d'ordonner une expertise médicale.
La ministre soutient, dans le dernier état de ses écritures, que c'est à tort que les premiers juges ont reconnu à M. B... un droit à pension au titre de son infirmité dès lors que seul le taux de 5%, inférieur au minimum requis pour bénéficier d'une pension militaire d'invalidité, est imputable à un fait de service.


Par des mémoires, enregistrés les 2 janvier 2020 et 6 février 2020, M. B..., représenté par Me C..., conclut à la confirmation du jugement précité du 30 août 2019 et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que l'infirmité au titre de laquelle il demande à être pensionné est entièrement imputable à l'accident dont il a été victime le 30 janvier 2016, durant son service.

La ministre des armées a produit un mémoire, enregistré le 12 mars 2020, qui n'a pas été communiqué.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. M. D..., né le 6 juin 1975, a servi dans la Légion étrangère du
20 janvier 2009 au 24 août 2019, date à laquelle il a été rayé des corps de l'armée. Il a formulé une demande de pension militaire d'invalidité le 14 novembre 2016 pour lomboradiculalgie droite hyperalgique et hernie discale lombaire. Par une décision du 3 janvier 2019, la ministre des armées a rejeté sa demande. Elle relève appel du jugement du 30 août 2019 par lequel le tribunal des pensions militaires de Marseille a annulé sa décision et reconnu au requérant un droit à pension pour l'infirmité de " séquelles de traumatisme lombaire sur rétrolisthésis L5 sur S1 " au taux de 30 %, à compter de la date de sa demande.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; (...) 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; ". Aux termes de l'article L. 3 du même code, applicable à l'espèce :
" Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / (...) ". Pour l'application de ces dispositions, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service, constatée dans les conditions qu'elles prévoient.
3. Il résulte de ces dispositions que, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité prévue à l'article L. 3 précité du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, le demandeur de la pension doit apporter la preuve de l'existence d'une relation certaine et directe de cause à effet entre les troubles qu'il invoque et des circonstances particulières de service à l'origine de l'affection. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité est apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 121-5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " La pension est concédée : 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; (...) ".
5. Il résulte de l'instruction que le 30 janvier 2016, à l'occasion d'une marche de nuit, le caporal B... a chuté d'une hauteur d'environ un mètre, alors qu'il portait un équipement d'un poids de 40 kg. Malgré la vive douleur au dos ressentie à la suite de la chute, il a poursuivi sa marche, mais s'est retrouvé " bloqué du dos ", selon les termes du rapport circonstancié d'origine de blessure du 14 mars 2016, le jour suivant. Selon l'expert, le docteur Peytavin, mandaté par l'administration pour déterminer l'imputabilité au service de la lombo-sciatique S1 gauche de l'intéressé, M. B... a présenté depuis l'accident des lombosciatalgies qui se sont progressivement aggravées, sur un fond douloureux très invalidant avec raideur lombaire notable, exacerbé d'épisodes hyperalgiques nécessitant un recours aux urgences. L'expert a estimé le taux d'invalidité de cette infirmité à 30%. Si la ministre des armées ne conteste pas l'existence de cette infirmité ni son taux global, elle soutient en revanche que seule une partie de ce taux, qu'elle évalue à 5%, est imputable à l'accident survenu pendant le service. Elle fait valoir en effet que M. B... a souffert à deux reprises, en 2012 et 2014, d'un lumbago, et qu'un compte-rendu radiologique du 9 février 2016 note une " petite ostéophytose marginale antérieure pluri-étagée associant des remaniements dégénératifs débutants des massifs articulaires postérieurs prédominant au niveau L4-L5, L5-S1 " et un " très discret rétrolisthésis L5 sur S1 d'origine dégénérative ", ce dont elle déduit, en s'appropriant l'analyse de la commission consultative médicale qui a rendu son avis le 6 novembre 2018 sur la demande de M. B..., que l'accident du 30 janvier 2016 n'a été qu'un facteur déclenchant la décompensation d'une pathologie lombaire dégénérative, dont l'origine est étrangère au service. Elle soutient, en outre, que l'expert n'affirme pas avec certitude que les anomalies qualifiées de " dégénératives " par le radiologue sont sans incidence sur l'imputabilité au service de l'infirmité au titre de laquelle M. B... demande à bénéficier d'une pension.
6. Il ressort des termes même du rapport d'expertise du docteur Peytavin que celui-ci a considéré que les très légères anomalies d'origine dégénératives mentionnées sur le compte-rendu radiologique sont ordinaires pour un homme âgé de 41 ans à la date de l'accident et ne peuvent être la cause de l'infirmité litigieuse, qui ne trouve pas davantage d'antécédents dans les lumbagos survenus en 2012 et 2014, qui ont été très rapidement résolus. Au soutien de son analyse, l'expert fait valoir en outre que l'intéressé a été déclaré " apte sans restriction " lors de toutes les visites d'aptitude précédant l'accident. Compte tenu du caractère affirmatif de ses propos, la formule selon laquelle les légères anomalies dégénératives " ne [lui] paraissent pas devoir être à charge sur l'imputabilité et sur le taux global de l'infirmité " doit être regardée non comme la formulation d'une éventuelle hypothèse médicale de nature à combattre la présomption d'imputabilité mais comme l'expression d'une retenue de langage sans incidence sur les conclusions du rapport. En outre, les analyses de l'expert sont corroborées par les pièces du dossier, en particulier le livret médical de M. B..., les comptes rendus des visites d'aptitude et la circonstance que l'intéressé a été jugé apte à partir en OPEX en 2013 et 2014, antérieurement à son accident.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de faire procéder à une nouvelle expertise, que la ministre des armées n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par jugement du 30 août 2019, le tribunal des pensions militaires de Marseille a annulé son arrêté du 3 janvier 2019 et a reconnu à M. B... un droit à pension pour l'infirmité " séquelles de traumatisme lombaire sur rétrolisthésis " au taux de 30%.
Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, au titre des frais exposés et non compris les dépens à verser à
M. B..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :


Article 1er : La requête de la ministre des armées est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. D....


Délibéré après l'audience du 7 juillet 2020, où siégeaient :

- M. Badie, président de chambre,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- Mme A..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 15 juillet 2020.
2
N° 19MA04827