CAA de NANCY, 3ème chambre, 20/10/2020, 18NC03041, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision20 octobre 2020
Num18NC03041
JuridictionNancy
Formation3ème chambre
PresidentMme VIDAL
RapporteurM. Philippe REES
CommissaireMme SEIBT
AvocatsSCP GRILLON - BROCARD - GIRE - TRONCHE

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Besançon, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative et au fond, à lui verser la somme de 51 100 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis en raison de son accident de service survenu en août 2001.

Par un jugement nos 1700865 et 1700843 du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Besançon a dit qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme E... présentées sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative et a condamné le centre hospitalier régional universitaire de Besançon à lui verser la somme de 7 000 euros à titre d'indemnisation.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 novembre 2018 et 3 octobre 2019, Mme F... E..., représentée par la SCP Chaton-Grillon-Brocard-Gire, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement nos 1700865 et 1700843 du 25 septembre 2018 du tribunal administratif de Besançon en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 7 000 euros ;

2°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Besançon à lui verser la somme de 51 100 euros, augmentée des intérêts de retard au taux légal à compter du 9 janvier 2017 ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Besançon la somme de 2 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme E... soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle a droit à la réparation de ses déficits fonctionnels temporaire et permanent et de son préjudice moral même en l'absence de faute du centre hospitalier ;
- la minoration de son indemnisation n'est pas justifiée, dès lors qu'elle ne souffrait pas d'une maladie bipolaire préexistante ;
- elle a droit aux sommes de 5 100 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire, de 6 000 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent, de 30 000 euros au titre des souffrances endurées, et de 10 000 euros au titre de son préjudice moral.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2019, le centre hospitalier régional universitaire de Besançon, représenté par la SELARL Houdart et associés, demande à la cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de Mme E... la somme de 2 500 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que la requête est irrecevable et, subsidiairement, mal fondée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,
- et les observations de Me D... pour Mme E... et de Me C... pour le centre hospitalier universitaire de Besançon.

Une note en délibéré, enregistrée le 2 octobre 2020, a été présentée pour Mme E....




Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., infirmière au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Besançon depuis le 1er avril 2001, a été affectée à l'équipe de nuit du service de neurologie. Dans la nuit du 7 au 8 août 2001, elle s'est trouvée confrontée à l'aggravation subite de l'état de santé d'un patient, qui est décédé le 9 août. Deux mois plus tard, elle a été victime d'un syndrome anxio-dépressif sévère associé à des idées suicidaires. Du 2 octobre 2001 au 31 mars 2005, elle a été placée en congé de longue maladie puis en congé de longue durée, avant de reprendre son activité en mi-temps thérapeutique du 2 avril 2005 au 1er avril 2006. Par une décision du 11 janvier 2016, le CHRU de Besançon a reconnu l'imputabilité au service de l'accident survenu le 8 août 2001. Mme E... a alors, par des courriers des 26 février 2016 et 5 janvier 2017, demandé au CHRU de Besançon le versement de la somme totale de 51 100 euros en réparation de l'ensemble des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de son accident de service. N'ayant pas obtenu satisfaction, elle a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le CHRU de Besançon à lui verser la somme de 51 100 euros, et de lui accorder une provision du même montant.
2. Mme E... relève appel du jugement du tribunal administratif de Besançon du 25 septembre 2018 en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 7 000 euros.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
3. Si le CHRU de Besançon soutient que les demandes présentées par Mme E... devant le tribunal étaient tardives, cette circonstance est sans incidence sur la recevabilité de la présente requête d'appel. Au surplus, le CHRU de Besançon ne discute pas le bien-fondé du jugement qui a écarté sa fin de non-recevoir tirée de la tardiveté des demandes de l'intéressée.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité :
4. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice.
5. La circonstance que le fonctionnaire victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle ne remplit pas les conditions auxquelles les dispositions mentionnées ci-dessus subordonnent l'obtention d'une rente ou d'une allocation temporaire d'invalidité fait obstacle à ce qu'il prétende, au titre de l'obligation de la collectivité qui l'emploie de le garantir contre les risques courus dans l'exercice de ses fonctions, à une indemnité réparant des pertes de revenus ou une incidence professionnelle. En revanche, elle ne saurait le priver de la possibilité d'obtenir de cette collectivité la réparation de préjudices d'une autre nature, dès lors qu'ils sont directement liés à l'accident ou à la maladie.
6. Il résulte de ce qui précède, d'une part que le CHRU de Besançon ne peut pas utilement faire valoir que Mme E... n'a droit à aucune indemnisation des seuls faits qu'elle n'aurait, selon lui, conservé aucune séquelle de l'accident de service du 8 août 2001 et qu'elle a poursuivi sa carrière normalement à partir du 1er avril 2005 et, d'autre part, que dans le cadre de la responsabilité sans faute de l'établissement, dont elle se prévaut, la requérante peut prétendre non seulement à la réparation des souffrances qu'elle a endurées du fait de l'accident de service du 8 août 2001 mais encore, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, à la réparation de ses déficits fonctionnels temporaire et permanent, et de son préjudice moral, lesquels constituent des préjudices à caractère personnel.
En ce qui concerne l'état de santé préexistant de Mme E... :
7. Selon le rapport de l'expert judiciaire, le syndrome anxio-dépressif dont a souffert Mme E... correspond à une décompensation de sa maladie bipolaire préexistante, dont la situation de détresse qu'elle a vécue à l'occasion de l'aggravation subite de l'état de santé d'un patient dans la nuit du 7 au 8 août 2001 et du décès de ce dernier, le 9 août, a constitué le facteur déclenchant. Mme E... conteste la réalité de cette maladie préexistante en se prévalant des rapports établis à sa demande par le Dr Claden les 22 avril 2015 et 28 novembre 2017, et du rapport établi par le Dr Bourg le 26 mars 2016, à la demande du CHRU de Besançon, au sujet de son aptitude à exercer ses fonctions et de son taux d'invalidité. Toutefois, ces rapports, établis postérieurement à l'expertise, et de manière non contradictoire en ce qui concerne ceux du Dr Claden, alors que Mme E... n'avait pas donné suite à la demande de l'expert d'être assistée par un psychiatre en cours d'expertise judiciaire, ne suffisent pas à remettre en cause les conclusions argumentées et circonstanciées de cette expertise.
8. Compte tenu de cet état préexistant dont, contrairement à ce que soutient Mme E..., il ne résulte pas de l'instruction que l'expert a tenu compte pour l'évaluation de ses préjudices, il y a lieu de réduire de moitié la charge des réparations incombant au CHRU de Besançon.
En ce qui concerne les préjudices :
9. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'accident de service survenu dans la nuit du 7 au 8 août 2001, Mme E... a été placée, à compter du 2 octobre 2001, en congé de maladie puis en congé de longue maladie et en congé de longue durée et n'a repris son activité, en mi-temps thérapeutique, que le 2 avril 2005. Elle a, en outre, subi trois hospitalisations de plusieurs semaines en janvier, juillet et décembre 2002. La souffrance morale endurée par Mme E... a été évaluée par l'expert à 6 sur une échelle de 0 à 7 pour la période d'octobre 2001 à décembre 2002, à 4 sur la même échelle pour la période de décembre 2002 à avril 2004, et à 3 sur la même échelle ensuite, l'état de santé de l'intéressée ayant été consolidé le 1er avril 2005, date de sa reprise d'activité. Dans ces conditions et compte tenu de ce qui a été dit au point 8, il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges se soient livrés à une appréciation inexacte des souffrances endurées par Mme E... en fixant à la somme de 7 000 euros le montant de la réparation incombant à ce titre au CHRU de Besançon.
10. En deuxième lieu, l'expert, qui évoque un épisode anxio-dépressif aigu, caractérisé par des crises d'angoisse majeures avec phobies d'impulsion et idées de mort envahissantes, rituels de vérification, nécessitant notamment une prise en charge et un suivi psychiatrique, a évalué le déficit fonctionnel temporaire subi par Mme E... à 50 % pour la période d'octobre 2001 à décembre 2002, et à 20 % pour la période de décembre 2002 à avril 2004. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en en fixant la réparation à la somme totale de 6 000 euros. Compte tenu de ce qui a été dit au point 8, il y a lieu de mettre la moitié de cette somme, soit 3 000 euros, à la charge du CHRU de Besançon.
11. En troisième lieu, l'expert a estimé que la diminution définitive des capacités de la requérante après consolidation, qu'il a évaluée à 5 %, est " essentiellement représenté[e] par [son] incapacité (...) à travailler au contact des patients dans une unité de soins ". Alors que, ainsi qu'il a été dit au point 5, Mme E... ne peut pas prétendre à une indemnisation au titre des incidences professionnelles de l'accident de service qu'elle a subi, les conclusions de l'expertise dont elle se prévaut ne suffisent pas, en l'absence d'autres précisions et éléments concrets, à établir la réalité de ces incidences sur sa vie personnelle, familiale et sociale. Dès lors, elle n'est pas fondée à demander une réparation au titre de son déficit fonctionnel permanent.
12. En quatrième lieu, la réparation accordée à Mme E... au titre des souffrances qu'elle a endurées inclut le préjudice moral subi du fait de son accident de service. Par ailleurs, le préjudice moral que la requérante allègue avoir subi du fait du comportement ultérieur du CHRU de Besançon et de l'incertitude quant à sa situation administrative est sans lien direct avec cet accident de service. Dès lors, Mme E... n'est pas fondée à demander une indemnisation complémentaire au titre de son préjudice moral.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la somme de 7 000 euros que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a condamné le CHRU de Besançon à verser à Mme E..., doit être portée à la somme de 10 000 euros en principal, les intérêts de retard au taux légal et leur capitalisation, fixés par le tribunal, s'appliquant à ce nouveau montant.
Sur les frais de l'instance :
14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".
15. Ces dispositions font à obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme E..., qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme de 2 500 euros demandée par le CHRU de Besançon au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHRU de Besançon la somme de 2 000 euros à verser à Mme E... en application de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :
Article 1 : La somme de 7 000 euros que le centre hospitalier régional universitaire de Besançon a été condamné à verser à Mme E... par l'article 2 du jugement nos 1700865 et 1700843 du tribunal administratif de Besançon du 25 septembre 2018 est portée à la somme de 10 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2017. Les intérêts échus au 10 janvier 2018 seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement nos 1700865 et 1700843 du tribunal administratif de Besançon du 25 septembre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : Le centre hospitalier régional universitaire de Besançon versera à Mme E... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E... et au centre hospitalier régional universitaire de Besançon.

N° 18NC03041 2