CAA de NANTES, 4ème chambre, 20/11/2020, 19NT03425, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 5 janvier 2017 par laquelle le Premier ministre a refusé de lui accorder le bénéfice de l'aide financière instituée par le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004 et de condamner l'Etat à lui verser la pension mensuelle due en vertu de ce décret.
Par un jugement n° 1701269 du 7 juin 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 août et 25 septembre 2019, Mme C... B... épouse E..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 juin 2019 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de la déclarer fondée à obtenir la totalité des avantages matériels et moraux attachés à sa qualité de pupille de la Nation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement dénature les motifs de sa demande, dès lors que la demande adressée au Premier ministre par le courrier du 3 avril 2015 de l'association des pupilles de la Nation des Pays de Loire visait déjà la reconnaissance d'un droit et qu'elle ne comportait pas de demande à caractère financier au sens des dispositions de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration dont le tribunal a fait une application erronée ;
- au regard du droit à réparation prévu pour tous les pupilles de la Nation par la loi du 27 juillet 1917, les décrets des 13 juillet 2000 et 27 juillet 2004 sont illégaux.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 25 septembre 2019, l'association des pupilles de la Nation des Pays-de-la-Loire, représentée par Me D..., conclut aux mêmes fins que la requête présentée par Mme E....
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2020, le Premier ministre conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 ;
- le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... épouse E..., née le 6 juillet 1941, a été reconnue pupille de la Nation en vertu d'un jugement rendu le 21 mars 1945, à la suite du décès de son père déclaré Mort pour la France. Elle a sollicité le bénéfice de l'aide financière instituée par les décrets des 13 juillet 2000 et 27 juillet 2004 au profit respectivement des orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites et des orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale. Par une décision du 5 janvier 2017 le Premier ministre a refusé de lui attribuer l'aide financière instituée par le décret du 27 juillet 2004. Par un jugement du 7 juin 2019, dont Mme E... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à la condamnation de l'Etat à lui verser la pension mensuelle prévue par ce décret. L'association des Pupilles de la Nation des Pays-de-la-Loire, en la personne de son président M. E..., a présenté une intervention volontaire en demande.
Sur l'intervention de l'association des Pupilles de la Nation des Pays-de-la-Loire :
2. L'association des Pupilles de la Nation des Pays-de-la-Loire a intérêt à l'annulation du jugement attaqué. Ainsi son intervention est recevable.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, le courrier contesté du Premier ministre du 5 janvier 2017 constitue la réponse apportée par l'Etat à la demande faite par Mme E..., par courriers des 15 avril et 22 juillet 2016 complétés par le renseignement d'un formulaire, tendant à bénéficier des aides financières prévues par les décrets du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites et du 27 juillet 2004 instituant une aide financière en reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale. A l'appui de sa contestation de cette décision Mme E... s'est prévalue d'un droit acquis au versement de cette aide résultant du silence gardé par l'administration sur une précédente demande tendant à l'octroi de cette allocation qui aurait été présentée par le président de l'association des Pupilles de la Nation des Pays-de-la-Loire au Premier ministre par un courrier du 3 avril 2015. Cependant ledit courrier, qui n'a en aucun cas le contenu et la portée d'une demande personnelle présentée pour Mme E..., ne pouvait s'analyser comme une demande tendant à bénéficier de cette allocation, et ne cite d'ailleurs pas les dispositions règlementaires la régissant. Par suite, la requérante ne peut se prévaloir d'aucune décision implicite d'acceptation préexistante à ses demandes effectuées en 2016 et lui ouvrant un droit qui n'aurait pu être retiré. Au surplus, en admettant même que ce courrier du 3 avril 2015 puisse être lu comme sollicitant le versement d'une telle allocation, il revêtirait alors le caractère d'une demande à caractère financier insusceptible de faire naitre une décision implicite d'acceptation par application de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient interprété de manière erronée l'objet de sa demande.
4. En deuxième lieu, Mme E... soulève, par la voie de l'exception, l'illégalité des décrets susvisés des 13 juillet 2000 et 27 juillet 2004 au regard de la loi du 27 juillet 1917 relative aux pupilles de la Nation. D'une part, dès lors qu'elle n'est pas orpheline de parents victimes de persécutions antisémites, elle ne peut utilement soulever l'illégalité du décret du 13 juillet 2000, qui est sans lien avec la décision contestée du 5 janvier 2017 dont elle a demandé l'annulation. D'autre part, le seul constat du fait que le décret du 27 juillet 2004 ouvre des droits distincts de ceux dont bénéficient les pupilles de la Nation par application de la loi du 27 juillet 1917, n'est pas de nature à caractériser l'illégalité de ce décret dès lors que les personnes concernées par ces deux dispositifs sont placées dans des situations juridiques distinctes pour lesquels des droits différents peuvent être reconnus sans méconnaitre la loi du 27 juillet 1917. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté l'exception d'illégalité invoquée.
5. En dernier lieu, Mme E... peut être regardée comme soutenant une violation du principe d'égalité entre les orphelins entrant dans le champ d'application du décret du 27 juillet 2004 et sa propre situation de pupille de la Nation telle que régie par les articles L. 411-1 et suivants du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Toutefois, l'objet de ce décret est d'accorder une mesure de réparation aux seuls orphelins des victimes d'actes de barbarie durant la période de l'Occupation. Compte tenu de la nature des crimes commis à l'égard de ces victimes, la différence de traitement entre, d'une part, les orphelins des déportés résistants, des déportés politiques, des internés résistants et des internés politiques, bénéficiaires de la mesure de réparation prévue par ce décret et, d'autre part, les orphelins pupilles de la Nation exclus du bénéfice de cette mesure de réparation, n'est pas manifestement disproportionnée par rapport à leur différence de situation, compte tenu de l'objet de la mesure. Par suite, ce moyen doit être également écarté.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les frais d'instance :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par Mme E....
D E C I D E :
Article 1er : L'intervention de l'association des Pupilles de la Nation des Pays-de-la-Loire est admise.
Article 2 : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E..., au Premier ministre et à l'association des Pupilles de la Nation des Pays-de-la-Loire.
Délibéré après l'audience du 3 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. A..., président assesseur,
- M. Jouno, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 novembre 2020.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
L. Lainé
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au Premier ministre en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03425