CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 01/12/2020, 20BX00507, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision01 décembre 2020
Num20BX00507
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurMme Kolia GALLIER
CommissaireMme LADOIRE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :
M. B... E... a demandé au tribunal des pensions de Saint-Denis de La Réunion de juger qu'il a droit au bénéfice d'une pension militaire d'invalidité déterminée sur l'indice 1 216,40, comprenant l'indice de base de 460,40, l'indice de l'article L. 31 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre de 256 et l'indice d'allocation supplémentaire de l'article L. 38 de ce même code, de 500.

Par un jugement n° 12/00004 du 13 décembre 2016, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure initiale devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 14 décembre 2017 devant la cour régionale des pensions de Saint-Denis de la Réunion, M. E... a demandé à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions de Saint-Denis de la Réunion du 13 décembre 2016 ;

2°) de juger qu'il a droit à une pension d'invalidité déterminée sur l'indice 1 216,40, comprenant l'indice de base de 460,40, l'indice de l'article L. 31 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre de 256 et l'indice d'allocation supplémentaire de l'article L. 38 de ce même code, de 500 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à son avocat " au titre de l'article 700-2° du code de procédure civile ", ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :
- en application de l'article R. 34-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ses blessures " hypoacousie bilatérale " et " acouphènes importants " auraient dû être regroupées en une seule et même infirmité au taux de 85 %, de sorte que son addition avec ses autres infirmités lui permet de bénéficier de l'allocation spéciale aux grands mutilés quand bien même il n'en a pas le titre ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu que ses blessures " hypoacousie bilatérale " et " acouphènes importants " sont des aggravations d'une pathologie préexistante ;
- il remplit les conditions fixées par l'article L. 36 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre pour être qualifié de grand mutilé de guerre dès lors que l'addition de ses cinq premières infirmités entraîne un degré d'invalidité de 100 % et que l'une d'entre elles entraîne, à elle seule, un degré d'invalidité d'au moins 60 % ;
- la circonstance que ses infirmités résultent d'opérations de maintien de l'ordre hors guerre ne fait pas obstacle à ce qu'il bénéficie des avantages prévus en faveur des militaires visés à l'article L. 37 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, comme en atteste l'arrêté ministériel du 8 avril 1981 qu'il produit.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 avril 2017, le ministre de la défense a conclu au rejet de la requête.

Il soutenait que les moyens soulevés par M. E... n'étaient pas fondés, dès lors notamment que les guides barèmes, qui ont un caractère impératif, identifient l'hypoacousie bilatérale et les acouphènes comme deux infirmités distinctes.

Par un arrêt n° 17/00107 du 25 avril 2018, la cour régionale des pensions de Saint-Denis de La Réunion a, sur appel de M. E..., annulé ce jugement du tribunal des pensions de Saint-Denis de la Réunion, jugé que M. E... était fondé à réclamer le bénéfice de l'allocation à l'indice 500 prévue par les articles L. 8 bis, L. 37 et L. 38 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, et rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant le Conseil d'Etat :

Par une décision n° 421929 du 13 février 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la ministre des armées, a annulé cet arrêt en tant qu'il a annulé le jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Saint-Denis et jugé M. E... bien-fondé à réclamer le bénéfice de l'allocation, à l'indice 500, prévue par les articles L. 8 bis, L. 37 et L. 38 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par un mémoire, enregistré le 6 août 2020, la ministre des armées demande à la cour de rejeter la requête de M. E....



Elle soutient que :
- les deux infirmités dont se prévaut M. E..., évaluées séparément, ont fait l'objet de nombreux arrêtés de concession qu'il n'a jamais contestés ;
- M. E... ne remplit pas les conditions posées aux articles L.36 et L.37 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre car leurs dispositions ne sauraient s'appliquer à des infirmités qui ont une origine étrangère au service et qui ont été aggravées par une blessure ou maladie imputable à celui-ci ;
- par ailleurs, ces pathologies ont une origine " hors guerre " puisqu'elles relèvent d'une opération de maintien de l'ordre.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif pris pour l'application de l'article 51 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Ladoire, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. M. E... a intégré l'armée le 16 avril 1965 et a été radié des contrôles le 15 décembre 1987. Il est titulaire d'une pension militaire d'invalidité plusieurs fois révisée pour atteindre le taux global de 100 % au 1er décembre 1994 à raison de sept infirmités, notamment d'une hypoacousie bilatérale, correspondant à un taux d'invalidité de 70 %, et d'acouphènes importants, correspondant à un taux d'invalidité de 10 %. Par un jugement du 13 décembre 2016, le tribunal des pensions de Saint-Denis de La Réunion a rejeté la demande de M. E... tendant au rehaussement de l'indice sur la base duquel est calculée sa pension en y ajoutant l'indice d'allocation supplémentaire prévu à l'article L. 38 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et fixé à 500 pour les pensionnés au taux de 100 %, au motif que ces infirmités ne figurent pas dans la liste prévue à l'article L. 36 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qu'elles sont intervenues lors d'une opération de maintien de l'ordre qualifiée " hors guerre " et qu'elles résultent d'une aggravation d'un état antérieur. Par un arrêt du 25 avril 2018, la cour régionale des pensions de Saint-Denis de La Réunion a, sur appel de M. E..., annulé ce jugement, retenu qu'il était fondé à réclamer le bénéfice de l'allocation à l'indice 500 et rejeté le surplus de ses demandes. Par une décision n° 421929 du 13 février 2020, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour du 25 avril 2018 en tant qu'il annule le jugement et reconnaît à M. E... le bénéfice de l'indice 500, et renvoyé dans cette mesure l'affaire devant la cour administrative d'appel de Bordeaux au motif qu'en se fondant, pour juger que l'hypoacousie bilatérale et les acouphènes devaient être pris en compte pour l'application des dispositions du b) de l'article L. 37 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, sur la seule circonstance que ces infirmités avaient été aggravées par des blessures reçues par le fait du service le 9 août 1982, sans rechercher si elles trouvaient elles-mêmes leur origine dans ce même service, la cour régionale des pensions de Saint-Denis de La Réunion a commis une erreur de droit.

2. Aux termes de l'article L. 36 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa version applicable au litige : " Sont, au regard des dispositions du présent chapitre, qualifiés grands mutilés de guerre, les pensionnés titulaires de la carte du combattant qui, par suite de blessures de guerre ou de blessures en service commandé, sont amputés, aveugles, paraplégiques, blessés crâniens avec épilepsie, équivalents épileptiques ou aliénation mentale ou qui, par blessures de guerre ou blessures en service commandé, sont atteints : / Soit d'une infirmité entraînant à elle seule un degré d'invalidité d'au moins 85 % ; / Soit d'infirmités multiples dont les deux premières entraînent globalement un degré d'invalidité d'au moins 85 %, mais dont l'une détermine à elle seule un degré d'invalidité d'au moins 60 % ; / Soit d'infirmités multiples dont les trois premières entraînent globalement un degré d'invalidité d'au moins 90 %, mais dont l'une détermine à elle seule un degré d'invalidité d'au moins 60 % ; / Soit d'infirmités multiples dont les quatre premières entraînent globalement un degré d'invalidité d'au moins 95 %, mais dont l'une détermine à elle seule un degré d'invalidité d'au moins 60 % ; / Soit d'infirmités multiples dont les cinq premières entraînent globalement un degré d'invalidité de 100 %, mais dont l'une détermine à elle seule un degré d'invalidité d'au moins 60 % ". Aux termes de l'article L. 37 du même code, dans sa version applicable au litige : " Sont admis au bénéfice des majorations de pensions et des allocations spéciales prévues par les articles L. 17 et L. 38, les grands invalides : (...) b) Titulaires de la carte du combattant, pensionnés pour une infirmité entraînant à elle seule un degré d'invalidité d'au moins 85 % ou pour infirmités multiples entraînant globalement un degré d'invalidité égal ou supérieur à 85 % calculé dans les conditions ci-dessus définies par l'article L. 36 et résultant ou bien de blessures reçues par le fait ou à l'occasion du service, ou bien de maladie contractée par le fait ou à l'occasion du service, à charge par les intéressés de rapporter la preuve que celle-ci a été contractée dans une unité combattante (...) ". Aux termes de l'article L. 38 du même code, dans sa version applicable au litige : " Il est attribué aux grands mutilés de guerre définis par l'article L. 36 et aux grands invalides définis par l'article L. 37 des allocations en sus de la pension et des majorations et allocations qu'ils perçoivent en vertu des dispositions du titre premier et du chapitre premier du présent titre, à l'exclusion des allocations 4 bis et 7 prévues aux articles L. 33 et L. 34, et de l'indemnité temporaire prévue à l'article L. 41. / Ces allocations ne se cumulent pas entre elles. / Le montant en est fixé par référence à la nature de l'infirmité ou au degré d'invalidité. Les intéressés bénéficient, dans chaque cas particulier, du système le plus favorable. / Le taux de ces allocations est fixé comme suit : (...) NUMERO 20 / DIAGNOSTIC OU POURCENTAGE : 100 % / INDICE (Art. L. 8 bis) : 500 (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions, qui ont pour objet d'attribuer des avantages supplémentaires aux pensionnés remplissant certaines conditions relatives tant à l'imputabilité de leurs infirmités qu'au degré d'invalidité en résultant, qu'elles ne sauraient s'appliquer à des infirmités qui ont une origine étrangère au service et qui ont été aggravées par une blessure ou une maladie imputable à celui-ci.

4. M. E... soutient que c'est à tort que les premiers juges ont retenu que l'hypoacousie bilatérale et les acouphènes importants dont il souffre, entraînant respectivement un taux d'invalidité de 70 et 10 %, résultent d'une aggravation d'un état antérieur. Il expose qu'il n'a pas été blessé avant le 9 août 1982, date de la blessure qui doit être regardée comme à l'origine de ces infirmités, qu'aucun examen médical n'a objectivé l'existence d'un état antérieur et qu'avant son retour du Liban, il n'avait jamais consulté pour un problème auditif ni subi d'audiogramme. Ces seuls éléments ne sauraient toutefois suffire à contredire les mentions portées, à l'issue d'une expertise médicale, sur la fiche descriptive de ses infirmités ayant donné lieu à l'attribution d'une pension militaire d'invalidité, dont il ressort que les infirmités concernées n'ont pas été causées, mais seulement aggravées, par une blessure reçue par le fait du service le 9 août 1982. Il ne résulte pas de l'instruction que l'infirmité préexistante de M. E... trouverait par ailleurs sa cause dans le service. Dans ces conditions, les infirmités du requérant tenant à une hypoacousie bilatérale et à des acouphènes importants ne pouvaient être prises en considération pour apprécier ses droits à l'allocation supplémentaire prévue par l'article L. 38 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.

5. Par suite, M. E... ne peut utilement souligner que ses infirmités " hypoacousie bilatérale " et " acouphènes importants " auraient dû être regroupées en une seule et même infirmité en application de l'article R. 34-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicable à la date de liquidation de sa pension, ni que l'addition de ses cinq premières infirmités, dont les deux imputables seulement par aggravation, entraîne un degré d'invalidité de 100 % et l'une d'entre elles entraîne à elle seule un degré d'invalidité d'au moins 60 %.

6. Il ne peut pas davantage utilement faire valoir que la loi n° 55-1074 du 6 août 1955 et l'arrêté interministériel du 8 avril 1981, prévoyant que les services effectués sur le territoire de la République du Liban ouvrent droit au bénéfice des dispositions de cette loi, en vigueur à la date de l'accident du 9 août 1982, lui permettaient de bénéficier des avantages prévus pour les militaires visés par l'article L. 37 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, quand bien même ses infirmités résultent d'opérations de maintien de l'ordre " hors guerre ", dès lors que la totalité de ses infirmités ne trouvent pas entièrement leur origine dans les services accomplis.

7. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant au rehaussement de l'indice sur la base duquel est calculée sa pension en y ajoutant l'indice d'allocation supplémentaire de 500 de l'article L. 38 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.

DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 3 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme F... D..., président,
Mme Anne Meyer, président-assesseur,
Mme A... C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2020.
La rapporteure,
Kolia C...
La présidente,
Catherine D...
Le greffier,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 20BX00507