CAA de VERSAILLES, 1ère chambre, 24/11/2020, 17VE01935, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision24 novembre 2020
Num17VE01935
JuridictionVersailles
Formation1ère chambre
PresidentM. BEAUJARD
RapporteurMme Catherine BOBKO
CommissaireM. MET
AvocatsSELAFA CABINET CASSEL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, de condamner la ville de Paris à lui verser la somme de 167 362,70 euros avec intérêts de droit à compter de la date de réception de la demande préalable.

Par un jugement n° 1410705 du 20 avril 2017, le Tribunal administratif de
Cergy-Pontoise a condamné la ville de Paris à verser au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions une somme de 73 053,23 euros au titre des préjudices qui n'ont pas été réparés par la pension militaire d'invalidité attribuée à M. B..., et le solde, s'il est positif, de la différence entre la somme de 55 992,80 euros, destinée à réparer les préjudices couverts par la pension d'invalidité, et le montant de la pension effectivement versée, ces montants devant être assortis des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2012. Il a, en outre, rejeté le surplus des conclusions de la demande présentée par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.



Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 juin 2017, le préfet de police demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement litigieux ;

2° à titre principal, de rejeter les demandes indemnitaires du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ;

3° à titre subsidiaire, de ramener le montant de ces indemnités à de plus justes proportions.

Il soutient que :
- les premiers juges ont omis de répondre à plusieurs moyens, tirés de ce que le patrimoine de la préfecture de police n'avait pas à supporter la condamnation, de ce que seul le patrimoine de l'employeur statutaire, en l'espèce le ministère de la défense, peut supporter l'indemnisation complémentaire d'un de ses agents et de ce que c'est le budget de la commune, en l'espèce la commune de Montrouge, qui a bénéficié de l'intervention qui doit supporter la condamnation financière.
- ils ont également omis de statuer sur sa demande de subrogation à l'encontre de M. C... ;
- l'autorité de la force jugée du jugement n° 1110068, au terme duquel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a estimé que le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions n'était pas fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat mais seulement celle de la ville de Paris, ne pouvait lui être opposée, dès lors qu'il n'avait pas été attrait à la cause ;
- il renvoie à ses écritures de première instance sur la question de la personne publique responsable : il ne peut s'agir que du ministère de la défense, dès lors que c'est lui qui verse à l'intéressé sa pension militaire d'invalidité ; à tout le moins, c'est la commune de Montrouge qui doit être regardée comme responsable, dès lors que l'intervention à l'issue de laquelle M. B... a été blessée a eu lieu sur son territoire ;
- les premiers juges ne pouvaient accorder une indemnisation complémentaire au titre des préjudices non réparés par la pension d'invalidité militaire déjà perçue par M. B..., dès lors qu'ils ne se sont pas prononcés sur la faute qui aurait été de nature à engager la responsabilité de la personne publique ;
- en accordant cette indemnisation complémentaire au titre des préjudices non réparés par la pension d'invalidité militaire perçue par M. B..., les premiers juges ont permis à ce dernier de bénéficier d'une triple indemnisation de son préjudice ;
- M. B... doit être regardé comme ayant contribué à plus de 25 % à la réalisation de ses dommages, dès lors qu'il ne pouvait ignorer les conséquences du " jeu " dangereux auquel il se prêtait.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de la défense ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des pensions militaires d'invalidité ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de M. Met, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :

1. Le 7 décembre 2007, M. D... B..., pompier de la brigade des
sapeurs-pompiers de Paris, se trouvait dans un véhicule de premier secours circulant en région parisienne et a été gravement brûlé au niveau des membres inférieurs, après que le produit désinfectant pour les mains que ses collègues avaient, par jeu, aspergé sur son pantalon, a pris feu. L'auteur des brûlures a été condamné par un jugement du Tribunal correctionnel de Versailles du 1er avril 2009 à une peine de 10 mois d'emprisonnement avec sursis pour blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois qui a été confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Versailles le 18 mars 2010. Saisie par M. B..., la commission d'indemnisation des victimes d'infractions, lui a, par décision du 28 janvier 2011, alloué la somme de 167 362,70 euros en réparation des préjudices qu'il a subis. Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions a procédé au versement de cette somme. Par un premier jugement n° 1110068 du 22 mai 2014, devenu définitif, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions tendant à la condamnation de l'Etat à lui rembourser les sommes qu'il a versées à M. B... en réparation des préjudices qu'il a subis. Par un second jugement n° 1410705, du 20 avril 2017, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la ville de Paris à verser au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions une somme de 73 053,23 euros au titre des préjudices subis par M. B..., qui n'ont pas été réparés par la pension militaire d'invalidité qui lui a été attribuée, et une indemnité égale au solde, si celui-ci est positif, de la différence entre la somme de 55 993,80 euros et le montant de la pension effectivement versée, afin de garantir la réparation intégrale des préjudices couverts par cette pension. Le préfet de police relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTVI) demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il a procédé à un partage de responsabilité entre M. B... et la ville de Paris.

2. Aux termes, d'une part, de l'article L. 2521-3 du code général des collectivités territoriales : " Le préfet de police de Paris est chargé du secours et de la défense contre l'incendie dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du
Val-de-Marne [...] ". Aux termes de l'article R. 2521-2 de ce code : " La brigade de sapeurs-pompiers de Paris assure sa mission dans les départements des Hauts-de-Seine, de la
Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. / A cet effet, elle est à la disposition du préfet de police de Paris. " Aux termes de l'article R. 1321-19 : " La brigade de sapeurs-pompiers de Paris, placée pour emploi sous l'autorité du préfet de police, est chargée de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies, à Paris et dans les départements des
Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne [...]. / Elle concourt, avec les autres services et professionnels concernés, [...] aux secours d'urgence dans les limites territoriales mentionnées à l'alinéa précédent. " Enfin, aux termes de l'article R. 3222-13 du code de la défense : " La brigade de sapeurs-pompiers de Paris est une unité militaire de sapeurs-pompiers de l'armée de terre appartenant à l'arme du génie [...] ".

3. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 4123-2 du code de la défense : " Les militaires bénéficient des régimes de pensions ainsi que des prestations de sécurité sociale dans les conditions fixées par le code des pensions civiles et militaires de retraite, le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et le code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service ".

4. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires victimes d'un accident de service peuvent prétendre, au titre de l'atteinte qu'ils ont subie dans leur intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Toutefois, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre l'Etat, dans le cas notamment où l'accident serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité.

5. Pour déterminer si l'accident de service ayant causé un dommage à un militaire est imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, de sorte que ce militaire soit fondé à engager une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale par l'Etat de l'ensemble du dommage, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de rechercher si l'accident est imputable à une faute commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service.

6. Il est constant que le dommage subi par M. B... n'est pas survenu à l'occasion de l'exercice de missions d'assistance et de secours en urgence dans une commune de la petite couronne ou dans la ville de Paris. Par suite, il résulte des dispositions précitées que seule la responsabilité de l'Etat, employeur public de la victime, pouvait être recherchée par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, subrogé dans les droits de M. B..., tant au titre de la réparation complémentaire des préjudices qui n'ont pas été réparés par la pension militaire d'invalidité versée à ce dernier, qu'au titre de l'action visant à obtenir la réparation intégrale de ces dommages.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la ville de Paris à verser au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions une indemnisation des préjudices subis par M. B... et non réparés par la pension militaire qui lui a été servie.

8. En raison de la contrariété existant entre ce qui vient d'être dit et le jugement du 22 mai 2014 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions dirigée contre l'Etat au motif qu'elle était mal dirigée, il y a lieu de déclarer ce jugement nul et non avenu, et de renvoyer au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, la présente affaire. Par voie de conséquence, il y a également lieu de rejeter les conclusions présentées par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions par la voie de l'appel incident et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les conclusions de la ministre des armées tendant à sa mise hors de cause.



DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1410705 du 20 avril 2017 du Tribunal administratif de
Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : Le jugement n° 1110068 du 22 mai 2014 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est déclaré nul et non avenu.
Article 3 : La présente affaire est renvoyée devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Article 4 : Les conclusions présentées par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions par la voie de l'appel incident et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Les conclusions de la ministre des armées tendant à sa mise hors de cause sont rejetées.
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N° 17VE01935