CAA de MARSEILLE, 7ème chambre, 23/04/2021, 19MA00787, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision23 avril 2021
Num19MA00787
JuridictionMarseille
Formation7ème chambre
PresidentM. POCHERON
RapporteurM. Georges GUIDAL
CommissaireM. CHANON
AvocatsPICHARD

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 282 618,75 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts en réparation des préjudices résultant de l'accident de service dont il a été victime, ainsi que d'enjoindre à la ministre des armées de procéder au versement de cette somme sous astreinte de 60 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1602303 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'Etat à verser à M. D... la somme de 13 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 janvier 2016, sous déduction du montant de l'indemnité versée à titre de provision en exécution de l'ordonnance du juge des référés en date du 16 juin 2016 du même tribunal, a mis les frais d'expertise à la charge de l'Etat et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.


Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 février 2019 et le 1er août 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 20 décembre 2018 ;



2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 265 268,75 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

3°) d'enjoindre à la ministre des armées de procéder au versement de cette somme à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 60 euros par jour de retard.

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a déduit de la somme qu'il a condamné l'Etat à lui verser celle allouée à titre de provision par le juge des référés ;
- le tribunal administratif n'a pas condamné l'Etat à réparer l'intégralité de son préjudice qui doit prendre en compte l'incidence professionnelle de la faute commise par l'Etat à hauteur de 200 000 euros, le déficit fonctionnel temporaire évalué à 6 478,75 euros, le déficit fonctionnel permanent évalué à 28 050 euros, le préjudice résultant des souffrances physiques évalué à 10 600 euros, le préjudice d'agrément évalué à 10 000 euros, le préjudice esthétique temporaire évalué à 7 500 euros, le préjudice esthétique permanent évalué à 10 000 euros, le préjudice moral évalué à 10 000 euros.


Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2019, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.


Elle soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- le code de la défense ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.






Considérant ce qui suit :


1. M. D..., second maître de la marine nationale, spécialiste d'atelier naval, embarqué à bord du navire militaire le " Jules Verne ", a été blessé à la jambe droite après avoir percuté le 13 août 2005 un élément métallique. A la suite de cet accident, l'état clinique de sa jambe droite a évolué défavorablement avec l'absence de cicatrisation et l'apparition d'un oedème majeur. En août 2007, il a été victime d'une phlébite profonde. Depuis son accident, l'intéressé présente des séquelles cutanées accompagnées d'ulcérations récidivantes et des douleurs au mollet droit. M. D... a obtenu le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au taux de 30 % par jugement du 12 février 2015 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille. Il a également présenté le 6 janvier 2016 une demande d'indemnisation des préjudices subis, qui a été rejetée implicitement d'abord par la ministre des armées, puis par la commission de recours des militaires. Tenant compte de la pension d'invalidité servie à l'intéressé, le tribunal administratif de Toulon, saisi par M. D..., a, par un jugement du 20 décembre 2018, condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 13 000 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices résultant pour lui de cet accident sous déduction du montant de l'indemnité versée à titre de provision en exécution d'une ordonnance du juge des référés du 16 juin 2016 du même tribunal et rejeté le surplus des conclusions de sa demande. M. D... relève appel de ce jugement et demande que le montant de l'indemnité soit porté à la somme de 265 268,75 euros.


Sur la responsabilité de l'Etat :


2. Aux termes de l'article L. 4123-2 du code de la défense : " Les militaires bénéficient des régimes de pension ainsi que des prestations de la sécurité sociale dans les conditions fixées par le code des pensions civiles et militaires de retraite, le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et le code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service ".


3. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires victimes d'un accident de service peuvent prétendre, au titre de l'atteinte qu'ils ont subie dans leur intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Toutefois, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre l'Etat, dans le cas notamment où l'accident serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité.
4. Pour déterminer si l'accident de service ayant causé un dommage à un militaire est imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, de sorte que ce militaire soit fondé à engager une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale par l'Etat de l'ensemble du dommage, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de rechercher si l'accident est imputable à une faute commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service.


5. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 16 octobre 2015 du docteur Ripert, que M. D... a été soigné de manière inadéquate à compter du 18 août 2005 par le médecin de bord jusqu'au 28 septembre 2005, date à laquelle le service de dermatologie de l'hôpital d'instruction des armées Sainte-Anne lui a prescrit un traitement adapté à son état. Ainsi que cela ressort de ce rapport, le retard important à la mise en place de soins adaptés à l'état antérieur de l'intéressé (thrombophilie et insuffisance veineuse chronique) est responsable d'une longue évolution clinique et des séquelles dont est atteint le requérant, consistant notamment en un ulcère variqueux accompagné d'une thrombose veineuse. Ce retard, au demeurant non contesté par la ministre des armées, est constitutif d'une faute de l'Etat dans le fonctionnement du service de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M. D....


Sur l'indemnisation des préjudices :


6. Eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et aux éléments entrant dans la détermination de son montant, tels qu'ils résultent des dispositions des articles L. 8 bis à L. 40 du même code, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille.


7. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires peuvent prétendre, au titre des préjudices mentionnés ci-dessus, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Cependant, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. En outre, dans l'hypothèse où le dommage engage la responsabilité de l'Etat à un autre titre que la garantie contre les risques courus dans l'exercice des fonctions, et notamment lorsqu'il trouve sa cause dans une faute de l'Etat, l'intéressé peut prétendre à une indemnité complémentaire au titre des préjudices que la pension a pour objet de réparer, si elle n'en assure pas une réparation intégrale. Lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, il incombe au juge administratif de déterminer le montant total des préjudices que la pension a pour objet de réparer, avant toute compensation par cette prestation, d'en déduire le capital représentatif de la pension et d'accorder à l'intéressé une indemnité égale au solde, s'il est positif.
En ce qui concerne les préjudices que la pension militaire d'invalidité attribuée à M. D... n'a pas pour objet de réparer :


8. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise ordonné par le tribunal administratif, que le requérant a subi un préjudice esthétique permanent évalué à 3 sur une échelle de 1 à 7 par l'expert, en lien avec une dermite ocre, des cicatrices et des ulcérations récidivantes associées à l'obligation du port de contention veineuse multicouche. Le tribunal administratif a fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à l'intéressé une somme de 4 000 euros à ce titre. Si M. D... sollicite une réparation au titre de son préjudice esthétique temporaire, un tel préjudice n'a pas été retenu par l'expert. Les conclusions tendant à l'indemnisation de ce chef de préjudice doivent dès lors être rejetées.


9. En deuxième lieu, M. D... a enduré des souffrances physiques évaluées par l'expert à 4 sur une échelle de 1 à 7, en lien avec la durée des soins cutanés et les manifestations douloureuses. En outre, il a subi un préjudice moral. Il y a lieu d'allouer à M. D..., comme l'ont fait les premiers juges, une somme globale de 8 000 euros à ce titre.


10. En troisième lieu, et ainsi que l'a relevé le tribunal administratif, il ressort du rapport d'expertise précité que l'état antérieur de M. D..., qui nécessitait la prise d'un traitement anticoagulant, n'était pas compatible avec la pratique de sports tels que le rugby. Au demeurant, le requérant ne conteste pas cette appréciation portée par les premiers juges. Il n'y pas lieu, par suite, de retenir un préjudice d'agrément en raison de l'impossibilité alléguée de se livrer à cette activité sportive. En revanche, le port de la contention de la jambe droite rend difficile la fréquentation d'une plage l'été. Le tribunal administratif a fait une juste appréciation du préjudice d'agrément en résultant en l'évaluant à la somme de 1 000 euros.


11. Il résulte de ce qui précède que le montant des préjudices que la pension militaire d'invalidité attribuée à M. D... n'a pas pour objet de réparer doit être évalué à la somme de 13 000 euros.


En ce qui concerne les préjudices que la pension militaire d'invalidité attribuée à M. D... a pour objet de réparer :


12. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 16 octobre 2015, qu'en raison des séquelles dont il reste atteint, M. D... a dû cesser d'exercer son métier de spécialiste d'atelier naval et n'est plus apte au service à la mer ou outre-mer, ne pouvant plus désormais qu'exercer des activités administratives. En revanche, ces séquelles n'ont pas fait obstacle à sa promotion, ainsi qu'en atteste sa promotion au grade de maître le 1er août 2014. Par ailleurs, si l'intéressé n'a pu obtenir le brevet supérieur de sa spécialité, cette circonstance ne trouve pas son origine dans l'accident de service dont il a été victime. Toutefois, en estimant, au vu de ces circonstances, que la privation de l'exercice de ses fonctions antérieures lui ouvrait le droit à réparation au titre de l'incidence professionnelle de la faute commise par l'Etat et lui en allouant, à ce titre, une indemnité de 10 000 euros, les premiers juges ont fait une évaluation insuffisante de ce chef de préjudice. Compte tenu de l'âge de l'intéressé et de la nature ainsi que de l'ampleur de son incapacité, il y a lieu de l'évaluer à 30 000 euros.
13. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. D... a subi une période de déficit fonctionnel temporaire de 25 % pendant 2 ans, 10 mois et 15 jours. En allouant à ce titre une somme de 3 450 euros à M. D..., les premiers juges ont fait une exacte appréciation de ce chef de préjudice.


14. En troisième lieu, M. D..., âgé de 33 ans à la date de la consolidation de son état de santé le 28 juin 2008, subit un déficit fonctionnel permanent au taux de 15 %, en lien avec la faute commise par l'Etat. Il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une indemnité de 22 000 euros à ce titre.


15. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que M. D... s'est vu attribuer une pension militaire d'invalidité au taux de 30 % dont le montant annuel est de 2 004,48 euros. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de convertir ce montant annuel en un capital et pour procéder à cette conversion de retenir, comme le demande la ministre des armées, le barème de capitalisation des rentes viagères, millésime 2016, établi selon les tables de mortalité de l'INSEE de la population générale 2006-2008 et publié à la Gazette du Palais. Sur la base de ces éléments rapportés à une victime de sexe masculin âgée de 33 ans à la date de consolidation à laquelle, en l'état du dossier, il y a lieu de se placer, le coefficient de capitalisation s'élève à 35,232. Il en résulte que le montant capitalisé de la pension militaire d'invalidité de M. D... s'élève à 70 621,84 euros. Si celui-ci peut prétendre à une indemnisation à hauteur de 30 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, de 3 450 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, et de 22 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, le total de ces sommes est inférieur au montant du capital représentatif de la pension militaire d'invalidité versée. Dans ces circonstances, les préjudices nés d'une incidence professionnelle et du déficit fonctionnel temporaire et permanent ne sauraient donner lieu à une indemnisation complémentaire.


16. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif a limité à 13 000 euros le montant de la réparation de ses préjudices.


17. Lorsque le juge du fond est saisi d'une demande de fixation définitive du montant de sa dette par une personne à qui le juge des référés a alloué une provision, il est tenu de fixer ce montant sous déduction de la provision accordée. Il résulte de l'instruction que le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a, par une ordonnance en date du 16 juin 2016, alloué à M. D... la somme de 17 350 euros à titre de provision. Il incombe aux différentes autorités administratives de prendre, dans les domaines de leurs compétences respectives, les mesures qu'implique l'exécution des décisions de justice et en l'espèce il n'est ni soutenu ni même allégué que l'Etat n'aurait pas versé à M. D... la provision allouée par le juge des référés en exécution de l'ordonnance du 16 juin 2016. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la somme qui lui a été allouée à titre de provision par le juge des référés ne pouvait pas être imputée sur la somme susmentionnée de 13 000 euros correspondant au montant de ses préjudices indemnisables.


18. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D É C I D E :


Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et à la ministre des armées.


Délibéré après l'audience du 9 avril 2021, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. A..., président assesseur,
- M. Coutier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2021.

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N° 19MA00787
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