CAA de DOUAI, 3ème chambre, 12/05/2021, 19DA01976, 19DA01994, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... C... veuve H..., Mme A... H... et M. D... H..., agissant en qualité d'ayants droits de M. F... H..., ont demandé au tribunal administratif d'Amiens, qui a transmis leur requête au tribunal administratif de Lille, de condamner l'Etat à leur verser la somme de 289 288 euros au titre de l'action successorale, en réparation des préjudices subis par M. F... H... en raison de son exposition à des radiations ionisantes lors de son séjour sur le site d'expérimentations nucléaires de Mururoa du 26 juillet 1979 au 21 juillet 1980. Ils ont également demandé que l'Etat leur verse la somme de 200 000 euros au titre de leurs préjudices personnels et que le montant total de l'indemnisation porte intérêts avec capitalisation à compter de leur première demande d'indemnisation.
Par un jugement n° 1704598 du 26 juin 2019, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser les sommes de 20 000 euros à Mme E... C..., de 15 000 euros à Mme A... H... et de 15 000 euros à M. D... H..., ces sommes portant intérêts à compter du 27 février 2017 et capitalisation à compter du 27 février 2018 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 19DA01976, le 22 août 2019 et un mémoire enregistré le 13 avril 2021, la ministre des armées demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes des ayants droits de M. F... H....
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II. Par une requête enregistrée sous le n° 19DA01994 le 25 août 2019, Mme E... C... veuve H..., Mme A... H... et M. D... H..., représentés par Me B... G..., demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Lille du 26 juin 2019 ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 252 611 euros au titre de l'action successorale, avec intérêts à compter de la première demande d'indemnisation et capitalisation à compter de la même date ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes de la ministre des armées et des ayants droit de M. F... H... sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. M. F... H... était électrotechnicien de l'armée de l'air. Il a notamment été affecté sur le site d'essais nucléaires de Mururoa du 26 juillet 1979 au 21 juillet 1980, puis sur les sites de lancement du plateau d'Albion de juillet 1982 à juillet 1986. M. H... est décédé le 13 août 1997, des suites d'un adénocarcinome bronchique supérieur droit. Les ayants droits de M. H... ont introduit une action indemnitaire le 23 février 2017 au titre de la responsabilité sans faute de l'Etat en raison des maladies imputables au service. Faute de réponse de la ministre des armées, ils ont saisi la juridiction administrative de conclusions indemnitaires. Par jugement du 26 juin 2019, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser la somme de 20 000 euros à Mme E... C..., veuve de M. F... H..., la somme de 15 000 euros à Mme A... H..., sa fille ainsi que la même somme à M. D... H..., son fils, ces sommes portant intérêts à compter du 27 février 2017 et capitalisation la première fois le 27 février 2018 puis à chaque échéance annuelle. Les ayants droits de M. H... et la ministre des armées font appel de ce jugement. Mme C... est décédée, en cours d'instance, le 17 janvier 2020 et ses enfants ont repris l'instance.
Sur les préjudices propres à M. H... :
3. Les ayants droits de M. H... ont renoncé expressément dans leurs dernières écritures à leurs conclusions au titre de l'action successorale en réparation des préjudices propres de M. H..., le jugement du tribunal administratif de Lille n° 1810908 du 26 juin 2019 condamnant le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à verser la somme de 60 370 euros à Mme C... à ce titre, étant devenu définitif. Par suite, il y a lieu de donner acte aux ayants droits de M. H... de leur désistement partiel de ces conclusions.
Sur les préjudices propres des ayants-droits de M. H... :
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat et le lien de causalité :
4. D'une part, en instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires victimes d'un accident de service peuvent prétendre, au titre de l'atteinte qu'ils ont subie dans leur intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Toutefois, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices.
5. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français dans sa version applicable : " I. - Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. / II. - Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit... ".
6. Les dispositions de la loi du 5 janvier 2010 citées au point 5 ne font pas obstacle à ce qu'une action de droit commun soit engagée pour la réparation de leurs préjudices propres par les ayants droits d'une personne dont le préjudice direct est intégralement réparé au titre de la loi du 5 janvier 2010. Ainsi si le jugement définitif du tribunal administratif de Lille du 26 juin 2019 a condamné le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à la réparation intégrale du préjudice direct de M. H..., ses ayants droits peuvent néanmoins aussi demander la réparation de leurs préjudices propres conformément aux principes rappelés au point 4, dans le cadre d'une action présentée en l'espèce au titre d'un régime de responsabilité sans faute résultant de la garantie que l'Etat doit aux militaires contre les risques que comporte leur mission.
7. M. H... a été affecté du 26 juillet 1979 au 21 juillet 1980 sur le site de Mururoa, au centre d'essais du Pacifique en Polynésie-Française. Sur cette période, treize essais nucléaires souterrains ont été effectués. Toutefois, compte-tenu de ses fonctions, l'intéressé ne travaillait pas en zone contrôlée et n'était donc pas directement soumis à des rayonnements ionisants. De ce fait, il ne bénéficiait d'aucune dosimétrie individuelle. Son examen d'anthropogammamétrie, effectué sur le site le 17 juillet 1980, fait apparaître un indice de tri normal de 0,88, le seuil pour un résultat douteux étant fixé à 2. La ministre des armées fait également valoir que la dosimétrie d'ambiance était de 0 milli sievert dans la zone vie de Mururoa sur toute la période de présence de M. H.... Néanmoins, il résulte des pièces produites par les appelants et non sérieusement contestées que la décontamination des retombées des essais nucléaires aériens sur l'atoll de Mururoa n'a commencé qu'à partir de 1981, soit après l'affectation sur site de M. H.... Les appelants soutiennent également, sans être contredits, que M. H... a survolé la zone des essais et qu'il est arrivé sur l'atoll, trois semaines après un incident ayant entraîné une fuite radioactive. De nombreux certificats médicaux produits attestent également de son exposition professionnelle à la radiation. M. H... était affecté sur les zones de lancement d'engins nucléaires du plateau d'Albion, tant avant son affectation à Mururoa que de juillet 1982 à juillet 1986. Par ailleurs, il résulte des éléments médicaux produits qu'il avait arrêté de fumer depuis plus de vingt ans, au moment où son cancer s'est déclaré et n'avait jamais eu une consommation tabagique importante auparavant. Il résulte de ces éléments que M. H... avait un facteur de risque cancéreux lié à l'irradiation résultant de son activité professionnelle alors qu'aucun autre facteur de risque n'est relevé et que le facteur tabagique doit être écarté. Dans ces conditions, le lien entre le préjudice résultant de l'affection cancéreuse et le risque lié aux missions confiées à M. H... en tant qu'agent de l'Etat doit être considéré comme établi. D'ailleurs, le tribunal des pensions d'Arras puis la cour régionale des pensions militaires d'Amiens ont retenu l'imputabilité au service de la maladie. Les ayants droits de M. H..., sont donc fondés à demander la condamnation de l'Etat à les indemniser de leurs préjudices propres.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :
8. Mme C... fait valoir qu'elle s'est totalement mobilisée pour soutenir et assister son mari durant sa maladie qui a nécessité de nombreuses hospitalisations et soins, loin de leur domicile et sollicite la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral. Mais compte tenu de son âge à la date du décès de son mari et des circonstances de l'espèce, il y a lieu de confirmer l'appréciation faite par les premiers juges qui ont fixé l'indemnisation du préjudice moral de Mme C... à la somme de 20 000 euros.
9. Les enfants de M. H... soulignent que la maladie brutale de leur père a bouleversé leur vie familiale en leur ôtant la présence de leur père. Ils sollicitent chacun la somme de 30 000 euros au titre de leur préjudice moral. Eu égard à leur âge de dix-neuf ans et de onze ans et demi au moment de son décès, il y a lieu également de confirmer l'appréciation des premiers juges qui a alloué à chacun des deux enfants la somme de 15 000 euros au titre de leur préjudice moral.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les consorts H... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la ministre des armées, enregistrée sous le n° 19DA01976, est rejetée.
Article 2 : Il est donné acte du désistement des ayants droits de M. H... de leurs conclusions au titre de l'action successorale pour la réparation des préjudices propres de M. H....
Article 3 : L'Etat versera aux consorts H..., la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me B... G..., pour Mme A... H... et pour M. D... H... et à la ministre des armées.
Copie en sera adressée pour information au comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires
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