Conseil d'État, 8ème chambre, 16/07/2021, 437684, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision16 juillet 2021
Num437684
Juridiction
Formation8ème chambre
RapporteurM. Jean-Marc Vié
CommissaireMme Karin Ciavaldini
AvocatsSCP RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA

Vu la procédure suivante :

Mme E... D...-B... a demandé au tribunal des pensions du Val-de-Marne de rectifier l'arrêté du 22 juin 2009 par lequel, en exécution d'un jugement du 17 mars 2009 de ce même tribunal, ont été fixés les droits à pension de veuve de sa mère décédée, Mme C... A... veuve D...-B.... Par un jugement n° 11/00051 du 5 juin 2014, le tribunal des pensions de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 14/14673 du 24 février 2017, la cour régionale des pensions de Paris, sur appel de Mme D...-B..., a réformé ce jugement et lui a accordé une somme de 752 560,70 euros au titre des arrérages et intérêts moratoires correspondant à la pension octroyée à sa mère.

Par une décision n° 410277, 414533 du 6 avril 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour régionale des pensions de Versailles.

Par arrêt n° 18/01836 du 2 juillet 2019, la cour régionale des pensions de Versailles a rejeté l'appel de Mme D...-B... comme irrecevable en tant qu'il portait sur la demande de rectification d'une erreur matérielle affectant le jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne et comme porté devant une juridiction incompétente pour en connaître en tant qu'il portait sur l'exécution de ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 15 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D...-B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, son avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions militaire d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code des pensions militaire d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- la loi n° 91 647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91 1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de Mme E... D... B... ;




Considérant ce qui suit :

1. Mme D...-B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 2 juillet 2019 par lequel la cour régionale des pensions de Versailles, après annulation d'un arrêt de la cour régionale des pensions de Paris par une décision n° 410277, 414533 du 6 avril 2018 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux et renvoi de l'affaire, a rejeté comme irrecevable l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 5 juin 2014 du tribunal des pensions de Paris rejetant sa demande tendant à la rectification de l'arrêté du 22 juin 2009 par lequel le ministre de la défense, en exécution d'un jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne, a fixé les droits à pension de veuve de sa mère décédée, Mme A... veuve D...-B....

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur les conclusions de la requérante aux fins de rectification d'erreur matérielle :

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par son jugement du 17 mars 2009, le tribunal des pensions du Val-de-Marne, après avoir annulé l'arrêté du 16 mai 2005 fixant les conditions de la pension de veuve concédée à la mère de la requérante pour la période comprise entre le 1er janvier 1994 et le 6 janvier 2002, date de son décès, a ordonné le versement, par l'administration, après déduction de sommes versées en juillet 2006, des arrérages de pension due à Mme A... veuve D...-B... depuis le 4 mars 1964 jusqu'au 6 janvier 2002, assorties de la majoration d'un tiers prévue à l'article L. 51 alors applicable du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, et calculés sur toute cette période en fonction de la valeur du point d'indice en vigueur à la date de paiement, soit un montant actualisé de 378 252,50 euros. Le tribunal des pensions du Val-de-Marne a également ordonné le versement par l'administration des intérêts moratoires portant sur le principal, qui comprennent des intérêts simples au taux légal pour la période du 4 mars 1964 au 23 juin 1997, des intérêts capitalisés au taux légal pour la période du 14 juin 1997 au 18 mai 2003 et des intérêts capitalisés au taux légal majoré de 5 points pour la période comprise entre le 19 mai 2003 et la date de paiement, soit un montant actualisé de 215 559,10 euros.

3. Les voies de recours contre un jugement sont cristallisées à la date de ce dernier. A la date du jugement du 17 mars 2009, la procédure suivie devant les juridictions des pensions était régie, ainsi que l'a jugé la cour sans erreur de droit, non par les dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, notamment son article R. 731-1 issu du décret du 28 décembre 2016 relatif à la partie réglementaire de ce code, mais par les dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, par celles du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions et par celles du code de procédure civile auxquelles les dispositions de ce décret renvoient expressément. Dans le silence de ces textes, aucune disposition ne régissant le recours en rectification d'erreur matérielle devant les juridictions des pensions, il leur appartenait, en raison de leur caractère de juridictions administratives, de faire application des règles générales de procédure applicables à ces dernières. Le fait pour ces juridictions de se fonder sur des dispositions du code de procédure civile autres que celles mentionnées ci-dessus n'était pas susceptible d'entacher d'irrégularité leurs décisions, dès lors que ces dispositions pouvaient être regardées comme traduisant ces règles.

4. Si le recours en rectification d'erreur matérielle d'une décision juridictionnelle de l'ordre administratif existe même sans texte, cette voie de recours n'est ouverte, sauf disposition contraire, que devant les juridictions statuant en dernier ressort. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit, après avoir relevé que l'article 462 du code de procédure civile ne traduisait pas une règle générale de procédure applicable devant les juridictions administratives, en rejetant comme irrecevables les conclusions tendant à la rectification de l'arrêté 22 juin 2009, qu'elle a analysées sans se méprendre sur leur portée comme tendant à la rectification pour erreur matérielle du jugement du 17 mars 2009 que cet arrêté se bornait à exécuter.

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur la demande d'exécution du jugement du tribunal des pensions du Val-de-Marne du 17 mars 2009 :

5. Aux termes de l'article L. 79 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable jusqu'au 31 décembre 2016 : " Les contestations auxquelles donne lieu l'application du présent livre et du livre II sont jugées en premier ressort par le tribunal des pensions, ou le tribunal des pensions dans les collectivités d'outre-mer, et en appel par la cour régionale des pensions, ou la cour des pensions d'outre-mer dans les collectivités d'outre-mer, du domicile de l' intéressé ". Aux termes de l'article L. 711-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction applicable entre le 1er janvier 2017 et le 31 octobre 2019 : " Les contestations individuelles auxquelles donne lieu l'application des dispositions du livre Ier et des titres Ier, II et III du livre II sont jugées en premier ressort par le tribunal des pensions et en appel par la cour régionale des pensions (...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la demande soumise au tribunal des pensions du Val-de-Marne par Mme D...-B... tendait, d'une part, à la substitution de la date du 4 mars 1964 à celle du 1er janvier 1994, retenue par l'administration, comme date d'ouverture des droits à pension de sa mère, Mme A..., veuve D...-B..., en qualité de conjoint survivant et, d'autre part, au bénéfice de la majoration de l'article L. 51 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable, pour le calcul des arrérages de cette pension et des intérêts moratoires correspondants. Cette demande, sur laquelle il a été statué par le jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne, de même que le litige relatif à l'exécution de ce jugement, qui a donné lieu au jugement du 5 juin 2014 de ce même tribunal, portaient sur la mise en oeuvre des dispositions relatives au droit à pension militaire d'invalidité des conjoints survivants, codifiées au livre Ier du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre puis, à compter du 1er janvier 2017, au titre Ier du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Le litige relatif à l'exécution du jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne ressortissait ainsi, antérieurement au 1er novembre 2019, à la compétence, en premier ressort, du tribunal des pensions et, en appel, de la cour régionale des pensions. Par suite, en s'estimant, par son arrêt du 2 juillet 2019, incompétente pour connaître de ce litige la cour régionale des pensions de Versailles a méconnu les dispositions de l'article L. 711-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.

7. Il résulte de ce qui précède que Mme D...-B... est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il s'est prononcé sur ses conclusions tendant à l'exécution du jugement du tribunal des pensions du Val-de-Marne du 17 mars 2009.

8. Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond, dans la mesure de la cassation ainsi prononcée, en application du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.


9. Par son jugement du 17 mars 2009, le tribunal des pensions du Val-de-Marne a ordonné le versement à Mme D...-B..., d'une part, des arrérages de pension dus à sa mère depuis le 4 mars 1964, date de son divorce, jusqu'au 6 janvier 2002, date de son décès, assortis de la majoration d'un tiers prévue à l'article L. 51 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, calculés sur toute cette période sur le fondement de la valeur du point d'indice en vigueur à la date du paiement, soit un montant de 151 112,60 euros, porté, en tenant compte de l'actualisation, à la somme de 378 252,60 euros et, d'autre part, des intérêts moratoires, portant, sur le principal, sous forme d'intérêts simples au taux légal pour la période du 4 mars 1964 au 23 juin 1997, d'intérêts capitalisés au taux légal pour la période du 14 juin 1997 au 18 mai 2003 et d'intérêts capitalisés au taux légal majoré de 5 points au titre de la période du 19 mai 2003 jusqu'à la date de paiement effectif des sommes en litige, soit un montant de 89 062,80 euros, porté, en tenant compte de l'actualisation, à la somme de 215 559,10 euros.

10. Dans son mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance soutient, sans être contredit, qu'il a été versé à Mme D...-B... la somme de 325 941,27 euros au titre des arrérages de pension dus, correspondant à la somme de 378 252,50 euros mentionnée dans le jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne, déduction faite de la somme de 52 311,23 euros qui avait déjà été versée à l'intéressée en juillet 2006. Par ailleurs, il ressort des écritures du ministre de l'économie, des finances et de la relance qu'au titre des intérêts moratoires, il a été versé à Mme D...-B... la somme de 235 063,36 euros, le montant indiqué dans le jugement ayant été majoré de la somme de 19 504,26 euros tenant compte de l'actualisation à la date du paiement, effectué le 9 juillet 2010.

11. Il résulte de tout ce qui précède que l'administration a entièrement exécuté le jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne. Il s'ensuit que Mme D...-B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions de Paris a rejeté sa demande.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions de Versailles du 2 juillet 2019 est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de Mme D...-B... tendant à l'exécution du jugement du 17 mars 2009 du tribunal des pensions du Val-de-Marne.
Article 2 : Les conclusions de Mme D...-B... tendant à l'exécution de ce jugement sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme D...-B... est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme E... D...-B..., à la ministre des armées et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

ECLI:FR:CECHS:2021:437684.20210716