CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 14/10/2021, 19BX02247, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision14 octobre 2021
Num19BX02247
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurMme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
CommissaireMme GALLIER
AvocatsCABINET VACARIE & DUVERNEUIL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 24 novembre 2017 par laquelle le directeur du centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse a refusé de regarder comme imputable au service l'épisode déclaré le 14 juin 2017 comme un accident de service.

Par un jugement n° 1800854 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 juin 2019, Mme B..., représentée par Me Duverneuil, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) d'annuler la décision du directeur du CHU de Toulouse du 24 novembre 2017 ;

3°) d'enjoindre au directeur du CHU de Toulouse de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service de l'accident survenu le 13 juin 2017 ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Toulouse une somme de 2 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la décision en litige a été édictée à l'issue d'une procédure irrégulière ; un procès-verbal de la commission de réforme défavorable avait été pré-rédigé avant la séance, ce qui révèle un défaut d'impartialité de cette commission ; le centre hospitalier n'a pas tenu compte de l'avis finalement émis par cette commission, ni même indiqué les motifs le conduisant à s'écarter de cet avis ; l'établissement s'est borné à suivre une procédure consultative par obligation réglementaire, mais avait d'emblée l'intention de prendre une décision de refus ;
- le refus de reconnaître l'accident de service survenu le 14 juin 2017 est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur de droit ; la consultation de son dossier et la décision de la muter brutalement, sans possibilité de recours, ont entraîné pour elle un choc émotionnel avec des nausées ; elle a en effet compris lors de cet épisode que la décision de changement d'affectation était déjà prise et, son dossier étant vide, qu'il ne s'agissait que d'une consultation de pure forme et qu'elle faisait l'objet d'une sanction déguisée de mutation ; elle a été immédiatement placée en arrêt de travail pour un syndrome anxio-dépressif réactionnel ; du fait de son effondrement psychologique, elle n'a pas été mise en mesure de recevoir le pli recommandé comportant le blâme infligé le 14 juin 2017 ;
- cette décision s'inscrit dans un contexte de harcèlement moral à raison de ses activités syndicales et est ainsi entachée d'un détournement de pouvoir ;
- en toute hypothèse, il était inéquitable de mettre à sa charge les frais d'instance exposés devant le tribunal.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2020, le centre hospitalier universitaire de Toulouse, représenté par Me Sabatté, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- la procédure consultative suivie devant la commission de réforme n'est pas viciée, ladite commission s'étant prononcée de manière indépendante et impartiale et après avoir tenu compte des observations de la requérante ; à la supposer irrégulière, la requérante n'a été privée d'aucune garantie et le vice allégué n'a pas eu d'incidence sur le sens de la décision ;
- le CHU n'était pas lié par l'avis de la commission de réforme ;
- la décision est suffisamment motivée ;
- la requérante ne démontre pas l'existence d'un accident de service, c'est-à-dire d'un fait précis et soudain suffisamment marquant ; il convient de se référer au comportement normal de l'employeur ; or, la procédure de consultation du dossier n'a présenté aucune anormalité ; l'intéressée était déjà avertie de la mise en place d'une procédure de changement d'affectation ; son dossier ne comportait aucun élément nouveau hormis la lettre qui lui avait été remise en mains propres la veille ; lors de l'épisode du 13 juin 2017, la requérante ne s'est absentée qu'une seule fois, et non à plusieurs reprises comme elle le prétend ; les éléments médicaux produits sont très succincts ;
- le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Duverneuil, représentant Mme B..., et de Me Sabatté, représentant le centre hospitalier universitaire de Toulouse.

Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., aide-soignante titulaire en poste au bloc opératoire pédiatrique de l'hôpital des enfants du centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse, a déclaré le 14 juin 2017 un accident survenu le 13 juin 2017 sur son lieu de travail, lors de la consultation de son dossier individuel. Par une décision du 24 novembre 2017, le directeur du CHU de Toulouse a refusé de regarder cet évènement comme imputable au service au motif qu'il ne présentait pas un caractère soudain. Mme B... relève appel du jugement du 4 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 42. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraire, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de la maladie ou de l'accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales ".
3. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d'un accident de service. Constitue un accident de service un évènement, quelle que soit sa nature, survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d'évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent.
4. Aux termes de l'article 21 du décret du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière, alors en vigueur : " La demande tendant à ce que la maladie ouvrant droit à congé de longue durée soit reconnue comme ayant été contractée dans l'exercice des fonctions doit être transmise à la commission départementale de réforme des agents des collectivités locales. Lorsque l'administration est amenée à se prononcer sur l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident, elle peut, en tant que de besoin, consulter un médecin expert agréé. La commission de réforme n'est pas consultée lorsque l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident est reconnue par l'administration. La commission de réforme peut, en tant que de besoin, demander à l'administration de lui communiquer les décisions reconnaissant l'imputabilité. L'avis de la commission départementale de réforme ainsi que le dossier qu'elle a examiné sont transmis à l'autorité investie du pouvoir de nomination ".
5. En premier lieu, il y a lieu d'écarter par adoption des motifs pertinents retenus par le tribunal le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision en litige.
6. En deuxième lieu, il est constant que, comme le prévoient les dispositions précitées de l'article 21 du décret du 19 avril 1988, le CHU de Toulouse a consulté la commission départementale de réforme avant d'édicter la décision en litige. La seule circonstance qu'un avis défavorable aurait été pré-rédigé avant la séance de cette commission n'est pas de nature à vicier la procédure alors qu'il n'est pas soutenu que cette commission, qui a d'ailleurs finalement émis le 19 octobre 2017 un avis favorable sur la demande de Mme B..., n'aurait pas procédé à l'examen des éléments et observations qui lui étaient soumis. De même, dès lors que le directeur du CHU de Toulouse n'était pas lié par l'avis émis par ladite commission, la circonstance qu'il n'ait pas suivi cet avis est sans incidence sur la régularité de la procédure de consultation de cette commission.
7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre d'une procédure disciplinaire engagée à son encontre le 30 mars 2017, Mme B... a, le 28 avril 2017, consulté son dossier individuel. Par un courrier du 9 juin 2017, remis en mains propres le 12 juin suivant, le directeur du CHU de Toulouse a informé Mme B... qu'il envisageait de l'affecter à compter du 3 juillet 2017 au sein du service de chirurgie générale et gynécologique du pôle digestif de l'hôpital Rangueil, et qu'elle avait la possibilité de consulter son dossier administratif. Mme B... a consulté son dossier le 13 juin 2017. Elle fait valoir que, lors de cette consultation, elle a " compris " qu'elle faisait l'objet d'une " sanction déguisée ", ce qui lui a occasionné un choc émotionnel qui s'est traduit, immédiatement, par des nausées, puis par un syndrome anxio-dépressif réactionnel. Elle produit notamment le certificat médical d'arrêt de travail initial pour une durée de dix jours établi le 13 juin 2017, qui mentionne un " " épuisement physique et moral ", une " crise d'angoisse ce jour réactionnelle " et une " insomnie depuis hier ", ainsi que les certificats médicaux de prolongation de soins sans arrêt de travail établis les 8 novembre 2017 et 8 janvier 2018, qui font état d'un " syndrome anxio-dépressif " et de " soins psychiatriques en cours ".
8. Toutefois, il est constant que le dossier consulté par la requérante le 13 juin 2017 ne comportait aucune nouvelle pièce par rapport à celui qu'elle avait consulté le 28 avril 2017, soit moins de deux mois auparavant, hormis le courrier du 9 juin 2017 précité, qui lui avait été remis en mains propres la veille. De plus, le certificat médical établi le 13 juin 2017 mentionne, outre une crise d'angoisse réactionnelle à la consultation de son dossier du 13 juin 2017, une insomnie depuis le 12 juin 2017, soit lorsque la requérante a pris connaissance de l'intention du directeur du CHU de prendre une décision de changement d'affectation, ainsi qu'un état général d'épuisement. Dans ces conditions, la pathologie de Mme B..., quand bien même elle serait en lien avec ses conditions de travail marquées par un climat de fortes tensions, ne peut être regardée comme trouvant son origine dans un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'intéressée.
9. Enfin, la requérante n'apporte pas d'élément de nature à établir que le refus du CHU de Toulouse de regarder l'épisode survenu le 13 juin 2017 comme constituant un accident de service aurait été édicté en raison de l'appartenance syndicale de l'intéressée ou de la manière dont elle remplissait ses fonctions au CHSCT. Le moyen tiré du détournement de pouvoir doit, dès lors, être écarté.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent, par suite, être accueillies.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
11. Le tribunal n'ayant mis aucun frais à la charge de la requérante dans la présente instance, les conclusions tendant à contester de telles dispositions sont sans objet.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mis à la charge du CHU de Toulouse les frais que Mme B... a exposés dans la présente instance et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la requérante le versement au CHU de quelque somme que ce soit sur ce même fondement.









DÉCIDE :





Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier universitaire de Toulouse en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au centre hospitalier universitaire de Toulouse.

Délibéré après l'audience du 14 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 octobre 2021.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 19BX02247