CAA de NANCY, 4ème chambre, 12/10/2021, 19NC03205, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision12 octobre 2021
Num19NC03205
JuridictionNancy
Formation4ème chambre
PresidentMme GHISU-DEPARIS
RapporteurMme Sophie ROUSSAUX
CommissaireM. MICHEL
AvocatsZAWADA

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A..., épouse B..., a demandé au tribunal des pensions militaires de la Marne d'annuler la décision du 28 novembre 2016 par laquelle le ministre de la défense a refusé de lui accorder une pension militaire d'invalidité pour son infirmité " séquelles traumatique du rachis ".

Par un jugement n° 17/00002 du 6 septembre 2019, le tribunal des pensions militaires de la Marne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 novembre 2019, Mme A..., représentée par Me Zawada, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal des pensions militaires de la Marne du 6 septembre 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 28 novembre 2016 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité ;

3°) de fixer son taux d'invalidité à hauteur de 18% et dire qu'il lui sera alloué la pension d'invalidité correspondante à compter du 25 septembre 2014, date de sa demande, avec intérêts légaux ;

4°) d'enjoindre à la ministre des armées de lui verser sa pension militaire d'invalidité à compter du 25 septembre 2014, avec intérêts au taux légal et ce, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais de procès exposés à l'occasion de l'instance et non compris dans les dépens, à verser à son conseil, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridique ;

6°) de laisser à la charge du trésor public les dépens de l'instance.

Elle soutient que :

- les trois infirmités retenues par l'expert judiciaire dans son rapport du 28 novembre 2018 sont imputables à son accident de service du 24 octobre 2011 ;
- elle est fondée à demander l'évaluation de son incapacité à hauteur de 18 %, telle que retenue par l'expert judiciaire et son incapacité ne saurait en tout état de cause être inférieure à 10 % pour le seul traumatisme du rachis qui représente à lui seul un taux d'incapacité de 10 % et dont l'imputabilité au service ne peut être contestée.


Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête de Mme A... en ce qui concerne les deux infirmités " Discopathie dégénérative de C4-C5, sans conflit disco-radiculaire avec légère raideur" et " Raideur lombaire avec distance doigts-sol à 25 cm et sensibilité des amplitudes de fin de course ", et laisse à la cour le soin de décider si la 3ème infirmité " Syndrome rachidien sur fracture-tassement de la partie antéro-supérieure du corps vertébral de T12 " permet d'accorder une pension militaire d'invalidité de 10 % à la requérante à compter du 25 septembre 2014, date à laquelle sa demande de pension a été enregistrée.

Elle soutient que :

- l'infirmité identifiée sous la dénomination " Séquelles traumatiques du rachis " se décline en trois infirmités distinctes ;
- les taux d'invalidité des deux infirmités " Discopathie dégénérative de C4-C5, sans conflit disco-radiculaire avec légère raideur " et " Raideur lombaire avec distance doigts-sol à 25 cm et sensibilité des amplitudes de fin de course ", sont inférieurs à 10 % de sorte qu'ils ne peuvent ouvrir droit à pension en vertu des articles L. 4 et L. 5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.

La ministre des armées a présenté un mémoire, enregistré le 14 septembre 2021, par lequel elle conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens. Ce mémoire n'a pas été communiqué.


Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 décembre 2019.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif pris pour l'application de l'article 51 de la loi n° 2018-607 ;
-la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., épouse B..., née le 29 octobre 1987, s'est engagée dans l'armée de terre en qualité de militaire du rang le 5 septembre 2011 et a été radiée des contrôles d'office pour réforme définitive le 14 octobre 2017. Elle a été victime d'une blessure en service le 24 octobre 2011 lors d'une séance d'apprentissage en chutant de l'échelle de corde à une hauteur de 5 mètres. Elle a sollicité le 25 septembre 2014 une pension militaire d'invalidité. Par décision du 28 novembre 2016, le ministre de la défense a rejeté sa demande au motif que le taux d'invalidité pour " séquelles traumatiques du rachis ", après expertise médicale réglementaire, est inférieur au minimum indemnisable de 10% requis pour l'ouverture du droit à pension. Mme A... a contesté cette décision et par un jugement du 10 novembre 2017, le tribunal des pensions militaires de la Marne a ordonné, avant-dire droit, une expertise médicale, laquelle a donné lieu à un rapport rendu le 28 novembre 2018. Mme A... relève appel du jugement du 6 septembre 2019 par lequel le tribunal des pensions de la Marne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 28 novembre 2016 par laquelle le ministre de la défense a refusé de faire droit à sa demande de pension militaire d'invalidité.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa rédaction applicable au litige : " Ouvrent droit à pension :1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ;(...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. Il est concédé une pension :1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ;(...) ". Enfin aux termes de l'article L.6 du même code : " La pension prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé après examen, à son initiative, par une commission de réforme selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. ".

3. Il résulte de l'instruction et plus particulièrement de l'expertise judiciaire et de l'expertise du conseiller technique auprès de l'administration centrale que Mme A... présente non une mais trois infirmités distinctes : un syndrome rachidien, des raideurs lombaires et une discopathie C4-C5.

En ce qui concerne les infirmités " raideur lombaire douloureuse " et " discopathie C4-C5 avec raideur persistante " :

4. Mme A... a sollicité une pension militaire d'invalidité auprès de la sous-direction des pensions par un formulaire signé le 25 septembre 2014 et reçu le 2 octobre 2014. Le médecin expert, nommé par le tribunal, qui a déposé son rapport le 28 novembre 2018, a attribué pour l'infirmité " raideur lombaire douloureuse " un taux de 5 % et pour l'infirmité " discopathie C4-C5 avec raideur persistante" un taux de 3%. Le médecin chef de l'armée, conseiller technique auprès de l'administration centrale a attribué, dans son rapport du 5 avril 2019 un taux inférieur à 10 % à ces deux infirmités qu'il a intitulé " Discopathie dégénérative de C4-C5, sans conflit disco-radiculaire avec légère raideur " et " Raideur lombaire avec distance doigts-sol à 25cm et sensibilité des amplitudes de fin de course ". Ainsi, les avis de l'expert judiciaire et celui du médecin en chef de l'armée sont concordants et confirment un taux d'invalidité inférieur à 10 % pour ces deux infirmités. Si Mme A... soutient que ces infirmités sont en lien avec son accident de service du 24 octobre 2011, ce qui n'est au demeurant pas contesté, elle ne discute pas le taux d'invalidité retenu. Dans la mesure où ces deux infirmités présentent un taux d'invalidité inférieurs à 10 %, la circonstance qu'elles soient imputables à l'accident de service du 24 octobre 2011 est en tout état de cause sans incidence car il résulte de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre précité au point 2 que seules ouvrent droit à pension les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. Par suite, c'est par une exacte application des dispositions précitées de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre que le ministre de la défense a refusé à Mme A... un droit à pension au titre de ces infirmités.

En ce qui concerne l'infirmité " syndrome rachidien post-traumatique " :

5. Il résulte de l'instruction que l'expert judiciaire a constaté dans son rapport du 28 novembre 2018, s'agissant de l'infirmité " syndrome rachidien post-traumatique " que " l'on peut logiquement imputer à cet accident [du 24 octobre 2011 ] des troubles du rachis cervical puisque sur le bilan d'urgence il avait été effectué des radiographies du rachis cervical témoignant d'une suspicion d'un traumatisme à ce niveau " et il a souligné que " ce traumatisme rachidien a été incomplètement exploré et sûrement mal évalué à chaud avec une absence d'immobilisation et une absence d'exploration complète ". Cette infirmité a été évaluée à 10% par l'expert judiciaire et le médecin en chef. La ministre des armées admet, dans le cadre de la présente procédure, qu'il est médicalement concevable que la " fracture de la vertèbre T12 ", très localisée, ait pu passer inaperçue lors des radiographies simples, réalisées le jour de l'accident et ne conteste pas le taux retenu. Dans ces conditions, c'est à tort que le ministre de la défense a refusé à Mme A... une pension militaire d'invalidité de 10 % pour cette infirmité.

6. Il résulte de ce tout ce qui précède que Mme A... est fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de la Marne du 6 septembre 2019 en tant seulement qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de la défense en date du 28 novembre 2016 lui refusant le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité du " syndrome rachidien post-traumatique " au taux d'invalidité de 10%.

Sur les intérêts :

7. Le versement des arrérages de cette pension relative à l'infirmité du " syndrome rachidien post-traumatique " sera assorti des intérêts au taux légal, à compter de la date de réception de la demande de pension, soit le 2 octobre 2014.

Sur les dépens :

8. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de tout autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat ". Aux termes de l'article 24 de la loi du 10 juillet 1991 : " Les dépenses qui incomberaient au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle s'il n'avait pas cette aide sont à la charge de l'Etat (...) ". Aux termes de l'article 42 de la même loi : " Lorsque le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle est condamné aux dépens ou perd son procès, il supporte exclusivement la charge des dépens effectivement exposés par son adversaire, sans préjudice de l'application éventuelle des dispositions de l'article 75. / Le juge peut toutefois, même d'office, laisser une partie des dépens à la charge de l'Etat. /(...)".

9. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale le 5 décembre 2019. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais de l'expertise ordonnés par le tribunal des pensions militaires de la Marne dans son jugement avant-dire droit du 10 novembre 2017, à la charge définitive de l'Etat. La requérante est par suite également fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal des pensions de la Marne contesté en tant qu'il a laissé les dépens à sa charge.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Zawada, avocate de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Zawada de la somme de 1 500 euros

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 6 septembre 2019 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de la Marne est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de Mme A... tendant à lui accorder le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité du " syndrome rachidien post-traumatique" et en tant qu'il a laissé les dépens à la charge de Mme A....

Article 2 : La décision du 28 novembre 2016 du ministre de la défense est annulée en tant qu'il a rejeté la demande de Mme A... tendant à lui accorder le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " syndrome rachidien post traumatique ".

Article 3 : Il est attribué à Mme A... une pension militaire d'invalidité au taux de 10% en ce qui concerne l'infirmité " syndrome rachidien post-traumatique ", à compter du 2 octobre 2014, date de dépôt de sa demande de pension militaire d'invalidité.
Article 4 : : L'Etat versera à Mme A... les intérêts au taux légal sur les arrérages de sa pension militaire d'invalidité relative à l'infirmité " syndrome rachidien post-traumatique ", à compter du 2 octobre 2014, date de dépôt de sa demande de pension militaire d'invalidité.
Article 5 : Les frais et honoraires d'expertise sont mis à la charge définitive de l'Etat.
Article 6 : L'Etat versera à Me Zawada, avocate de Mme A..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et à la ministre des armées.




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N° 19NC03205