Conseil d'État, 7ème chambre, 25/10/2021, 449175, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision25 octobre 2021
Num449175
Juridiction
Formation7ème chambre
RapporteurMme Mélanie Villiers
CommissaireMme Mireille Le Corre
AvocatsSCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Vu la procédure suivante :

Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la Ville de Paris à lui verser, au titre des préjudices indemnisés de M. E... A..., pompier, la somme de 167 362,70 euros avec intérêts de droit à compter de la date de réception de la demande préalable. Par un jugement n° 1410705 du 20 avril 2017, le tribunal a partiellement fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 17VE01935 du 24 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du préfet de police de Paris, annulé ce jugement, déclaré nul et non avenu, au titre de la connexité, le jugement n° 1110068 du 22 mai 2014 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, renvoyé l'affaire à ce tribunal administratif et rejeté l'appel incident du FGTI et les conclusions de la ministre des armées tendant à la mise hors de cause de l'Etat.

Par un pourvoi, enregistré le 28 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre des armées demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de la mettre hors de cause.




Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la défense ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Mélanie Villiers, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 7 décembre 2007, M. A..., membre de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, a, des suites de l'aspersion d'un produit désinfectant par son collègue M. D... C..., été gravement brûlé aux membres inférieurs alors qu'il se trouvait dans un véhicule de premier secours circulant dans le ressort de la commune de Montrouge. M. C... a été condamné par un jugement du tribunal correctionnel de Versailles du 1er avril 2009 à une peine de dix mois d'emprisonnement avec sursis pour blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 18 mars 2010. Sur décision de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions du 28 janvier 2011, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a versé à M. A... la somme de 167 362,70 euros en réparation de ses préjudices. Par un premier jugement du 22 mai 2014, devenu définitif, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande du FGTI tendant à la condamnation de l'Etat à lui rembourser cette somme. Par un second jugement du 20 avril 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la Ville de Paris à verser au FGTI une somme de 73 053,23 euros au titre des préjudices subis par M. A... non réparés par sa pension militaire d'invalidité, ainsi qu'une indemnité égale à la différence, si elle était positive, entre la somme de 55 993,80 euros et le montant de la pension effectivement versée. Par un arrêt du 24 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du préfet de police de Paris et appel incident du FGTI, annulé le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 20 avril 2017, déclaré nul et non avenu son jugement du 22 mai 2014, renvoyé l'affaire à ce tribunal, rejeté les conclusions présentées par le FGTI par la voie de l'appel incident et rejeté les conclusions de la ministre des armées tendant à sa mise hors de cause. La ministre des armées se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'accident subi par M. A... est survenu alors que l'intéressé et ses collègues étaient de retour de l'hôpital Saint-Joseph, où ils avaient déposé un piéton renversé à Montrouge, et que le chef d'agrès venait d'aviser le régulateur du centre de secours de la disponibilité de l'engin pour une nouvelle intervention. C'est par suite au prix d'une dénaturation des faits de l'espèce que la cour administrative d'appel de Versailles a retenu que cet accident n'était pas survenu à l'occasion de l'exercice de missions d'assistance et de secours en urgence dans une commune de la petite couronne ou dans la Ville de Paris. Son arrêt doit être annulé pour ce motif, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.

3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

4. Aux termes de l'article 706-11 du code de procédure pénale, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions " est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes (...) ".

5. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires victimes d'un accident de service peuvent prétendre, au titre de l'atteinte qu'ils ont subie dans leur intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Toutefois, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre l'Etat, dans le cas notamment où l'accident serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité. Pour déterminer si l'accident de service ayant causé un dommage à un militaire est imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, de sorte que ce militaire soit fondé à engager une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale par l'Etat de l'ensemble du dommage, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de rechercher si l'accident est imputable à une faute commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service.

6. Aux termes de l'article L. 2521-3 du code général des collectivités territoriales : " Le préfet de police de Paris est chargé du secours et de la défense contre l'incendie dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne / (...) ". Aux termes de l'article R. 2521-2 du même code : " La brigade de sapeurs-pompiers de Paris assure sa mission dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. / A cet effet, elle est à la disposition du préfet de police de Paris ". Aux termes de l'article R. 3222-13 du code de la défense, la brigade de sapeurs-pompiers de Paris est " une unité militaire de sapeurs-pompiers de l'armée de terre appartenant à l'arme du génie ". Elle est, en vertu de l'article R. 1321-19 de ce code, " placée pour emploi sous l'autorité du préfet de police " et " chargée de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies, à Paris et dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne (...) ".

7. Il résulte des dispositions citées au point 6 que le préfet de police de Paris est chargé de l'organisation et du fonctionnement du service public de secours et de défense contre l'incendie dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, pour lequel il dispose de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Dès lors, en vertu des principes énoncés au point 5, l'indemnisation des préjudices subis par les militaires de cette brigade des suites d'un accident de service, autres que ceux que la pension militaire d'invalidité a pour objet de réparer, incombe à l'Etat pris en la personne du préfet de police de Paris, représentant du ministre de l'intérieur. Il en va de même, dans le cadre d'une action de droit commun, de la réparation intégrale de l'ensemble des préjudices résultant d'un tel accident, dans le cas notamment où celui-ci serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que, d'une part, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la Ville de Paris à verser au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions une indemnisation des préjudices subis par M. A... et non réparés par la pension militaire qui lui a été servie, d'autre part, la ministre des armées est fondée à demander sa mise hors de cause en tant qu'employeur de l'intéressé.

9. En raison de la contrariété existant entre ce qui vient d'être dit et le jugement du 22 mai 2014 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions dirigée contre l'Etat au motif qu'elle était mal dirigée, il y a lieu de déclarer ce jugement nul et non avenu, et de renvoyer la présente affaire au tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Il y a également lieu, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions présentées par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions par la voie de l'appel incident et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 24 novembre 2020 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : Le jugement du 20 avril 2017 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 3 : Le jugement du 22 mai 2014 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est déclaré nul et non avenu.
Article 4 : La présente affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Article 5 : Les conclusions présentées par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions par la voie de l'appel incident et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La ministre des armées est mise hors de cause.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la ministre des armées, au préfet de police de Paris et au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et à la Ville de Paris.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 octobre 2021 où siégeaient : M. Gilles Pellissier, assesseur, présidant ; M. Mathieu Herondart, conseiller d'Etat et Mme Mélanie Villiers, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 25 octobre 2021.



Le président :
Signé : M. Gilles Pellissier
La rapporteure :
Signé : Mme Mélanie Villiers
La secrétaire :
Signé : Mme B... F...


ECLI:FR:CECHS:2021:449175.20211025