CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 29/12/2021, 19BX04892, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision29 décembre 2021
Num19BX04892
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurMme Anne MEYER
CommissaireMme GALLIER
AvocatsDAVOUS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal des pensions de Bordeaux d'annuler
la décision du 19 décembre 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande
de révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité d'hépatite
C chronique, et de fixer le taux de sa pension à 40 %.

Par un jugement du 16 octobre 2019, le tribunal a annulé la décision du 19 décembre 2018 et a enjoint à l'Etat de porter le taux de la pension à 40 % à compter du 10 octobre 2016.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 décembre 2019 et un mémoire enregistré
le 9 octobre 2020, la ministre des armées demande à la cour d'annuler ce jugement.

Elle soutient que :
- le jugement n'est pas motivé en droit, ce qui l'entache d'irrégularité ;
- les malaises et chutes allégués ont partiellement pour origine un éthylisme chronique important non imputable au service, et l'expert conclut que le pronostic semble plus lié à l'état général précaire qu'à la cirrhose ; eu égard à la disparition de la charge virale à la fin de l'année 2016 et en l'absence de signe clinique d'aggravation, c'est à tort que le tribunal a fait droit à la demande de M. C... en lui accordant un droit supplémentaire à pension de 10 % ;
- elle ne peut valider la proposition de l'expert dont l'analyse ne fait ressortir aucun élément médical objectif permettant de caractériser une aggravation par rapport à la précédente expertise qu'il avait réalisée le 6 avril 2010 ; le médecin chargé des pensions militaires ne confirme pas l'aggravation en l'absence de description de l'état de l'intéressé et en raison de l'éthylisme chronique important décrit lors d'une instance antérieure ; la commission consultative a également constaté l'absence d'aggravation en raison de la disparition de la charge virale et d'un éthylisme chronique massif et ancien ; les expertises des 8 août 2014
et 6 avril 2010, ainsi que l'attestation du 15 juillet 2009, établissent que l'éthylisme a contribué à produire des effets néfastes sur l'état de santé de M. C....

Par des mémoires en défense enregistrés le 1er mai 2020 et le 11 février 2021,
M. C..., représenté par Me Davous, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il fait valoir que :
- le jugement est suffisamment motivé, et à titre subsidiaire, la cour pourra régler le litige par la voie de l'évocation ;
- l'aggravation de sa pathologie ressort des différents documents médicaux produits, notamment du rapport d'expertise du 25 mai 2018 ; le traitement qu'il a suivi à la fin de l'année 2016 et au début de l'année 2017 et le certificat médical du 30 août 2016 démontrent l'existence d'une aggravation ;
- aucun éthylisme ne peut lui être reproché à la date de la demande de révision de sa pension.

M. C... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 février 2020.

Vu :
- les autres pièces du dossier.

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,


Considérant ce qui suit :

1. M. C... est titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive, concédée au taux de 30 % par arrêté du 21 juin 2010, avec jouissance à compter du 26 mars 2010, pour l'infirmité d'hépatite C chronique contractée lors d'une vaccination le 7 juillet 1979 dans le cadre de son service national. Le 10 octobre 2016, il a sollicité la révision de cette pension pour aggravation, ainsi que le bénéfice des dispositions de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre relatives à l'allocation pour tierce personne. Par une décision du 19 décembre 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande. Par un jugement du 16 octobre 2019, le tribunal des pensions de Bordeaux, saisi par M. C..., a pris acte du désistement de ce dernier relatif à la demande présentée au titre de l'article L. 18, a annulé la décision rejetant la demande de révision de la pension au titre de l'aggravation de l'infirmité d'hépatite C chronique, et a enjoint à l'Etat de porter le taux de la pension à 40 % à compter
du 10 octobre 2016. La ministre des armées relève appel de ce jugement.


Sur la régularité du jugement :

2. Au nombre des règles générales de procédure que les juridictions des pensions sont tenues de respecter figure celle selon laquelle leurs décisions doivent mentionner les textes dont elles font application. En l'espèce, le jugement attaqué, qui ne fait référence à aucune disposition législative ou réglementaire, ne comporte aucune motivation en droit. Par suite, il est irrégulier et doit être annulé en tant qu'il a statué sur la demande de révision de la pension militaire d'invalidité de M. C....

3. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal des pensions militaires de la Gironde.


Sur la légalité de la décision de rejet de la demande de révision de la pension
de M. C... :

4. Aux termes de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre applicable à la date de la demande : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins du pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif. "

5. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise réalisée le 6 avril 2010, que le taux de 30 % de la pension concédée à titre définitif par arrêté du 21 juin 2010 correspondait à une hépatite C chronique de type 1B active avec une charge virale élevée, que le dernier contrôle échographique montrait alors un aspect d'hépatomégalie hyperéchogène sans image nodulaire ni signe évocateur d'une hypertension portale, et que le patient, dont l'examen clinique était normal, était sans doléance digestive particulière en dehors d'une asthénie survenant par poussées intermittentes. L'expert avait cependant signalé une comorbidité avec une exogénose rendant compte en partie des perturbations biologiques hépatiques, notamment de la cytolyse, de l'élévation des Gamma GT et de la ferritinémie élevée, et relevé que le bilan biologique réalisé en janvier 2010, au décours de trois mois d'arrêt de toute boisson alcoolisée, retrouvait
une normalisation des transaminases et des Gamma GT, ainsi qu'une baisse de la ferritinémie. Une expertise ultérieure, réalisée le 8 août 2014 en vue de la reconnaissance d'un droit à pension pour des troubles psychologiques, a conclu que l'altération psychologique était liée à des troubles de la personnalité aggravés par un alcoolisme chronique. Lors de l'expertise réalisée
le 25 août 2018 pour l'évaluation de l'aggravation de l'infirmité pensionnée, M. C..., dont l'hépatite C chronique avait évolué en 2016 au stade F4 de cirrhose, et qui avait bénéficié
fin 2016 et début 2017 d'un traitement antiviral ayant permis de rendre les charges virales négatives, se plaignait d'une asthénie majeure et de malaises avec chutes, et présentait une hyperferritinémie nécessitant la réalisation de saignées. L'expert a conclu que le pronostic d'évolution de l'état de santé de l'intéressé semblait davantage lié à un état général précaire qu'à la cirrhose qui devrait régresser grâce à la thérapie antivirale C. Si M. C... fait valoir qu'aucun éthylisme ne pouvait lui être reproché à la date de la demande de révision de sa pension, soit le 10 octobre 2016, d'une part, il n'apporte aucun commencement de preuve du sevrage allégué au-delà de la brève période de trois mois à la fin de l'année 2009 mentionnée par l'expertise réalisée en 2010, et d'autre part, l'état général précaire dont l'expert a tenu compte
le 25 août 2018 pour porter le taux d'invalidité de 30 % à 40 % est imputable, au moins partiellement, à un éthylisme dont les pièces produites par la ministre des armées établissent le caractère massif et ancien. Par suite, l'aggravation de l'infirmité pensionnée en lien avec la maladie originelle est nécessairement inférieure à 10 %, et n'ouvre donc pas droit à une révision de la pension. Il s'ensuit que la demande présentée par M. C... devant le tribunal des pensions de Bordeaux doit être rejetée.


Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

6. M. C..., qui est la partie perdante dans la présente instance, n'est pas fondé à demander l'allocation d'une somme au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.









DÉCIDE :





Article 1er : Le jugement du tribunal des pensions de Bordeaux du 16 octobre 2019 est annulé en tant qu'il a statué sur la demande de révision de la pension militaire d'invalidité de M. C....
Article 2 : La demande de révision pour aggravation de la pension militaire d'invalidité
de M. C... présentée devant tribunal des pensions de Bordeaux et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. A... C....
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Nathalie Gay, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2021.


La rapporteure,
Anne B...
La présidente,
Catherine GiraultLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 19BX04892