CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 03/02/2022, 19BX04455, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal des pensions militaires de Bordeaux d'annuler la décision du 29 janvier 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande tendant à l'octroi d'une pension militaire d'invalidité.
Par un jugement n°18/00015 du 21 mars 2019, le tribunal des pensions de Bordeaux a rejeté la requête.
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 mai et 27 août 2019, M. C..., représenté par Me Bouchon, a demandé à la cour régionale des pensions militaires de Bordeaux :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, d'ordonner une expertise médicale ;
3°) à titre subsidiaire, d'annuler la décision du 29 janvier 2018 de la ministre des armées ;
4°) d'enjoindre à la ministre des armées de lui accorder une pension militaire d'invalidité à compter du 11 juillet 2016.
Il soutient que :
- le tribunal a omis de statuer sur sa demande d'expertise ; il convient d'ordonner une expertise afin de déterminer son taux d'invalidité en tenant compte, non pas seulement de son déficit fonctionnel permanent, mais aussi de ses préjudices professionnels ; du fait de son infirmité, il a perdu le bénéfice de la prime de contrôle et une année de notation ; il ne peut en outre plus partir en opération extérieure, ce qui lui cause un préjudice financier non négligeable ; il subit un préjudice de carrière lié à l'impossibilité d'accéder au grade supérieur d'officier ou au grade de major ; il doit par ailleurs s'acquitter de séances d'ostéopathie et de posturologie qui ne sont pas remboursées ; ces éléments doivent être intégrés dans le calcul de son taux d'invalidité ;
- son infirmité doit être qualifiée de blessure, et non pas de maladie ; l'infirmité est apparue soudainement, lors du déménagement, en septembre 2012, de son poste de travail dans un " shelter " de contrôle de type ALGECO, bas de plafond et inadapté à sa stature ; il ne présentait pas d'état pathologique préexistant, et a ressenti aussitôt les effets de ce changement de poste de travail ; son dossier mentionne la consultation médicale du 23 avril 2013 ; c'est à cette date que le lien entre ses maux de dos et le déménagement de son poste de travail a été reconnu ;
- il présente bien des lésions au sens médical ; l'imputabilité de ces lésions au service n'est pas contestable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2019, la ministre des armées a conclu au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le tribunal n'avait pas à statuer expressément sur la demande d'expertise ; en statuant au fond sur la qualification de l'infirmité, il a implicitement rejeté cette demande comme superfétatoire ;
- la pathologie au titre de laquelle l'octroi d'une pension a été sollicité ne trouve pas son origine dans une lésion soudaine et précise ; elle a été causée par l'affectation temporaire dans des Algéco, non adaptés à la taille du requérant, et par les contraintes positionnelles ainsi engendrées ;
- le requérant présentait, avant ce changement de poste de travail, des pathologies
dorso-lombaires, sans lien avec le service ;
- l'article L. l25-l du code des pensions militaires d'invalidité dont se prévaut le requérant est entré en vigueur le 1er janvier 2017, postérieurement à sa demande de pension, présentée le 11 janvier 2016 ; cet article prévoit que le taux d'invalidité reconnu à chaque infirmité examinée couvre l'ensemble des troubles fonctionnels et l'atteinte à l'état général.
Par un arrêt n°19/00007 du 15 octobre 2019, la cour régionale des pensions militaires de Bordeaux a ordonné avant dire droit une expertise médicale pour déterminer l'imputabilité au service des dorso-lombalgies dont souffre l'intéressé, dire si elles entraînent une invalidité et, dans l'affirmative, déterminer le taux d'invalidité au vu du guide barème des invalidités annexé au code des pensions militaires d'invalidité en tenant compte non seulement du déficit fonctionnel mais également de l'incidence professionnelle qui en résulterait.
L'expert désigné par la cour régionale des pensions militaires de Bordeaux a remis son rapport le 10 février 2020.
Procédure devant la cour :
Par un acte de transmission des dossiers, en application des dispositions du
décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif, la cour administrative d'appel de Bordeaux a été saisie de la requête de
M. C..., enregistrée sous le n° 19BX04455.
Par des mémoires enregistrés les 7 mai 2019, 27 mars 2020 et 3 février 2021,
M. C..., représenté par Me Bouchon, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires de Bordeaux
du 21 mars 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 29 janvier 2018 de la ministre des armées ;
3°) d'enjoindre à la ministre des armées de lui accorder une pension militaire d'invalidité à compter du 11 juillet 2016.
Il soutient que :
- le tribunal a omis de statuer sur sa demande principale tendant à ce que soit ordonnée une expertise médicale ;
- son taux d'invalidité est de 30 %, ainsi que cela résulte de l'expertise ordonnée
avant-dire droit par la cour régionale des pensions ; ce taux tient compte de l'incidence professionnelle de sa pathologie ; sa maladie lui ouvre ainsi droit à l'octroi d'une pension d'invalidité ;
- il abandonne son argumentation selon laquelle son infirmité résulterait d'une blessure et non d'une maladie.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 octobre 2020, 9 mars 2021 et
12 avril 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- il convient de se placer à la date de la demande de pension, soit le 11 janvier 2016, pour déterminer le droit de M. C... à l'octroi d'une pension ; en vertu de l'article L. 26 du code des pensions militaires d'invalidité, applicable à cette date, l'évaluation de l'invalidité est faite en fonction de la gêne fonctionnelle et de l'atteinte à l'état général ; les préjudices professionnels ne sont pas pris en compte dans cette évaluation ;
- en l'espèce, le taux de 20 % d'invalidité fonctionnelle a été confirmé par l'expertise ordonnée avant-dire droit ; or, et ainsi que le reconnaît désormais M. C..., sa pathologie relève d'une maladie ; son taux d'invalidité est ainsi inférieur au minimum indemnisable ;
- le taux de 10 % retenu par l'expert pour le " retentissement professionnel " relève, le cas échéant, d'une indemnisation distincte au titre d'une action de droit commun.
Par une ordonnance du 22 mars 2021, la clôture d'instruction a été fixée
au 12 avril 2021.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 6 juin 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bouchon, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., adjudant dans l'armée de l'air, a sollicité le 11 janvier 2016 l'octroi d'une pension militaire d'invalidité au titre d'une pathologie dorsolombaire causée, selon lui, par son affectation, à partir de septembre 2012, dans un bureau modulaire dont les dimensions étaient inadaptées à sa stature. Par une décision du 29 janvier 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande au motif que le taux d'invalidité résultant de cette infirmité, évalué à 20 %, était inférieur au minimum indemnisable de 30 % s'agissant d'une maladie contractée en temps de paix. M. C... a relevé appel du jugement du 21 mars 2019 par lequel le tribunal des pensions militaires de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision. Par un arrêt du 15 octobre 2019, la cour régionale des pensions militaires de Bordeaux a ordonné avant-dire droit une expertise médicale, dont le rapport a été déposé le 10 février 2020.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Pour rejeter la demande de première instance tendant à l'annulation du refus de pension en litige, le tribunal, se fondant sur l'absence de preuve de ce que la pathologie dorso-lombaire de M. C... trouverait son origine dans un fait précis de service, a écarté l'unique moyen alors soulevé par l'intéressé, tiré de ce que son infirmité résultait d'une blessure et non pas d'une maladie. Le tribunal a ainsi implicitement mais nécessairement rejeté la demande d'expertise médicale présentée par M. C.... Le moyen tiré de ce qu'il aurait omis de statuer sur cette demande doit, par suite, être écarté.
Sur le droit à pension de M. C... :
3. Aux termes de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa version applicable au présent litige : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. Il est concédé une pension : 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples (...) ". Aux termes de l'article L. 9 : " (...) Le taux de la pension définitive ou temporaire est fixé, dans chaque grade, par référence au degré d'invalidité apprécié de 5 en 5 jusqu'à 100 % (...) ". Aux termes de l'article L. 10 : " Les degrés de pourcentage d'invalidité (...) correspondent à l'ensemble des troubles fonctionnels et tiennent compte, quand il y a lieu, de l'atteinte de l'état général ". Aux termes de l'article L. 26 : " Toute décision administrative ou judiciaire relative à l'évaluation de l'invalidité doit être motivée par des raisons médicales et comporter, avec le diagnostic de l'infirmité, une description complète faisant ressortir la gêne fonctionnelle et, s'il y a lieu, l'atteinte de l'état général qui justifient le pourcentage attribué ".
4. Les dispositions précitées du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les militaires victimes d'un accident de service ou atteints d'une maladie professionnelle peuvent prétendre au titre de l'atteinte qu'ils ont subie dans leur intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Si la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, notamment, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique, il résulte des dispositions précitées des articles L. 9, L. 10 et L. 26 du même code que le taux d'invalidité est évalué en fonction de l'atteinte physique, sans prendre en compte les préjudices d'ordre professionnel.
5. En l'espèce, il résulte notamment de l'expertise diligentée dans le cadre de l'instruction de la demande de pension de M. C... et de l'expertise ordonnée avant-dire droit par la cour régionale des pensions militaires de Bordeaux, que l'invalidité physique résultant de la pathologie dorsolombaire de l'intéressé doit être évaluée au taux de 20 %. Contrairement à ce que soutient le requérant, son taux d'invalidité au sens des dispositions précitées ne saurait être majoré en fonction de ses préjudices professionnels, quand bien même l'expert aurait cru pouvoir l'affirmer, sans donner d'ailleurs aucune justification à cette opinion. Par ailleurs, M. C... a expressément abandonné, en cours d'instance, son moyen tiré de ce que l'infirmité en cause résultait, non pas d'une maladie, mais d'une blessure. Dans ces conditions, le taux d'invalidité de l'infirmité dont souffre M. C... est inférieur à 30 % et n'atteint ainsi pas le taux indemnisable au sens des dispositions précitées de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de Bordeaux a rejeté sa demande.
7. M. C... étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, les frais de l'expertise ordonnée par la cour régionale de pensions de Bordeaux, liquidés et taxés à la somme
de 460 euros par ordonnance de la présidente de la cour du 25 mai 2020, doivent être mis à la charge définitive de l'État.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Les frais de l'expertise ordonnée par la cour régionale des pensions de Bordeaux, liquidés et taxés à la somme de 460 euros par ordonnance de la présidente de la cour
du 25 mai 2020, sont mis définitivement à la charge de l'État.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à la ministre des armées. Une copie en sera adressée à M. B..., expert.
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 février 2022.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX04455