CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 22/03/2022, 19MA05719, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal des pensions de Bastia d'annuler la décision du 21 novembre 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de révision pour aggravation et infirmités nouvelles de sa pension militaire d'invalidité.
Par un jugement n° 13/00010 du 19 mai 2014, le tribunal des pensions de Bastia a fait droit à sa demande en lui reconnaissant un droit à pension pour quatre infirmités nouvelles.
Procédure devant la Cour :
La cour régionale des pensions de Bastia a transmis à la cour administrative d'appel de Marseille, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité, la procédure faisant suite au recours du ministre de la défense, enregistré au greffe de la cour régionale des pensions de Bastia le 7 juillet 2014.
Par ce recours, maintenu par un mémoire enregistré le 4 novembre 2020, et un mémoire après expertise enregistré le 1er février 2022, la ministre des armées demande à la Cour d'annuler ce jugement du tribunal des pensions de Bastia du 19 mai 2014.
Elle soutient que :
- la preuve d'un lien direct et déterminant de cause à effet entre les infirmités constatées et le service n'est pas rapportée au sens des articles L.2 et L.3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.
Par un arrêt avant-dire-droit du 16 mars 2015, la cour régionale des pensions de Bastia a ordonné une expertise.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du
4 décembre 2014.
Vu :
- le rapport d'expertise enregistré le 17 décembre 2021 ;
- l'ordonnance de la présidente de la Cour, en date du 7 février 2022, taxant et liquidant les frais d'expertise à la somme de 1 000 euros ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018, notamment l'article 51 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Badie,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., né le 26 mai 1937, engagé le 1er juillet 1957 et rayé des contrôles le
3 avril 1985, est titulaire d'une pension militaire définitive mixte concédée par un arrêté du
9 juillet 2012, au taux global de 100% à compter du 24 février 2006. Il en a demandé la révision, le 10 janvier 2011, au titre notamment de quatre infirmités nouvelles, " périarthrite scapulo- humérale droite", " épicondylite et signe de Tinel droit ", " syndrome du canal carpien droit " et " arthrose pouce droit ". Le ministre de la défense a rejeté cette demande par une décision du
21 novembre 2012 au motif que ces infirmités entrainent chacune un taux d'invalidité inférieur à 10%. Par un jugement du 19 mai 2014, dont le ministre relève appel, le tribunal des pensions de Bastia a reconnu à M. C... un droit à pension au taux de 10% pour chacune de ces infirmités nouvelles.
2. Aux termes aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa version applicable au litige : " Ouvrent droit à pension :
/ 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée (...) " . L'article L. 25 de ce code précise que : " Toute décision comportant attribution de pension doit être motivée et faire ressortir les faits et documents ou les raisons d'ordre médical établissant que l'infirmité provient de l'une des causes indiquées à l'article L. 2 ou lorsque la pension est attribuée par présomption le droit de l'intéressé à cette présomption et l'absence de preuve contraire. / Toute décision comportant rejet de pension doit être également motivée et faire ressortir qu'il n'est pas établi que l'infirmité provient de l'une des causes indiquées à l'article L. 2, ou, lorsque l'intéressé a droit à la présomption, les faits, documents ou raisons d'ordre médical dont résulte la preuve contraire détruisant cette présomption. / La notification des décisions prises en vertu de l'article L. 24, premier alinéa, du présent code, doit mentionner que le délai de recours contentieux court à partir de cette notification et que les décisions confirmatives à intervenir n'ouvrent pas de nouveau délai de recours. ". Il résulte des dispositions combinées des articles L. 2 et L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre que, lorsqu'une affection n'a pas été régulièrement constatée par un document émanant de l'autorité militaire, dans le délai permettant de faire jouer la présomption légale d'imputabilité au service, l'intéressé ne peut obtenir de pension qu'en apportant la preuve de l'existence d'un lien direct et certain de cause à effet entre l'origine ou l'aggravation de cette affection et une blessure reçue, un accident éprouvé ou une maladie contractée " par le fait ou à l'occasion du service ".
3. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que, diagnostiqués en 2011, les troubles dont souffre M. C... qui sont à l'origine des infirmités au titre desquelles il demande une pension d'invalidité, ont été constatés, dans les conditions de délai prévues par les dispositions précitées, pendant la durée de son engagement. Par suite, l'intéressé ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité qu'elles prévoient.
4. En second lieu, lorsque, comme en l'espèce, la présomption légale d'imputabilité n'est pas applicable, le demandeur d'une pension doit apporter la preuve de l'existence d'une relation de causalité certaine et directe entre l'origine ou l'aggravation de l'infirmité qu'il invoque et un ou des faits précis ou circonstances particulières de service. Cette preuve ne saurait résulter d'une hypothèse médicale, d'une vraisemblance ou d'une probabilité, même forte.
5. Il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté par l'administration, qu'alors en service, M. C... a été victime le 20 mai 1961 d'une morsure de chacal à la main ayant nécessité une séro-vaccinothérapie. Si le tribunal des pensions de Bastia rappelle dans sa décision ces circonstances ainsi que le traitement qui s'en est suivi, mentionnés dans deux billets d'hôpital datés du 20 mai et du 28 mai 1961, il ressort de l'expertise diligentée par le
docteur A... qu'il a lui-même désigné que ce dernier n'a pu établir de lien entre les troubles invoqués et le service. Or, le docteur B..., expert désigné par la Cour d'appel
d'Aix-en-Provence, chef de service des maladies infectieuses et tropicales du centre hospitalier du Pays d'Aix, indique dans son rapport que " ce traitement a provoqué une maladie sérique qui est survenue au 11ème jour avec une asthénie résiduelle responsable de 29 jours de convalescence " et que " la maladie sérique se développe entre 7 à 21 jours après la première exposition à un médicament puis guérit spontanément sans séquelles. Elle n'est pas responsable de réaction/réactivation à distance. ". Les conclusions de ce rapport sont très claires et sans ambigüité : " Le dossier médical et les documents analysés ne permettent donc pas de retenir un lien entre l'état du membre supérieur droit en 2011, la morsure de chacal et la mauvaise tolérance de lasérothérapie qui s'en est suivie. En effet, le délai de 50 ans qui sépare la morsure et son traitement en 1961 et les troubles du membre supérieur droit décrits à partir de 2011 est beaucoup trop long pour pouvoir établir un lien de causalité. Il n'existe donc aucune preuve quant à l'existence d'un fait de service qui aurait causé ces quatre infirmités. Il n'existe pas de relation médicale directe entre la morsure du chacal de mai 1961, la maladie sérique résultant des soins d'une part et les infirmités nouvelles listées par le pensionné. ". M. C..., qui ne remet pas sérieusement en cause ces conclusions expertales, n'apporte donc pas la preuve qui lui incombe d'un lien de causalité entre le fait de service qu'il invoque et les infirmités nouvelles dont il se prévaut. Dans ces conditions, la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions de Bastia a fait droit à la demande de M. C... en lui reconnaissant un droit à pension au taux de 10% au titre de quatre infirmités nouvelles, " périarthrite scapulo humérale droite", " épicondylite et signe de Tinel droit ",
" syndrome du canal carpien droit " et " arthrose pouce droit ".
Sur les frais d'expertise :
6. D'une part, M. C... étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale par décision du 4 décembre 2014, les frais de l'expertise ordonnée par la cour régionale de Bastia et confiée à Mme le docteur B..., liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros par ordonnance de la présidente de la présente Cour du 6 juillet 2020, doivent être mis à la charge définitive de l'État. D'autre part, M. C... ayant également bénéficié de l'aide juridictionnelle totale devant le tribunal des pensions de Bastia, par une décision du 14 mars 2013, il y a lieu , comme l'avait prescrit cette juridiction, de laisser les dépens relatifs à l'expertise confiée par le tribunal à M. le docteur A..., à la charge définitive de l'Etat.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal des pensions de Bastia n° 13/00010 du 19 mai 2014 est annulé.
Article 2 : La demande de M. C... devant le tribunal des pensions de Bastia et ses conclusions présentées devant la Cour au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée par la cour régionale des pensions de Bastia et confiée à Mme le docteur B..., liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros par ordonnance de la présidente de la Cour du 6 juillet 2020, sont mis définitivement à la charge de l'État.
Article 4 : Les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal des pensions de Bastia et confiée à
M. le docteur A..., sont laissés à la charge définitive de l'État.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié a` M. D... C..., à Me Eon et à la ministre des armées.
Copie en sera adressée à l'expert devant la Cour, Mme le docteur B..., ainsi qu'à l'expert devant le tribunal, M. le docteur A....
Délibéré après l'audience du 8 mars 2022, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mars 2022.
N° 19MA05719 2