Conseil d'État, 7ème chambre, 10/06/2022, 454655, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision10 juin 2022
Num454655
Juridiction
Formation7ème chambre
RapporteurMme Elise Adevah-Poeuf
CommissaireM. Marc Pichon de Vendeuil
AvocatsCABINET ROUSSEAU, TAPIE

Vu la procédure suivante :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de la défense suite à son recours préalable devant la commission des recours des militaires du 26 février 2015 et de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 148 956 euros et de 50 000 euros au titre de ses préjudices financier et moral. Par un jugement n° 1502893 du 22 octobre 2018, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'Etat à lui verser la somme de 158 956 euros assorties des intérêts au taux légal à compter de sa demande d'indemnisation préalable du 1er décembre 2014.

Par un arrêt n° 18MA05442 du 11 juin 2021, la cour administrative de Marseille, sur un appel de la ministre des armées, a ramené la somme que la ministre des armées a été condamnée à verser à M. C... à 67 314,17 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande d'indemnisation préalable.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés le 16 juillet et le 15 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Rousseau, Tapie, avocat de M. C... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C..., lieutenant colonel de l'armée de terre, a développé, à compter de l'année 2007, des troubles anxieux et dépressifs. Par une décision du 1er décembre 2009, le ministre de la défense lui a refusé l'octroi d'une pension militaire d'invalidité au motif que sa maladie n'était pas imputable au service. Ce refus a été annulé par une décision du Conseil d'Etat n° 366628 du 22 septembre 2014. L'intéressé a alors formé le 1er décembre 2014 une demande préalable d'indemnisation des préjudices consécutifs à l'absence de reconnaissance de l'imputabilité de sa maladie au service, implicitement rejetée par le ministre de la défense. Par jugement du 22 octobre 2018, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'Etat à verser à M. C... la somme de 158 956 euros au titre de ces préjudices. Par un arrêt du 11 juin 2021, la cour administrative de Marseille, sur l'appel de la ministre des armées, a ramené cette somme à 67 314,17 euros. M. C..., qui se pourvoit en cassation contre cet arrêt, doit être regardé comme demandant l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel en tant seulement qu'il a limité l'indemnisation du préjudice lié aux pertes de pension de retraite à la somme de 4 956 euros.

2. Aux termes de l'article L. 4138 12 du code de la défense prévoit que : " Le congé de longue durée pour maladie est attribué, après épuisement des droits de congé de maladie ou des droits du congé du blessé prévus aux articles L. 4138 3 et L. 4138 3 1, pour les affections dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat. / Lorsque l'affection survient du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions ou à la suite de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, ce congé est d'une durée maximale de huit ans. Le militaire perçoit, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, sa rémunération pendant cinq ans, puis une rémunération réduite de moitié les trois années qui suivent. / Dans les autres cas, ce congé est d'une durée maximale de cinq ans et le militaire de carrière perçoit, dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat, sa rémunération pendant trois ans, puis une rémunération réduite de moitié les deux années qui suivent. (...) / Le militaire placé en congé de longue durée pour maladie continue à figurer sur la liste d'ancienneté, concourt pour l'avancement à l'ancienneté et, dans les cas visés au deuxième alinéa du présent article, pour l'avancement au choix. Le temps passé en congé est pris en compte pour l'avancement et pour les droits à pension de retraite. (...) ". Aux termes de l'article R. 4138-56 du même code : " Le militaire ayant bénéficié de la totalité de ses droits à congés de longue durée pour maladie est, s'il demeure dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, radié des cadres ou rayé des contrôles pour réforme définitive après avis de la commission mentionnée au 4° de l'article L. 4139-14. (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C... a été placé en congé de longue durée pour maladie du 7 mai 2008 au 6 mai 2013 puis a été radié des cadres d'office à compter du 6 juin 2013. Toutefois, du fait de la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie par la décision du Conseil d'Etat du 22 décembre 2014 mentionnée au point 1, M. C... aurait dû bénéficier, en application de l'article L. 4138-12 du code de la défense cité au point 2, d'une solde complète pendant une durée de cinq années à compter du 7 mai 2008 puis d'une solde diminuée de moitié pendant trois années à compter du 6 mai 2013.

4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour calculer le préjudice financier lié à la perte de rémunération subie par M. C... pendant son congé de longue durée pour maladie, la cour administrative d'appel de Marseille a reconstitué le montant de la solde que M. C... aurait dû percevoir de 2013 à 2016 en déduisant le montant de la pension de retraite qui lui a été versé au cours de cette période. Il ressortait toutefois des écritures de M. C... que ce dernier avait déduit ces mêmes sommes dans ses conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice lié à la perte de retraite consécutive à sa radiation des cadres à compter du 6 juin 2013. En condamnant l'Etat à verser à M. C... la somme de 4 956 euros au titre du préjudice lié à la perte de retraite sans tenir du compte du fait que la somme demandée par M. C... tenait déjà compte de la déduction des pensions de retraite effectivement perçues entre 2013 et 2016, la cour a dénaturé les pièces du dossier.

5. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il a limité l'indemnisation du préjudice lié aux pertes de pension de retraite à la somme de 4 956 euros.


6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, dans la limite de la cassation prononcée.

7. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'évaluation fournie par le service des retraites de l'Etat, non contestée par le requérant, qu'à la date du 8 mai 2016 à laquelle M. C... aurait dû être placé en position de retraite, l'intéressé aurait dû percevoir la somme annuelle brute de 33 119,33 euros au lieu de la somme annuelle brute de 30 493,42 euros correspondant à une pension de retraite liquidée au 2 juillet 2013, soit une perte annuelle brute de 2 625,91 euros. Au regard du coefficient de rente viagère tel qu'établi par l'administration et non contesté par M. C..., le préjudice lié à la perte de retraite subie par le requérant doit donc être évalué à la somme 85 801,61euros, et non à la somme de 89 916 euros qu'il demande.

8. M. C... a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 85 801,61euros euros à compter de la date de réception de sa demande préalable du 1er décembre 2014 par la ministre des armées.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C... de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 11 juin 2021 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il a fixé à la somme de 4 956 euros l'indemnisation du préjudice lié aux pertes de pension de retraite de M. C....
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. C... la somme de 85 801,61 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande préalable du 1er décembre 2014.
Article 3 : Le jugement du 22 octobre 2018 du tribunal administratif de Toulon est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. C... est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. B... C... et au ministre des armées.
Délibéré à l'issue de la séance du 17 mai 2022 où siégeaient : M. Gilles Pellissier, assesseur, présidant ; M. Benoît Bohnert, conseiller d'Etat et Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 10 juin 2022.


Le président :
Signé : M. Gilles Pellissier

La rapporteure :
Signé : Mme Elise Adevah-Poeuf

La secrétaire :
Signé : Mme Corinne Sak


ECLI:FR:CECHS:2022:454655.20220610