CAA de LYON, 7ème chambre, 04/08/2022, 21LY04058, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision04 août 2022
Num21LY04058
JuridictionLyon
Formation7ème chambre
PresidentM. ARBARETAZ
RapporteurMme Christine DJEBIRI
CommissaireM. CHASSAGNE
AvocatsCABINET MDMH

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'État à lui verser une indemnité de 318 865,84 euros, à parfaire, en indemnisation des préjudices que lui a causés son éviction illégale du service.

Par jugement n° 2007612 du 20 octobre 2021, le tribunal n'a fait droit à sa demande qu'à hauteur de 5 000 euros.


Procédure devant la cour

Par requête enregistrée le 13 décembre 2021, M. A..., représenté par Me Maumont, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il rejette le surplus de sa demande ;
2°) de porter la condamnation de l'État à la somme de 318 865,84 outre intérêts de droit à compter du 19 décembre 2019, capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Il soutient que :
- le jugement, qui méconnait le principe du contradictoire et est entaché d'une omission à statuer, est irrégulier ;
- faute d'avoir protégé du harcèlement moral dont il était victime et de l'avoir réintégré suite à l'annulation de la radiation des cadres, l'État a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- son préjudice moral doit être évalué à 20 000 euros, la perte de chance de pouvoir demander l'attribution d'une pension militaire d'invalidité à 10 000 euros, à parfaire, sa perte d'emploi à 48 913,92 euros, son préjudice de carrière à 20 000 euros, à parfaire, la perte de son logement de fonction à 141 582,12 euros, à parfaire, la perte de ses droits à la retraite à 73 369,80 euros, à parfaire, et ses troubles dans les conditions d'existence à 5 000 euros.

Par ordonnance du 17 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er mars 2022.

Le ministre de l'intérieur a présenté un mémoire, enregistré après la clôture de l'instruction, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la défense ;
- la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me Mougin, substituant Me Maumont, pour M. A... ;


Considérant ce qui suit :

1. M. A... gendarme affecté, en dernier lieu, à la brigade territoriale de ..., s'est plaint de harcèlement moral de la part d'un supérieur. A compter du 10 novembre 2005, il a été placé en congé de longue durée pour maladie régulièrement renouvelé jusqu'à épuisement de ses droits. Par arrêté du 17 février 2011, le ministre de l'intérieur a prononcé sa radiation des cadres pour réforme définitive à compter du 10 novembre 2010, pour inaptitude physique. Par décision du 5 août 2011, le ministre de l'intérieur a rejeté le recours administratif préalable obligatoire formé par M. A... devant la commission des recours des militaires, mais, par jugement lu le 4 mars 2015, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision, au motif qu'elle avait été prise après consultation de la commission de réforme des militaires ayant siégé dans une composition irrégulière, ne comprenant pas d'officier ou d'officier supérieur de la gendarmerie nationale. Par décisions du 20 janvier 2020 et du 7 décembre 2020, le ministre de l'intérieur a successivement rejeté la demande d'indemnisation des conséquences de cette éviction illégale, puis le recours administratif préalable obligatoire formé devant la commission des recours des militaires. M. A... relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon en tant qu'il a limité la condamnation de l'État à la somme de 5 000 euros, en indemnisation du préjudice moral né du retard à exécuter la décision de justice du 4 mars 2015.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, il ressort des visas du jugement attaqué que le premier mémoire du ministre de l'intérieur a été enregistré après clôture de l'instruction et que ni les conclusions ni les moyens qu'il contenait n'ont été analysés par le tribunal. Il suit de là que le jugement, qui ne repose pas sur la défense de l'administration, n'avait pas à être précédé de la communication dudit mémoire et n'a pas méconnu le principe du contradictoire de l'instruction organisé par l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

3. En second lieu, il ressort des motifs du jugement attaqué que le tribunal a répondu, pour l'écarter au point 4, au moyen tiré de l'engagement de la responsabilité de l'État pour fait de harcèlement moral. Par suite, le moyen tiré de l'omission à statuer manque en fait.

Sur le fond du litige :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 4123-10 du code de la défense, applicable à la protection des personnels de l'État qui, comme les gendarmes, ont la qualité de militaires : " (...) / L'État est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ". Le harcèlement moral, qui est une des manifestations de menaces et d'attaque dont un militaire peut être victime à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, engage la responsabilité de l'État, en particulier lorsque l'administration, informée, n'a pas réagi pour y mettre fin.

5. A cet égard, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

6. Pour caractériser les faits de harcèlement moral dont il soutient avoir été victime, M. A... dénonce des brimades qu'auraient exercées sur lui son commandant de brigade, une sanction de vingt jours d'arrêt et produit le témoignage de son épouse et d'amis. Il ne ressort pas, toutefois, des pièces du dossier que la sanction ait été infligée pour des faits autres que des manquements, et les manifestations de l'attitude vexatoire du supérieur hiérarchique ne sont corroborées par aucun élément objectif et vérifiable. Ne sauraient en tenir lieu, les attestations de tiers étrangers au service et qui ne font que relater ses doléances. Ainsi, les faits relatés par M. A... ne sont pas susceptibles, de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral et ne peuvent fonder une condamnation de l'État de ce chef.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 4132-56 du code de la défense : " Le militaire ayant bénéficié de la totalité de ses droits à congés de longue durée pour maladie est, s'il demeure dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, radié des cadres ou rayé des contrôles pour réforme définitive après avis de la commission mentionnée au 4° de l'article L. 4139-14 (...) ".

8. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait d'une mesure illégalement prise à son encontre, pour autant que ce préjudice présente un lien direct avec la décision illégale. Lorsqu'un agent public sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait d'une décision de retrait d'emploi entachée d'une irrégularité procédurale, il appartient au juge de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice de procédure entachant la décision administrative illégale.

9. Si la décision du 5 août 2011 ayant rejeté le recours administratif préalable exercé contre l'arrêté du 17 février 2011 ayant prononcé la radiation des cadres de M. A... est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière, il ressort des pièces du dossier que si un officier ou sous-officier supérieur de gendarmerie avait siégé au sein de la commission de réforme consultée par l'administration, l'autorité compétente, éclairée par l'avis régulièrement émis, aurait pu légalement prendre une décision de radiation pour inaptitude, les pièces médicales produites révélant une inaptitude au service persistante à l'épuisement des droits à congés de longue maladie. Il en résulte qu'aucun des préjudices allégués par M. A... ne peut être regardé comme présentant un lien direct avec l'illégalité sanctionné par le tribunal dans son jugement lu le 4 mars 2015 et que la demande de condamnation de l'État à en réparer les conséquences doit être rejetée.

10. En troisième lieu, compte tenu de l'état de santé de M. A... qui, ainsi qu'il vient d'être dit, faisait obstacle à sa reprise de service, les préjudices qu'il invoque, tirés de l'absence de reclassement immédiat, d'un retard dans le déroulement de sa carrière, de frais de logement exposés en raison de la perte de son logement pour nécessité de service, d'une perte de droits à la retraite et de troubles dans ses conditions d'existence sont dépourvus de lien avec le retard ayant affecté l'exécution de l'injonction juridictionnelle en réexamen du recours présenté contre la décision de radiation.

11. En quatrième lieu, aucun élément ne permettant de rattacher au service la pathologie dont souffre M. A... et qui aurait obligé l'État à en prendre les conséquences à sa charge, la demande d'indemnisation de la perte de chance d'allocation d'une pension militaire d'invalidité doit être rejetée, en tout état de cause, il n'établit pas qu'un tel chef de préjudice pourrait être apprécié comme en lien avec cette faute.
12. Enfin, M. A... n'établit pas en quoi l'allocation de la somme de 5 000 euros prononcée par le tribunal n'assurerait pas la réparation intégrale du préjudice moral né du retard à exécuter l'injonction juridictionnelle.

13. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a limité son indemnisation à la somme de 5 000 euros. Les conclusions indemnitaires de sa requête doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions formulées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 7 juillet 2022 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 août 2022.

La rapporteure,
C. DjebiriLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
A. Le Colleter


La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,
La greffière,
N° 21LY04058 2
al