CAA de NANTES, 6ème chambre, 13/09/2022, 22NT00621, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision13 septembre 2022
Num22NT00621
JuridictionNantes
Formation6ème chambre
PresidentM. GASPON
RapporteurMme Valérie GELARD
CommissaireMme MALINGUE
AvocatsGARET

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 22 juillet 2020 de la ministre de la transition écologique prononçant sa mise à la retraite d'office pour inaptitude non imputable au service.

Par un jugement n° 2004118 du 23 décembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 février et 8 juin 2022, M. C..., représenté par Me Garet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 23 décembre 2021 ;

2°) d'enjoindre au ministre en charge de l'aviation civile, de produire l'avis du service des retraites du 17 avril 2020 ainsi que la lettre de mission du dernier expert ;

3°) d'ordonner une expertise médicale judiciaire et de mettre, par avance, à la charge de l'Etat les frais de cette expertise ;

4°) d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2020 en ce qu'il complète l'arrêté du 22 mars 2016 le plaçant en retraite pour invalidité non imputable au service et par voie de conséquence, d'annuler cette décision du 22 mars 2016 ;
5°) de fixer son taux d'invalidité au minimum à 65 % ;
6°) de le rétablir dans ses droits à rente et retraite pour invalidité imputable au service et d'enjoindre à la direction de l'aviation civile de prendre les mesures le rétablissant dans ses droits, le cas échéant, sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

7°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- sa pathologie présente un lien direct et certain avec l'accident de service du 1er juin 2009 ;
- la décision contestée est intervenue au terme d'une procédure irrégulière dès lors que le dernier expert, qui n'a pas pris connaissance de tous les éléments médicaux de son dossier, s'est borné à modifier son analyse antérieure, sans nouvelle visite médicale, et que lors de ses différentes séances, la commission de réforme s'est irrégulièrement prononcée, ce qui l'a empêché de remettre tout document manquant ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait et de qualification juridique des faits.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2022, le ministre chargé des transports conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :
1. M. C..., technicien supérieur des études et de l'exploitation de l'aviation civile, était affecté au bureau de transmission des informations de vol, au sein du centre de contrôle en route de navigation aérienne Ouest de la direction générale de l'aviation civile, lors de l'accident du vol Rio-Paris survenu le 1er juin 2009. L'intéressé, qui se trouvait en salle de contrôle au moment de cet accident, a, selon ses dires, assisté impuissant à l'évènement en dépit des alertes qu'il donnait à ses supérieurs hiérarchiques, lesquelles auraient permis de déclencher les secours plus rapidement et de sauver des vies. Il a été placé en congé de longue durée du 6 juillet 2010 au 5 juillet 2015 pour un syndrome post-traumatique réactionnel. Il a présenté une demande de reconnaissance d'imputabilité au service de cette maladie. Le comité médical départemental du Finistère a estimé le 16 juin 2015 qu'il était définitivement inapte à toutes fonctions. Par une décision du 1er février 2016, M. C... a été admis à la retraite d'office pour invalidité non imputable au service. Par un jugement du 7 décembre 2017, le tribunal administratif de Rennes a toutefois annulé cette décision en tant qu'elle n'a pas reconnu l'imputabilité au service, au moins partielle, de l'invalidité dont il souffre. Après avoir consulté de nouveau la commission de réforme, le ministre chargé des transports a, par un arrêté du 22 juillet 2020 complétant celui du 22 mars 2016, confirmé la mise à la retraite de M. C... pour invalidité, mais a reconnu l'imputabilité au service du syndrome anxio-dépressif qu'il a présenté à la suite de l'accident du 1er juin 2009, avec un taux d'incapacité permanente partielle de 30 % et une date de consolidation fixée au 25 avril 2018. M. C..., qui conteste cette décision en tant qu'elle ne reconnaît pas l'imputabilité au service des troubles de la personnalité et de la bipolarité dont il est atteint, relève appel du jugement du 23 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant notamment à l'annulation de cette décision et à ce qu'une nouvelle expertise médicale soit ordonnée.

Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre l'arrêté du 22 mars 2016 :

2. M. C... sollicite en appel l'annulation de l'arrêté du 22 juillet 2020 en ce qu'il complète l'arrêté du 22 mars 2016 et par voie de conséquence, l'annulation de cette dernière décision. Ainsi qu'il a été dit au point 1, l'arrêté du 22 mars 2016 est devenu définitif en tant qu'il place M. C... à la retraite pour invalidité et a été annulé en tant qu'il ne reconnaissait pas l'imputabilité au service de sa pathologie. Par suite, l'intéressé n'est pas recevable à demander à nouveau dans le cadre du présent litige l'annulation de cette décision. Ces conclusions dirigées contre cet arrêté doivent, par suite, être rejetées.

Sur les conclusions dirigées contre la décision du 22 juillet 2020 :

En ce qui concerne la régularité du rapport d'expertise sur lequel elle se fonde :
3. Il ressort du rapport d'expertise du 25 avril 2018 que le psychiatre, qui a examiné M. C... pendant près d'une heure et demie, a pris connaissance des précédents rapports de ses confrères, et notamment du courrier du psychiatre qui suit M. C..., en date du 21 novembre 2013. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que cet expert n'aurait pas pris en compte tous les éléments de son dossier médical. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que l'expert a été amené, à la demande de la commission de réforme et de l'administration afin de respecter l'autorité de la chose jugée par le jugement précité du 7 décembre 2017, à préciser les termes de son rapport rédigé le 25 avril 2018, en indiquant quelle pathologie était à l'origine de l'incapacité totale à poursuivre toute activité professionnelle. La circonstance qu'il n'a pas modifié la date de son rapport initial mais a seulement ajouté une appréciation afin de répondre à la question qui lui était posée, laquelle n'impliquait aucun réexamen de l'intéressé, est sans incidence sur le sérieux et la sincérité de l'analyse de ce spécialiste. Par suite, ce moyen, dans toutes ses branches, ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les avis de la commission de réforme :

4. Si la décision contestée vise l'ensemble des avis émis les 15 octobre 2015, 12 juillet 2018, 4 avril et 17 octobre 2019 par la commission de réforme, ainsi que le fait valoir le ministre, elle ne se fonde que sur ce dernier avis. Dans ces conditions, les moyens dirigés contre les précédents avis de cette commission sont inopérants et ne peuvent qu'être écartés.

5. Le requérant fait valoir également que, dans son avis du 17 octobre 2019, la commission de réforme a indiqué à tort qu'il avait présenté des observations écrites et fourni des certificats médicaux. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été dument convoqué à cette séance, mais qu'il n'y a pas assisté, ainsi que le mentionne d'ailleurs le procès-verbal de cette réunion. Par suite, la mention contestée, qui pouvait laisser supposer à tort que l'intéressé avait communiqué de nouvelles pièces, est sans incidence sur la régularité de l'avis émis par cette instance.
6. Le requérant soutient par ailleurs, pour la première fois en appel, qu'aucun spécialiste des maladies mentales n'était présent lors de la commission de réforme du 17 octobre 2019 en méconnaissance des dispositions de l'article 19 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'avis, aux termes duquel : " La commission de réforme ne peut délibérer valablement que si la majorité absolue des membres en exercice assiste à la séance ; un praticien de médecine générale ou le spécialiste compétent pour l'affection considérée doit participer à la délibération. ". Il ressort toutefois des pièces du dossier que plusieurs rapports d'expertise de psychiatres ont été produits devant la commission de réforme, ainsi dument informée. Par suite, la présence d'un médecin spécialiste, aux cotés des médecins généralistes de cette commission, ne s'avérait pas nécessaire.

7. Le requérant se prévaut également de l'absence du médecin de prévention lors de la commission de réforme et du fait que ce dernier n'a pas transmis son rapport aux membres de cette instance, en méconnaissance des dispositions de l'article 18 du décret précité du 14 mars 1986. Toutefois, s'agissant d'un fonctionnaire mis à la retraite pour invalidité, seules les dispositions de l'article R. 48 du code des pensions civiles et militaires de retraite trouvent à s'appliquer. Elles disposent que : " Le médecin chargé de la prévention attaché au service auquel appartient le fonctionnaire dont le cas est soumis à la commission de réforme est informé de la réunion et de son objet. Il peut obtenir s'il le demande communication du dossier de l'intéressé. Il peut présenter des observations écrites ou assister, à titre consultatif, à la réunion ; il remet obligatoirement un rapport écrit dans les cas prévus aux articles 26, 32, 34 et 43 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986. ". Contrairement à ce que soutient le requérant, ces dispositions n'imposent donc ni la présence obligatoire du médecin de prévention lors de la réunion la commission de réforme, ni la rédaction par ce dernier d'un rapport devant être communiqué à ses membres. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'erreur de fait et de qualification juridique des faits alléguées :

8. Ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, la circonstance que la décision contestée vise par erreur les conclusions administratives du 30 septembre 2015 en citant le nom d'un expert alors que ce rapport a été rédigé par un autre médecin constitue une simple erreur matérielle n'affectant pas la légalité de l'arrêté litigieux. Par ailleurs, le requérant invoque le fait que l'administration l'aurait incité à déposer une demande d'allocation temporaire d'invalidité, qui lui serait moins favorable qu'une rente d'invalidité, et qu'elle aurait refusé la réalisation d'une contre-expertise médicale, en soutenant qu'elle ne peut se substituer aux médecins. Ces allégations dépourvues de tout commencement de preuve, apparaissent cependant dénuées de tout fondement. Elles ne sont, par suite, pas de nature à établir l'erreur de fait ou de qualification juridique des faits ainsi alléguées par M. C.... Ces moyens ne peuvent dès lors qu'être écartés.
En ce qui concerne l'imputabilité au service des troubles bipolaires de M. C... :

9. Il ressort du rapport d'expertise du 25 avril 2018 que M. C... a tenu durant cet examen un discours essentiellement centré sur ses capacités professionnelles avec des tendances " mégalomaniaques ", une " surestimation " de lui-même et l'absence d'autocritique. Contrairement à ce que soutient l'intéressé, ce spécialiste a ainsi confirmé l'analyse d'un confrère psychiatre, qui avait souligné sa " personnalité pathologique ". Si dans un certificat sollicité par M. C..., le psychiatre qui le suit a déclaré qu'il présentait des troubles qui " pourraient être mis en lien avec l'exercice de sa profession ", sans au demeurant préciser s'il évoquait son syndrome anxio-dépressif ou ses troubles bipolaires, il avait évoqué auprès d'un autre spécialiste, une " hyperthymie tempéramentale produisant ses effets très tôt " chez ce patient, confirmant ainsi des troubles de la personnalité sous-jacents et détachables de l'exercice de toute activité professionnelle. Les autres médecins, qui ont examinés M. C..., qui le plus souvent ne se sont prononcés que sur le syndrome anxio-dépressif qu'il a présenté à la suite du crash aérien et dont l'imputabilité au service a été reconnue, n'ont émis aucun avis contraire sur le lien de ses troubles bipolaires avec le service. Le certificat de son médecin traitant se borne en effet à préciser qu'il n'était pas suivi pour cette pathologie avant 2011, alors que selon les données reconnues par la science, les changements d'humeur des malades bipolaires, qui ne s'expliquent pas toujours par des facteurs externes, rendent le diagnostic de cette pathologie souvent difficile à établir. Dans ses conclusions du 25 avril 2018, l'expert distingue précisément le trouble majeur de la personnalité et le stress post-traumatique à connotation dépressive dont souffre M. C.... Il confirme que la première pathologie n'est pas imputable au service. Selon lui, elle justifie, à elle seule, son placement à la retraite pour invalidité. Dans son avis du 17 octobre 2019, la commission de réforme a suivi les conclusions de ce spécialiste. M. C... n'apporte aucun autre élément de nature à remettre en cause ces avis médicaux. La seule circonstance que les troubles bipolaires qu'il présente auraient été révélés à l'occasion d'une autre pathologie, reconnue imputable au service, ne suffit pas à lui conférer ce même caractère. Par suite, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée serait entachée d'illégalité en ce qu'elle ne reconnaîtrait pas l'imputabilité au service de ses troubles de la personnalité et bipolaires.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise médicale, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses autres conclusions présentées en appel doivent également être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. C... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.


DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 26 août 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- Mme Gélard, première conseillère,
- M. Giraud, premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 septembre 2022.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON



La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.



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N° 22NT00621