CAA de NANTES, 6ème chambre, 27/09/2022, 21NT00581, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision27 septembre 2022
Num21NT00581
JuridictionNantes
Formation6ème chambre
PresidentM. GASPON
RapporteurMme Valérie GELARD
CommissaireMme MALINGUE
AvocatsARVOR AVOCATS ASSOCIES

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 19 juin 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de revalorisation de sa pension militaire d'invalidité.

Par un jugement n° 1905697 du 4 janvier 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 3 mars et 25 novembre 2021, M. C..., représenté par Me Bihan, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 4 janvier 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 19 juin 2017 ;

3°) de revaloriser sa pension militaire d'invalidité à la date du 28 juin 1988 ou subsidiairement au 1er janvier 2014 sur la base de l'indice 172,1 applicable pour un militaire de la marine nationale ayant un grade équivalent au sien ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ; les premiers juges ont omis de se prononcer sur la primauté du principe de sécurité juridique sur celui d'égalité ;
- sa demande est recevable dès lors que les dispositions de l'article 5 du décret du 20 février 1959, qui limite le délai de contestation de la pension à six mois à compter de son attribution, n'a pas vocation à s'appliquer ; en tout état de cause, ce délai ne pourrait courir qu'à compter de la décision contestée ; en outre, il appartient à l'administration d'établir que la décision du 7 juin 1988 comportait la mention de l'indice servant au calcul de sa pension militaire d'invalidité ainsi que les voies et délais de recours ;
- il est fondé à solliciter la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité sur le fondement des articles 13 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du principe de valeur constitutionnel d'égalité ;
- sa demande n'a pas pour objet de contester la décision initiale lui concédant une pension militaire d'invalidité mais de revaloriser sa pension sur la base d'une évolution normative intervenue en 2010 pour mettre un terme à une situation discriminatoire ;
- qu'en toute hypothèse, il ne serait pas porté atteinte au principe de sécurité juridique dès lors que la revalorisation aurait une portée rétroactive limitée à 3 ans à compter de sa demande ;
- il est fondé à solliciter une revalorisation à compter du 28 juin 1988, à tout le moins au 1er janvier 2014.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2021, la ministre des armées, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que la requête est tardive et par suite irrecevable, et à titre subsidiaire, que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 juillet 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le décret n° 59-327 du 20 février 1959 ;
- le décret n° 2010-473 du 10 mai 2010 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. C..., adjudant-chef dans l'armée de terre, bénéficie d'une pension militaire d'invalidité au taux de 30 % qui lui a été concédée, à titre définitif, par un arrêté du 7 juin 1988. Le 23 janvier 2017, l'intéressé a présenté une demande de revalorisation de cette pension. Il souhaite un alignement de l'indice servant au calcul de sa pension sur celui dont bénéficient les militaires de la marine nationale. Par une décision du 19 juin 2017, la ministre des armées a rejeté sa demande au motif que le décret du 10 mai 2010 relatif à la détermination des indices des pensions et accessoires de pensions alloués aux invalides, aux conjoints survivants et aux orphelins au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, qui a supprimé les différences de traitement entre les différents corps d'armée pour le calcul des pensions militaires d'invalidité, ne s'appliquait que pour les pensions concédées après sa publication. M. C... a saisi le tribunal des pensions militaires qui a transmis ce dossier au tribunal administratif de Rennes, devenu compétent. Il relève appel du jugement du 4 janvier 2021 par lequel les premiers juges ont rejeté sa requête pour tardiveté.
Sur la régularité du jugement attaqué :

En ce qui concerne la motivation du jugement attaqué :
2. Le tribunal administratif a estimé qu'eu égard au principe de sécurité juridique, M. C... n'avait pas introduit sa demande dans un délai raisonnable. Sa requête étant jugée tardive et par suite irrecevable, les premiers juges n'avaient pas à répondre aux moyens de fond présentés par l'intéressé, et notamment à celui tiré de ce que la décision contestée du 19 juin 2017 serait contraire au principe d'égalité. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif aurait omis de se prononcer sur la primauté du principe de sécurité juridique sur celui d'égalité. Contrairement à ce que soutient le requérant, le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité à raison de ce motif.
En ce qui concerne la recevabilité de la requête présentée par M. C... :

3. Aux termes de l'article 78 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, repris à l'article L. 154-4 du même code, en vigueur à la date du 23 janvier 2017 : " I- Les pensions définitives ou temporaires attribuées au titre du présent code peuvent être révisées dans les cas suivants : 1° Lorsqu'une erreur matérielle de liquidation a été commise ; 2° Lorsque les énonciations des actes ou des pièces au vu desquels l'arrêté de concession a été pris sont reconnues inexactes, ou bien en ce qui concerne le grade ou les circonstances du décès, ou bien en ce qui concerne l'état des services, ou bien en ce qui concerne l'état civil ou la situation de famille, ou bien en ce qui concerne le droit au bénéfice d'un statut légal générateur de droits. / Dans tous les cas, la révision a lieu sans condition de délai, dans les mêmes formes que la concession, sur l'initiative du ministre chargé du budget ou du ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre ou à la demande des parties, par voie administrative si la décision qui a alloué la pension définitive ou temporaire ne faisait pas suite à une procédure contentieuse. / Dans le cas contraire, la demande en révision est portée devant la juridiction qui avait rendu la décision attaquée. Elle en est saisie dans les formes indiquées au livre VII.(...)".
4. M. C... ne conteste ni une erreur matérielle de liquidation de sa pension, ni une erreur dans les faits ayant conduit à ce que cette pension lui soit concédée. Par suite, il n'entre pas dans les prévisions de l'article 154-4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre permettant de solliciter la révision d'une pension militaire d'invalidité sans condition de délai.

5. Par ailleurs, aux termes de l'article 5 du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions, dans sa rédaction en vigueur à la date du 23 janvier 2017 : " Les décisions prises par le ministre de la défense ou le ministre chargé du budget en application des dispositions des articles L. 115, L. 128 et R. 19 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre sont susceptibles, dans le délai de six mois à compter de leur notification, de recours devant le tribunal des pensions. ". La demande présentée par le titulaire d'une pension militaire d'invalidité, concédée à titre temporaire ou définitif sur la base du grade que l'intéressé détenait dans l'armée de terre, l'armée de l'air ou la gendarmerie, tendant à la revalorisation de cette pension en fonction de l'indice afférent au grade équivalent applicable aux personnels de la marine nationale, doit être formée dans le délai de six mois fixé par ces dispositions. Toutefois, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".

6. Il est constant que M. C... s'est vu attribuer à titre définitif une pension militaire d'invalidité au taux de 30 % par un arrêté du 7 juin 1988. Il aurait donc dû solliciter la révision de sa pension dans les six mois suivant la notification de cette décision. Toutefois, si le ministre a produit en première instance un document daté du 28 juin 1988 signé par M. C... attestant qu'il a eu connaissance de cette décision, laquelle indiquait l'indice sur la base duquel sa pension était calculée, aucune pièce du dossier ne permet d'établir qu'à cette date il aurait été régulièrement informé des voies et délais de recours lui permettant de contester notamment l'indice retenu par l'administration. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que les dispositions précitées ne lui étaient pas opposables, ainsi que l'a d'ailleurs jugé le tribunal administratif.

7. Toutefois, ainsi que l'a rappelé le tribunal administratif, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

8. Il ressort des pièces du dossier que l'administration a produit l'arrêté de concession définitive de la pension militaire d'invalidité de M. C... du 7 juin 1988 ainsi que la déclaration préalable à la mise en paiement de la pension. Celle-ci porte la signature de l'intéressé qui atteste l'avoir reçue le 28 juin 1988. Par suite, à compter de cette date, M. C... était en mesure de contester cette décision, ou les modalités de calcul de sa pension militaire d'invalidité, dont il avait alors eu connaissance. Les circonstances que le décret du 5 septembre 1956 relatif à la détermination des indices des pensions et accessoires de pensions alloués aux invalides au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre a fixé les indices de la pension d'invalidité afférents aux grades des sous-officiers de l'armée de terre, de l'armée de l'air et de la gendarmerie à un niveau inférieur aux indices attachés aux grades équivalents dans la marine nationale en méconnaissance du principe d'égalité, et que le décret du 10 mai 2010 a procédé, pour les pensions concédées après sa publication, à un alignement des indices applicables à tous les militaires quel que soit leur corps d'armée pour le calcul des pensions militaires d'invalidité, ne peuvent être regardées comme l'ayant empêché d'exercer son recours devant l'administration avant le 23 janvier 2017, puis de saisir le tribunal des pensions militaires aux fins de révision de sa pension avant le 7 août 2017. Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le recours présenté par M. C... tendant à la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité, alors même qu'il avait été introduit dans le délai de deux mois suivant la décision de la ministre du 19 juin 2017 rejetant sa demande, avait été présenté au-delà du délai raisonnable durant lequel il pouvait être exercé.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Ses conclusions tendant à ce que la cour procède à la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité doivent, par voie de conséquence, également être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement au conseil de M. C... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre des armées.


Délibéré après l'audience du 9 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.









Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 septembre 2022.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
S.PIERODE


La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.



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N° 21NT00581