CAA de NANTES, 6ème chambre, 11/10/2022, 21NT00299, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision11 octobre 2022
Num21NT00299
JuridictionNantes
Formation6ème chambre
PresidentM. GASPON
RapporteurMme Valérie GELARD
CommissaireMme MALINGUE
AvocatsCABINET MDMH

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Caen, devenu compétent par l'effet de la loi, d'annuler la décision du 3 avril 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande tendant au bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au titre de problèmes dentaires et auditifs.

Par une requête distincte, il a également demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 17 avril 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande tendant au bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au titre de lombalgies.
Par un jugement n° 1902591, 1902695 du 4 décembre 2020, le tribunal administratif de Caen a accordé à M. C... une pension militaire d'invalidité au taux de 30 % à compter du 29 mars 2017 au titre d'une lombosciatique L4-L5 ainsi qu'une pension militaire d'invalidité au taux de 20 % à compter du 24 juin 2016 au titre de l'édenture totale avec intolérance à la prothèse. Il a rejeté le surplus des conclusions des requêtes présentées par l'intéressé.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 février et 13 octobre 2021, la ministre des armées demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 4 décembre 2020 en tant qu'il a fait droit aux demandes de M. C... ;

2°) de rejeter les demandes présentées en première instance par M. C....

Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il a fixé à 20 % le taux de l'infirmité " édenture totale avec intolérance à la prothèse " sans préciser la part non imputable au service ;
- les lombalgies dont M. C... souffre ne sont pas imputables au service ; l'intéressé ne peut en effet bénéficier de la présomption prévue à l'article L. 121-2 du code des pensions dès lors que ses lombalgies sont apparues la première fois le 14 avril 2003, soit moins de 90 jours après son arrivée en Côte d'Ivoire ; en outre, le tribunal ne pouvait sans aucun fondement médical considéré que l'infirmité présentait un " caractère incurable " ouvrant droit à l'intéressé à une pension militaire d'invalidité à titre définitif ;
- les problèmes dentaires de M. C... sont anciens et non imputables au service.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 août 2021, M. C..., représenté par Me Moumni, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit versée par l'Etat à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que les moyens soulevés par le ministre des armées ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 décembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,
- et les observations de Me Mougin, substituant Me Moumni, représentant M. C....


Considérant ce qui suit :

1. M C..., né en 1971, a contracté un engagement dans l'armée de terre le 1er avril 1993. Il a intégré la Légion étrangère à compter du 17 avril 2002. Il est titulaire d'une pension militaire d'invalidité qui lui a été concédée par un arrêté du 7 mars 2016 au taux de 30 %, au titre de l'infirmité " état de stress post-traumatique. Troubles du sommeil et des conduites, reviviscences fréquentes, nécessité d'une thérapie et d'un traitement ". Le 24 juin 2016, il a présenté une demande de révision de cette pension pour aggravation et a évoqué deux infirmités nouvelles, à savoir une édenture complète et des troubles de la vision. Les 28 mars 2017 et 28 mai 2017 il a sollicité une nouvelle pension militaire d'invalidité au titre de lombalgies et d'une blessure aux tympans. Par un arrêté du 3 avril 2018, sa pension accordée au titre du stress post-traumatique qu'il présente a été maintenue au taux de 30 %, et ses demandes concernant ses problèmes dentaires, oculaires et auditifs ont toutes été rejetées. M. C... a contesté cette décision. Par une décision du 17 avril 2019, sa demande concernant ses lombalgies a également été rejetée. L'intéressé a sollicité l'annulation de cette décision (instance enregistrée sous le n° 1902591). Par un jugement du 7 juin 2019, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Caen a porté le taux de sa pension au titre du stress post-traumatique à 60 % et a ordonné la disjonction de cette affaire de celles concernant ses problèmes dentaires et auditifs (qui ont été enregistrées sous le n°1902695). Par un jugement n° 1902591, 1902695 du 4 décembre 2020, le tribunal administratif de Caen, devenu compétent, a accordé à M. C... une pension militaire d'invalidité au taux de 30 % à compter du 29 mars 2017 au titre d'une lombosciatiques L4-L5 ainsi qu'une pension militaire d'invalidité au taux imputable de 20 % à compter du 24 juin 2016 au titre de l'édenture totale avec intolérance à la prothèse. Il a rejeté le surplus des conclusions des requêtes présentées par l'intéressé. La ministre des armées conteste ce jugement en tant qu'il a fait droit aux demandes de M. C....

Sur les infirmités restant en litige :

2. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction en vigueur à la date de la demande présentée par M. C... : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite (...) d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle (...) sauf faute de la victime détachable du service. ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Lorsque la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes mentionnées à l'article L. 121-1 ne peut être apportée, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée : a) Soit avant la date du renvoi du militaire dans ses foyers ; b) Soit, s'il a participé à une des opérations extérieures mentionnées à l'article L. 4123-4 du code de la défense, avant la date de son retour sur son lieu d'affectation habituelle ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle ait été constatée après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant l'une des dates mentionnées au 1°./ Dans tous les cas, la filiation médicale doit être établie entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. "

En ce qui concerne les lombalgies :

3. Il est constant que M. C... était en opération extérieure en Côte d'ivoire du 17 février au 14 juin 2003 et qu'il est ensuite rentré en France sur son lieu d'affectation habituelle. L'intéressé soutient que ses lombalgies seraient apparues le 7 avril 2003 en manipulant des charges lourdes. Toutefois, son livret militaire ne fait état d'aucun accident à cette date. La ministre se prévaut des mentions portées sur ce même document à la date du 14 avril 2003 attestant d'une " lombalgie commune sans irradiation ", ainsi que le 18 juin 2013, indiquant qu'il souffre " depuis deux mois, [d'une]lombalgie en barre dans un contexte opérationnel sans réel repos ". Ces pathologies, rapportées au livret militaire, n'ont fait l'objet d'aucun rapport circonstancié et n'ont pas a été mentionnées dans le registre des constatations des blessures, infirmités et maladies survenues pendant le service. En revanche, le livret militaire de M. C... indique, dans le bref compte rendu d'un examen médical pratiqué par un médecin militaire, que l'intéressé a présenté un blocage lombaire le 21 juillet 2003 au cours d'une prise d'armes. Cet évènement a fait l'objet d'un rapport d'une constatation de la part de sa hiérarchie. A cette date, M. C... avait passé plus de 90 jours en Côte d'Ivoire et était revenu de cette mission pour rejoindre son lieu d'affectation depuis moins de 60 jours. Ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, il entrait donc dans les prévisions de l'article L. 121-12 précité du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. La ministre n'est dès lors pas fondée à soutenir que M. C... ne pouvait se voir accorder une pension militaire d'invalidité au titre de cette infirmé au taux non contesté de 30 %.

4. En revanche, aux termes de l'articles L. 121-8 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " La pension a un caractère définitif lorsque l'infirmité causée par la blessure ou la maladie est reconnue incurable. A défaut, la pension est concédée pour trois ans et peut être convertie en pension définitive dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. En cas de pluralité d'infirmités dont l'une ouvre droit à pension temporaire, la pension indemnisant l'ensemble des infirmités est attribuée à titre temporaire, sans préjudice du caractère définitif qui peut être reconnu à une ou plusieurs infirmités (...). ". Si le tribunal administratif a constaté que lors des examens médicaux des 21 avril 2015 et 14 mars 2018, M. C... souffrait toujours de lombalgies, dans son avis du 14 mars 2019, la médecin chargée des pensions militaires d'invalidité a indiqué que sa maladie ne pouvait à cette date être regardée comme " non incurable ". Par suite, la ministre est fondée à soutenir que le tribunal administratif ne pouvait accorder à l'intéressé une pension militaire d'invalidité à titre définitif à raison de cette pathologie. M. C... était seulement en droit de percevoir à compter du 29 mars 2017 une pension militaire d'invalidité temporaire pour une durée de trois ans susceptible d'être convertie en pension à titre définitif après examen médical.

En ce qui concerne l'édenture totale :

5. Pour contester tout lien entre le stress post-traumatique présenté par M. C... à la suite des différentes missions auxquelles il a participé notamment en ex-Yougoslavie, et qui selon deux professionnels de santé est à l'origine d'une forte alcoolisation, laquelle a elle-même entraîné ses problèmes dentaires, la ministre insiste sur le manque d'hygiène dentaire de l'intéressé. Toutefois, dans son rapport du 12 décembre 2017 la chirurgienne-dentiste, diplômée en réparation juridique du dommage corporel, qui a examiné M. C..., a constaté que, si en 1992 il présentait de nombreuses caries et pertes de dents, le 20 août 1992 ses caries avaient été soignées, ce qui est confirmé par une visite de contrôle. Elle relève qu'en 1999, un dentiste avait attesté avoir réalisé les soins dentaires requis par l'état de l'intéressé, qui, à l'issue, ne présentait plus aucun problème dentaire ainsi qu'en atteste la visite systématique d'aptitude qui s'en est suivie. Cette experte confirme en outre que l'état de stress post-traumatique de ce militaire a été diagnostiqué tardivement en 2014, en raison d'un sentiment de honte et de repli qui l'a empêché de suivre les soins médicaux et paramédicaux dont il aurait eu besoin, ce que confirme le psychiatre de l'hôpital interarmées de Percy. La chirurgienne-dentiste retient que la perte des dents de M. C... est la conséquence directe du syndrome de stress post traumatique et des problèmes d'alcoolisation qui en ont découlé. Si la ministre des armées se prévaut de rapports de deux autres chirurgiens-dentistes militaires en date des 10 février 2017 et 10 janvier 2018, ces praticiens se bornent à souligner la mauvaise hygiène dentaire de M. C... qui, à cette date présentait un stress post-traumatique depuis au moins trois ans, qui l'empêchait ainsi qu'il a été dit de procéder aux soins dentaires nécessaires. Dans ces conditions, c'est à juste titre que le tribunal administratif a considéré que l'intéressé apportait la preuve d'un lien de causalité direct et certain entre son édenture et l'intolérance aux prothèses amovibles réalisées en 2017 et le stress post-traumatique pensionné. La ministre soutient en outre que le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il a fixé le taux de cette infirmité à 20 % sans préciser la part non imputable au service alors qu'aux termes de l'article L. 121-7 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre " qu'en cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, seule cette aggravation est prise en considération ". Ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, qui a suffisamment motivé sa position en indiquant au point 12 que le médecin expert doit être regardé comme ayant évalué, en fixant ce taux, la seule aggravation imputable au service, les différents experts qui ont examinés M. C... ont fixé à 20 % la part imputable au service de cette infirmité sans indiquer la part qui relève de la propre négligence de l'intéressé antérieure à 2014. Par suite, c'est à juste titre que les premiers juges ont fixé " au taux imputable de 20 % " la pension militaire d'invalidité à laquelle pouvait prétendre l'intéressé à raison de cette infirmité.
6. Il résulte de tout ce qui précède, que la ministre des armées est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a accordé une pension militaire d'invalidité à titre définitif à M. C... pour l'infirmité " lombalgies ", laquelle doit être accordée aux taux de 30 % à titre provisoire seulement pour une durée de trois ans à compter du 29 mars 2017 puis faire l'objet d'un nouvel examen après cette date. Les conclusions d'appel incident présentées par M. C... doivent en revanche être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

7. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Moumni de la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1902591, 1902695 du 4 décembre 2020 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il a accordé à M. C... une pension militaire d'invalidité à titre définitif au taux de 30 % à compter du 29 mars 2017 pour ses lombalgies.
Article 2 : Il est allouée à M. C... une pension militaire d'invalidité à titre provisoire au taux de 30 % à compter du 29 mars 2017 pour une durée de trois ans au titre des lombalgies. Cette pension fera l'objet d'un nouvel examen à l'expiration de ce délai de trois ans.
Article 3 : Le surplus des conclusions du ministre des armées et de M. C... est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à Me Moumni la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. A... C....


Délibéré après l'audience du 23 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.


Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 octobre 2022.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON





La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.



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N° 21NT00299