CAA de NANCY, , 09/08/2022, 22NC00564, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision09 août 2022
Num22NC00564
JuridictionNancy
AvocatsSOCIETE D'AVOCATS ACG REIMS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prescrire une expertise en vue de déterminer l'ensemble des préjudices qu'elle soutient avoir subis à la suite de l'accident de service dont elle a été victime le 28 avril 2017.

Par une ordonnance n° 2102216 du 10 janvier 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 26 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C... a demandé au Conseil d'Etat d'annuler l'ordonnance n° 2102216 du 10 janvier 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.

Par une ordonnance n° 460858 du 28 février 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué le jugement de la requête de Mme C... à la cour administrative d'appel de Nancy.


Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 26 janvier 2022 et des mémoires complémentaires enregistrés les 3 mai et 29 juillet 2022, Mme C..., représentée par la Selas ACG, dans le dernier état de ses écritures, demande à la cour d'annuler l'ordonnance du 10 janvier 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et de faire droit à sa demande d'expertise.

Elle soutient que :
- elle a été victime, le 28 avril 2017, d'une violente altercation verbale de la part d'une de ses collègues sur son lieu de travail ;
- elle exerçait à 30 % de son temps de travail des missions de représentante syndicale ;
- cet accident a été reconnu imputable au service ;
- elle a bénéficié d'un premier arrêt-maladie le 29 juin 2017 et a repris son travail le 15 septembre 2017 ;
- l'ARS lui a notifié un placement en congé de longue maladie pour une période continue de 6 mois à compter du 8 novembre 2019 jusqu'au 7 mai 2020 et ensuite jusqu'au 7 novembre 2020 ;
- l'ARS s'est bornée à lui notifier l'avis du comité médical du 2 juillet 2020 donnant un avis favorable à un placement en congé de longue maladie ;
- les séquelles dont elle est affectée sont conséquentes et invalidantes ;
-elle entend rechercher la responsabilité de son employeur au regard de la faute de celui-ci dans le traitement des relations inter personnel entre agents, ainsi que dans le traitement des conditions et organisation du travail ;
- une expertise est nécessaire afin d'établir l'étendue et l'intégralité de ses préjudices en lien avec son accident de travail ;
- aucune prescription ne peut lui être opposée, la date de consolidation n'étant pas fixée de façon définitive ;
- même si la date du 8 novembre 2019 était regardée comme certaine, la prescription ne serait pas acquise.


Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 juin et 8 août 2022, l'Agence régionale de la santé Grand Est conclut au rejet de la requête d'appel de Mme C....

Elle soutient que :

- Mme C... a, de sa propre initiative, changé de bureau et décidé de ne plus participer physiquement aux réunions, se mettant, ainsi seule, dans une situation d'isolement ;
- l'incident dont elle a été victime a fait l'objet d'une reconnaissance d'accident de service ;
- l'intéressée a fait l'objet de trois expertises ;
- le refus d'accorder à Mme C... le bénéfice de la protection fonctionnelle a été avalisé par un jugement du 12 juin 2020 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
- l'intéressée a été placée en congé de longue maladie, pour une période continue de 6 mois, à compter du 8 novembre 2019, puis en congé de longue durée du 8 mai 2020 au 7 novembre 2020 et enfin en congé de longue durée du 8 novembre 2020 au 7 mai 2021 ;
- l'action en responsabilité de l'administration ne saurait être un élément de mission de l'expert et doit être introduite devant la juridiction de fond ;
- une action en recherche de l'administration serait, à ce jour, prescrite ;
- le rapport du Docteur B..., qui est suffisamment motivé, conclut très clairement à une consolidation à la date du 8 novembre 2019 et fixe un taux d'IPP à 20% ;
- les conclusions de l'expert, contrairement à ce que soutient la requérante, ne sont pas contradictoires ;
- l'utilité de l'expertise sollicitée par Mme C... n'est pas caractérisée.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative.




Considérant ce qui suit :

1. Mme C... a intégré l'agence régionale de la santé (ARS) en 2010, en poste à Châlons-en-Champagne. Elle a eu, le 28 avril 2017, une violente altercation avec une de ses collègues. Ces faits ont été qualifiés d'accident imputable au service par décision du 13 juin 2017. A la suite de cet incident, l'intéressée a eu une attitude de repli sur elle-même, a délaissé le bureau qui lui a été attribué pour s'isoler dans un autre local et n'a plus correspondu que par téléphone. Elle a été placée à plusieurs reprises en arrêt de maladie. En mars 2019, elle s'est vu refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle. Dans le cadre de la procédure suivie devant la commission de réforme, elle a fait l'objet de trois expertises qui ont eu lieu les 12 février et 10 octobre 2018 et le 8 novembre 2019. Elle interjette appel de l'ordonnance du 10 janvier 2022 par laquelle le juge des référés a rejeté sa demande tendant à prescrire une expertise en vue de déterminer l'ensemble des préjudices qu'elle soutient avoir subis à la suite de son accident de service.

2. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction. ". L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de ses dispositions doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription. De même, il ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée de cette personne.

Sur la fin de non-recevoir opposée par l'ARS :

3. aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ".

4. S'agissant d'une créance indemnitaire détenue sur une collectivité publique au titre d'un dommage corporel engageant sa responsabilité, le point de départ du délai de prescription prévu par ces dispositions est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les infirmités liées à ce dommage ont été consolidées. Il en est ainsi pour tous les postes de préjudice, aussi bien temporaires que permanents, qu'ils soient demeurés à la charge de la victime ou aient été réparés par un tiers, tel qu'un organisme de sécurité sociale, qui se trouve subrogé dans les droits de la victime.

5. Il ressort des écritures mêmes de l'ARS que l'état de la requérante aurait été consolidé le 8 novembre 2019. Le délai de prescription a donc commencé à courir le 1er janvier 2020. Mme C... a saisi le juge des référés le 6 octobre 2021, date à laquelle une éventuelle créance de l'ARS Grand Est envers elle n'était pas prescrite. Dès lors, la fin de non-recevoir tiré de l'inutilité de l'expertise sollicitée en raison de l'existence d'une telle prescription ne peut qu'être écartée.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

6. Mme C... fait valoir que la mesure d'expertise sollicitée a pour objet de déterminer et d'évaluer l'ensemble des conséquences préjudiciables de la pathologie liée à son accident de travail, notamment au regard des modalités de traitement de celui-ci.

7. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les intéressés peuvent prétendre, au titre des conséquences patrimoniales de l'atteinte à l'intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font, en revanche, obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des dommages ne revêtant pas un caractère patrimonial, tels que des souffrances physiques ou morales, un préjudice esthétique ou d'agrément ou des troubles dans les conditions d'existence, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incomberait.

8. Alors même que Mme C... a fait l'objet, dans le cadre de la procédure suivie devant la commission de réforme, de trois expertises et qu'un taux d'IPP, basé sur le barème de pension civile et militaire, a été fixé, l'expertise qu'elle sollicite est demandée dans la perspective d'une action en responsabilité de l'administration tendant à la réparation intégrale de l'ensemble des préjudices subis du fait de l'accident de service dont elle a été victime. Cette demande d'instruction présente donc un caractère utile au sens des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative tel que défini au point 2.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande d'expertise. Il y a donc lieu d'annuler ladite ordonnance et de faire droit à sa demande.




ORDONNE :

Article 1er : L'ordonnance du 10 janvier 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulée.
Article 2 : Il sera procédé à une expertise au contradictoire de Mme D... C... et de l'Agence régionale de santé Grand Est. L'expert aura pour mission :
1°) de se faire communiquer les documents médicaux utiles à sa mission, examiner Mme C... et décrire son état actuel ;
2°) de décrire l'état antérieur de Mme C... avant l'accident du 28 avril 2017 ;
3°) de préciser dans quelle mesure l'état actuel de Mme C... est imputable aux séquelles de cet accident de service ;
4°) de déterminer le lien éventuel entre l'ensemble des séquelles physiques et psychologiques présentées par Mme C... et l'accident de service ;
5°) de déterminer, le cas échéant, la part du préjudice présentant un lien de causalité direct, certain et exclusif avec ledit accident, en excluant la part des séquelles à mettre en relation avec toute cause extérieure, notamment des antécédents médicaux de Mme C... ;
6°) de dégager l'ensemble des éléments propres à justifier l'indemnisation du préjudice subi, sous tous ses aspects, en relation stricte avec l'accident de service du 28 avril 2017, en particulier, sur la durée et le ou les taux de l'incapacité temporaire, la date de consolidation et, éventuellement, le taux d'incapacité permanente ;
7°) de donner son avis sur l'existence éventuelle de préjudices personnels, notamment concernant des souffrances endurées, des préjudices esthétique et/ou d'agrément et sur les conséquences des séquelles de l'accident de service sur l'évolution de carrière de Mme C... et ses pertes de chance d'évolution professionnelle ;
8°) de manière générale, donner toutes précisions et informations utiles permettant à la juridiction de se prononcer sur les responsabilités et l'importance du préjudice, ainsi que toute information utile à la solution du litige.
Article 3 : Le docteur E... A..., domicilié 5 rue Chaudru à Fismes (51170), est désigné pour procéder à l'expertise.
Article 4 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 5 : L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente ordonnance. Il notifiera lui-même les copies aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme D... C..., à l'Agence régionale de santé Grand Est et au docteur E... A..., expert désigné.


La présidente de la Cour
S. Favier



La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.











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N° 22NC00564