CAA de BORDEAUX, 2ème chambre bis (formation à 3), 09/11/2022, 20BX02610, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision09 novembre 2022
Num20BX02610
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre bis (formation à 3)
PresidentM. FAÏCK
RapporteurMme Pauline REYNAUD
CommissaireM. BASSET
AvocatsSCP PIELBERG KOLENC

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'avis de sommes à payer valant titre exécutoire du 17 mai 2018 émis par la direction départementale des finances publiques de la Vienne d'un montant de 9 780,69 euros.
Par un jugement n° 1801527 du 10 juin 2020 le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'avis des sommes à payer émis le 17 mai 2018 et déchargé Mme A... de l'obligation de payer la somme de 9 780,69 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 20BX02610 les 11 août 2020 et 21 octobre 2021, le groupe hospitalier Nord Vienne, représenté par la SCP KPL avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1801527 du 10 juin 2020 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de rejeter la demande de première instance de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le groupe hospitalier Nord Vienne soutient que :
- le titre exécutoire émis le 17 mai 2018 et le bulletin de salaire du mois de mai 2018 ont permis à Mme A... de connaître les bases de liquidation de la créance dont le paiement était demandé ;
- conformément à l'article L. 90 du code des pensions civiles et militaires, une personne placée en retraite pour invalidité imputable au service a droit au versement de sa pension de retraite à compter du jour où elle a cessé son activité, soit le jour de sa radiation des cadres ; dans ces conditions, un agent radié des cadres ne peut prétendre au versement d'un traitement et d'indemnités de fonction afférentes à l'absence de tout service fait et le directeur du groupe hospitalier était alors en situation de compétence liée pour poursuivre le remboursement des sommes indûment et illégalement versées, surtout si, corrélativement, l'agent a perçu une pension de retraite pour invalidité pour la même période ; la date d'admission provisoire à la retraite de Mme A... ayant été fixée au 6 octobre 2017, l'intéressée ne pouvait prétendre au versement d'un salaire à compter de cette date ;
- le titre exécutoire émis le 17 mai 2018 ne constitue pas une décision valant retrait illégal d'une décision individuelle créatrice de droits qui serait contenue dans la lettre du 15 novembre 2017 qui informait Mme A... que son traitement lui serait maintenu jusqu'à l'avis de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales sur sa mise à la retraite.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 novembre 2020, Mme A..., représentée par Me Gand, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge du groupe hospitalier Nord Vienne la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens invoqués par le groupe hospitalier Nord Vienne ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... C...,
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,
- les observations de Me Kolenc, pour le groupe hospitalier Nord Vienne.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a été recrutée à compter du 1er octobre 2001 en qualité d'ouvrier professionnel qualifié contractuel par le centre hospitalier Camille Guérin de Châtellerault (Vienne), devenu groupe hospitalier Nord Vienne, puis titularisée le 17 juillet 2007. Par décision du 18 juin 2012 de l'établissement de santé, la cervicalgie dont était atteinte Mme A... a été reconnue imputable au service à compter du 1er décembre 2011. Cette pathologie étant de plus en plus invalidante, le groupe hospitalier Nord Vienne a informé Mme A..., par courrier du 15 novembre 2017, de son placement d'office à la retraite pour invalidité à compter du 6 octobre 2017 et du maintien de son traitement dans l'attente de l'avis de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) sur sa mise à la retraite. Après que cette dernière a émis, le 18 avril 2018, un avis favorable à la mise à la retraite pour invalidité de Mme A..., l'établissement de santé, par un titre exécutoire émis le 17 mai 2018, a demandé à cette dernière la restitution de l'indu de rémunération perçu entre octobre 2017 et mai 2018 à hauteur de 9 780,69 euros. Le groupe hospitalier Nord Vienne relève appel du jugement n° 1801527 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé le titre exécutoire émis le 17 mai 2018 et déchargé Mme A... de l'obligation de payer la somme de 9 780,69 euros.

Sur le bien-fondé des motifs d'annulation retenus par le tribunal :

2. Pour annuler le titre exécutoire émis le 17 mai 2018, le tribunal administratif de Poitiers a retenu, en premier lieu, que ni ce titre ni aucun autre document ne permettaient à Mme A... de connaître la base de liquidation et les éléments de calcul sur lesquels le groupe hospitalier Nord Vienne s'était fondé pour mettre la somme en cause à sa charge.

3. Aux termes de l'article 1er du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Les dispositions du titre Ier du présent décret sont applicables aux administrations publiques (...) mentionnées aux 1° à 5° suivants (...) : (...) 3° Les établissements publics de santé (...) ". Selon l'article 24 du même décret : " Toute créance liquidée faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de liquidation ". Pour satisfaire à ces dispositions, un état exécutoire doit indiquer les bases de liquidation de la créance pour le recouvrement de laquelle il est émis et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur.

4. Le titre exécutoire en litige du 17 mai 2018 comporte seulement, dans la rubrique " désignation ", la mention : " retraite au 06/1018-05/18 - UF 1010 Standard et accueil ". Ce titre n'explicite pas les modalités de calcul de la créance réclamée à Mme A... et ne comporte aucune référence précise à un document, indiquant les bases de liquidation et les éléments de calcul retenus, dont cette dernière aurait antérieurement reçu notification. Si le groupe hospitalier Nord Vienne soutient que, outre le titre exécutoire du 17 mai 2018, Mme A... a été destinataire de son bulletin de salaire du mois de mai 2018, lequel détaillerait les bases de la liquidation de la créance, il résulte toutefois de l'instruction que le titre ne comportait, en tout état de cause, aucune référence précise à ce bulletin de salaire. Ainsi, l'état exécutoire litigieux est irrégulier faute de préciser, directement ou par référence, les bases de liquidation et les éléments de calcul retenus, et c'est dès lors à bon droit que les premiers juges l'ont annulé pour ce motif.


5. Pour annuler le titre exécutoire en litige, le tribunal administratif de Poitiers a, en second lieu, estimé que le groupe hospitalier Nord Vienne ne pouvait procéder légalement au rappel de la somme en litige en raison des droits que Mme A... a acquis de la décision de l'établissement de maintenir sa rémunération dans l'attente de l'avis de la CNRACL.

6. Aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " I.- Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service (...) Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. (...) ".

7. Aux termes de l'article 2 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " (...) L'admission à la retraite est prononcée, après avis de la caisse nationale des retraites des collectivités locales, par l'autorité qui a qualité pour procéder à la nomination. ". Aux termes de l'article 30 du même décret : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'impossibilité définitive et absolue de continuer ses fonctions par suite de maladie, blessure ou infirmité grave dûment établie peut-être admis à la retraite soit d'office, soit sur demande. (...) ". L'article 31 du même décret prévoit que : " (...) / Le pouvoir de décision appartient dans tous les cas à l'autorité qui a qualité pour procéder à la nomination, sous réserve de l'avis conforme de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. (...) ".
8. Il résulte des dispositions précitées que le fonctionnaire qui bénéficie d'un congé pour invalidité temporaire imputable au service consécutive à un accident reconnu imputable au service a droit au versement de l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. S'il se trouve dans l'incapacité permanente d'exercer ses fonctions, il doit bénéficier de l'adaptation de son poste de travail ou, si celle-ci n'est pas possible, être mis en mesure de demander son reclassement dans un emploi d'un autre corps ou cadre d'emplois, s'il a été déclaré en mesure d'occuper les fonctions correspondantes. S'il ne demande pas son reclassement ou si celui-ci n'est pas possible, il peut être mis d'office à la retraite par anticipation. Il appartient à l'autorité compétente de se prononcer sur la situation de l'intéressé au vu des avis émis par le comité compétent. En l'absence de modification de la situation de l'agent, l'administration a l'obligation de le maintenir en congé de maladie avec plein traitement jusqu'à la reprise de service ou jusqu'à sa mise à la retraite, qui ne peut prendre effet rétroactivement.

9. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'avis émis le 5 octobre 2017 par la commission de réforme, qui a estimé que Mme A... était inapte totalement et définitivement à toutes fonctions, ce qui justifiait sa mise à la retraite pour invalidité, le groupe hospitalier Nord Vienne a décidé, par un courrier du 15 novembre 2017, de placer cette dernière en retraite d'office pour invalidité à compter du 6 octobre 2017, sous réserve de l'avis favorable de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL). Par ce même courrier du 15 novembre 2017, l'établissement a décidé, en se référant aux dispositions précitées de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, de maintenir la pleine rémunération de Mme A... pendant le temps de l'instruction de son dossier par la CNRACL. Ainsi, ce courrier du 15 novembre 2017 présentait, pour Mme A..., le caractère d'une décision créatrice de droits.

10. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'avis favorable de la CNRACL du 18 avril 2018 à la mise à la retraite pour invalidité de Mme A..., le directeur du groupe hospitalier a, par une décision du 19 avril 2018, prononcé cette mise à la retraite à compter du 6 octobre 2017. Contrairement à ce que soutient le groupe hospitalier, l'application rétroactive de la décision du 19 avril 2018 n'était pas nécessaire pour placer dans une situation régulière Mme A..., qui était en congé pour invalidité temporaire imputable au service entre octobre 2017 et avril 2018. Ainsi, en donnant à sa décision de mise à la retraite une portée rétroactive, le directeur du groupe hospitalier a commis une illégalité. Il s'ensuit que le groupe hospitalier n'est pas fondé à soutenir, pour justifier du bien-fondé du titre exécutoire, que Mme A... ne pouvait légalement cumuler, entre octobre 2017 et mai 2018, la rémunération dont elle a continué à bénéficier avec une pension de retraite. De plus, la rémunération versée à Mme A... pendant la période précitée ne présentait pas un caractère provisoire dès lors qu'elle résulte de l'application des dispositions précitées de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 et restait en conséquence acquise à l'agent.
11. Enfin, l'avis conforme de la CNRACL prévu à l'article 31 précité du décret du 26 décembre 2003 a seulement pour objet de faire obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir de nomination puisse décider la mise à la retraite pour invalidité d'un fonctionnaire lorsque la demande présentée à ce titre n'est pas fondée ou que l'intéressé n'a pas droit à pension. En cas d'avis favorable de la CNRACL, cette autorité, à laquelle appartient le pouvoir de décision, n'est pas tenue de mettre l'agent à la retraite. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient le groupe hospitalier Nord Vienne, l'avis favorable de la CNRACL du 18 avril 2018 ne l'a pas placé en situation de compétence liée pour prononcer la mise à la retraite de Mme A... à compter du 6 octobre 2017.

12. Il résulte de ce qui précède que le groupe hospitalier Nord Vienne ne pouvait procéder légalement, par le titre exécutoire du 17 mai 2018, au rappel de la somme litigieuse de 9 780,69 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le groupe hospitalier Nord Vienne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé le titre exécutoire du 17 mai 2018 et déchargé Mme A... de l'obligation de payer cette somme de 9 780,69 euros.
Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par le groupe hospitalier Nord Vienne au titre des frais exposés non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du groupe hospitalier Nord Vienne une somme de 1 500 euros à verser à Mme A..., en application de ces mêmes dispositions.



DECIDE :


Article 1er : La requête du groupe hospitalier Nord Vienne est rejetée.

Article 2 : Le groupe hospitalier Nord Vienne versera à Mme A... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au groupe hospitalier Nord Vienne et à Mme D... A....
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Frédéric Faïck, président,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2022.

La rapporteure,



Pauline C...Le président,



Frédéric Faïck



La greffière,


Angélique Bonkoungou



La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20BX02610 2