CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 16/02/2023, 20BX04249, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... C... veuve A... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 16 août 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension de réversion du chef de son époux décédé, et de lui accorder cette pension.
Par un jugement n° 1905561 du 20 octobre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 décembre 2020 et 3 février 2022, Mme C... veuve D..., représentée par Me Cherrier, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 octobre 2020 ;
2°) d'annuler la décision ministérielle du 16 août 2018 ;
3°) d'enjoindre au ministre des armées de revaloriser rétroactivement la pension à compter du décès de M. D... ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable, dès lors qu'elle conteste le jugement en tant qu'il a rejeté sa demande de pension de réversion ;
- le jugement est irrégulier en ce que les premiers juges n'ont pas fait usage de leurs pouvoirs d'instruction pour vérifier la validité de son mariage, alors qu'elle avait développé des écritures fondées sur la préexistence de l'acte de viduité à l'acte de mariage et que son acte de mariage précisait que son époux était divorcé ;
- la décision est entachée d'une erreur de fait, l'acte de viduité n'étant pas postérieur à l'acte de mariage ; cet acte a été établi avant que ne soit dressé l'acte de mariage, même s'il n'a été enregistré dans les registres qu'en même temps que ce dernier ; les mentions de l'acte de viduité dans l'acte de mariage ne sont que facultatives ;
- tout acte d'état civil étranger fait foi, sauf à apporter la preuve contraire en procédant à toutes vérifications utiles, ce qui n'a pas été fait ;
- l'acte de mariage est parfaitement valide dès lors que le délai de viduité a été respecté avant la célébration du mariage le 28 décembre 1991, son précédent mari étant décédé le 4 février 1990, et que son époux était libre de toute union antérieure ; la circonstance que son acte de naissance ne mentionne pas qu'elle avait déjà été mariée n'est pas de nature à remettre en cause la validité et la valeur probante d'un acte établi par deux adouls .
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 29 avril 2021 et 29 août 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la requête est irrecevable ; reprenant intégralement et exclusivement le texte de la demande de première instance, elle méconnaît les dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;
- la requérante n'invoque aucun moyen susceptible de remettre en cause le jugement qui a retenu des divergences entre les actes de mariage et de naissance produits par l'intéressée.
Mme C... veuve D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 15 avril 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2010-1691 du 30 décembre 2010 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. F... B...,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... a sollicité, le 12 mai 2011, auprès de la ministre des armées le bénéfice d'une pension de réversion à la suite du décès, le 23 août 1996, de son mari, M. A... D..., ressortissant marocain titulaire d'une pension militaire d'invalidité au taux de 60 %. Par décision du 16 août 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande au motif que l'acte de mariage produit faisait référence à un acte de viduité postérieur. Mme C... a saisi le tribunal des pensions militaires de Bordeaux, qui a transmis la demande, en application du décret n° 2018-1291, au tribunal administratif de Bordeaux. Par jugement du 20 octobre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de Mme C... d'annuler cette décision et de lui accorder le bénéfice de la pension. Le tribunal a estimé que, si la décision ministérielle du 16 août 2018 était entachée d'une erreur de fait lorsqu'elle retient que l'acte de viduité était postérieur à l'acte de mariage, Mme C... n'avait pas pour autant droit à la pension de réversion compte tenu du caractère non probant de l'acte de mariage, en raison des divergences existant avec les actes de naissance des deux époux qui ne mentionnent ni le fait que M. D... était divorcé, ni que l'intéressée avait déjà été mariée. Par la présente requête, Mme C... relève appel de ce jugement.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. (...) Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".
3. Mme C... a présenté, dans sa requête d'appel, une demande d'aide juridictionnelle qui a eu pour effet d'interrompre le délai de régularisation. Si sa requête reproduit purement et simplement sa demande devant le tribunal administratif et ne conteste pas le motif ayant conduit les premiers juges à rejeter sa demande, elle a été régularisée par le dépôt d'un mémoire complémentaire par son avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle le 29 août 2022. Par suite, la fin de non-recevoir, opposée par le ministre et tirée du non-respect des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, doit être écartée.
Sur le droit à pension :
4. Aux termes de l'article 211 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, dans sa rédaction alors applicable : " I. ' Les pensions militaires d'invalidité, les pensions civiles et militaires de retraite et les retraites du combattant servies aux ressortissants des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France sont calculées dans les conditions prévues aux paragraphes suivants. / (...) / IV. - Les indices servant au calcul des pensions servies aux conjoints survivants et aux orphelins des pensionnés militaires d'invalidité et des titulaires d'une pension civile ou militaire de retraite visés au I sont égaux aux indices des pensions des conjoints survivants et des orphelins servies aux ressortissants français, tels qu'ils sont définis en application du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et du code des pensions civiles et militaires de retraite. (...) / V. - Les demandes de pensions présentées en application du présent article sont instruites dans les conditions prévues par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et par le code des pensions civiles et militaires de retraite. (...) ".
5. Aux termes de l'article L. 43 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, alors en vigueur : " Ont droit à pension : (...) 3° Les conjoints survivants des militaires et marins morts en jouissance d'une pension définitive ou temporaire correspondant à une invalidité égale ou supérieure à 60 % ou en possession de droits à cette pension. (...) ".
6. Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
7. Il n'est pas contesté que la décision du 16 août 2018 par laquelle le ministre des armées a rejeté la demande de pension de réversion présentée par Mme C..., au motif que son acte de mariage qui mentionne un acte de viduité postérieur à son établissement ne présente pas de caractère probant, est entachée d'une erreur de fait, dès lors qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, l'acte de viduité a été établi à 10 heures le 28 décembre 1991, soit avant que le mariage soit célébré, le jour même, à 10h30.
8. Par ailleurs, la circonstance que l'acte de mariage, consigné dans les registres de l'état civil le 4 janvier 1992, mentionne que les deux époux ont chacun été mariés par le passé, alors que cette information ne figure pas sur les actes de naissance des intéressés, n'est pas davantage de nature à remettre en cause le caractère probant de cet acte, dès lors que les dispositions, invoquées par le ministre dans ses écritures de première instance, de la loi du 3 octobre 2002 relative à l'état civil au Royaume du Maroc et de la loi du 3 février 2004 relative au code de la famille marocain, qui prévoient une telle mention, n'étaient pas en vigueur à la date de mariage des intéressés. Par suite, en l'absence de tout élément remettant en cause le caractère probant de son acte de mariage, Mme C... est fondée à soutenir qu'elle a droit à une pension de réversion du chef de son époux, militaire décédé.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a refusé de lui reconnaître un droit à une pension de réversion.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Aux termes de l'article L. 153-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Les demandes des conjoints ou partenaires survivants sont recevables sans limitation de délai. / (...) / Lorsque l'ouvrant droit était titulaire d'une pension d'invalidité au titre du présent code, ou en possession de droits à une telle pension, l'entrée en jouissance de la pension du conjoint ou partenaire survivant est fixée au premier jour du mois suivant le décès de l'ouvrant droit, sous réserve des dispositions de l'article L. 151-3 ". Aux termes de l'article L. 151-3 de ce code : " Lorsque, par suite du fait personnel du pensionné, la demande de liquidation ou de révision de la pension est déposée postérieurement à l'expiration de la troisième année qui suit la date à laquelle la pension aurait normalement pu être obtenue, le titulaire ne peut prétendre qu'aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle la demande a été déposée et aux trois années antérieures ".
11. Il résulte de l'instruction que Mme C... a sollicité une pension de réversion le 12 mai 2011, soit près de quinze ans après le décès de son mari, le 23 août 1996. Au regard des dispositions précitées, Mme C... ne peut prétendre à une pension de réversion qu'à compter du 1er janvier 2008. Il y a lieu d'enjoindre au ministre des armées de procéder à sa liquidation dans un délai de trois mois à compter du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
12. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Cherrier de la somme de 1 500 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 octobre 2020 et la décision du ministre des armées du 16 août 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées d'allouer une pension de réversion à Mme C..., avec effet à compter du 1er janvier 2008, dans un délai de trois mois à compter du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Cherrier une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C... veuve D..., au ministre des armées et à Me Cherrier.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 février 2023.
Le rapporteur,
Olivier B...
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20BX04249