Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 30/03/2023, 460907

Information de la jurisprudence
Date de décision30 mars 2023
Num460907
Juridiction
Formation1ère - 4ème chambres réunies
RapporteurMme Ariane Piana-Rogez
CommissaireM. Mathieu Le Coq
AvocatsSCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH ; CABINET FRANÇOIS PINET

Vu la procédure suivante :

Mme C... B... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision implicite par laquelle le président du conseil départemental du Var a rejeté sa demande du 4 septembre 2017 tendant à l'attribution de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 1er septembre 2015 et de condamner le département du Var à lui verser cette allocation à compter de cette date. Par un jugement n° 1800904 du 16 octobre 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Par une ordonnance n° 21MA00976 du 25 janvier 2022, enregistrée le 28 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la cour administrative d'appel de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 15 mars 2021 au greffe de cette cour, présenté par Mme A....

Par ce pourvoi et un nouveau mémoire, enregistré le 15 juin 2022, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du département du Var la somme de 3 000 euros, à verser à la SARL Didier, Pinet, son avocat, au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- l'arrêté du 25 juin 2014 portant agrément de la convention du 14 mai 2014 relative à l'indemnisation du chômage et les textes qui lui sont associés ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet François Pinet, avocat de Mme B... et à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat du département du Var ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., adjointe technique territoriale de 1ère classe au sein des services du département du Var, a été placée en congé de longue durée à compter du 1er juin 2010. Par un courrier du 15 septembre 2014, elle a sollicité du président du conseil départemental du Var la prolongation de son congé de longue durée jusqu'au 15 août 2015 puis son admission à la retraite anticipée pour invalidité à compter du 1er septembre 2015. Par un arrêté du 7 août 2015 du président du conseil départemental du Var, pris après un avis de la commission départementale de réforme de la fonction publique territoriale du 26 février 2015 ayant conclu à une inaptitude définitive et absolue à ses fonctions ainsi qu'à toutes fonctions et un avis favorable de la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales du 31 juillet 2015 ayant conclu à la mise à la retraite anticipée de l'intéressée au motif d'un taux global d'invalidité de 50 % et à ce que la pension à verser ne soit pas assortie d'une rente d'invalidité, Mme A... a été radiée des cadres à compter du 1er septembre 2015 pour invalidité et admise à la retraite anticipée. Mme A... s'est ensuite inscrite sur la liste des demandeurs d'emploi à compter du 29 décembre 2015. Par un courrier du 4 septembre 2017, elle a demandé au président du conseil départemental du Var de lui accorder le bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi. Une décision implicite de rejet de cette demande est née le 7 novembre 2017 du silence gardé par ce dernier. Eu égard aux moyens qu'elle invoque, Mme A... doit être regardée comme demandant l'annulation du jugement du 16 octobre 2020 du tribunal administratif de Toulon en tant que, par son article 2, il rejette ses conclusions tendant à ce que le département du Var lui accorde le bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 1er septembre 2015.

2. Aux termes de l'article L. 5421-1 du code du travail : " En complément des mesures tendant à faciliter leur reclassement ou leur conversion, les travailleurs involontairement privés d'emploi (...), aptes au travail et recherchant un emploi, ont droit à un revenu de remplacement dans les conditions fixées au présent titre ". L'article 1er du règlement général annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l'indemnisation du chômage agréée par l'arrêté du 25 juin 2014 du ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social, applicable au litige, prévoit que : " Le régime d'assurance chômage assure un revenu de remplacement dénommé allocation d'aide au retour à l'emploi, pendant une durée déterminée, aux salariés involontairement privés d'emploi qui remplissent des conditions d'activité désignées période d'affiliation, ainsi que des conditions d'âge, d'aptitude physique, de chômage, d'inscription comme demandeur d'emploi, de recherche d'emploi ". Ces dispositions sont applicables aux agents des collectivités territoriales dans les conditions prévues par l'article L. 5424-1 du code du travail. Il appartient aux collectivités territoriales qui assurent la charge et la gestion de l'indemnisation de leurs agents en matière d'allocation d'aide au retour à l'emploi de s'assurer, lorsqu'ils demandent le bénéfice de cette allocation, qu'ils remplissent l'ensemble des conditions auxquelles son versement est subordonné.

3. Si l'ouverture du droit à l'allocation d'aide au retour à l'emploi sollicité par Mme A... était subordonnée à la condition, prévue à l'article L. 5421-1 du code du travail et reprise à l'article 1er du règlement annexé à la convention du 14 mai 2014, qu'elle soit physiquement apte au travail, cette condition, dont le contrôle relève, en vertu de l'article R. 5426-1 de ce code, de la compétence du préfet, était satisfaite aussi longtemps qu'elle demeurait inscrite sur la liste des demandeurs d'emploi mentionnée à l'article L. 5411-1 du même code, sur laquelle, en vertu de l'article L. 5411-5 du code du travail, ne peuvent être inscrites, pendant la durée de leur incapacité, les personnes invalides mentionnées aux 2° et 3° de l'article L. 341-4 du code de la sécurité sociale, c'est-à-dire " absolument incapables d'exercer une profession ", bénéficiaires à ce titre d'un avantage social lié à une incapacité totale de travail. Ainsi, le tribunal administratif a commis une erreur de droit en jugeant que Mme A... ne justifiait pas qu'elle remplissait la condition d'aptitude à l'emploi en se prévalant de son inscription sur la liste des demandeurs d'emploi, alors même qu'elle ne produisait pas de pièce médicale et que la commission de réforme de la fonction publique territoriale avait émis le 26 février 2015 un avis favorable à sa mise à la retraite anticipée pour invalidité au motif qu'elle présentait une inaptitude définitive et absolue à l'exercice de toute fonction dans la fonction publique.

4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'article 2 du jugement qu'elle attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans la mesure de la cassation prononcée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner les droits de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler ou de réformer, s'il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l'intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement. Dans le cas d'un contentieux portant sur les droits au revenu de remplacement des travailleurs privés d'emploi, c'est au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au cours de la période en litige que le juge doit statuer.

7. D'une part, si, ainsi qu'il a été dit au point 2, les agents des collectivités territoriales ont droit à une allocation d'assurance dans les conditions prévues par l'article L. 5424-1 du code du travail, le droit à cette allocation est, aux termes de l'article L. 5422-1 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige, de même qu'en vertu de l'article 1er du règlement général annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l'indemnisation du chômage, ouvert aux seuls " travailleurs involontairement privés d'emploi ou dont le contrat de travail a été rompu conventionnellement ".

8. D'autre part, aux termes de l'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps (...) peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office (...) " et aux termes du premier alinéa de l'article 30 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'impossibilité définitive et absolue de continuer ses fonctions par suite de maladie, blessure ou infirmité grave dûment établie peut être admis à la retraite soit d'office, soit sur demande ". Il résulte de ces dispositions que seule la mise à la retraite d'office constitue un cas de perte involontaire d'emploi pouvant ouvrir droit, pour un agent des collectivités territoriales, lorsque les autres conditions en sont remplies, à une allocation d'assurance telle que prévue à l'article L. 5424-1 du code du travail.

9. En l'espèce, il résulte de l'instruction que Mme A... a sollicité auprès du président du conseil départemental du Var, par courrier du 15 septembre 2014, son admission à la retraite anticipée pour invalidité à compter du 1er septembre 2015. Ainsi, il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 8 que Mme A..., qui ne peut être regardée comme ayant été involontairement privée d'emploi, ne peut prétendre à l'allocation de retour à l'emploi sollicitée.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le département du Var, que les conclusions de la demande de Mme A..., présentées devant le tribunal administratif de Toulon, tendant à ce que le département du Var lui accorde le bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 1er septembre 2015 doivent être rejetées.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du département du Var, qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme que ce département demande au titre des mêmes dispositions.




D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'article 2 du jugement du 16 octobre 2020 du tribunal administratif de Toulon est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la demande de Mme A..., présentées devant le tribunal administratif de Toulon, tendant à ce que le département du Var lui accorde le bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 1er septembre 2015 et celles présentées, tant devant ce tribunal que devant le Conseil d'Etat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par le département du Var au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme C... B... épouse A... et au département du Var.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 mars 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Alain Seban, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.

Rendu le 30 mars 2023.


Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber

ECLI:FR:CECHR:2023:460907.20230330