CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 28/03/2023, 21MA04862, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'une part d'annuler la décision du 5 décembre 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité au titre des infirmités dites " blépharite athrophique bilatérale " et " névrose symptomatique phobo-obsessionnelle avec syndrome anxio-dépressif chronique", et d'autre part de condamner l'Etat à lui verser la somme de 313 200 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.
Par un jugement n° 1911510 du 19 octobre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2021, M. B..., représenté par
Me Carbonnier, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 octobre 2021 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler la décision de la ministre des armées du 5 décembre 2018 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 313 200 euros, augmentée des intérêts de retard et de leur capitalisation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que la copie qui lui a été notifiée ne comporte pas la signature du président de la formation de jugement et du greffier, qu'il n'est pas justifié de la personne qui a versé les pièces visées ni de la teneur de celles-ci dont le requérant n'a pas été mis à même par le tribunal de prendre connaissance en violation des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de motivation, en cela qu'il a appliqué l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction en vigueur au jour de la demande de pension, et non de la constatation de l'infirmité ;
- le taux d'invalidité attribué au titre de la blépharite atrophique bilatérale, qui présente un caractère incurable et qui justifie l'octroi d'une pension non pas temporaire mais définitive, aurait dû être supérieur à 10%, puisque cette infirmité a été aggravée par l'exposition aux produits toxiques en 1966-1967 ;
- sa névrose symptomatique phobo-obsessionnelle avec syndrome anxio-dépressif chronique est imputable par présomption, conformément à l'article L. 3 du code, car en relation avec l'exposition aux produits toxiques ;
- c'est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevables ses conclusions indemnitaires sur le fondement des dispositions des articles R. 421-1 et R. 421-2 du code de justice administrative, inapplicables à la saisine du tribunal des pensions militaires.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 30 novembre 2022 la clôture d'instruction a été fixée au
16 décembre 2022, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a obtenu par un jugement du tribunal des pensions militaires
d'Aix-en-Provence du 7 février 2005, une pension militaire d'invalidité au taux de 30 %, concédée à titre provisoire, pour la période du 20 avril 1988 au 19 avril 2001 par un arrêté du
7 juin 2005, au titre d'une conjonctivite chronique bilatérale qu'il a contractée à l'issue de son service militaire le 1er mai 1967. Par deux demandes du 8 août 2014 et du 31 mai 2016,
M. B... a sollicité le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au titre de deux nouvelles infirmités, l'une dénommée " blépharite athrophique bilatérale " et l'autre " névrose symptomatique phobo-obsessionnelle avec syndrome anxio-dépressif chronique ". Par une décision du 5 décembre 2018, la ministre des armées a refusé de faire droit à ces demandes, au motif que le taux d'invalidité susceptible d'être attribué au titre de la première affection, constitutive d'une maladie, est inférieur à 30 %, et que l'autre infirmité n'est pas imputable au service. Par un jugement du 19 octobre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. B... tendant, d'une part, à l'annulation de cette décision et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 313 200 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, contrairement à ce que soutient M. B... qui s'appuie pour ce faire sur la seule expédition du jugement attaqué, la minute de cette décision comporte l'ensemble des signatures prévues à l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Le moyen tiré de ce que ce jugement serait irrégulier faute de comporter ces signatures doit être écarté.
3. D'autre part, le fait que, après avoir analysé les moyens soulevés dans les mémoires produits par les parties, les visas du jugement attaqué mentionnent " les autres pièces du dossier ", sans détailler le contenu de ces pièces, ni identifier la partie qui les a versées au dossier, n'est pas constitutif d'une irrégularité et ne contrevient ni au principe des droits de la défense, ni aux stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Enfin il ne ressort pas du dossier soumis aux premiers juges que, contrairement à ce que soutient sans précision M. B..., celui-ci n'aurait pas eu connaissance de l'ensemble des pièces sur lesquelles ceux-ci se sont fondés pour rendre leur jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions de M. B... tendant au bénéfice d'une pension militaire d'invalidité :
S'agissant de ses droits à pension au titre de l'infirmité dite " blépharite athrophique bilatérale " :
5. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa rédaction en vigueur à la date des demandes de pension de
M. B..., la seule à prendre en compte pour déterminer les droits à pension hors régime de présomption : " Ouvrent droit à pension : (...) / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : (...) 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples. ". Enfin l'article L. 26 de ce code précise que : " Toute décision (...) relative à l'évaluation de l'invalidité doit être motivée par des raisons médicales et comporter, avec le diagnostic de l'infirmité, une description complète faisant ressortir la gêne fonctionnelle et, s'il y a lieu, l'atteinte de l'état général qui justifient le pourcentage attribué ".
6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport du médecin expert désigné par le service des pensions du 25 mai 2016, que M. B... présente une blépharite atrophique bilatérale, ainsi qu'un remaniement du bord ciliaire, auxquels cet expert a proposé d'attribuer le taux d'invalidité de 10 %. Si pour contester ce taux, M. B... affirme souffrir d'un lourd handicap visuel présentant un caractère incurable, et justifiant selon lui l'octroi à titre définitif et non pas temporaire de la pension d'invalidité au titre de la conjonctivite chronique bilatérale, et que son état s'est aggravé par son exposition aux produits toxiques lorsqu'il exerçait ses fonctions à la direction régionale de l'industrie de la recherche et de l'environnement de Martigues de 1991 à 2005, de telles circonstances, qui ne sont confortées par aucune pièce de nature médicale, ne sont pas de nature à démontrer que la gêne fonctionnelle, liée à la blépharite atrophique, dont l'intéressé ne conteste pas qu'elle est distincte de la conjonctivite chronique et dont il n'allègue pas qu'elle aurait une filiation médicale avec celle-ci, justifierait un taux d'invalidité supérieur à 10 %. L'infirmité au titre de laquelle M. B... sollicite une pension constituant une maladie et n'entraînant donc pas une invalidité égale ou supérieure à 30%, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses prétentions à ce titre.
S'agissant de ses droits à pension au titre de l'infirmité dite " névrose symptomatique phobo-obsessionnelle avec syndrome anxio-dépressif chronique " :
7. En outre, l'article L. 3 du même code dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : [...] 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée ". En application de ces dispositions, la présomption d'imputabilité peut bénéficier à l'intéressé à condition que la preuve d'une filiation médicale soit apportée. Cette filiation médicale, qui suppose une identité de nature entre l'infirmité pensionnée et l'infirmité invoquée, peut être établie soit par la preuve de la réalité des soins reçus de façon continue pour l'affection pensionnée soit par l'étiologie même de l'infirmité en cause.
8. D'une part, si M. B... entend rattacher sa névrose symptomatique
phobo-obsessionnelle avec syndrome anxio-dépressif chronique, à la conjonctivite bilatérale chronique dont il souffre depuis la fin de son service militaire du fait de l'exposition à des poussières, il résulte de l'instruction qu'aucun trouble de nature psychologique ou psychiatrique n'a été décelé dans les mois suivant l'apparition de cette affection oculaire. Il est en outre constant que l'intéressé, qui n'a évoqué les premières manifestations de ces troubles qu'à compter de 1996, n'a formé une demande de pension pour cette affection que le 31 mai 2016, soit plus de cinquante ans après les faits invoqués comme étant à leur origine. Ainsi, M. B..., qui n'apporte aucun élément médical de nature à démontrer que, comme il l'allègue, son état anxio-dépressif serait dû à son exposition à des produits toxiques pendant son service militaire, ne saurait être regardé comme apportant la preuve qui lui incombe de l'imputabilité au service des troubles psychologiques dont il souffre.
9. D'autre part, il n'est pas moins constant qu'aucun constat officiel d'infirmité, contemporain de son affection pensionnée et dans les délais légaux, n'a été dressé au sujet de ces troubles. Si un rapport du médecin expert, spécialiste en ophtalmologie, du 10 juillet 1998, ainsi qu'un certificat d'un chef de clinique du 21 décembre 2016, indiquent que la conjonctivite bilatérale chronique de M. B... provoque un retentissement psychologique important et que les manifestations neuropsychiatriques sont en relation avec cette affection oculaire, le rapport du médecin expert psychiatre, du 15 janvier 2018, qui constate l'absence de motivation de ces deux précédents avis quant à la causalité étiologique entre la maladie pensionnée et les troubles en cause, dénie tout lien direct et certain entre ces deux affections, qu'il s'agisse pour la seconde du trouble phobo-obsessionnelle, ou qu'il s'agisse du syndrome anxio-dépressif, alors que ni le jugement du tribunal des pensions du 7 février 2005, ni l'arrêté de concession du 7 mai 2005, n'ont tenu compte de troubles de cette nature pour accorder à M. B... un droit à pension. Ainsi M. B..., qui ne soutient pas avoir bénéficié de soins psychologiques ou psychiatriques continus depuis l'apparition de sa maladie oculaire, ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe pour prétendre au bénéfice des dispositions de la présomption d'imputabilité prévue à l'article
L. 3 en l'absence de tout constat officiel, d'une filiation médicale entre l'infirmité pensionnée et celle qu'il revendique au soutien de sa demande de pension. Il ne peut donc se prévaloir du bénéfice du régime de la présomption d'origine prévu par l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande de pension.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires de M. B... :
11. Pour rejeter les conclusions de M. B... tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 313 200 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis dans le déroulement de sa carrière et dans sa vie privée du fait de sa maladie oculaire, le tribunal s'est fondé sur le double motif tiré de l'irrecevabilité de ces prétentions indemnitaires, au regard de l'exigence de décision préalable posée par l'article R. 421-1 du code de justice administrative et de ce que l'intéressé n'établit pas que l'aggravation de sa conjonctivite bilatérale serait liée à son service dans l'armée. En se bornant à soutenir que la règle posée par l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'est pas applicable devant la juridiction des pensions, initialement saisie de ses conclusions indemnitaires, M. B... ne conteste pas le motif retenu par le tribunal pour les rejeter comme mal fondées.
12. En outre, dès lors que M. B..., dont les conclusions tendant au bénéfice d'une pension militaire d'invalidité sont rejetées, n'assortit pas ses prétentions indemnitaires d'une argumentation propre, il y a lieu de rejeter celles-ci par voie de conséquence.
13. Il doit enfin en aller de même de ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2023.
N° 21MA048622