CAA de DOUAI, 3ème chambre, 06/04/2023, 22DA01275, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'arrêté du maire de la commune de Loos n° 2015/1246 du 18 novembre 2015 la plaçant en congé maladie ordinaire ainsi que les arrêtés n° 2015/1252 du 18 novembre 2015 et n° 2015/1302 du 8 décembre 2015 réduisant ses primes et indemnités liées à 1'exercice effectif de ses fonctions pour les mois de novembre et décembre 2015 et, d'autre part, de condamner la commune de Loos à l'indemniser des préjudices matériel et moral qu'elle estime avoir subis.
Par un jugement n° 1601003, 1601004, 1601005 du 6 décembre 2018, le tribunal administratif de Lille a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de sa requête à fin d'annulation des arrêtés des 18 novembre et 8 décembre 2015 et a rejeté le surplus des conclusions.
Par un arrêt n° 19DA00282 du 25 juin 2020, la cour a annulé l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Lille rejetant le surplus des conclusions des parties et, statuant par la voie de l'évocation, a rejeté la demande présentée par Mme A... tendant à l'indemnisation de ses préjudices ainsi que le surplus des conclusions de la requête d'appel.
Par une décision n° 443367 du 16 juin 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par Mme A..., a annulé l'arrêt du 25 juin 2020 de la cour en tant qu'il a omis de se prononcer sur l'indemnisation des préjudices allégués par Mme A..., tenant aux souffrances physiques et morales liées à sa pathologie, au titre de la responsabilité sans faute de la commune de Loos. Par le même arrêt il a renvoyé dans cette mesure l'affaire à la cour.
Procédure devant la cour :
Par une requête et, des mémoires complémentaires initialement enregistrés sous le n° 19DA00282, les 5 février et 2 août 2019, puis après cassation et renvoi, par des mémoires enregistrés sous le n° 22DA01275, les 17 août et 25 novembre 2022 et le 9 janvier 2023, Mme A..., représentée par Me Wabant, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de condamner la commune de Loos au versement, d'une part, d'une somme de 8 000 euros au titre de la perte de chance d'évolution de carrière et de poursuite d'activité et, d'autre part, d'une somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral ;
2°) de condamner la commune de Loos au versement d'une somme de 13 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts ;
3°) d'ordonner une expertise ayant pour objet de fixer le pretium doloris, le préjudice d'agrément et le taux d'ITP ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Loos une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a été victime d'un harcèlement moral, visant à l'écarter progressivement de ses fonctions, à mettre en cause ses compétences et à la fragiliser professionnellement et psychologiquement ;
- l'imputabilité au service de sa pathologie est établie, la commune n'ayant pris aucune mesure malgré ses alertes, les documents médicaux et l'avis du médecin de prévention préconisant un soutien psychologique ; la commune a ainsi manqué à ses obligations de protection de sa santé et d'organisation du service ;
- le refus de prendre des mesures, l'absence de prise en charge de la protection fonctionnelle, les arrêtés qui ont conduit à une diminution de ses revenus, l'absence de remise en cause des actes de son supérieur hiérarchique sont à l'origine de sa pathologie ;
- elle est fondée à rechercher la responsabilité pour faute et sans faute de la commune au titre de ces agissements ;
- l'état de stress professionnel a par ailleurs contribué à déclencher sa maladie de l'audition ;
- outre un préjudice financier lié à la diminution de ses revenus et à l'absence d'évolution de sa rémunération, elle subit un préjudice distinct, lié à l'absence de toute évolution de carrière ; il en est également résulté un préjudice de retraite ; ce préjudice doit être réparé par l'allocation d'une somme de 8 000 euros ;
- elle a subi un préjudice moral consécutivement à la dégradation de son état de santé qui doit être réparé à hauteur de 5 000 euros ;
- les préjudices physiques et le préjudice d'agrément dont elle souffre également justifient l'allocation d'une provision de 13 000 euros, dans l'attente de la détermination de leur étendue par une expertise médicale ;
- l'expertise médicale est nécessaire pour évaluer le pretium doloris, le préjudice d'agrément et le taux d'IPP.
Par des mémoires enregistrés le 3 juillet 2019, les 30 septembre et 16 décembre 2022, la commune de Loos, représentée par Me Delgorgue, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de Mme A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés, en faisant notamment valoir que :
- après cassation, l'arrêt de la cour du 25 juin 2020 est devenu définitif en ce qui concerne le rejet des préjudices dont Mme A... demande la réparation sur le fondement de la responsabilité pour faute ;
- le litige ne porte plus que sur la demande de réparation des préjudices résultant des souffrances physiques et morales liées à la pathologie dont souffre Mme A..., sur le fondement de la responsabilité sans faute ;
- le préjudice pour perte de chance d'évolution de carrière ne peut plus être invoqué dans la mesure où l'arrêt du 25 juin 2020 a déjà statué sur ce poste et qu'il s'agit d'un préjudice réparé forfaitairement ;
- Mme A... ayant contribué au développement de son syndrome dépressif par son comportement professionnel, cette circonstance exonère la commune de sa responsabilité ;
- les préjudices physiques et moraux dont Mme A... demande réparation ne sont pas établis et ne peuvent dès lors être indemnisés ;
- l'expertise médicale demandée ne présente aucune utilité ;
- en l'absence de caractère certain et non contestable de la créance, la demande de versement d'une provision de 13 000 euros est irrecevable et doit être rejetée.
Par une ordonnance du 19 décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 10 janvier 2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,
- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Potier pour la commune de Loos.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., assistante territoriale d'enseignement artistique employée par la commune de Loos, qui intervient comme professeur de musique au sein du conservatoire à rayonnement communal et des écoles de la commune de Loos, a sollicité du maire de la commune, par un courrier du 14 janvier 2016, le retrait de trois arrêtés du 18 novembre et du 8 décembre 2015 ayant pour effet de la placer en congé maladie ordinaire du 14 novembre au 14 décembre 2015 et de suspendre le versement à son profit de l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves pour les mois de novembre et de décembre 2015, son placement en congé en longue maladie imputable au service ainsi que l'indemnisation de préjudices matériels et moraux qu'elle estime avoir subis. Par un jugement du 6 décembre 2018, le tribunal administratif de Lille a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de sa requête à fin d'annulation des arrêtés des 18 novembre et 8 décembre 2015 et a rejeté le surplus des conclusions. Par un arrêt n° 19DA00282 du 25 juin 2020, la cour a rejeté la demande présentée par Mme A... tendant à l'indemnisation de ses préjudices. Par une décision n° 443367 du 16 juin 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 25 juin 2020 de la cour en tant qu'il a omis de se prononcer sur l'indemnisation des préjudices allégués par Mme A..., tenant aux souffrances physiques et morales liées à sa pathologie, au titre de la responsabilité sans faute de la commune de Loos. Par la même décision il a renvoyé dans cette mesure l'affaire à la cour.
Sur l'étendue du litige après cassation :
2. Par sa décision n° 443367 du 26 janvier 2021, le Conseil d'Etat n'a admis les conclusions du pourvoi de Mme A... qu'en tant que par son arrêt en date du 25 juin 2020, la cour a omis de se prononcer sur l'indemnisation des préjudices subis tenant aux souffrances physiques et morales liées à la pathologie dépressive, au titre de la responsabilité sans faute. Il en résulte qu'il n'y a plus lieu, pour la cour, de statuer sur les demandes de Mme A... au titre de la responsabilité pour faute de la commune de Loos, auxquelles il a été répondu définitivement le 25 juin 2020. Il y a lieu en revanche, par la voie de l'évocation, de statuer sur les conclusions indemnitaires au titre de la responsabilité sans faute.
Sur les conclusions indemnitaires au titre de la responsabilité sans faute de la commune de Loos :
3. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre cette personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
4. Il résulte du point précédent, que la responsabilité de la commune de Loos peut être engagée à l'égard de Mme A..., même en l'absence de faute, dans l'hypothèse où celle-ci démontrerait avoir subi, du fait de la pathologie d'origine professionnelle dont elle souffre, des préjudices personnels ou des préjudices patrimoniaux d'une autre nature, pour ces derniers, que ceux réparés forfaitairement par l'allocation d'une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite ou d'une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité.
Sur les préjudices à caractère patrimonial :
5. Mme A... sollicite la réparation du préjudice financier lié, d'une part, à l'absence d'évolution de sa carrière, qui l'aurait privée, depuis plus de trois ans, de toute progression de sa rémunération et de son régime indemnitaire, d'autre part, à la minoration de sa retraite. Toutefois, ces préjudices allégués ne relèvent pas d'une nature patrimoniale autre que ceux indemnisés par les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite ainsi que celles du II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 et les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965 qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité.
Sur les préjudices personnels :
6. Il résulte de l'instruction que les arrêts de travail déclarés depuis le 31 août 2015 par Mme A... ont été reconnus imputables au service à compter de cette date, par un arrêté du 17 janvier 2018 du maire de la commune de Loos. Il ressort d'une première expertise médicale d'un psychiatre agréé du 7 juillet 2017, de l'avis de la commission de réforme du 24 novembre 2017 ainsi que d'une seconde expertise médicale réalisée le 15 novembre 2022 par un autre psychiatre agréé, que la pathologie dont est atteinte Mme A... consiste en une décompensation anxio-dépressive dans un contexte professionnel. Le médecin expert ayant examiné l'intéressée le 15 novembre 2022 a constaté, à cette date, " la persistance d'une symptomatologie marquée par une thymie instable mais globalement basse, des épisodes anxieux, des troubles du sommeil et une tendance au repli ". Il a par ailleurs relevé, sur le plan thérapeutique, la poursuite d'un suivi psychiatrique auprès d'un médecin psychiatre et la prise régulière d'un traitement médicamenteux. Il n'est pas contesté que depuis la déclaration de sa maladie, Mme A... n'a pas repris son activité. Dans ces conditions, les souffrances physiques, psychiques et morales qu'elle a endurées depuis cette période et qui persistent actuellement sont en lien direct avec sa maladie professionnelle. Par suite, il sera fait une juste appréciation des souffrances physiques et morales subies par Mme A..., en lui allouant une somme globale de 3 000 euros à ce titre, sans que la commune puisse invoquer un fait exonératoire de l'intéressée, en l'absence de tout élément permettant d'imputer la survenance de la pathologie à un manquement ou comportement personnel de l'agent.
7. En revanche, si Mme A... sollicite la réparation d'un préjudice d'agrément, elle n'apporte aucune précision quant à la nature de ce dernier et notamment, elle ne précise pas la nature des activités sportives, culturelles ou de loisirs qu'elle exerçait avant sa maladie et dont elle serait désormais totalement privée ou dans l'impossibilité de les pratiquer pleinement à raison de sa pathologie psychique, seule pathologie reconnue comme imputable au service.
8. En outre, si Mme A... soutient qu'un état de stress professionnel a contribué à déclencher sa maladie de l'audition, accentuée dans le cadre de l'exercice de ses fonctions de professeur de musique conduisant à l'impossibilité actuelle de jouer de son instrument, il ne résulte pas de l'instruction l'existence d'un tel lien. A cet égard, les deux correspondances que le médecin de la spécialité ORL a adressées au médecin traitant de Mme A... ne font état d'aucun lien éventuel entre ses problèmes d'audition qui lui interdisent de jouer de la clarinette et son syndrome dépressif.
9. En dernier lieu, Mme A... sollicite la réparation d'un préjudice qui serait lié à une incapacité de travail temporaire, d'une part, et à une incapacité de travail permanente, d'autre part. Toutefois, aucun élément du dossier, et notamment pas l'arrêté reconnaissant imputable au service la pathologie de Mme A..., ne fait état d'un éventuel déficit temporaire ou permanent à raison du syndrome anxio-dépressif dont elle est atteinte, de sorte que ces chefs de préjudice ne peuvent qu'être rejetés.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise médicale, que la commune de Loos doit être condamnée à verser à Mme A... une somme de 3 000 euros, en réparation des souffrances physiques et morales liées à sa pathologie.
Sur les conclusions tendant au versement d'une provision :
11. La Cour statuant sur l'indemnisation due à Mme A..., il n'y a pas lieu de statuer sur ses conclusions tendant au versement d'une provision.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante au titre des frais exposés par la commune de Loos et non compris dans les dépens. En revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Loos, une somme de 2 000 euros à verser à Mme A... au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La commune de Loos est condamnée à verser une indemnité de 3 000 euros à Mme A....
Article 2 : La commune de Loos versera à Mme A... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Loos au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Loos.
Délibéré après l'audience publique du 21 mars 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.
Le rapporteur,
Signé : F. MalfoyLa présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Huls-Carlier
N° 22DA01275 2