CAA de LYON, 7ème chambre, 25/05/2023, 22LY02975, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision25 mai 2023
Num22LY02975
JuridictionLyon
Formation7ème chambre
PresidentM. PICARD
RapporteurMme Christine DJEBIRI
CommissaireM. RIVIERE
AvocatsYVER

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure


M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 18 février 2019 par laquelle le ministre des armées a refusé la majoration de sa pension d'invalidité pour l'infirmité affectant son bras et sa main gauches et a rejeté sa demande au titre des " troubles de la personnalité " et d'un " état de stress post-traumatique ".

Par un jugement n° 1907271 du 10 août 2022, le tribunal a annulé la décision du 18 février 2019 du ministre des armées en tant qu'elle concerne les infirmités de son bras et de sa main gauches et son " état de stress post-traumatique ", et ouvert à M. D... des droits à pension militaire d'invalidité au taux global d'invalidité de 55 % à compter du 27 janvier 2017, dont 35 % pour l'infirmité du bras et de la main gauches et 20 % pour l'état de stress post-traumatique, et rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la cour


Par une requête et des mémoires enregistrés le 10 octobre 2022 ainsi que les 16 janvier et 15 mars 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre des armées demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a accordé un taux d'invalidité de 20 % pour l'infirmité " état de stress post-traumatique " et un taux d'invalidité global de 55 %.
Il soutient que :
- M. D... ne présente pas de stress post-traumatique tel que décrit par le guide barème ; l'expert qui a conclu à un stress post traumatique a méconnu les dispositions du guide barème ; il a pris en compte des éléments postérieurs à la date de la demande ;
- le rapport d'expertise du Dr B... du 26 septembre 2018 conclut à des troubles anxio dépressifs en l'absence de tout symptôme d'état de stress post-traumatique ; le certificat du Dr G... du 19 janvier 2017 évoque une décompensation psychologique importante, le compte rendu d'hospitalisation du 26 février 2015 conclut à une décompensation anxio dépressive, l'examen du 14 décembre 2015 fait part d'une situation conflictuelle et complexe sans évocation de troubles résultant de stress post-traumatique, l'infirmité trouble de personnalité a été considérée comme non imputable au service par décision du 10 mai 2004, le seul document faisant état de stress post-traumatique est le certificat du 21 juin 2015 faisant état de troubles des conduites et de l'humeur exacerbés par une situation conflictuelle professionnelle sans décrire de syndrome de répétition ou de comportement d'évitement.
Par un mémoire enregistré le 21 novembre 2022, M. D..., représenté par Me Yver, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de dire que la pension militaire d'invalidité accordée au titre de ses deux infirmités doit être entendue comme définitive.

Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance du 1er mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 mars 2023.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 23 novembre 2022.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Yver, pour M. D... ;


Considérant ce qui suit :


1. M. D..., retraité de la gendarmerie, titulaire d'une pension militaire d'invalidité accordée au taux de 15 % le 8 janvier 2018 à la suite à une décharge de foudre subie le 23 août 1995, avec effet au 1er mars 2016, a demandé le 27 janvier 2017 que le taux pour l'infirmité affectant son bras et sa main gauches soit majoré et que soient constatés ses droits au titre de deux infirmités nouvelles correspondant à des " troubles de la personnalité " et à un " état de stress post-traumatique ". Par une décision du 18 février 2019, le ministère des armées a refusé de réviser sa pension. Par un jugement avant-dire-droit du 31 décembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande au titre de l'infirmité " troubles de la personnalité " et a ordonné deux expertises concernant les infirmités du bras et de la main gauches et l'état de stress post-traumatique. Les experts désignés ont rendu leurs rapports les 18 février (Dr H...) et 29 mars 2022 (Dr C...). Le ministre des armées relève appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 10 août 2022 qui a fixé les droits à pension militaire d'invalidité de M. D... au titre des infirmités du bras et de la main gauches et de son " état de stress post-traumatique " au taux d'invalidité de 55 % à compter du 27 janvier 2017, en tant qu'il a accordé un taux d'invalidité de 20 % pour l'infirmité " état de stress post-traumatique ".

Sur le fond du litige :

2. Aux termes de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. " Aux termes de l'article L. 121-4 de ce code : " Les pensions sont établies d'après le taux d'invalidité résultant de l'application des guides barèmes mentionnés à l'article L. 125-3. /Aucune pension n'est concédée en deçà d'un taux d'invalidité de 10 %. " Aux termes de l'article L. 125-1 du même code : " Le taux d'invalidité reconnu à chaque infirmité examinée couvre l'ensemble des troubles fonctionnels et l'atteinte à l'état général. " Aux termes de l'article D. 125-4 de ce même code : " Le taux d'invalidité mentionné à l'article L. 125-1 est déterminé par le guide-barème des invalidités annexé au présent code. / (...). "

3. Le guide-barème des invalidités figurant en annexe 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre prévoit en particulier que : " (...) la névrose traumatique de guerre (ou en relation avec des catastrophes naturelles ou tout autre événement exceptionnel à caractère individuel ou collectif) doit être considérée comme une blessure (...). Cependant, dans le cadre du travail d'expertise, elle constitue (...) un état pathologique consécutif à des situations particulières (...) ou lié à l'exposition à des situations de danger, (...) comportant toujours des répercussions psychologiques pour le sujet. (...) La gêne fonctionnelle résulte de la conjonction de l'importance relative des symptômes spécifiques (syndrome de répétition) avec d'autres manifestations éventuelles (cf. " troubles névrotiques " et " troubles de la personnalité "). (...) ". Ce même barème indique que le taux de 20 %, tel que retenu ici par l'expert judiciaire, correspond à des troubles légers et que les " critères développés ci-dessous correspondent à des situations assez typiques et moyennes reflétant la démarche clinique qui est surtout globalisante et ne procède jamais par des estimations à 5 p. 100 près, mais par niveau de 20 p. 100 sur l'échelle nominale. (...) ". Il en résulte également que : " (...) En pratique expertale, les critères constitutifs de l'évaluation de l'invalidité comprendront : - 1. La souffrance psychique : l'expert l'appréciera à partir de l'importance des troubles, de leur intensité et de leur richesse symptomatique. Cette souffrance est éprouvée consciemment ou non par le sujet et/ou perçue par l'entourage ; - 2. La répétition : elle s'exprime, au sens psychopathologique, par des troubles au long cours ou rémittents ; - 3. La perte relative de la capacité relationnelle et le rétrécissement de la liberté existentielle : ce troisième critère, consécutif dans une certaine mesure aux précédents, concerne le mode de relation à autrui et le degré d'inadéquation des conduites aux situations. Doivent être pris en compte également des critères positifs tels que : - la capacité de contrôle des affects et des actes ; - le degré de tolérance à l'angoisse et à la peur ; - l'aptitude à différer les satisfactions et à tenir compte de l'expérience acquise ; - les possibilités de créativité, d'orientation personnelle et de projet. (...) ".

4. Contrairement à ce que soutient le ministre des armées, l'expert judiciaire, dans son rapport du 18 février 2022, s'est essentiellement fondé sur des éléments présentés lors de la demande de révision du 27 janvier 2017 pour conclure à l'existence de l'état de stress post-traumatique de M. D..., qu'il s'agisse en particulier des certificats médicaux des Dr F... du 1er septembre 1995, Vernant du 10 mai 2002 et Rondier du 24 mai 2002, ou d'un compte rendu d'hospitalisation de 2002, les avis de spécialistes de kéraunopathologie, postérieurs à cette demande, qu'il a également pris en compte, ne faisant que confirmer cet état.

5. Le ministre soutient que, contrairement à ce qu'a retenu le Dr H... dans son rapport du 18 février 2022, les troubles psychiques de M. D..., qui ne correspondent pas à la description qu'en fait le guide-barème, ne peuvent être qualifiés de " stress post-traumatique ". Il fait ainsi valoir que le rapport d'expertise du Dr B... du 26 septembre 2018 conclut, en l'absence de tout symptôme d'état de stress post-traumatique, à des troubles anxio dépressifs, que le certificat du Dr G... du 19 janvier 2017 évoque une décompensation psychologique importante, que l'examen du 14 décembre 2015 décrit une situation conflictuelle et complexe sans indication de troubles liés à un état de stress post-traumatique et que le compte rendu d'hospitalisation du 26 février 2015 mentionne une décompensation anxio dépressive, rappelant par ailleurs que l'infirmité " trouble de personnalité " a été considérée comme non imputable au service par une décision du 10 mai 2004 et que le seul document renvoyant à un état de stress post-traumatique est un certificat du 21 juin 2015 constatant des troubles de la conduite et de l'humeur exacerbés par une situation conflictuelle professionnelle sans décrire de syndrome de répétition ou de comportement d'évitement. Si le guide barème décrit la pathologie de stress post-traumatique, il n'en résulte pas pour autant que l'existence de cette affection ne peut être reconnue qu'à condition d'en cumuler toutes les manifestations caractéristiques. Il apparaît à cet égard, au vu des pièces médicales antérieures à sa demande de révision, et reprises par l'expertise judiciaire du 18 février 2022, que M. D... présente des séquelles psychiques qui, compte tenu en particulier des critères développés par le guide barème ci-dessus, sont compatibles avec le diagnostic de stress post-traumatique. Le compte-rendu du Dr F... du 25 août 1998 fait ainsi état de " Troubles de la mémoire ", que le certificat médical du Dr F... du 31 août 1995 indique que, sur " le plan cérébral, Monsieur D... présente encore quelques troubles avec de grandes perturbations de la mémoire de fixation et quelques désorientations temporo-spatiales. La perte de connaissance, au moment de l'électrisation, a pu être estimée à environ 15 minutes ", que la feuille de notation du 21 décembre 1995 précise que l'intéressé a " été très affecté par l'accident [ du 23 août 1995] dont il conserve pour l'instant des séquelles ", que le certificat médical du Dr E... du 6 juillet 2011 décrit " des accès de palpitations nocturnes et diurnes quasi-quotidiens ", un sommeil très limité, " des sueurs nocturnes ", sans aucun rapport avec une pathologie pulmonaire, que l'ordonnance du 18 mars 2015 indique la prise d'anti-dépresseurs et d'anxiolytiques habituellement prescrits dans les cas de névrose traumatique, que le relevé des congés de maladie et hospitalisations répertorie des arrêts maladie récurrents pour fatigue physique et psychique et troubles du sommeil. Surtout, dans son rapport du 18 février 2022, l'expert, qui a repris la description de ces symptômes en se référant aux recommandations du guide barème, a précisé que " M. D... a peur dès qu'il fait nuit, il ne sait pas pourquoi, il [a] des tremblements, il est fatigué, il a des troubles de la mémoire, il a du mal à se situer dans le temps/ [...] M. D... a été victime d'un accident dramatique qui l'a marqué psychiquement [...] M. D... présente une dépression chronique avec une comorbidité à la fois intrinsèque et à la fois extrinsèque, la dimension extrinsèque étant réalisée par un état de stress post-traumatique et qui réalise un taux d'infirmité imputable à l'accident de 1995 à 20 % ". Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, que ne remettent pas sérieusement en cause les conclusions du médecin conseiller technique du ministre du 13 mai 2022 qui, à la différence de l'expertise judiciaire, que l'administration n'a alors pas discutée, sont non contradictoires, rien ne permet sérieusement de dire que les symptômes ressentis par M. D... ne peuvent pas être rattachés à un état de stress post-traumatique lié à ses conditions de service, dont la cotation à 20 %, recommandée par le guide-barème, n'est pas remise en cause.

6. Il résulte de ce qui précède que la requête du ministre des armées ne peut, dans ces conditions, qu'être rejetée.

7. M. D... demande à la cour de constater que la pension militaire d'invalidité accordée au titre de ses deux infirmités doit être entendue comme définitive. De telles conclusions constituent des conclusions en déclaration de droit qu'il n'appartient pas au juge administratif d'accueillir en dehors des cas prévus par un texte.

Sur les frais du litige :

8. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser au conseil M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :


Article 1er : La requête du ministre des armées est rejetée.
Article 2 : L'État versera la somme de 1 200 euros au conseil de M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le surplus de conclusions de M. D... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 11 mai 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023.


La rapporteure,
C. DjebiriLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre des armées, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,
La greffière,
N°22LY02975 2
lc