CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 30/05/2023, 22MA01011, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille qui, après jugement rendu avant dire droit le 29 août 2019, a transmis sa demande au tribunal administratif de Marseille, d'annuler la décision du 24 avril 2015 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité.
Par un jugement n° 2003797 du 8 février 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 avril et 29 novembre 2022, M. A..., représenté par Me Jullien, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 8 février 2022 ;
2°) d'ordonner au ministre des armées de produire son livret militaire, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) d'ordonner une expertise médicale aux fins de déterminer le taux d'invalidité ophtalmique due selon lui à des éclats d'obus, le taux de l'invalidité aux oreilles et au pied causée selon lui par les souffles d'obus, le taux d'invalidité corporelle provoquée selon lui par des éclats multiples et le taux de l'invalidité causée aux pieds par des pièges multiples, et de dire la date à laquelle ces taux doivent être retenus ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- durant la campagne militaire d'Indochine, il a été blessé aux yeux et au corps par éclats d'obus, à l'oreille gauche irradiée par souffle d'obus, et aux pieds par pièges métalliques ;
- il souffre de séquelles de ces différentes blessures ;
- l'administration lui a toujours refusé la communication de son livret militaire, malgré sa demande de pension militaire présentée en 2002 ;
- c'est à tort que pour rejeter sa demande, le tribunal a statué sans demander au ministre la production de son livret militaire, seul document de nature à lui permettre de prouver la relation causale, directe et certaine, entre l'infirmité et le service ;
- ce n'est qu'une fois ce document produit que sera ordonnée une expertise pour déterminer le taux d'invalidité correspondant à la baisse d'acuité visuelle bilatérale, le taux d'invalidité de l'œil droit blessé lors d'un exercice en Algérie en 1958 et le taux des séquelles de blessures au pied gauche.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mars 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que l'appelant se borne, en appel, à réitérer une demande de production de document déjà satisfaite et subsidiairement, que le jugement attaqué doit être confirmé.
Par une ordonnance du 9 mars 2023 la clôture d'instruction a été fixée au 30 mars 2023, à 12 heures, puis reportée au 9 mai 2023 à 12 heures par une ordonnance du 30 mars 2023.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 septembre 2022 près le tribunal judiciaire de Marseille.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 24 juillet 1932, a présenté le 31 mai 2012 une demande de pension militaire d'invalidité au titre de sept infirmités distinctes (baisse d'acuité visuelle bilatérale, hypoacousie bilatérale, vertiges rotatoires d'évolution chronique, acouphènes bilatéraux, gonalgies droites, gonalgies gauches et séquelles de blessure du pied gauche) que le ministre de la défense a rejetée par décision du 24 avril 2015. Saisi par M. A... d'une demande tendant à l'annulation de cette décision, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille a, par jugement rendu avant dire le droit le 29 août 2019, sursis à statuer dans l'attente de la production par la ministre des armées du livret médical militaire de M. A..., et a transmis la demande de celui-ci au tribunal administratif de Marseille. Par un jugement du 8 février 2022, dont M. A... relève appel, ce tribunal a rejeté sa demande.
Sur le cadre juridique applicable :
2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et de victimes de la guerre : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2 ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition :/ (...) 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyer ;/ 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. (...) / La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, soit pendant le service accompli au cours de la guerre 1939-1945, soit au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, soit pendant le service accompli par les militaires durant la durée légale compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas (...) ".
3. En application des dispositions de cet article L. 3, la présomption d'imputabilité peut bénéficier à l'intéressé à condition que la preuve d'une filiation médicale soit apportée. Cette filiation médicale, qui suppose une identité de nature entre la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée, peut être établie soit par la preuve de la réalité des soins reçus de façon continue pour cette affection soit par l'étiologie même de l'infirmité en cause.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, M. A... rattache la baisse d'acuité visuelle bilatérale dont il dit souffrir depuis le 19 février 2013, à la blessure à l'œil causée par des éclats d'obus le 24 mai 1953, alors qu'il participait à la campagne militaire d'Indochine, et à la blessure à l'œil droit causée le 2 août 1958 par l'explosion d'une vitre de protection, alors qu'il encadrait en Algérie un exercice de tirs par des jeunes recrues. S'il résulte du registre des constatations des blessures, en ce qui concerne le premier fait de service, et d'un procès-verbal d'accident, en ce qui concerne le second, confirmés par le livret médical militaire de M. A..., produit par la ministre des armées en première instance, que lors de ces deux campagnes de guerre, le militaire a été victime, respectivement, d'un léger hématome sous-conjonctival, et d'une blessure au globe de l'œil droit, aucune des pièces du dossier ne fait état, à ces deux dates, non plus que postérieurement à ces faits de service, d'une altération de l'acuité visuelle bilatérale de l'intéressé, ni de douleurs oculaires, ni de soins qu'il aurait reçus en lien avec ces affections. Ainsi, alors que le certificat médical du 30 mai 1953 mentionne une guérison du militaire et que dans son avis du 9 mars 2015, le médecin chargé des pensions militaires d'invalidité considère que la baisse d'acuité visuelle bilatérale est due à une cataracte bilatérale dont souffre l'intéressé, celui-ci, qui ne conteste pas ce dernier diagnostic, n'est pas fondé à soutenir que l'infirmité visuelle au titre de laquelle il sollicite une pension serait liée au service de manière directe et certaine.
5. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'hypoacousie bilatérale et les acouphènes bilatéraux dont souffre M. A... seraient liés à la blessure par éclats d'obus dont il a été victime le 24 mai 1953 et qui lui ont causé, à cette date, ainsi que le montre le registre des constatations des blessures, des " douleurs temporales irradiées par souffle ", dès lors, d'une part, que le certificat médical du 30 mai 1953 fait état de la guérison de l'intéressé, d'autre part, que celui-ci ne s'est plaint, avant 2013, soit soixante ans après ce fait précis de service, d'aucun trouble de l'audition ni ne soutient avoir reçu des soins en lien avec un tel trouble, et enfin que le médecin chargé des pensions militaires d'invalidité affirme, dans son avis du 9 mars 2015, pas davantage contredit sur ce point, que les deux affections auditives relèvent d'une maladie dégénérative.
6. En troisième lieu, si en affirmant devant la Cour avoir été blessé au corps au cours de son engagement militaire, M. A... évoque les vertiges rotatoires d'évolution chronique, et les gonalgies bilatérales dont il s'est plaint au soutien de sa demande de pension, il ne rattache ces affections à aucun fait précis de service ni à aucune campagne militaire précise.
7. En dernier lieu, il résulte de l'instruction, et plus spécialement du rapport médical du 12 avril 2013, que la cicatrice de trois centimètres au pied droit de M. A..., qui n'est pas douloureuse à la palpation et qui ne limite pas les mouvements de sa cheville, ne lui procure aucune gêne fonctionnelle. Par suite, malgré la proposition du médecin expert d'attribuer au titre de cette cicatrice un taux d'invalidité de 10 %, M. A..., qui d'ailleurs invoque une blessure au pied gauche qui, bien que susceptible d'être rattachée à une blessure infligée par un piège mécanique le 9 juin 1954 et constatée le 10 juin de la même année, ne présente pas de cicatrice, d'après le même rapport médical du 12 avril 2013, ne peut être regardé comme se prévalant d'une infirmité susceptible de lui ouvrir droit à une pension.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise médicale, et sans qu'il ait été besoin aux premiers juges et à la Cour d'obtenir la production par le ministre des armées du livret militaire de M. A..., que celui-ci n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens. Ses conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2023.
N° 21MA010112