CAA de VERSAILLES, 5ème chambre, 08/06/2023, 20VE03079, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision08 juin 2023
Num20VE03079
JuridictionVersailles
Formation5ème chambre
PresidentMme SIGNERIN-ICRE
RapporteurMme Mathilde JANICOT
CommissaireMme SAUVAGEOT
AvocatsSCP FEDARC AVOCATS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 13 février 2018 par lequel le recteur de l'académie de Versailles l'a admise à la retraite pour invalidité à compter du 6 septembre 2017, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux née le 24 juin 2018 ou, à titre subsidiaire, d'ordonner la désignation d'un expert chargé d'évaluer son aptitude à une reprise de fonction ou d'un reclassement, d'enjoindre au recteur de l'académie de Versailles de la réintégrer dans ses fonctions ou de la reclasser dans un autre emploi dans lequel les conditions de service sont de nature à lui permettre d'exercer ses fonctions, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir ou à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Par un jugement n° 1810684 du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision du 13 février 2018 portant admission à la retraite d'office de Mme B... en tant qu'elle prend effet à compter du 6 septembre 2017 et non du 18 avril 2018, enjoint au recteur de l'académie de Versailles de procéder à la régularisation de sa situation pour la période comprise entre le 6 septembre 2017 et le 17 avril 2018 et mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces, enregistrées le 27 novembre 2020, le 3 août 2022, le 25 août 2022 et le 20 décembre 2022, Mme B..., représentée par Me Azoulay, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) à titre principal, d'annuler l'arrêté du recteur de l'académie de Versailles du 13 février 2018, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux, ou, à titre subsidiaire, d'ordonner la désignation d'un expert ayant pour mission de déterminer si elle est en capacité de reprendre ses fonctions ;

3°) d'enjoindre au recteur de l'académie de Versailles de l'autoriser à reprendre ses fonctions ou de la reclasser dans un autre emploi dans lequel les conditions de service sont de nature à lui permettre d'assurer les fonctions correspondantes, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a omis de répondre au moyen tiré de l'irrégularité de la composition du comité médical ;
- l'arrêté du 13 février 2018 a été pris par une autorité incompétente ;
- il est entaché d'un vice de procédure en l'absence d'avis conforme rendu par le service des retraites de l'Etat préalablement à son admission à la retraite ;
- l'arrêté contesté est entaché d'un vice de procédure en l'absence d'avis rendu par la commission de réforme ; à supposer que cet avis ait été prononcé, il a été rendu au terme d'une procédure irrégulière, faute pour l'exposante d'avoir été régulièrement convoquée, d'avoir été invitée à prendre connaissance de son dossier et d'avoir été informée en temps utile de la date à laquelle la commission de réforme devait l'examiner ; la commission de réforme n'a pas été saisie de tous les avis, témoignages et rapports propres à éclairer son avis, notamment pas des avis médicaux rendus le 23 novembre 2017 par un psychiatre ;
- l'arrêté contesté est entaché d'un vice de procédure tiré de l'absence de recueil de l'avis du médecin de prévention préalablement à son édiction afin de vérifier que son reclassement n'était pas envisageable et qu'elle était définitivement inapte à toutes fonctions ;
- l'avis du comité médical supérieur a été rendu au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'il ne s'est fondé que sur les pièces du dossier médical dont disposait le comité médical départemental ; il aurait dû se fonder sur l'ensemble des pièces dont il disposait le jour où il a rendu son avis ; la procédure suivie devant ce comité médical supérieur est entachée d'un autre vice tiré de l'absence d'audition de l'exposante et de l'absence d'information de la tenue de sa séance le 12 décembre 2017 ; enfin, il appartient au rectorat d'établir que la composition de ce comité médical supérieur était régulière ;
- les décisions contestées ont été prises en méconnaissance des droits de la défense dès lors que l'arrêté du 13 février 2018 n'a pas été précédé de la saisine du comité médical départemental, qu'elle n'a pas pu présenter d'observations orales avant son édiction et qu'elle n'a pas été informée de la date de la séance du comité médical supérieur ;
- le tribunal administratif ne pouvait procéder à la substitution de base légale sollicitée par le rectorat dès lors, d'une part, qu'elle n'a pas été mise à même de présenter ses observations devant le service des retraites de l'Etat et la commission de réforme et, d'autre part, que le rectorat n'aurait pas pu prendre la même décision sur la base de l'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires, la mise à la retraite d'office sur le fondement de ces dernières dispositions impliquant que l'agent se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions, ce qui n'était pas le cas en l'espèce ;
- les décisions contestées sont entachées d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elles se fondent sur le seul avis de la commission de réforme du 21 avril 2017 alors que de nombreux avis médicaux postérieurs établissent qu'elle était apte à reprendre son travail.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2022, la rectrice de l'académie de Versailles conclut au rejet de la requête.

Elle s'en remet à ses écritures de première instance.

Par un courrier du 13 avril 2023, le magistrat rapporteur a invité, en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, le rectorat de l'académie de Versailles à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des pensions civiles et militaires ;
- la loi n° 84-6 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Janicot,
- les conclusions de Mme Sauvageot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Caron, substituant Me Azoulay, pour Mme B... et celles de Mme B....
Considérant ce qui suit :

1. Après avoir recueilli l'avis du comité médical départemental le 16 mars 2017 et l'avis de la commission de réforme le 20 avril 2017, favorables à l'admission à la retraite de Mme B..., professeur des écoles née en 1984, pour inaptitude totale et définitive à toutes fonctions, la rectrice de l'académie de Versailles a admis, par un arrêté du 13 février 2018, Mme B... à la retraite pour invalidité à compter du 6 septembre 2017. Par un courrier du 23 avril 2018, Mme B... a formé auprès du directeur académique des services de l'éducation nationale du Val-d'Oise un recours gracieux à l'encontre de cet arrêté, qui a fait l'objet d'un rejet implicite. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 février 2018, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux. Par un jugement du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'arrêté du 13 février 2018 seulement en tant qu'il prend effet avant le 18 avril 2018, date de sa notification, a enjoint au recteur de l'académie de Versailles de procéder à la régularisation de la situation de Mme B... pour la période comprise entre le 6 septembre 2017 et le 17 avril 2018, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande. Mme B... interjette appel à l'encontre de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.

Sur l'existence d'un désistement d'office en première instance :

2. Aux termes de l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative : " En cas de rejet d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu'un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s'être désisté. / Dans le cas prévu au premier alinéa, la notification de l'ordonnance de rejet mentionne qu'à défaut de confirmation du maintien de sa requête dans le délai d'un mois, le requérant est réputé s'être désisté ".

3. La rectrice de l'académie de Versailles a fait valoir que, par une ordonnance n° 1913500 du 28 novembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté la demande de Mme B... tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté en litige, au motif qu'aucun moyen n'était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité. Toutefois, il ressort du dossier de première instance que la requérante a produit, le 18 décembre 2019, un mémoire, tendant à ce que sa requête soit mise au rôle, confirmant ainsi le maintien de cette requête. Il suit de là que la rectrice de l'académie de Versailles n'est pas fondée à demander qu'il soit donné acte du désistement de Mme B... en application des dispositions précitées de l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative.

Sur la légalité des décisions attaquées :

4. Aux termes des dispositions de l'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction alors applicable : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps (...) peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office ; dans ce dernier cas, la radiation des cadres est prononcée sans délai si l'inaptitude résulte d'une maladie ou d'une infirmité que son caractère définitif et stabilisé ne rend pas susceptible de traitement, ou à l'expiration d'un délai de douze mois à compter de sa mise en congé si celle-ci a été prononcée en application de l'article 36 (2°) de l'ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires ou à la fin du congé qui lui a été accordé en application de l'article 36 (3°) de ladite ordonnance (...) ". Aux termes des dispositions de l'article L. 31 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " La réalité des infirmités invoquées, la preuve de leur imputabilité au service, le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions sont appréciés par une commission de réforme selon des modalités qui sont fixées par un décret en Conseil d'Etat. / Le pouvoir de décision appartient, dans tous les cas, au ministre dont relève l'agent et au ministre des finances. ".

5. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un fonctionnaire, ayant épuisé ses droits aux congés de maladie, de longue maladie et de longue durée, se trouve définitivement inapte à l'exercice de tout emploi, il est admis à la retraite, soit d'office, soit à sa demande, après avis de la commission de réforme. La légalité de la décision qu'il appartient à l'autorité administrative de prendre en vue du placement d'office d'un fonctionnaire à la retraite par anticipation, pour les motifs et, lorsqu'elles sont réunies, dans les conditions déterminées par ces dispositions, s'apprécie au regard de l'ensemble des pièces et renseignements propres à établir la réalité de la situation effective de santé de ce fonctionnaire au jour de cette décision, y compris au regard de ceux de ces renseignements ou pièces qui n'auraient pas été communiqués à l'autorité administrative préalablement à sa décision ou qui auraient été établis ou analysés postérieurement à celle-ci, dès lors qu'ils éclairent cette situation. Le juge administratif exerce un contrôle normal sur l'appréciation portée par l'autorité territoriale sur l'inaptitude définitive d'un fonctionnaire.

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été mise d'office à la retraite pour invalidité par l'arrêté attaqué du 13 février 2018 sur le fondement du seul rapport médical établi par le docteur F... le 9 février 2017. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et notamment de plusieurs documents médicaux, rédigés de manière circonstanciée, établis pour les uns avant la décision attaquée et pour les autres après cette décision mais comportant des éléments éclairant la situation de Mme B... au jour de cette décision, que la décision de mise en retraite pour invalidité de l'intéressée n'était plus justifiée le 13 février 2018 et que Mme B... était apte à reprendre une activité professionnelle. En particulier, il ressort de la contre-expertise établie par le docteur C... le 17 octobre 2017 que " la mise en invalidité n'est plus justifiée à ce jour, alors qu'elle a pu paraître la seule solution envisageable en février 2017 " et que " la reprise de travail à temps complet dans un poste administratif est justifiée ". Par ailleurs, le docteur G..., psychiatre praticien hospitalier à l'hôpital de Pontoise, a indiqué dans un certificat médical établi le 8 janvier 2018, que " la reprise d'une activité professionnelle pourrait lui être bénéfique ". De même, le docteur A..., psychiatre qui a suivi Mme B... lors de son hospitalisation au cours des mois de janvier à juin 2017, indique, dans un certificat médical établi le 23 novembre 2017, que " son état de santé permet aujourd'hui d'envisager un reclassement professionnel ". En outre, le docteur H..., médecin généraliste, a mentionné dans un certificat du 5 décembre 2017 que son état de santé " apparaît à ce jour compatible avec une reprise professionnelle ". Enfin, plusieurs documents médicaux établis postérieurement à la date de la décision contestée confirment que Mme B... était apte à cette date à reprendre une activité professionnelle. Par suite, au vu de l'ensemble de ces pièces médicales qui concluent de manière concordante à son aptitude à reprendre une activité professionnelle, Mme B... est fondée à soutenir que le recteur de l'académie de Versailles a entaché son arrêté d'une erreur d'appréciation en la plaçant d'office en retraite pour invalidité par son arrêté du 13 février 2018 et, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, à demander l'annulation de cet arrêté, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

7. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 6 ci-dessus, il y a lieu d'enjoindre à l'Etat de réintégrer juridiquement Mme B... à compter du 18 avril 2018, de réexaminer son aptitude à exercer des fonctions d'enseignante et, le cas échéant, de la reclasser dans un autre emploi dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au profit de Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, aucun dépens n'ayant été exposé dans la présente instance, les conclusions de la requérante tendant à l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.


DECIDE :




Article 1er : Le jugement n° 1810684 du 1er octobre 2020 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme B....
Article 2 : L'arrêté du 13 février 2018 plaçant d'office Mme B... en retraite pour invalidité, ensemble le rejet de son recours gracieux, sont annulés en totalité.
Article 3 : Il est enjoint à l'Etat de réintégrer Mme B... à compter du 18 avril 2018, de réexaminer son aptitude à exercer les fonctions d'enseignante et, le cas échéant, de la reclasser dans un autre emploi, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., à la rectrice de l'académie de Versailles et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,
M. Camenen, président assesseur,
Mme Janicot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juin 2023.


La rapporteure,
M. Janicot La présidente,
C. Signerin-Icre La greffière,
M. E...
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 20VE03079 2