CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 20/06/2023, 21TL03138, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 4 juin 2018 qui lui concède une pension militaire d'invalidité, en tant qu'il refuse de prendre en compte les lombosciatalgies gauches, d'enjoindre à l'administration de lui accorder à ce titre un taux d'invalidité de 20 % au 19 octobre 2017, date de sa demande, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1905984 du 28 mai 2021, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 4 juin 2018 du ministre de l'économie et des finances en tant qu'il refuse de prendre en compte les lombosciatalgies gauches de M. E..., a enjoint au ministre de l'économie, des finances et de la relance de réviser la pension de M. E... en lui accordant au 19 octobre 2017 un taux d'invalidité de 20 % pour les lombosciatalgies gauches, dans un délai de deux mois, a mis à la charge définitive de l'Etat les frais d'expertise d'un montant de 960 euros ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés les 28 juillet et 9 août 2021 sous le n° 21MA03138 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL03138, et un mémoire enregistré le 20 mai 2022, le ministre des armées demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 28 mai 2021 en ce qu'il a accordé à M. E... un taux d'invalidité de 20% au titre des lombosciatalgies gauches à compter du 19 octobre 2017 ;
2°) de limiter le taux d'invalidité de M. E... à ce titre au taux de 10%, à compter du 17 octobre 2017.
Il soutient que :
- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur d'appréciation en estimant qu'il ne justifiait pas de l'existence d'un état antérieur de la pathologie de M. E... avant l'accident d'octobre 2009, alors que plusieurs éléments médicaux ont été produits et que cet accident n'a eu aucune répercussion, en l'absence de prise en charge thérapeutique ;
- il convient de déterminer une part non imputable au service déduite du taux global d'invalidité dès lors que la symptomatologie lombalgique de M. E... révèle une maladie étrangère au service et qu'elle a été aggravée par une blessure en service le 30 juillet 2013 ; ce taux doit être fixé à 10% ;
- le jugement est entaché d'une erreur de plume dans son dispositif s'agissant du point de départ du droit à pension.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 mai 2022 et le 3 février 2023, le dernier n'ayant pas été communiqué, M. D... E..., représenté par Me Tucoo-Chala, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le recours est irrecevable, en l'absence de présentation de moyens dans le délai de recours contentieux ;
- la cour statuera ce que de droit sur l'erreur matérielle en ce qui concerne le droit à pension ;
- il convient de retenir le taux de 20% tel qu'évalué par l'expert ;
- à titre subsidiaire, il y a lieu d'ordonner un complément d'expertise judiciaire médicale à l'effet de confirmer que les lombosciatalgies gauches sont imputables à l'accident de service du 30 juillet 2013 et que le taux de l'infirmité afférente doit être fixé à 20% sans état antérieur.
Par ordonnance du 9 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 7 février 2023.
Vu :
- le jugement avant dire droit du 17 septembre 2019 du tribunal des pensions de Montpellier ordonnant une expertise médicale ;
- l'ordonnance du 5 décembre 2019 de la présidente du tribunal administratif de Montpellier liquidant et taxant les frais d'expertise à la somme de 960 euros ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Tucoo-Chala, représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., né le 27 juillet 1970, qui a servi dans l'armée de terre du 3 février 1993 au 12 décembre 2019, a été titulaire d'une pension militaire d'invalidité temporaire concédée par arrêté du 6 mars 2017 au taux global de 40% prenant effet du 3 mars 2014 au 2 mars 2017, au titre d'un " état de stress post-traumatique " et d'un " syndrome subjectif des traumatisés ". Le 17 octobre 2017, M. E... a sollicité le renouvellement de ses infirmités pensionnées ainsi que le bénéfice d'une pension au titre d'infirmités nouvelles. Par une décision du 4 juin 2018, la ministre des armées a maintenu et consolidé sa pension au taux global de 40% à compter du 3 mars 2017, mais rejeté sa demande présentée au titre des infirmités nouvelles. M. E... a demandé au tribunal régional des pensions militaires de Montpellier d'annuler cette décision, notamment en tant qu'elle refuse de faire droit à sa demande présentée au titre des infirmités nouvelles. Par jugement avant dire droit du 17 septembre 2019, ledit tribunal a ordonné une expertise médicale, avant de transmettre la demande de M. E... au tribunal administratif de Montpellier en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité. Par un jugement du 28 mai 2021, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 4 juin 2018 du ministre de l'économie et des finances en tant qu'il refuse de prendre en compte les lombosciatalgies gauches de M. E..., a enjoint au ministre de l'économie, des finances et de la relance de réviser la pension de l'intéressé en lui accordant au 19 octobre 2017 un taux d'invalidité de 20 % pour les lombosciatalgies gauches, dans un délai de deux mois. Le ministre des armées demande de réformer ce jugement en limitant le taux d'invalidité de M. E... au titre de cette pathologie à 10%.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. / Il en est de même de la date d'entrée en jouissance de la pension révisée pour aggravation ou pour prise en compte d'une infirmité nouvelle (...) " Il résulte de ces dispositions que c'est à cette date qu'il faut se placer pour évaluer le taux des infirmités à raison desquelles la pension ou sa révision est demandée.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que M. E... a été victime de deux accidents à l'occasion de sauts en parachute. A la suite du premier accident survenu le 27 octobre 2009, l'intéressé a ressenti une vive douleur au niveau du dos et du rachis cervical au moment de l'impact au sol. M. E..., qui n'a pas bénéficié d'un suivi thérapeutique à la suite de cet accident, a conservé son habilitation à participer à des opérations parachutées. En revanche, à la suite du second accident survenu le 30 juillet 2013 suite à une réception violente après un déventement, M. E... a été hospitalisé au centre hospitalier de Castres. Le scanner lombaire réalisé le 2 août suivant concluait à l'absence de lésion osseuse traumatique visible et à une hernie discale médiane et postéro-latérale gauche en L5-S1. Le 16 septembre 2013, le docteur A... retenait une " lombosciatalgie gauche décompensée par un accident et résistante au traitement médicamenteux ". Estimant que les lombosciatalgies gauches dont il souffre sont imputables à l'accident de service du 30 juillet 2013, M. E... a demandé le bénéfice d'une pension au titre de cette infirmité. Le rapport d'expertise établi le 14 février 2018 par le docteur B..., neurologue, conclut à l'absence de lésion en imagerie sauf à l'IRM lombaire dont le rapport à l'accident n'est pas avéré et à " l'inorganicité pour tous les chefs neurologiques stricto sensu ". Le 10 avril 2018, le médecin chargé des pensions militaires d'invalidité a émis l'avis de l'inexistence de cette infirmité. Au regard de l'ancienneté des doléances relatives aux lombalgies et à la possibilité d'une décompensation, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Montpellier a ordonné une expertise médicale le 17 septembre 2019, afin d'être éclairé sur la question de savoir si les troubles dont se plaint M. E... sont susceptibles d'être imputés au service. Le professeur C... a remis un rapport le 27 novembre 2019. Selon ce rapport, les lombosciatalgies gauches dont souffre M. E... sont imputables à l'accident du 30 juillet 2013 compte-tenu du mécanisme et du type d'accident avec chute violente à la suite d'un accident de déventement lors d'un saut en parachute. L'expert s'est également fondé sur le compte-rendu d'hospitalisation du 24 octobre 2013 du service de rhumatologie du centre hospitalier de Carcassonne selon lequel le patient avait évoqué des sensations de décharges électriques des pieds à la tête au moment de l'impact et s'était plaint de douleurs lombo radiculaires gauches de trajet postérieur, sur la mise en évidence d'une hernie discale postéro latérale gauche L5-S1 notée dans ledit compte-rendu à la suite des examens tomodensitométriques et de l'IRM lombaire réalisés en septembre 2013, sur l'évolution continue des épisodes de lombosciatalgies gauches jusqu'au jour de l'expertise et sur les données de l'IRM du 26 août 2019 confirmant cette lésion discale. L'expert, qui a retenu un taux d'invalidité de 20%, concluait en outre à l'absence d'état antérieur notable même s'il y a eu une exploration en imagerie en 2008 pour lombalgies, M. E... étant à ce moment-là apte au saut en parachute. A la suite des conclusions de l'expert judiciaire, le médecin conseiller technique auprès du ministre des armées a estimé, dans son avis du 19 décembre 2019, qu'il existe bien une lombosciatalgie L5-S1 gauche par atteinte de la racine S1 dans une forme clinique d'intensité légère justifiant un taux d'invalidité de 20%, l'organicité étant bien réelle, la concordance radio-clinique établie et le traumatisme du rachis lombaire réel. Il retient toutefois un état antérieur à l'étage L5-S1 non antérieur au service et déjà symptomatique mais qui n'aurait été aggravé qu'après l'accident de 2013, et conclut qu'il s'agit donc d'une infirmité de nature maladie aggravée par blessure en service, avec une part non imputable au service de 10%. Pour demander de limiter le taux d'invalidité de M. E... au titre de cette infirmité à 10% en raison de l'état antérieur de l'intéressé, le ministre des armées se prévaut de l'avis émis par le médecin conseiller technique ainsi que des résultats de l'IRM du rachis lombaire effectué le 11 juillet 2019 et suivi d'une tomodensitométrie dorso-lombaire le 29 juillet 2009. Toutefois, les résultats de ces examens n'ont objectivé qu'un discret débord discal L4-L5 et L5-S1 et, ainsi qu'il a été exposé, M. E... était apte au saut en parachute. De même, s'il ressort du livret médical de l'intéressé qu'il a bénéficié d'une consultation le 2 avril 2008 pour des douleurs du rachis cervical et dorsal, puis de lombalgies sans fait de service associé le 30 septembre 2009, d'un épisode de lombalgies en novembre 2009, et d'une consultation pour des lombalgies depuis trois jours à la suite d'un long trajet en voiture sans fait de service associé le 19 mai 2011, ces éléments ne permettent pas de justifier d'un état antérieur significatif, alors que selon l'expert M. E... ne présente pas d'état antérieur notable. Dans ces conditions, le taux d'invalidité de l'infirmité au titre des lombosciatalgies gauches dont souffre M. E... doit être évalué à 20% à la date de sa demande présentée le 17 octobre 2017.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par M. E..., que le ministre des armées n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 4 juin 2018 du ministre de l'économie et des finances en tant qu'il refuse de prendre en compte les lombosciatalgies gauches de M. E....
Sur la liquidation de la pension militaire d'invalidité de M. E... :
6. La liquidation de la pension militaire d'invalidité de M. E... doit être effectuée en prenant en compte l'infirmité au titre des lombosciatalgies gauches sur la base d'un taux de 20% à compter du 17 octobre 2017, et non à compter du 19 octobre 2017 comme mentionné à l'article 2 du jugement par suite d'une erreur matérielle, qu'il convient de rectifier comme en conviennent les parties.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. E... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le ministre des armées procédera à la liquidation de la pension militaire d'invalidité allouée à M. E... en prenant en compte l'infirmité au titre des lombosciatalgies gauches au taux de 20% à compter du 17 octobre 2017.
Article 2 : Le jugement n° 1905984 du tribunal administratif de Montpellier en date du 28 mai 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du ministre des armées est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à M. E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., au ministre des armées et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2023.
La rapporteure,
A. Blin
La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°21TL03138 2