Conseil d'État, 7ème chambre, 20/07/2023, 465594, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal des pensions militaires de Bordeaux d'annuler la décision du 3 juillet 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté la demande de révision de sa pension présentée au motif de l'aggravation de ses infirmités et de la prise en compte de trois nouvelles infirmités. Par un jugement n° 1700030 du 6 juin 2019, le tribunal des pensions militaires de Bordeaux a, en premier lieu, annulé la décision du 3 juillet 2017 de la ministre des armées en tant qu'elle a refusé la révision de la pension de M. A... pour une " névralgie sciatique dans le territoire du L5 droit ", une " impuissance érectile totale ", un " reflux gastro-oesophagien " et une " névralgie cervico-brachiale sur une hernie cervicale C6-C7 ", en deuxième lieu, reconnu le droit de l'intéressé à la majoration prévue au deuxième alinéa de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, en troisième lieu, rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Par un arrêt n° 19BX04045 du 13 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur l'appel de la ministre des armées, d'une part, annulé ce jugement en tant qu'il a reconnu comme indemnisables les infirmités " impuissance érectile totale " et " névralgie cervico-brachiale sur hernie cervicale C6-C7 ", d'autre part, rejeté la demande présentée par M. A... devant le tribunal des pensions militaires de Bordeaux en ce qu'elle concerne ces infirmités ainsi que le surplus des conclusions des parties.
Par un arrêt n° 21BX02813 du 5 mai 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux, saisie par M. A... sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, a enjoint à la ministre des armées d'octroyer à M. A..., à titre définitif, l'allocation prévue au 2ème alinéa de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et de procéder, dans un délai d'un mois à compter de la notification de cet arrêt, aux versements correspondants, et a assorti cette injonction d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai.
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 juillet et 5 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des armées demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 5 mai 2022 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les conclusions de M. A... tendant à l'exécution de l'arrêt du 13 juillet 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Didier Ribes, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., blessé par balle le 8 avril 1984 alors qu'il effectuait son service militaire, s'est vu concéder par arrêté du 4 novembre 2013 une pension militaire d'invalidité définitive au taux de 95 %. Le 19 mars 2015, il a sollicité, d'une part, la révision de sa pension pour aggravation des infirmités pensionnées et prise en compte de nouvelles infirmités, d'autre part, le bénéfice de l'allocation pour tierce personne prévue à l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par une décision du 3 juillet 2017, la ministre des armées a rejeté l'ensemble de ces demandes. Par un jugement du 6 juin 2019, le tribunal des pensions militaires de Bordeaux a notamment reconnu le droit de M. A... à bénéficier de l'allocation pour tierce personne. Par un arrêt du 13 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a notamment confirmé le jugement sur ce point. Par un arrêt du 5 mai 2022, cette même cour, saisie par M. A... sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, a enjoint à la ministre des armées de lui octroyer, à titre définitif, l'allocation pour tierce personne et de procéder, dans un délai d'un mois à compter de la notification de cet arrêt, aux versements correspondants, et a assorti cette injonction d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai. Eu égard aux moyens qu'il invoque, le pourvoi du ministre des armées doit être regardé comme dirigé contre cet arrêt en tant seulement qu'il lui a enjoint de verser à M. A... une allocation pour tierce personne pour la période postérieure au 18 mars 2018.
2. Aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d'en assurer l'exécution. / Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte ".
3. En principe, il n'appartient pas au juge saisi d'une demande tendant à l'exécution d'une décision juridictionnelle, sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, de l'interpréter. Toutefois, si cette décision est entachée d'une obscurité ou d'une ambiguïté qui, en rendant impossible la détermination de l'étendue des obligations qui incombent aux parties du fait de cette décision, font obstacle à son exécution, il lui revient alors de l'interpréter dans la mesure nécessaire pour en définir les mesures d'exécution.
4. Aux termes de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa version applicable au litige : " Les invalides que leurs infirmités rendent incapables de se mouvoir, de se conduire ou d'accomplir les actes essentiels de la vie ont droit à l'hospitalisation, s'ils la réclament. En ce cas, les frais de cette hospitalisation sont prélevés sur la pension qui leur est concédée. / S'ils ne reçoivent pas ou s'ils cessent de recevoir cette hospitalisation et si, vivant chez eux, ils sont obligés de recourir d'une manière constante aux soins d'une tierce personne, ils ont droit, à titre d'allocation spéciale, à une majoration égale au quart de la pension (...) ". Aux termes de l'article R. 19-1 du même code, alors en vigueur : " Le droit à l'hospitalisation ou à la majoration de pension prévu à l'article L. 18 est constaté par le service désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre au moment où il est statué sur le degré d'invalidité dont l'intéressé est atteint. / Il est révisable tous les trois ans, après examens médicaux, même lorsque la pension ne présente pas ou ne présente plus le caractère temporaire, si l'incapacité à se mouvoir, à se conduire ou à accomplir les actes essentiels à la vie n'a pas été reconnue définitive ".
5. Il ressort des énonciations de l'arrêt du 13 juillet 2021 de la cour administrative d'appel de Bordeaux, dont l'exécution était demandée, que la cour a jugé que M. A... devait être regardé comme étant obligé de recourir d'une manière constante aux soins d'une tierce personne et était, par suite, fondé à demander le bénéfice de l'allocation pour tierce personne mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Il ne résulte pas des motifs de cet arrêt que la cour aurait reconnu le caractère définitif de l'incapacité de M. A... à se mouvoir, à se conduire ou à accomplir les actes essentiels de la vie, lequel ne saurait, eu égard aux dispositions du second alinéa de l'article R. 19-1 citées au point 4, se déduire du caractère définitif de la pension militaire d'invalidité accordée à M. A.... Il suit de là que la cour devait être regardée comme ayant prescrit, par son arrêt du 13 juillet 2021, l'attribution à M. A... d'une allocation pour tierce personne à compter du 19 mars 2015, date à laquelle il a sollicité la révision de sa pension, révisable au terme d'un délai de trois ans dans les conditions fixées par l'article R. 19-1. Par suite, le ministre des armées est fondé à soutenir que la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit en jugeant que l'exécution de son arrêt du 13 juillet 2021 impliquait l'octroi à M. A..., à titre définitif, de l'allocation pour tierce personne. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le ministre des armées est fondé à demander l'annulation de l'arrêt du 5 mai 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il lui a enjoint de verser à M. A... une allocation pour tierce personne pour la période postérieure au 18 mars 2018.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que, par son arrêt du 13 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a ordonné le versement à M. A... d'une allocation pour tierce personne à compter du 19 mars 2015, révisable au terme d'un délai de trois ans, et non à titre définitif. Par suite, la demande de M. A... tendant au versement de cette allocation pour la période postérieure au 18 mars 2018, qui soulève un litige distinct de celui qui a fait l'objet de l'arrêt du 13 juillet 2021, ne peut qu'être rejetée.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 5 mai 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé en tant qu'il a enjoint au ministre des armées de verser à M. A... une allocation pour tierce personne pour la période postérieure au 18 mars 2018.
Article 2 : Les conclusions de M. A... tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre des armées de lui verser une allocation pour tierce personne pour la période postérieure au 18 mars 2018 en exécution de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 13 juillet 2021 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre des armées et à M. B... A....