CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 19/09/2023, 22MA00441, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision19 septembre 2023
Num22MA00441
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentM. MARCOVICI
RapporteurM. Stéphen MARTIN
CommissaireMme BALARESQUE
AvocatsMDMH - MAUMONT MOUMNI AVOCATS ASSOCIES

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, à titre principal, de réformer la décision du 2 septembre 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité et de faire droit à cette demande pour aggravation en fixant le taux d'invalidité à tout le moins à 90 % au titre de l'infirmité " hypoacousie bilatérale ", ou, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale avant dire droit.

Par un jugement n° 1910176 du 7 décembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. A....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 4 février 2022, M. A..., représenté par Me Moumni, demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1910176 du 7 décembre 2021 du tribunal administratif de Marseille et, par voie de conséquence, d'annuler la décision du 2 septembre 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité ;

2°) en conséquence, de faire droit à sa demande de révision et de fixer le taux d'invalidité ;

3°) en toute hypothèse, de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens de l'instance.

Il soutient que :
- l'administration rejette l'idée même d'une aggravation de l'infirmité d'hypoacousie d'origine sono-traumatique dont elle considère sur la foi de " connaissances médicales " qu'elle ne produit pas, qu'elle aurait un caractère stationnaire ; aussi, outre que la motivation de la décision de l'administration manque en fait, elle n'est étayée d'aucune précision quant aux connaissances médicales mentionnées, ni d'aucune pièce médicale ;
- la motivation de cette décision contredit de surcroît manifestement les conclusions de l'expertise que l'administration avait ordonnée ; en effet, dans les conclusions d'expertise du 15 avril 2019, le docteur C... indique que l'audiométrie confirme l'aggravation de la surdité, l'aggravation de l'hypoacousie bilatérale et l'aggravation des acouphènes ;
- si le ministère des armées considère également que l'infirmité invoquée n'est pas imputable au service et que la baisse récente de l'hypoacousie résulte du vieillissement physiologique des oreilles qui entraîne une affection distincte de l'infirmité 4073, il ne rapporte nullement la preuve qu'elle ne serait pas imputable au service ; les expertises médicales constatant une aggravation de l'hypoacousie bilatérale, celle-ci ayant été reconnue comme imputable au service, il n'avait pas à être à nouveau réalisé la démonstration de son imputabilité au service, contrairement à ce qu'avance le tribunal administratif dans sa décision du 7 décembre 2021 ; ni le constat provisoire, ni le rapport d'expertise médicale ne démontrent en quoi l'aggravation de son infirmité auditive est due au vieillissement ;
- si l'administration prétend ainsi que le tableau n° 42 des maladies professionnelles du régime de la sécurité sociale a " reconnu et acté " le " caractère stationnaire et régressif des hypoacousies sono-traumatiques ", de sorte qu'il ne serait pas possible que son état se soit aggravé mais qu'il serait a contrario susceptible de s'améliorer, cet argument est inopérant et manque de sérieux, dès lors que l'expert mandaté par l'administration elle-même fait état d'une aggravation de l'hypoacousie et à aucun moment d'une " presbyacousie liée aux facteurs de risques présents chez le requérant " ; ainsi deux expertises, l'une civile et l'autre mandatée par l'administration, corroborent une aggravation de sa surdité et non une " infirmité nouvelle ", et ces deux mêmes expertises estiment nécessaire la révision du taux d'invalidité accordé au titre de ses infirmités ;
- concernant le tableau des maladies professionnelles, il est à noter que le décret encadrant le régime de ces troubles est en date du 10 avril 1963, qu'il n'a pas été modifié depuis le décret n° 2003-924 du 25 septembre 2003 révisant et complétant les tableaux des maladies professionnelles annexés au livre IV du code de la sécurité sociale, et ne s'applique pas aux pensions militaires d'invalidité ; dès lors, il semble que les " connaissances médicales généralement admises " dont se prévaut la ministre des armées sont cantonnées à ce qu'elles étaient en 2003 ;
- il n'est fait mention à aucun moment dans les différentes expertises médicales ayant été pratiquées de " facteurs de risques ", encore moins en ce qu'elles aient pu entraîner l'apparition d'une infirmité nouvelle ; il s'agit ainsi d'un raisonnement par probabilité au regard de la personne du requérant en lieu et place d'examens médicaux circonstanciés retenant l'existence d'une hypoacousie s'aggravant du fait de l'accident traumatique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 février 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :
- la requête d'appel n'est pas motivée conformément à l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Un courrier du 6 mars 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.

Par une ordonnance du 23 mars 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, M. A... a été invité à transmettre à la Cour l'ensemble des pièces mentionnées dans les bordereaux communiqués par son conseil en cause d'appel.

En réponse à cette mesure d'instruction, des pièces ont été produites le 15 juin 2023 par M. A....

Un mémoire, enregistré le 21 juin 2023, présenté par le ministre des armées, n'a pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- et les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 30 janvier 1944, a été radié des contrôles le 15 septembre 1989 au grade de gendarme. Il a subi une blessure de guerre, survenue le 5 mai 1985 alors qu'il assurait la sécurité de l'ambassade de France à Beyrouth au Liban. A ce titre, il est titulaire d'une pension militaire d'invalidité concédée par une décision du 3 juillet 2015 suivant l'arrêté de pension du 22 juin 2015, au taux global de 90 %, soit 70 % au titre de l'infirmité " hypoacousie bilatérale (...) ", 30 % + 5 au titre de l'infirmité " Acouphènes (...) ", et 25 % + 10 au titre de l'infirmité " séquelles de traumatisme complexe du coup de pied droit (...) ". Par une demande enregistrée le 20 décembre 2017, il a sollicité une révision de pension pour aggravation des infirmités " hypoacousie " et " acouphènes ". Par une décision du 2 septembre 2019, la ministre des armées a rejeté sa demande. M. A... relève appel du jugement du 7 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif. ".

3. D'une part, il résulte de ces dispositions que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Ainsi, l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions précitées de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée.

4. D'autre part, le degré d'infirmité est déterminé au jour du dépôt de la demande de l'intéressé, sans qu'il soit possible de tenir compte d'éléments d'aggravation postérieurs à cette date. L'administration doit dès lors se placer à la date de la demande de l'intéressé pour évaluer ses droits à révision de pensions militaires d'invalidité. Enfin, une pension acquise à titre définitif ne peut être révisée que si le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins au pourcentage antérieur.

5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, pour rejeter la demande de révision de la pension militaire d'invalidité de M. A..., l'administration a relevé qu'aucune aggravation des infirmités pensionnées n'avait été constatée et que, s'agissant de la nouvelle baisse auditive médicalement objectivée, il s'agissait d'une infirmité distincte non imputable au service car postérieure et, par conséquent, étrangère à celui-ci, l'évolution récente de l'hypoacousie résultant du vieillissement physiologique des oreilles. Pour justifier cette position, elle s'est fondée tant sur l'avis émis le 3 juin 2019 par la commission consultative médicale que sur celui émis par la commission de réforme le 27 août 2019, selon lesquels l'aggravation de l'hypoacousie bilatérale que présente l'intéressé, par rapport aux constatations ayant donné lieu à la fixation du taux d'invalidité de 70 % au titre de cette affection, est liée à la presbyacousie, c'est-à-dire une infirmité distincte, liée au vieillissement physiologique de l'appareil auditif. Alors que ces avis sont corroborés par l'analyse réalisée le 5 août 2020 par le médecin conseiller technique auprès de l'administration centrale, certes plus de deux ans après la demande de révision mais dont les conclusions peuvent être prises en compte dès lors que, évoquant des facteurs de risque anciens présentés par M. A..., elles ne reposent pas sur des données postérieures à cette demande, l'appelant ne produit pas davantage en appel qu'en première instance d'éléments médicaux de nature à contredire de telles conclusions. A cet égard, il ne résulte nullement des conclusions de l'expertise médicale diligentée par l'administration à la suite de la demande de révision de M. A..., et pas davantage du certificat médical établi le 4 décembre 2017 par le praticien assurant le suivi médical de l'intéressé, que l'aggravation médicalement objectivée de l'hypoacousie bilatérale serait imputable au service, et non au vieillissement à l'origine d'une nouvelle infirmité distincte de l'infirmité pensionnée. Par suite, le requérant n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, d'une aggravation de ses infirmités en lien avec l'accident de service survenu le 5 mai 1985.


6. Enfin, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 7 du jugement attaqué, le moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait se référer au tableau n° 42 des maladies professionnelles du régime général de la sécurité, M. A... se bornant à réitérer ce moyen en cause d'appel dans les mêmes termes qu'en première instance.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 2 septembre 2019 de la ministre des armées. Par suite, ses conclusions aux fins d'annulation ainsi que celles tendant à ce qu'il soit fait droit à sa demande de révision doivent être rejetées, ainsi, en tout état de cause, que ses conclusions tendant à la mise à la charge de l'Etat des entiers dépens de l'instance.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 5 septembre 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 19 septembre 2023.
N° 22MA00441 2