CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 29/02/2024, 21BX01593, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision29 février 2024
Num21BX01593
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurM. Olivier COTTE
CommissaireMme ISOARD
AvocatsGARCIA

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le centre hospitalier de Bigorre à lui verser une somme globale de 41 049,23 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation de la perte de rémunération et du préjudice moral qu'elle aurait subis du fait du refus de l'administration de reconnaître l'imputabilité au service de ses arrêts de travail postérieurs au 24 décembre 2011 ou, à défaut, d'ordonner une expertise en vue de déterminer le caractère d'imputabilité au service de ces arrêts de travail.

Par un jugement n° 1800908 du 11 février 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 11 avril 2021, 15 mars 2023 et 19 avril 2023, Mme A..., représentée par Me Marcel, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 11 février 2021 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Bigorre à lui verser l'indemnité demandée en première instance, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2017 et de la capitalisation des intérêts ;

3°) à défaut, d'ordonner une expertise sur le caractère d'imputabilité au service de ses arrêts de travail postérieurs au 24 décembre 2011 ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Bigorre la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la décision refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'arrêts de travail n'est pas une décision à objet purement pécuniaire ; sa demande indemnitaire est recevable ;
- ainsi que l'a reconnu le tribunal, elle n'a pu faire aucune observation et n'a pu donner les éléments médicaux pertinents faute d'avoir été informée de la date de la séance de la commission de réforme ; rien ne permet d'affirmer, contrairement à ce qu'il a estimé, que la décision aurait été identique si la procédure avait été respectée, deux certificats médicaux des 3 octobre 2013 et 16 janvier 2014 retenant le lien de causalité entre l'arrêt de travail de septembre 2012 et l'accident de service du 10 novembre 2011 et la cour ayant annulé la décision la mettant à la retraite pour invalidité ; aucun document médical n'a conclu en sens inverse et le centre hospitalier n'a pu se fonder que sur l'avis de la commission de réforme, qui ne l'a ni examinée ni entendue ; l'avis médical qu'elle a sollicité le 17 avril 2013 d'un médecin généraliste confirme le lien de ses arrêts de travail avec l'accident de service dont elle a été victime ; si cet avis n'apparaissait pas suffisant à la cour, il y a lieu d'ordonner une expertise ;
- l'administration a dénaturé l'avis de la commission de réforme ; celle-ci aurait dû faire appel à l'avis d'un médecin expert et la procédure est contraire à l'article 16 du décret du 19 avril 1988 ;
- elle a subi une rechute de son accident de service lorsqu'elle a été contrainte de reprendre le travail le 18 septembre 2012 ; elle a été en arrêt de travail pour " lombalgie hyper-algique " jusqu'au 24 septembre 2012, prolongé régulièrement jusqu'au
31 décembre 2016 ; avant son accident de service, elle ne souffrait d'aucun problème de santé ; les résultats du scanner réalisé le 4 décembre 2020 démontrent une aggravation de l'état de santé postérieure au 21 août 2012, date de réalisation d'une IRM du rachis lombaire ; le médecin qu'elle a consulté le 17 avril 2023 estime que tous ses arrêts de travail sont en lien avec les deux accidents de service du 10 novembre 2011 et 1er août 2012, ce dernier ayant été déclaré le 18 septembre 2012 ;
- le préjudice financier résultant d'une rémunération à demi-traitement du
1er août 2012 au 25 mars 2015 s'élève à 16 049,20 euros, et l'ampleur de son préjudice moral, alors qu'elle a été contrainte de changer de logement avec sa fille et de vendre ses meubles, justifie une indemnisation à hauteur de 25 000 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés les 27 octobre 2022, 20 avril 2023 et
21 mai 2023, le centre hospitalier de Bigorre, représenté par Me Herrmann, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme A... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :
- la demande de Mme A... était irrecevable dès lors que la demande indemnitaire est fondée sur l'illégalité de l'arrêté du 17 décembre 2013 rejetant l'imputabilité au service des arrêts de travail et des soins postérieurs au 24 décembre 2011 et que cette décision est devenue définitive ; un recours de pleine juridiction est irrecevable si le demandeur était en mesure d'introduire un recours pour excès de pouvoir ayant les mêmes effets ; l'objet de l'action engagée par Mme A... est purement pécuniaire ;
- la décision prise le 17 décembre 2013 est fondée sur l'avis de la commission de réforme du 22 octobre 2013, défavorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service des arrêts postérieurs au 24 décembre 2011, ce qu'ont confirmé l'avis du comité médical du 17 juin 2014, l'avis de la commission de réforme du 24 mars 2015 et la décision de la CNRACL du 22 septembre 2016 favorable à une mise à la retraite pour invalidité ; l'expertise menée en 2016 a conclu à l'existence de lésions dégénératives lombaires ; c'est à juste titre que le tribunal a estimé que si Mme A... n'avait pas bénéficié du délai nécessaire pour préparer sa défense avant la séance de la commission de réforme du 22 octobre 2013, cette irrégularité était restée sans incidence sur le sens de la décision prise ; elle ne peut soutenir en dernier lieu avoir fait l'objet d'une rechute le 1er août 2012 alors qu'elle n'avait fait état que d'une prolongation de son arrêt de travail initial ;
- Mme A... a bénéficié d'un indu de rémunération en cumulant un demi-traitement et les arrérages de sa pension de retraite ; alors qu'elle n'a jamais communiqué les pièces qui lui étaient demandées et ne s'est pas présentée à plusieurs reprises devant les médecins experts, témoignant d'une volonté d'obstruction manifeste, elle ne saurait se prévaloir d'un préjudice moral ;
- au vu des nombreuses pièces du dossier, l'expertise sollicitée, qui ne peut porter au demeurant sur des questions de droit, est inutile.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;
- l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Marcel, représentant Mme A..., et celles de Me Herrmann, représentant le centre hospitalier de Tarbes-Lourdes, venant aux droits du centre hospitalier de Bigorre.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., alors âgée de 49 ans, a été titularisée aide-soignante au centre hospitalier de Bigorre le 1er juillet 2011 et a été affectée en gériatrie. Le 10 novembre 2011, alors qu'elle manipulait un patient, elle a été victime d'un lumbago. Par une décision du 17 décembre 2013, cet accident a été reconnu imputable au service, de même que les arrêts de travail et soins pour la période du 10 novembre au 24 décembre 2011, mais pas les arrêts de travail postérieurs à cette date. Mme A... a saisi le tribunal administratif de Pau pour obtenir la condamnation du centre hospitalier de Bigorre à réparer les préjudices subis du fait du refus de reconnaître l'imputabilité au service de ses arrêts de travail postérieurs au
24 décembre 2011. Par un jugement du 11 février 2021 dont Mme A... relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Bigorre :

2. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa rédaction alors applicable : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de la maladie ou de l'accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ". Aux termes de l'article 16 du décret du
19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière, alors en vigueur : " La commission départementale de réforme des agents des collectivités locales est obligatoirement consultée si la maladie provient de l'une des causes prévues au deuxième alinéa du 2° de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 (...) ". Aux termes de l'article 16 de l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière : " La commission de réforme doit être saisie de tous témoignages, rapports et constatations propres à éclairer son avis. / (...) / Dix jours au moins avant la réunion de la commission, le fonctionnaire est invité à prendre connaissance, personnellement ou par l'intermédiaire de son représentant, de son dossier, dont la partie médicale peut lui être communiquée, sur sa demande, ou par l'intermédiaire d'un médecin ; il peut présenter des observations écrites et fournir des certificats médicaux. / La commission entend le fonctionnaire, qui peut se faire assister d'un médecin de son choix. Il peut aussi se faire assister par un conseiller. "

3. Alors que Mme A... soutient ne pas avoir été informée de la date de la réunion de la commission de réforme et de son droit à prendre connaissance de son dossier au préalable, le centre hospitalier de Bigorre produit un courrier du 18 octobre 2013 convoquant l'intéressée à la séance de la commission de réforme du 22 octobre suivant et comportant ces informations. Toutefois, le centre hospitalier ne justifie pas de la réception de ce courrier par Mme A..., ni d'ailleurs du respect du délai réglementaire pour informer l'agent de la date de la séance de la commission. L'absence de cette information était de nature à priver l'agent d'une garantie. Il ne résulte pas davantage de l'instruction, et notamment du procès-verbal de la séance du 22 octobre 2013, que Mme A... aurait été entendue par la commission de réforme, ni qu'elle aurait été représentée. Dans ces conditions, la décision du
17 décembre 2013, dont Mme A... peut exciper de l'illégalité au soutien de ses conclusions indemnitaires alors même que cette décision serait devenue définitive, est entachée d'un vice de procédure.
4. Si l'intervention d'une décision illégale peut constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de la collectivité publique, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d'une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise.

5. En l'espèce, postérieurement à son accident survenu le 10 novembre 2011, Mme A... a repris le travail pendant plusieurs mois avant d'être à nouveau arrêtée à compter du 1er août 2012 par son médecin généraliste, notamment pour des douleurs lombaires. Si son médecin traitant a estimé, dans deux certificats médicaux des 22 mai et 13 octobre 2012, que, bien que Mme A... ait repris le travail, son état de santé n'était toujours pas consolidé et que le nouvel arrêt s'expliquait par une rechute de son accident de service, et si une consultation expertale demandée par Mme A... en date du 14 avril 2023 a considéré que tous les arrêts de travail, intervenus entre 2012 et 2015 et justifiés par des problèmes lombaires, devaient être regardés comme des rechutes de l'accident de service, il résulte de l'instruction qu'une expertise médicale, réalisée le 26 août 2016, dans le cadre d'une mise à la retraite pour invalidité, a constaté que Mme A... présentait des lésions lombaires dégénératives et invalidantes. Dans ces conditions, le centre hospitalier de Bigorre aurait pris, dans le cadre d'une procédure régulière, la même décision refusant de reconnaître imputables au service les arrêts de travail et les soins postérieurs au 24 décembre 2011.

6. Ainsi, c'est à bon droit que le tribunal a estimé qu'une décision identique à celle qui a été édictée le 17 décembre 2013, portant refus de reconnaissance de l'imputabilité au service des arrêts de travail de Mme A... postérieurs au 24 décembre 2011, aurait pu légalement être prise dans le cadre d'une procédure régulière. Il n'existe dès lors pas de lien entre la faute commise par le centre hospitalier et le dommage dont Mme A... demande réparation.
7. Il résulte ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la demande de première instance, ni d'ordonner une expertise qui n'apparaît pas utile à la solution du litige, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Tarbes-Lourdes venant aux droits du centre hospitalier de Bigorre, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme A... la somme demandée par le centre hospitalier au même titre.


DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Tarbes-Lourdes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au centre hospitalier de
Tarbes-Lourdes.
Délibéré après l'audience du 6 février 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 février 2024.

Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21BX01593