cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 23/04/2024, 22TL21148, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 7 janvier 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande préalable tendant au versement d'une indemnité de 20 000 euros en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi en raison de la faute commise par l'administration qui a tardé à agréer sa candidature à un recrutement dans un emploi civil de la fonction publique, de condamner l'Etat à lui verser la somme sollicitée de 20 000 euros et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°2001462 du 9 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 mai 2022, M. B... A... représenté par Me Hubert, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001462 du 9 mars 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 7 janvier 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande préalable tendant au versement d'une indemnité de 20 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de la faute commise par l'administration qui a tardé à agréer sa candidature à un recrutement dans un emploi civil de la fonction publique ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme sollicitée de 20 000 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement n'a pas répondu au moyen tiré de ce que l'administration a commis une faute en lui adressant l'agrément de l'article L.4139-2 du code de la défense et non celui de l'article L.4139-3 et est insuffisamment motivé ;
- le jugement est irrégulier faute de comporter les signatures du président rapporteur, de l'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau et du greffier d'audience ;
- le ministre de la défense a commis une faute en délivrant tardivement, le 3 mai 2018, l'agrément qu'il avait sollicité 27 avril 2017 ;
- s'il a sollicité des informations utiles à sa reconversion, ces demandes ne faisaient pas obstacle à une demande afin d'obtenir un agrément pour travailler au sein d'une autre administration civile de l'Etat ;
- la délivrance de l'agrément prévu par les articles R.4139-14, 4139-23 et 4139-32 du code de la défense plus d'un an après la demande initiale est un délai anormalement long ;
- cette inertie l'a empêché de postuler à plusieurs emplois au sein d'administrations civiles et lui a fait perdre une chance d'accéder à plusieurs postes durant l'année 2018 ;
- en outre l'administration a commis une faute en lui adressant l'agrément de l'article L.4139-2 du code de la défense et non celui de l'article L.4139-3 alors qu'il avait sollicité les deux ;
- il a été victime d'une rupture d'égalité en ayant été placé dans une situation différente des militaires ayant pu bénéficier d'un détachement et d'une intégration pour l'année 2018.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 juin 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les dispositions des articles L.4139-2 et L 4139-3 du code de la défense permettent d'intégrer indifféremment l'une des trois fonctions publiques par voie dérogatoire au concours ;
- le préjudice invoqué est incertain, la perte de chance invoquée par M. A... n'est pas sérieuse ;
- M. A... n'était manifestement pas en mesure d'occuper un emploi dans la fonction publique en 2018 et 2019 au regard de son état de santé ;
- l'intéressé, rayé des contrôles de l'armée active à sa demande le 1er avril 2020, a pu bénéficier des nouvelles dispositions de l'article L. 4139-2 du code de la défense, qui incluent désormais dans leur champ d'application les anciens militaires et il a ainsi reçu l'agrément de l'article L 4139-2 du code de la défense, valable du 1er avril 2020 au 31 mars 2023 ;
- il s'en remet pour le surplus à ses écritures de première instance.
Par une ordonnance du 20 octobre 2023 la clôture de l'instruction a été fixée au 20 novembre 2023 à 12h.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Céline Arquié, première conseillère,
- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... caporal-chef de première classe sous contrat, spécialiste de la filière " énergie électromécanique dans le cadre du domaine génie ", affecté depuis 1er juillet 2010 au 31ème régiment du génie à Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne), a sollicité, le 26 avril 2017, l'octroi d'un agrément pour bénéficier d'un détachement sur un emploi civil au sein de la fonction publique. Par une décision du 3 mai 2018, la ministre des armées a fait droit à sa demande et lui a délivré l'agrément sollicité. M. A... a ensuite réclamé le versement d'une somme de 20 000 euros en réparation de la perte de chance d'accéder à un emploi civil au cours de l'année 2018 en raison de la carence fautive des services des armées dans le traitement de sa demande. M. A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 7 janvier 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa réclamation préalable et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 20 000 euros. Par un jugement du 9 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes. M. A... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que les premiers juges n'ont pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que l'administration a commis une faute en délivrant uniquement un agrément au titre de l'article L 4139-2 du code de la défense alors que le requérant avait également sollicité un agrément au titre de l'article L. 4139-3 du même code. Par suite, l'appelant est fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen d'irrégularité qu'il soulève, à soutenir que le jugement est irrégulier et doit être annulé.
3. Il y a lieu d'annuler le jugement attaqué et de statuer, par la voie de l'évocation, sur les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Toulouse par M. A....
Sur la responsabilité de l'Etat :
4. La décision du 7 janvier 2020 a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de M. A... qui, en formulant des conclusions indemnitaires, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Eu égard à l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressé à percevoir la somme qu'il réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux, sont sans incidence sur la solution du litige.
5. Aux termes du I de l'article L. 4139-2 du code de la défense, dans sa rédaction applicable au litige : " Le militaire, remplissant les conditions de grade et d'ancienneté peut, sur demande agréée, après un stage probatoire, être détaché, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, pour occuper des emplois vacants et correspondant à ses qualifications au sein des administrations de l'Etat, des collectivités territoriales, de la fonction publique hospitalière et des établissements publics à caractère administratif, nonobstant les règles de recrutement pour ces emplois. Les contingents annuels de ces emplois sont fixés par voie réglementaire pour chaque administration de l'Etat et pour chaque catégorie de collectivité territoriale ou établissement public administratif, compte tenu des possibilités d'accueil. (...) ". Aux termes de l'article L 4139-3 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " Le militaire, à l'exception du militaire commissionné, peut se porter candidat pour l'accès aux emplois réservés, sur demande agréée, dans les conditions prévues par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. (...) ".
6. M. A... a sollicité, le 26 avril 2017, un agrément en vue de bénéficier d'un détachement dans un emploi relevant d'un corps de fonctionnaire de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière avec pour projet de candidater sur un poste d'agent technique du ministère de la défense. L'intéressé a demandé au mois de novembre 2017 à bénéficier d'un congé de reconversion du 7 mai au 25 octobre 2018, puis d'un congé complémentaire de reconversion du 26 octobre 2018 au 31 janvier 2019 afin de suivre une formation de technicien de maintenance en chauffage et climatisation. Il a enfin modifié son projet de reconversion au mois de février 2018 en informant l'administration de son souhait de suivre une formation de technicien en installation de chauffage, climatisation et énergie renouvelable du 22 octobre 2018 au 10 avril 2019 et de bénéficier d'une période de congé complémentaire de reconversion du 11 avril au 26 juillet 2019. Cet agrément lui a finalement été délivré le 3 mai 2018 après saisine de la commission de recours des militaires. Ces différentes demandes de congé de reconversion n'étaient pas par elles-mêmes de nature à faire regarder la demande d'agrément d'avril 2017 afin de bénéficier d'un détachement dans la fonction publique comme ayant été suspendue ou devenue sans objet. Alors même que la procédure spécifique de détachement de l'article L. 4139-2 du code de la défense n'est encadrée par aucun délai contraint d'examen, le délai de plus d'un an mis pour instruire la demande de M. A... a revêtu en l'espèce une durée excessive.
7. Si M. A... soutient par ailleurs qu'il a été placé dans une situation différente de celle des militaires ayant pu bénéficier d'un détachement et d'une intégration pour l'année 2018, il n'apporte aucun élément de nature à justifier la rupture d'égalité qu'il invoque.
8. Enfin, il résulte des écritures présentées par M. A... devant la commission de recours des militaires que l'intéressé contestait le refus de son agrément au titre de l'article L 4139-2 du code de la défense en vue de sa reconversion afin de pouvoir bénéficier d'un détachement dans un emploi de la fonction publique de l'Etat, territoriale ou hospitalière, en particulier sur un emploi d'agent technique au sein du ministère de la défense, sans solliciter un agrément pour accéder aux emplois réservés visés par l'article L. 4139-3 du code de défense. A supposer même que M. A... ait entendu maintenir sa demande faite sur le fondement de l'article L. 4139-3 du code de la défense cochée dans le formulaire de demande initiale de 2017, cette circonstance ne saurait, contrairement à ce qu'il indique, l'avoir empêché de présenter sa candidature sur des postes de la fonction publique territoriale et hospitalière.
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que seule la durée excessive d'instruction de la demande de M. A... constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices directs et certains qu'elle a pu causer à l'intéressé.
Sur les préjudices :
10. M A... sollicite le versement d'une somme de 20 000 euros correspondant à la différence entre les revenus qu'il a perçus en travaillant dans le secteur privé et ceux qu'il aurait pu percevoir en occupant un emploi public. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que des postes offerts au titre de l'année 2018 et recensés par la commission nationale d'orientation et d'intégration auraient pu correspondre à la spécialité de M. A.... L'intéressé a d'ailleurs été placé en congé pour maladie du 25 mai 2018 au 20 novembre 2018 puis en congé de longue durée du 21 novembre 2018 au 1er avril 2020, date de sa radiation des contrôles. Dans ces conditions, il ne saurait être regardé comme ayant perdu une chance sérieuse de bénéficier d'un emploi public dès l'année 2018 et de percevoir des revenus supplémentaires.
11. Il résulte de ce qui précède que la demande indemnitaire de M. A... ne peut qu'être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n°2001462 du 9 mars 2022 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : La demande de M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse et le surplus des conclusions de sa requête devant la cour sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
Mme Arquié, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024.
La rapporteure,
C. Arquié
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22TL21148