CAA de NANCY, 3ème chambre, 14/05/2024, 21NC01988, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à lui verser la somme de 110 425 euros au titre des préjudices résultant de l'accident de service dont elle a été victime le 27 février 2017.
Par un jugement n° 1902767 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne a condamné l'Etat à verser à Mme A... la somme de 38 500 euros, mis à la charge de ce dernier les dépens pour un montant de 833,33 euros, ainsi qu'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 9 juillet 2021, le 21 juin 2022 et le 31 août 2022, Mme E... A..., représentée par Me Cherrier, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 11 mai 2021, rectifié par une ordonnance du président du tribunal administratif
de Châlons-en-Champagne du 17 juin 2021, en portant la somme de 38 500 euros qui lui a été allouée en réparation de ses préjudices à celle de 110 425 euros ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens pour un montant de 2 200 euros.
Elle soutient que :
- elle pouvait augmenter ses prétentions indemnitaires à la suite du rapport d'expertise constatant sa consolidation ;
- le tribunal a insuffisamment motivé son jugement sur la limitation de ses préjudices à la somme globale de 38 500 euros ;
- le principe de la responsabilité sans faute de l'Etat au titre des accidents de service doit être confirmé ;
- le déficit fonctionnel temporaire est évalué à la somme de 33 825 euros ;
- le déficit fonctionnel permanent, dont le taux doit être fixé à 30 % par référence au barème indicatif prévu par l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, est évalué à la somme de 51 600 euros ;
- les souffrances endurées sont estimées à 15 00 euros ;
- le préjudice sexuel est estimé à la somme de 10 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 21 janvier 2022, le recteur de l'académie de Reims conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les demandes présentées devant le tribunal administratif au titre du déficit fonctionnel temporaire et au titre du déficit fonctionnel permanent, augmentées après l'expiration du délai de recours contentieux, sont dans cette mesure irrecevables ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance du 26 avril 2021 du président du tribunal administratif
de Châlons-en-Champagne taxant et liquidant les frais et honoraires de l'expertise confiée au docteur F... B... à la somme de 1 000 euros TTC ;
- l'ordonnance du 26 avril 2021 du président du tribunal administratif
de Châlons-en-Champagne taxant et liquidant les frais et honoraires de l'expertise confiée au docteur C... D... à la somme de 1 200 euros TTC ;
- le décret n° 68-756 du 13 août 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barteaux,
- et les conclusions de M. Marchal, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., professeure certifiée, a été victime le 27 février 2017 d'un syndrome dépressif réactionnel que le directeur académique des services de l'éducation nationale de l'Aube a reconnu comme un accident imputable au service par une décision du 2 mai 2018. Après avoir vainement sollicité de l'administration la réparation des préjudices consécutifs à cet accident, Mme A... a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'un recours indemnitaire. Par un jugement du 11 mai 2021, le tribunal a condamné l'Etat, sur le fondement de la responsabilité sans faute, à verser à l'intéressée la somme globale de 38 500 euros. Mme A... demande à la cour de réformer ce jugement en portant cette somme à 110 425 euros.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements doivent être motivés ". Il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que les premiers juges ont, par une motivation suffisante, justifié le montant de l'indemnisation accordée à Mme A... au titre des différents chefs de préjudices. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
3. Il résulte de l'instruction que, dans son mémoire introductif d'instance devant le tribunal administratif, Mme A... a sollicité une indemnité totale de 63 212 euros qu'elle a portée, en cours d'instance, à la somme de 110 425 euros, en réévaluant ses préjudices au titre du déficit fonctionnel temporaire et du déficit fonctionnel permanent. Si le tribunal a alloué à la requérante, au titre du déficit fonctionnel temporaire, une somme supérieure à celle qu'elle avait d'abord demandée pour ce chef de préjudice, comme le fait d'ailleurs la cour par le présent arrêt, l'indemnité globale fixée par le tribunal administratif, ainsi que par la cour, n'excède pas celle initialement demandée en première instance. Dès lors, le tribunal n'a, en tout état de cause, pas satisfait à une demande nouvelle contenue dans le mémoire complémentaire que Mme A... avait présenté devant lui.
Sur l'évaluation des préjudices :
4. En premier lieu, il ressort du rapport d'expertise judiciaire du 8 mars 2021 que, durant la période du 27 février 2017 au 6 janvier 2021, date de consolidation, Mme A... a subi 1 038 jours de déficit fonctionnel temporaire total correspondant aux arrêts de travail et que, dans les intervalles entre ces arrêts, elle a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire partiel de 25 % durant 358 jours. Il sera fait une exacte appréciation de ce chef de préjudice en lui allouant, sur la base d'un taux journalier de 20 euros, la somme globale de 22 550 euros.
5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 8 mars 2021, que l'expert a évalué au taux de 20 % le déficit fonctionnel permanent dont Mme A... reste atteinte après consolidation, sur la base du barème indicatif des déficits séquellaires en droit commun. Contrairement à ce que soutient Mme A..., aucune disposition législative ni réglementaire n'impose de prendre en compte, pour l'évaluation de ce préjudice, le barème indicatif du décret n° 68-756 du 13 août 1968 pris en application de l'article L. 28 (3ème alinéa) de la loi n° 64-1339 du 26 décembre 1964 portant réforme du code des pensions civiles et militaires de retraite, lequel a pour objet de déterminer le taux d'incapacité permettant de calculer la rente d'invalidité d'un fonctionnaire. Par ailleurs et alors que le barème utilisé par l'expert est seulement indicatif, à charge pour l'expert d'apprécier le taux, il ne résulte pas de l'instruction qu'en fixant le taux à 20 %, l'expert aurait sous-estimé le déficit fonctionnel permanent de la requérante. Eu égard à ce taux et à l'âge de 55 ans de Mme A... à la date de la consolidation de son état de santé, soit le 6 janvier 2021, il sera fait une juste appréciation du préjudice qu'elle a subi à ce titre, qui inclut les souffrances subies après consolidation, en lui allouant la somme de 28 000 euros.
6. En troisième lieu, les souffrances endurées par Mme A... ont été évaluées à 3 sur une échelle de 7 par l'expert. Eu égard à la durée de ses souffrances jusqu'à la date de consolidation et en l'absence de tout autre élément, il n'y a pas lieu d'accorder à Mme A... une indemnisation supérieure à celle de 3 500 euros qui lui a été allouée par le tribunal.
7. En dernier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que Mme A... subit, du fait du syndrome anxiodépressif chronique dont elle reste atteinte, un préjudice sexuel. Il y a lieu, par suite, d'indemniser ce chef de préjudice en lui allouant la somme de 1 000 euros
8. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'allouer à Mme A... une somme totale de 55 050 euros, qui est en tout état de cause inférieure à celle qu'elle avait sollicitée dans son mémoire introductif d'instance devant le tribunal administratif. Dès lors, Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 38 500 euros laquelle doit être portée à 55 050 euros.
Sur les dépens :
9. Il résulte des pièces du dossier de première instance que le jugement du 11 mai 2021, rectifié par ordonnance du président du tribunal administratif
de Châlons-en-Champagne du 17 juin 2021, a mis les frais d'expertise à la charge de l'Etat pour un montant total de 1 833,33 euros. Toutefois, par des ordonnances du 26 avril 2021, le président de ce tribunal a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expert à la somme de 1 200 euros TTC et ceux du sapiteur à celle de 1 000 euros TTC. Par suite, il y a lieu de porter, comme le demande la requérante, la somme de 1 833,33 euros à celle de 2 200 euros TTC.
Sur les frais de l'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros demandée par Mme A... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La somme de 38 500 euros que l'Etat a été condamné à verser à Mme A... par le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 11 mai 2021 est portée à 55 050 euros.
Article 2 : Les frais d'expertise, mis à la charge définitive de l'Etat, sont portés à la somme de 2 200 euros.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... et à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Bauer, présidente-assesseure,
- M. Barteaux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mai 2024.
Le rapporteur,
Signé : S. BARTEAUXLe président,
Signé : Ch. WURTZLe greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
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