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cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 23/04/2024, 22TL21148, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 7 janvier 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande préalable tendant au versement d'une indemnité de 20 000 euros en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi en raison de la faute commise par l'administration qui a tardé à agréer sa candidature à un recrutement dans un emploi civil de la fonction publique, de condamner l'Etat à lui verser la somme sollicitée de 20 000 euros et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un jugement n°2001462 du 9 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes. Procédure devant la cour : Par une requête enregistrée le 13 mai 2022, M. B... A... représenté par Me Hubert, demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement n° 2001462 du 9 mars 2022 ; 2°) d'annuler la décision du 7 janvier 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande préalable tendant au versement d'une indemnité de 20 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de la faute commise par l'administration qui a tardé à agréer sa candidature à un recrutement dans un emploi civil de la fonction publique ; 3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme sollicitée de 20 000 euros ; 4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - le jugement n'a pas répondu au moyen tiré de ce que l'administration a commis une faute en lui adressant l'agrément de l'article L.4139-2 du code de la défense et non celui de l'article L.4139-3 et est insuffisamment motivé ; - le jugement est irrégulier faute de comporter les signatures du président rapporteur, de l'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau et du greffier d'audience ; - le ministre de la défense a commis une faute en délivrant tardivement, le 3 mai 2018, l'agrément qu'il avait sollicité 27 avril 2017 ; - s'il a sollicité des informations utiles à sa reconversion, ces demandes ne faisaient pas obstacle à une demande afin d'obtenir un agrément pour travailler au sein d'une autre administration civile de l'Etat ; - la délivrance de l'agrément prévu par les articles R.4139-14, 4139-23 et 4139-32 du code de la défense plus d'un an après la demande initiale est un délai anormalement long ; - cette inertie l'a empêché de postuler à plusieurs emplois au sein d'administrations civiles et lui a fait perdre une chance d'accéder à plusieurs postes durant l'année 2018 ; - en outre l'administration a commis une faute en lui adressant l'agrément de l'article L.4139-2 du code de la défense et non celui de l'article L.4139-3 alors qu'il avait sollicité les deux ; - il a été victime d'une rupture d'égalité en ayant été placé dans une situation différente des militaires ayant pu bénéficier d'un détachement et d'une intégration pour l'année 2018. Par un mémoire en défense enregistré le 14 juin 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que : - les dispositions des articles L.4139-2 et L 4139-3 du code de la défense permettent d'intégrer indifféremment l'une des trois fonctions publiques par voie dérogatoire au concours ; - le préjudice invoqué est incertain, la perte de chance invoquée par M. A... n'est pas sérieuse ; - M. A... n'était manifestement pas en mesure d'occuper un emploi dans la fonction publique en 2018 et 2019 au regard de son état de santé ; - l'intéressé, rayé des contrôles de l'armée active à sa demande le 1er avril 2020, a pu bénéficier des nouvelles dispositions de l'article L. 4139-2 du code de la défense, qui incluent désormais dans leur champ d'application les anciens militaires et il a ainsi reçu l'agrément de l'article L 4139-2 du code de la défense, valable du 1er avril 2020 au 31 mars 2023 ; - il s'en remet pour le surplus à ses écritures de première instance. Par une ordonnance du 20 octobre 2023 la clôture de l'instruction a été fixée au 20 novembre 2023 à 12h. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code de la défense ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Céline Arquié, première conseillère, - et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. M. A... caporal-chef de première classe sous contrat, spécialiste de la filière " énergie électromécanique dans le cadre du domaine génie ", affecté depuis 1er juillet 2010 au 31ème régiment du génie à Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne), a sollicité, le 26 avril 2017, l'octroi d'un agrément pour bénéficier d'un détachement sur un emploi civil au sein de la fonction publique. Par une décision du 3 mai 2018, la ministre des armées a fait droit à sa demande et lui a délivré l'agrément sollicité. M. A... a ensuite réclamé le versement d'une somme de 20 000 euros en réparation de la perte de chance d'accéder à un emploi civil au cours de l'année 2018 en raison de la carence fautive des services des armées dans le traitement de sa demande. M. A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 7 janvier 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa réclamation préalable et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 20 000 euros. Par un jugement du 9 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes. M. A... relève appel de ce jugement. Sur la régularité du jugement : 2. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que les premiers juges n'ont pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que l'administration a commis une faute en délivrant uniquement un agrément au titre de l'article L 4139-2 du code de la défense alors que le requérant avait également sollicité un agrément au titre de l'article L. 4139-3 du même code. Par suite, l'appelant est fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen d'irrégularité qu'il soulève, à soutenir que le jugement est irrégulier et doit être annulé. 3. Il y a lieu d'annuler le jugement attaqué et de statuer, par la voie de l'évocation, sur les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Toulouse par M. A.... Sur la responsabilité de l'Etat : 4. La décision du 7 janvier 2020 a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de M. A... qui, en formulant des conclusions indemnitaires, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Eu égard à l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressé à percevoir la somme qu'il réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux, sont sans incidence sur la solution du litige. 5. Aux termes du I de l'article L. 4139-2 du code de la défense, dans sa rédaction applicable au litige : " Le militaire, remplissant les conditions de grade et d'ancienneté peut, sur demande agréée, après un stage probatoire, être détaché, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, pour occuper des emplois vacants et correspondant à ses qualifications au sein des administrations de l'Etat, des collectivités territoriales, de la fonction publique hospitalière et des établissements publics à caractère administratif, nonobstant les règles de recrutement pour ces emplois. Les contingents annuels de ces emplois sont fixés par voie réglementaire pour chaque administration de l'Etat et pour chaque catégorie de collectivité territoriale ou établissement public administratif, compte tenu des possibilités d'accueil. (...) ". Aux termes de l'article L 4139-3 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " Le militaire, à l'exception du militaire commissionné, peut se porter candidat pour l'accès aux emplois réservés, sur demande agréée, dans les conditions prévues par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. (...) ". 6. M. A... a sollicité, le 26 avril 2017, un agrément en vue de bénéficier d'un détachement dans un emploi relevant d'un corps de fonctionnaire de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière avec pour projet de candidater sur un poste d'agent technique du ministère de la défense. L'intéressé a demandé au mois de novembre 2017 à bénéficier d'un congé de reconversion du 7 mai au 25 octobre 2018, puis d'un congé complémentaire de reconversion du 26 octobre 2018 au 31 janvier 2019 afin de suivre une formation de technicien de maintenance en chauffage et climatisation. Il a enfin modifié son projet de reconversion au mois de février 2018 en informant l'administration de son souhait de suivre une formation de technicien en installation de chauffage, climatisation et énergie renouvelable du 22 octobre 2018 au 10 avril 2019 et de bénéficier d'une période de congé complémentaire de reconversion du 11 avril au 26 juillet 2019. Cet agrément lui a finalement été délivré le 3 mai 2018 après saisine de la commission de recours des militaires. Ces différentes demandes de congé de reconversion n'étaient pas par elles-mêmes de nature à faire regarder la demande d'agrément d'avril 2017 afin de bénéficier d'un détachement dans la fonction publique comme ayant été suspendue ou devenue sans objet. Alors même que la procédure spécifique de détachement de l'article L. 4139-2 du code de la défense n'est encadrée par aucun délai contraint d'examen, le délai de plus d'un an mis pour instruire la demande de M. A... a revêtu en l'espèce une durée excessive. 7. Si M. A... soutient par ailleurs qu'il a été placé dans une situation différente de celle des militaires ayant pu bénéficier d'un détachement et d'une intégration pour l'année 2018, il n'apporte aucun élément de nature à justifier la rupture d'égalité qu'il invoque. 8. Enfin, il résulte des écritures présentées par M. A... devant la commission de recours des militaires que l'intéressé contestait le refus de son agrément au titre de l'article L 4139-2 du code de la défense en vue de sa reconversion afin de pouvoir bénéficier d'un détachement dans un emploi de la fonction publique de l'Etat, territoriale ou hospitalière, en particulier sur un emploi d'agent technique au sein du ministère de la défense, sans solliciter un agrément pour accéder aux emplois réservés visés par l'article L. 4139-3 du code de défense. A supposer même que M. A... ait entendu maintenir sa demande faite sur le fondement de l'article L. 4139-3 du code de la défense cochée dans le formulaire de demande initiale de 2017, cette circonstance ne saurait, contrairement à ce qu'il indique, l'avoir empêché de présenter sa candidature sur des postes de la fonction publique territoriale et hospitalière. 9. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que seule la durée excessive d'instruction de la demande de M. A... constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices directs et certains qu'elle a pu causer à l'intéressé. Sur les préjudices : 10. M A... sollicite le versement d'une somme de 20 000 euros correspondant à la différence entre les revenus qu'il a perçus en travaillant dans le secteur privé et ceux qu'il aurait pu percevoir en occupant un emploi public. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que des postes offerts au titre de l'année 2018 et recensés par la commission nationale d'orientation et d'intégration auraient pu correspondre à la spécialité de M. A.... L'intéressé a d'ailleurs été placé en congé pour maladie du 25 mai 2018 au 20 novembre 2018 puis en congé de longue durée du 21 novembre 2018 au 1er avril 2020, date de sa radiation des contrôles. Dans ces conditions, il ne saurait être regardé comme ayant perdu une chance sérieuse de bénéficier d'un emploi public dès l'année 2018 et de percevoir des revenus supplémentaires. 11. Il résulte de ce qui précède que la demande indemnitaire de M. A... ne peut qu'être rejetée. Sur les frais liés au litige : 12. Les dispositions de l'article L761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. D E C I D E : Article 1er : Le jugement n°2001462 du 9 mars 2022 du tribunal administratif de Toulouse est annulé. Article 2 : La demande de M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse et le surplus des conclusions de sa requête devant la cour sont rejetés. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 26 mars 2024 à laquelle siégeaient : Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre, Mme Blin, présidente assesseure, Mme Arquié, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024. La rapporteure, C. Arquié La présidente, A. Geslan-Demaret La greffière, M-M. Maillat La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. 2 N° 22TL21148
Cours administrative d'appel
Toulouse
CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 23/04/2024, 23MA01521, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme D... B... veuve A... a demandé au Conseil d'Etat, qui a transmis sa requête au tribunal administratif de Nantes, lequel l'a transmise au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille, qui l'a à son tour transmise au tribunal administratif de Marseille, d'annuler la décision implicite par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de pension présentée le 25 octobre 2017 et de lui attribuer une pension militaire d'invalidité de réversion à l'indice 1 681,66. Par une ordonnance n° 2004231 du 1er mars 2023, le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 juin 2023 et le 5 mars 2024, Mme B... veuve A..., représentée par Me Mattler, demande à la Cour : 1°) d'annuler cette ordonnance du 1er mars 2023 ; 2°) à titre principal, de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Marseille ; 3°) subsidiairement, de faire droit à sa demande de majoration de sa pension de réversion à hauteur de 500 points d'indice en application de l'article L. 52-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, avec un supplément social de pension portant le montant de sa pension aux 4/3 de la pension au taux normal correspondant à l'indice 500, en application de l'article L. 141-19 du même code, cet indice étant ainsi, au 25 octobre 2017, celui de 1 681,66 ; 4°) de la renvoyer devant l'administration des pensions pour mise en œuvre des dispositions applicables en matière de pension de réversion, de majoration comme de supplément social et de régularisation financière afférente ; 5°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - son appel est recevable, compte tenu du délai de distance dont elle doit bénéficier en raison de son domicile à l'étranger ; - elle justifie de la réception par la sous-direction des pensions de La Rochelle de sa demande de révision de pension de réversion et maintient qu'elle entend faire usage de la pièce n° 31 authentique, et jointe à sa requête, de sorte que sa demande de première instance était dirigée contre une décision tacite de rejet née du silence gardé sur cette demande de révision, et que l'ordonnance attaquée doit être annulée ; - elle a droit à une majoration spéciale de sa pension, proportionnelle à la durée de son mariage et des soins apportés de manière constante à son défunt époux, correspondant à 500 points d'indice, en application de l'article L. 52-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - elle a droit également à un supplément social de pension qui porte le montant de sa pension aux quatre tiers de sa pension au taux normal, en application de l'article L. 141-19 du même code, en l'absence de toute cristallisation des droits ou des indices ; - la décision implicite de rejet est donc entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation. Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête et par inscription de faux en application de l'article R. 633-1 du code de justice administrative, à ce que soit écartée des débats la pièce n° 31 produite par l'appelante, en faisant valoir que les pièces produites ne sont pas de nature à démontrer la réception de sa demande de révision de pension et que la pièce n° 31 est un faux. Par une ordonnance du 29 janvier 2024 la clôture d'instruction a été fixée au 16 février 2024, à 12 heures, puis par une ordonnance du 14 février 2024, a été reportée du 16 février 2024 au 6 mars 2024, à 12 heures. Par une lettre du 22 mars 2024, la Cour a demandé au ministre des armées, sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, s'il confirme que la pratique du poinçon horodaté par la sous-direction des pensions avait cours, en 2016 et en 2017, pour justifier de la réception par ses services des plis, notamment des plis recommandés avec avis de réception, et, dans le cas contraire, de communiquer les modalités de prise de connaissance des plis ainsi reçus. Par une lettre du 22 mars 2024, la Cour a demandé à Mme B... veuve A..., sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, d'une part, d'indiquer les modalités suivant lesquelles elle a pu se procurer les éléments de justification de La Poste algérienne qu'elle a produits pour la première fois en appel, et si, avec les références du courrier recommandé figurant sur ces pièces, elle a cherché à obtenir une preuve de la réception de son pli par la sous-direction des pensions à La Rochelle, et d'autre part, de confirmer qu'elle entend se prévaloir de ces pièces à l'appui de son appel. Le ministre des armées a répondu le 5 avril 2024 à la demande de précisions formulée par la Cour. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - le code des relations entre le public et l'administration ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Revert, - les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique, - et les observations de Me Mattler, représentant Mme B... veuve A.... Considérant ce qui suit : 1. Mme B... veuve A... est titulaire d'une pension militaire d'invalidité de réversion, dont elle affirme avoir demandé la révision, le 25 octobre 2017, pour bénéficier de la majoration prévue par l'article L. 52-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par une ordonnance du 1er mars 2023, dont Mme B... veuve A... relève appel, le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision tacite de rejet qu'elle estime être née du silence gardé par la ministre des armées sur cette demande de révision de pension. Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée : 2. Pour rejeter comme irrecevable la demande de Mme B... veuve A... en application des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, le premier juge a considéré qu'elle ne justifiait ni de l'envoi de sa demande de révision de pension du 25 octobre 2017, ni de sa réception par le service des pensions et que, par suite, son recours était dirigé contre une décision inexistante. En ce qui concerne le cadre juridique applicable : 3. Aux termes de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, qui sont applicables aux demandes de pensions militaires d'invalidité au jour de la demande de Mme B... veuve A..., en l'absence de disposition du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre régissant ce point à cette même date : " Par dérogation à l'article L. 231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : (...) 3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;(...) ". 4. En outre, aux termes de l'article L. 114-3 du même code : " Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l'administration initialement saisie. ". L'article R. 421-2 du code de justice administrative dispose quant à lui que : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. (...) / La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête ". En ce qui concerne l'existence d'une décision objet du litige : 5. D'une part, il ressort des pièces produites pour la première fois en cause d'appel, et de leur traduction en langue française, que Mme B... veuve A... a adressé sa demande de révision de pension du 25 octobre 2017 par lettre recommandée avec avis de réception déposée auprès des services postaux algériens le 4 novembre 2017. Si le tampon horodateur de la sous-direction des pensions apposé sur l'avis de réception de ce pli mentionne pour date de réception le mardi 18 décembre 2016, laquelle est erronée quant à l'année et au jour en cause, une telle indication révèle néanmoins la réception de la demande par les services du ministre des armées. Compte tenu des délais moyens d'acheminement du courrier depuis l'Algérie vers la France, la date de réception de la demande de révision de pension de Mme B... veuve A... peut être fixée au plus tard au 4 décembre 2017. 6. D'autre part, aux termes de l'article R. 633-1 du code de justice administrative ; " Dans le cas d'une demande en inscription de faux contre une pièce produite, la juridiction fixe le délai dans lequel la partie qui l'a produite sera tenue de déclarer si elle entend s'en servir. / Si la partie déclare qu'elle n'entend pas se servir de la pièce, ou ne fait pas de déclaration, la pièce est rejetée. Si la partie déclare qu'elle entend se servir de la pièce, la juridiction peut soit surseoir à statuer sur l'instance principale jusqu'après le jugement du faux rendu par le tribunal compétent, soit statuer au fond, si elle reconnaît que la décision ne dépend pas de la pièce arguée de faux. ". Il appartient néanmoins au juge administratif de connaître des contestations, y compris celles présentées sous la forme d'inscriptions de faux, portant sur les documents postaux relatifs à l'acheminement du courrier dans le cadre d'une procédure administrative ou d'une procédure qui se déroule devant la juridiction administrative. Il en va de même lorsque ces contestations visent les mentions, portées sur des documents postaux établis par des services relevant d'Etats étrangers, mais attribuées par les parties à des services des administrations de l'Etat français. 7. A l'appui de ses écritures devant la Cour, le ministre des armées demande, par une inscription de faux présentée sur le fondement de l'article R. 633-1 du code de justice administrative, que les justificatifs produits par l'appelante et évoqués au point 5 soient écartés des débats, compte tenu de l'incohérence existant entre la date d'envoi de la demande de révision de pension, le 4 novembre 2017, et la date de réception de cette demande apposée au moyen du tampon horodateur, le 18 décembre 2016. Toutefois, dès lors qu'il ne peut être exclu que cette discordance de dates, qui affecte les seules mentions issues du tampon horodateur, résulte d'une erreur ou d'un dysfonctionnement de cet instrument, dont le ministre admet qu'il était encore employé à cette date pour établir la réception des courriers par ses services, et qu'elle ne peut manifestement pas profiter à la requérante, il ne résulte pas de l'instruction que de telles mentions seraient constitutives d'un faux, et que ces pièces devraient être écartées des débats. 8. Il résulte de tout ce qui précède que, contrairement à ce qu'a considéré le premier juge, le silence gardé par le ministre des armées pendant un délai de deux mois sur la demande de révision de pension formée par Mme B... veuve A... le 25 octobre 2017 a pu faire naître, en application de l'article L. 114-3 du code des relations entre le public et l'administration, une décision tacite de rejet de cette demande, dont elle était recevable à demander l'annulation. Il y a donc lieu d'annuler l'ordonnance attaquée et au cas d'espèce, ainsi que le demande d'ailleurs Mme B... veuve A..., de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Marseille pour qu'il soit statué sur sa demande. Sur les frais d'instance : 9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans cette instance, la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme B... veuve A... et non compris dans les dépens. DECIDE : Article 1er : L'ordonnance n° 2004231 rendue le 1er mars 2023 par le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Marseille est annulée. Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Marseille pour qu'il soit statué sur la demande de Mme B... veuve A.... Article 3 : L'Etat versera à Mme B... veuve A... la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... veuve A... et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, où siégeaient : - M. Marcovici, président, - M. Revert, président assesseur, - M. Martin, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024. N° 23MA015212
Cours administrative d'appel
Marseille
CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 09/04/2024, 24MA00108, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part d'annuler l'arrêté du 20 juin 2023 par lequel le directeur de l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire du blâme, ensemble la décision du 31 août 2023 rejetant son recours gracieux, d'autre part d'enjoindre à cet établissement public local de retirer cette sanction et tout autre document faisant référence à la procédure disciplinaire et enfin de condamner cet établissement à lui verser la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 2305594 du 17 novembre 2023, le président de la sixième chambre du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 janvier et 20 mars 2024, Mme A..., représentée par Me Taulet, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures : 1°) à titre principal, d'annuler cette ordonnance du 17 novembre 2023 ; 2°) d'annuler la décision de blâme ainsi que la décision tacite rejetant son recours gracieux contre cette sanction ; 3°) d'enjoindre à l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes de retirer cette sanction, et tout autre document faisant référence à la procédure disciplinaire ; 4°) subsidiairement, d'annuler cette ordonnance et de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Nice ; 5°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'administration une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - contrairement à la notification qui lui a été faite par le tribunal de l'ordonnance attaquée, seule la Cour est compétente pour connaître de sa requête ; - c'est à tort que le premier juge a considéré sa demande comme tardive, dès lors que le délai de recours contentieux a couru à son encontre non pas à compter de la présentation du pli à son domicile, mais à partir du jour où elle a retiré ce pli à la poste ; - la sanction en litige est irrégulière, faute pour elle d'avoir pu accéder à l'intégralité de son dossier individuel, avant son entretien disciplinaire, en méconnaissance de l'article 44 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat ; - la sanction en litige est entachée d'une erreur de fait et s'avère disproportionnée ; - la Cour ne pourra pas évoquer l'affaire, dès lors que les mémoires en défense, qui ne portent que sur le fond du litige, lui ont été communiqués tardivement. Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2024, l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes, représenté par Me Urien, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de son auteure la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens d'appel relatifs à la légalité de la sanction en litige ne sont pas fondés. Par des observations, enregistrées le 19 mars 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut à ce que l'Etat soit mis hors de cause dans cette instance, dès lors que seul le directeur de l'établissement public dont relève la requérante a compétence pour produire des écritures en défense. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des relations entre le public et l'administration ; - le code des postes et des communications électroniques ; - le code de procédure civile ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Revert, - les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique, - et les observations de Me Urien, représentant l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes. Considérant ce qui suit : 1. Mme A..., agente contractuelle dans l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes, a été sanctionnée d'un blâme par une décision du directeur de cet établissement du 20 juin 2023, contre laquelle elle a formé un recours gracieux le 20 juillet 2023. Par une ordonnance du 17 novembre 2023, dont Mme A... relève appel, le président de la sixième chambre du tribunal administratif de Nice, faisant application des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, a rejeté comme tardive sa demande tendant d'une part à l'annulation de ce blâme et de la décision du 31 août 2023 rejetant son recours gracieux et d'autre part au retrait de ce blâme ou de tout document mentionnant cette procédure disciplinaire. Sur le cadre juridique applicable : 2. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (...) peuvent, par ordonnance : / (...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens (...)". 3. D'autre part, aux termes de l'article R. 421-1 du même code : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". L'article L. 411-5 du code des relations entre le public et l'administration précise que : " Toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai./ Lorsque dans le délai initial du recours contentieux ouvert à l'encontre de la décision, sont exercés contre cette décision un recours gracieux et un recours hiérarchique, le délai du recours contentieux, prorogé par l'exercice de ces recours administratifs, ne recommence à courir à l'égard de la décision initiale que lorsqu'ils ont été l'un et l'autre rejetés. ". 4. Enfin, l'article 5 de l'arrêté du 7 février 2007 pris en application de l'article R. 2-1 du code des postes et des communications électroniques et fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux, dispose que : " En cas d'absence du destinataire à l'adresse indiquée par l'expéditeur lors du passage de l'employé chargé de la distribution, un avis du prestataire informe le destinataire que l'envoi postal est mis en instance pendant un délai de quinze jours à compter du lendemain de la présentation de l'envoi postal à son domicile ainsi que du lieu où cet envoi peut être retiré ". Il résulte de ces dispositions que lorsque le destinataire du pli recommandé avec avis de réception le retire au bureau de poste durant le délai de mise en instance de quinze jours, la date de notification de ce pli est celle de son retrait. En cas de retour du pli à l'administration au terme du délai de mise en instance, la notification est réputée avoir été régulièrement accomplie à la date à laquelle ce pli a été présenté à l'adresse de l'intéressé, dès lors du moins qu'il résulte soit de mentions précises, claires et concordantes portées sur l'enveloppe, soit, à défaut, d'une attestation du service postal ou d'autres éléments de preuve, que le préposé a, conformément à la réglementation en vigueur, déposé un avis d'instance informant le destinataire que le pli était à sa disposition au bureau de poste. Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée : 5. Il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement de la capture d'écran de la consultation du site des services postaux produite par la requérante en première instance, que si le pli recommandé avec avis de réception contenant la décision du 31 août 2023 qui rejette le recours gracieux formé par Mme A... le 20 juillet 2023 contre la décision de blâme du 20 juin 2023, laquelle comportait la mention des voies et délais de recours, lui a été présenté pour la première fois à son adresse le 5 septembre 2023, l'intéressée a retiré ce pli au bureau de poste le 11 septembre 2023, soit dans le délai de mise en instance de quinze jours prévu à l'article 5 de l'arrêté du 7 février 2007 cité au point 4. Son recours gracieux ayant valablement prorogé le délai de recours contentieux contre la décision de blâme, Mme A... disposait ainsi, à compter du 12 septembre 2023, d'un nouveau délai de deux mois pour demander au tribunal administratif de Nice l'annulation non seulement de cette décision, mais également de celle du 31 août 2023 rejetant son recours gracieux. Un tel délai, qui est un délai franc, expirait non pas le 12 novembre 2023, qui était un dimanche, mais le lendemain à minuit, conformément aux dispositions de l'article 642 du code de procédure civile. Par suite, contrairement à la mention du premier juge, selon lequel " Le fait pour Mme A... de n'avoir retiré le pli recommandé contenant la décision de rejet de son recours gracieux que le lundi 11 septembre 2023, n'a pas eu pour effet de retarder le point de départ du délai de recours contentieux ", la demande contentieuse de Mme A..., enregistrée au greffe du tribunal le 13 novembre 2023, à 21 heures 43, n'était pas tardive. Elle est donc fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la sixième chambre du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande comme irrecevable en application des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Il y a donc lieu d'annuler cette ordonnance et, au cas d'espèce, de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Nice pour qu'il statue à nouveau sur la demande de Mme A.... Sur les frais d'instance : 6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans cette instance, au titre des frais exposés par l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes, en application de ces mêmes dispositions, la somme de 1 000 euros à verser à Mme A... au titre des frais exposés par elle dans cette instance et non compris dans les dépens. DECIDE : Article 1er : L'ordonnance n° 2305594 rendue le 17 novembre 2023 par le président de la sixième chambre du tribunal administratif de Nice est annulée. Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Nice. Article 3 : L'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes versera à Mme A... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Les conclusions de l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole " campus vert d'azur " d'Antibes et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, où siégeaient : - M. Marcovici, président, - M. Revert, président assesseur, - M. Martin, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024. N° 24MA001082
Cours administrative d'appel
Marseille
cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 23/04/2024, 22TL21302, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier : 1°) sous le n°2001512, d'annuler l'arrêté du 21 janvier 2020 de la rectrice de l'académie de Montpellier en ce qu'il la place à la retraite à compter du 1er décembre 2019 et d'enjoindre à l'Etat de la placer en retraite pour invalidité à compter du 21 janvier 2020 ; 2°) sous le n°2001513, d'annuler le titre de pension du 27 janvier 2020 en ce qu'il prend comme base de calcul l'indice 727 au lieu de l'indice 735 et d'enjoindre à l'Etat de calculer sa pension de retraite sur la base de l'indice 735 ; 3°) sous le n°2001514, d'annuler la décision du 9 mars 2020 de la rectrice de l'académie de Montpellier ayant pour objet " titre pour trop-perçu " et de la décharger de la somme de 2 850,10 euros ; 4°) pour chacune de ces demandes, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un jugement n°2001512, 2001513, 2001514 du 8 avril 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes. Procédure devant la cour : Par une requête, enregistrée le 7 juin 2022, Mme A..., représentée par Me Betrom, demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement du 8 avril 2022 ; 2°) d'enjoindre à l'Etat de calculer sa retraite sur la base de l'indice 735 ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - l'arrêté du 21 janvier 2020 est illégal, elle ne pouvait être placée rétroactivement à la retraite à compter du 1er décembre 2019 alors qu'elle pouvait bénéficier d'un régime plus favorable jusqu'au 21 janvier 2020 ; - le titre de pension est dépourvu de base légale du fait de l'illégalité de l'arrêté de radiation ; - sa retraite est calculée de manière erronée sur la base de l'indice 727 au lieu de l'indice 735 figurant sur son bulletin de salaire de janvier 2020. Par un mémoire en défense enregistré le 19 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à titre principal à l'incompétence de la cour administrative d'appel et à titre subsidiaire au rejet au fond de la requête. Il fait valoir que : - le litige relatif à l'indice de liquidation d'une pension civile de retraite relève des litiges en matière de pension de retraite au sens du 7° de l'article R.811-1 du code de justice administrative, dont le tribunal administratif connaît en premier et dernier ressort, seul le Conseil d'Etat est ainsi compétent pour en connaître ; - la requête d'appel, qui se borne à reproduire intégralement et exclusivement le mémoire de première instance est irrecevable ; - les autres moyens ne sont pas fondés. Par un mémoire en défense enregistré le 16 novembre 2023, la rectrice de l'académie de Montpellier conclut à titre principal, à la transmission de la requête au Conseil d'Etat et à titre subsidiaire, à son rejet au fond. Elle fait valoir que : - seul le Conseil d'Etat est compétent pour connaître du présent litige ; - elle s'associe à la fin de non-recevoir opposée par le ministre, les moyens étant strictement identiques à ceux soulevés en première instance ; - les autres moyens ne sont pas fondés. Par une ordonnance du 17 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été reportée au 12 décembre 2023 à 12h. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions civiles et militaires de retraite ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Céline Arquié, première conseillère, - et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. Mme B... A..., ingénieure de recherche de 2ème classe qui exerçait ses fonctions à la division académique des services informatiques du rectorat de l'académie de Montpellier, a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 21 janvier 2020 de la rectrice de l'académie en ce qu'il la place à la retraite rétroactivement à compter du 1er décembre 2019, d'annuler le titre de pension du 27 janvier 2020 en ce qu'il prend comme base de calcul l'indice 727 au lieu de l'indice 735, d'annuler la décision du 9 mars 2020 de la rectrice de l'académie de Montpellier ayant pour objet " titre pour trop-perçu " et enfin de la décharger de l'obligation de payer la somme de 2 850,10 euros. Elle relève appel du jugement du 8 avril 2022 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 janvier 2020 de la rectrice de l'académie de Montpellier et à l'annulation de l'arrêté du 27 janvier 2020 des services de retraite de l'Etat portant titre de pension. Sur les conclusions dirigées contre le titre de pension du 27 janvier 2020 : 2. Aux termes de l'article R. 351-2 du code de justice administrative : " Lorsqu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence du Conseil d'Etat, son président transmet sans délai le dossier au Conseil d'Etat qui poursuit l'instruction de l'affaire. (...) ". 3. Aux termes de l'article R. 811-1 du même code : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. Toutefois, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : (...) 7° Sur les litiges en matière de pensions de retraite des agents publics (...) ". 4. Un litige tendant à la révision de l'indice retenu comme base de calcul d'un titre de pension constitue un litige en matière de pension de retraite au sens des dispositions du 7° de l'article R.811-1 du code de justice administrative, sur lequel le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort. Par suite, il y a lieu, en application des dispositions de l'article R. 351-2 du code de justice administrative citées au point 2 de transmettre les conclusions de la requête de Mme A... tendant à l'annulation du titre de pension du 27 janvier 2020 en ce qu'il prend comme base de calcul l'indice 727 au Conseil d'Etat. Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 21 janvier 2020 : 5. Les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir. Par suite, en l'absence de disposition législative l'y autorisant, l'administration ne peut, même lorsqu'elle est saisie d'une demande de l'intéressé en ce sens, déroger à cette règle générale et conférer un effet rétroactif à une décision d'admission à la retraite, à moins qu'il ne soit nécessaire de prendre une mesure rétroactive pour tirer les conséquences de la survenance de la limite d'âge, pour placer l'agent dans une situation régulière ou pour remédier à une illégalité. 6. Mme A... a été placée en congé de longue durée imputable au service à compter du 29 mars 2016, jusqu'au 30 novembre 2019, date d'expiration de son congé de longue durée. Consécutivement à sa demande du mois de janvier 2019 d'être mise à la retraite pour invalidité, l'administration a saisi la commission de réforme qui a émis, le 30 avril 2019, un avis favorable à la mise à la retraite de Mme A... pour invalidité imputable au service en raison d'une inaptitude totale et définitive à ses fonctions et toutes fonctions. Le ministre chargé du budget a rendu un avis conforme à sa mise à la retraite le 17 janvier 2020. La circonstance que l'intéressée ait continué à bénéficier d'un demi-traitement du 1er décembre 2019 jusqu'au 21 janvier 2020 n'est pas par ailleurs de nature à établir qu'elle aurait alors été placée en congé de longue maladie. Dans ces conditions, et ainsi que l'ont indiqué les premiers juges, l'arrêté du 21 janvier 2020 portant admission de Mme A... à la retraite rétroactivement à compter du 1er décembre 2019 était nécessaire pour placer l'intéressée dans une situation régulière à compter de l'expiration, le 30 novembre 2019, de son congé de longue durée. Par suite, le moyen tiré du caractère rétroactif illégal de l'arrêté du 21 janvier 2020 doit être écarté. 7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 janvier 2020, en tant qu'il a retenu la date du 1er décembre 2019 comme date de mise à la retraite. Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige : 8. Les dispositions de l'article L761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. D E C I D E : Article 1er : Les conclusions de la requête de Mme A... tendant à l'annulation du titre de pension du 27 janvier 2020 en ce qu'il prend comme base de calcul l'indice 727 sont transmises au Conseil d'Etat. Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Copie en sera adressée à la rectrice de l'académie de Montpellier. Délibéré après l'audience du 26 mars 2024 à laquelle siégeaient : Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre, Mme Blin, présidente assesseure, Mme Arquié, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024. La rapporteure, C. Arquié La présidente, A. Geslan-Demaret La greffière, M-M. Maillat La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. 2 No 22TL21302
Cours administrative d'appel
Toulouse
Conseil d'État, 9ème chambre, 22/04/2024, 469576, Inédit au recueil Lebon
Vu les procédures suivantes : I.- Sous le n° 469576, M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler, d'une part, les arrêtés des 19 mars et 4 octobre 2018 et, d'autre part, l'avenant n° 1 du 14 septembre 2018 à la convention du 29 juillet 2015 par lesquels le ministre de l'intérieur l'a maintenu en position de mise à disposition, à temps plein, auprès du préfet de la Gironde, en tant qu'ils ne prennent pas en compte les services accomplis durant cette mise à disposition pour la détermination de ses droits à pension. Par un jugement n° 1805420 du 22 juin 2020, ce tribunal a fait droit à sa demande. Par un arrêt n° 20BX02846 du 11 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel formé par le ministre de l'intérieur contre ce jugement, annulé celui-ci et rejeté la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Bordeaux. Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 décembre 2022 et 20 février 2023 et le 6 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler cet arrêt ; 2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre de l'intérieur ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. .................................................................................... Vu les autres pièces des dossiers ; Vu : - le code des pensions civiles et militaires de retraite ; - le code de la sécurité intérieure ; - la loi n° 57-444 du 8 avril 1957 ; - le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de Mme Agathe Lieffroy, maîtresse des requêtes en service extraordinaire, - les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ; La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. A... ;Considérant ce qui suit : 1. Le pourvoi et la requête tendant au sursis à exécution présentés par M. A... sont dirigés contre le même arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision. 2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., commandant de la police nationale, a été mis à disposition du préfet de la région Aquitaine, préfet de la Gironde, du 1er septembre 2014 au 31 août 2017 pour exercer les fonctions de délégué du préfet de la Gironde, par arrêté du ministre de l'intérieur du 29 juillet 2015. Par deux arrêtés du ministre de l'intérieur des 19 mars et 4 octobre 2018, cette mise à disposition a été renouvelée pour la période du 1er septembre 2017 au 31 août 2020 et un avenant à la convention de mise à disposition signé 14 septembre 2018. Par un jugement du 22 juin 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a, sur la demande de M. A..., annulé ces arrêtés des 19 mars et 4 octobre 2018 et cet avenant en tant qu'ils prévoient que M. A... ne bénéficie pas de la bonification spéciale de retraite prévue à l'article 1er de la loi du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de la police. Par un arrêt du 11 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel du ministre de l'intérieur, a annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Bordeaux. M. A... se pourvoit en cassation contre cet arrêt et en demande le sursis à exécution. Sur le pourvoi n° 469576 : 3. D'une part, aux termes de l'article R. 411-2 du code de la sécurité intérieure : " Les fonctionnaires actifs des services de la police nationale sont affectés à des missions ou activités :/1° De protection des personnes et des biens ;/2° De prévention de la criminalité et de la délinquance ;/3° De police administrative ;/4° De recherche et de constatation des infractions pénales, de recherche et d'arrestation de leurs auteurs ;/5° De recherche de renseignements ;/6° De maintien de l'ordre public ;/7° De coopération internationale ;/8° D'état-major et de soutien des activités opérationnelles ;/9° De formation des personnels./(...) ". 4. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de police : " Les agents des services actifs de police de la préfecture de police, soumis à la loi n° 48-1504 du 28 septembre 1948 dont la limite d'âge était, au 1er décembre 1956, égale à cinquante-cinq ans, bénéficient, à compter du 1er janvier 1957, s'ils ont droit à une pension d'ancienneté ou à une pension proportionnelle pour invalidité ou par limite d'âge, d'une bonification pour la liquidation de ladite pension, égale à un cinquième du temps qu'ils ont effectivement passé en position d'activité dans des services actifs de police. Cette bonification ne pourra être supérieure à cinq annuités. (...)". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " Par dérogation aux dispositions du 1° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les personnels des services actifs de police appartenant aux catégories énumérées au premier alinéa de l'article 1er et à l'article 6 de la présente loi peuvent être admis à la retraite, sur leur demande, à la double condition de justifier de vingt-sept années de services effectifs ouvrant droit à la bonification précitée ou de services militaires obligatoires et de se trouver à cinq ans au plus de la limite d'âge de leur grade. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 6 de cette même loi : " Les dispositions des articles 1er à 3 ci-dessus seront applicables, suivant les mêmes modalités et à l'exception des catégories équivalentes à celles qui, à la préfecture de police n'en sont pas bénéficiaires, aux personnels des services actifs de la sûreté nationale, soumis à la loi n° 48-1504 du 28 septembre 1948. (...) ". Pour l'application de ces dispositions, les services actifs de police sont ceux qui impliquent l'exercice de fonctions de la nature de celles mentionnées à l'article R. 411-2 du code de la sécurité intérieure cité au point 3. 5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif n'était pas recevable, faute pour les arrêtés et l'avenant en litige de lui faire grief, la cour administrative d'appel de Bordeaux a relevé que la bonification spéciale de retraite prévue par les dispositions de la loi du 8 avril 1957 citées au point 4 n'entrait dans aucun des cas pour lesquels les textes relatifs au régime des pensions civiles et militaires prévoyaient une procédure de validation détachable de la liquidation de la pension et, d'autre part, que M. A... n'était recevable à demander le bénéfice de cette bonification qu'à l'occasion de la liquidation de sa pension de retraite. 6. Or, les dispositions des arrêtés et de l'avenant contestés qui refusaient à M. A..., au titre de la bonification spéciale de retraite prévue à l'article 1er de la loi 8 avril 1957, la prise en compte des services accomplis durant sa mise à disposition auprès du préfet de la Gironde, faisant par suite obstacle à leur prise en compte pour apprécier son droit à un départ anticipé à la retraite en application de l'article 2 de cette même loi, avaient une incidence directe sur sa date de départ à la retraite. Dès lors, elles revêtaient le caractère d'une décision administrative détachable des opérations afférentes à la liquidation de la pension, susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Par suite, en jugeant que la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif n'était pas recevable, faute pour les arrêtés et l'avenant en litige de lui faire grief, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit. 7. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Sur la requête tendant au sursis à exécution n° 471524 : 8. Le Conseil d'Etat se prononçant par la présente décision sur le pourvoi formé par M. A... contre l'arrêt du 11 octobre 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux, les conclusions aux fins de sursis à exécution de cet arrêt sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer. Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : 9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. D E C I D E : -------------- Article 1er : L'arrêt du 11 octobre 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé. Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Bordeaux. Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. A... tendant au sursis à exécution de l'arrêt du 11 octobre 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux. Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Délibéré à l'issue de la séance du 28 mars 2024 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et Mme Agathe Lieffroy, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure. Rendu le 22 avril 2024. La présidente : Signé : Mme Anne Egerszegi La rapporteure : Signé : Mme Agathe Lieffroy Le secrétaire : Signé : M. Brian Bouquet La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition conforme, Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :ECLI:FR:CECHS:2024:469576.20240422
Conseil d'Etat
CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 19/03/2024, 22BX02162, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune d'Agen à lui verser la somme de 271 410,50 euros en réparation de ses préjudices consécutifs à son accident de service du 3 octobre 2008, d'enjoindre à la commune de reconstituer ses droits à traitement et à pension, de réserver l'indemnisation de ses préjudices relatifs aux dépenses de santé futures et à la perte de gains professionnels actuels et futurs. Par un jugement n° 2003729 du 16 juin 2022, le tribunal a condamné la commune d'Agen à verser à Mme A... la somme de 155 716 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une rente annuelle de 1 624 euros. Procédure devant la Cour : Par une requête enregistrée le 1er août 2022, la commune d'Agen, représentée par la SELARL Cabinet Ferrat, agissant par Me Ferrant, demande à la Cour : 1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2003729 du 16 juin 2022 ; 2°) de rejeter les demandes de première instance de Mme A... ; 3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance : - la décision de rejet de la demande préalable indemnitaire prise par la commune le10 mars 2020 était purement confirmative d'une première décision ayant implicitement rejeté la même demande présentée par Mme A... le 6 février 2012, qui n'a pas été contestée et qui est devenue définitive ; dès lors, la saisine du tribunal était tardive ; Au fond : - les demandes de Mme A... était prescrite en application de la loi du 31décembre 1968 sur la prescription quadriennale ; ainsi, l'état de santé de Mme A... était consolidé au 15 octobre 2009 comme l'a établi le rapport d'expertise déposé le 25 avril 2012 ; il s'ensuit que la prescription quadriennale était acquise le 31 décembre 2013 ; de même, si un autre rapport d'expertise a déclaré l'état de santé de Mme A... consolidé au 24 juin 2013, la prescription quadriennale était acquise au 31 décembre 2017 ; ainsi, la demande préalable présentée le 14 janvier 2020 par Mme A... était atteinte par la prescription ; elle n'a pas été interrompue par les demandes en référé présentées par l'intéressée, qui ne tendaient pas au paiement d'une somme d'argent ; - c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la commune n'avait commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis de Mme A... en ce qui concerne son obligation d'information et de prévention quant aux risques engendrés par l'utilisation de produits pouvant nuire à la santé ; - en revanche, les premiers juges ne pouvaient faire application d'un régime de responsabilité sans faute fondé sur l'imputabilité au service de son accident ; un tel régime ne s'applique pas lorsque l'agent a commis une faute ; Mme A... a commis une telle faute à l'origine de son accident de service dès lors qu'il n'est pas établi qu'elle aurait revêtu les équipements de sécurité qui lui avaient été remis le jour de son accident ; - les préjudices invoqués par Mme A..., à savoir le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées, le déficit fonctionnel permanent, les frais d'assistance par une tierce personne, et les frais d'assistance futurs, ne sont justifiés ni dans leur principe ni dans leur montant. Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2023, Mme D... A..., représentée par la SELARL Heuty, Lonné, Canlorbe, agissant par Me Lonné, conclut : 1°) au rejet de la requête de la commune d'Agen ; 2°) par la voie de l'appel incident, à la condamnation de la commune d'Agen à lui verser la somme de 271 410,50 euros ; 3°) à ce que la Cour réserve le poste de préjudice relatif aux dépenses futures de santé ainsi que les postes relatifs aux pertes de gains professionnels actuels et futurs ; 4°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune d'Agen une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés. Par ordonnance du 17 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 20 juin 2023 à 12h00. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ; - la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ; - la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Frédéric Faïck, - les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public, - et les observations de Me Guillout pour la commune d'Agen. Considérant ce qui suit : 1. Mme D... A..., adjointe territoriale du patrimoine, a été affectée au musée municipal de la commune d'Agen le 1er février 2007. Dans le cadre du transfert d'une collection d'oiseaux naturalisés vers les réserves du musée, il lui a été demandé, le 3 octobre 2008, de vaporiser un traitement insecticide sur les oiseaux. Après avoir procédé aux pulvérisations, Mme A... a présenté, le jour même, une toux irritante et persistante. Cet accident, à la suite duquel Mme A... a été placée en congé de maladie, a été reconnu imputable au service après avis favorable de la commission de réforme du 18 décembre 2008. Mme A... a finalement été admise à la retraite pour invalidité résultant du service par une décision du 9 décembre 2011. Le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a, par ordonnance du 13 novembre 2018, désigné un expert chargé de décrire l'état de santé de Mme A... et de se prononcer sur ses préjudices causés par l'accident du 3 octobre 2018. Après le dépôt du rapport d'expertise le 26 mai 2019, Mme A... a, le 14 janvier 2020, saisi la commune d'Agen d'une demande préalable indemnitaire qui a été rejetée le 10 mars 2020. Mme A... a ensuite saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la condamnation de la commune d'Agen à l'indemniser des divers préjudices, actuels et futurs, résultant de l'accident de service du 3 octobre 2008. Par jugement du 16 juin 2022, le tribunal a condamné la commune d'Agen, sur le terrain de la responsabilité sans faute qu'il a soulevé d'office, à verser à Mme A... la somme de 155 716 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi qu'une rente annuelle de 1 624 euros. La commune d'Agen relève appel de ce jugement, tandis que Mme A... demande à la Cour, par la voie de l'appel incident, de porter à 271 410,50 euros le montant de la réparation à laquelle elle estime avoir droit. Sur l'appel principal de la commune d'Agen : En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance : 2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. ". 3. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 6 février 2012, Mme A... a informé la commune d'Agen qu'elle avait chargé son conseil " d'obtenir la réparation intégrale de son préjudice " à la suite de l'accident du 3 octobre 2018 et qu'elle entendait " saisir la juridiction des référés du tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'expertise médicale, étape indispensable pour obtenir la liquidation de son préjudice ". Ce même courrier invitait également la commune à envisager l'organisation d'une expertise amiable à l'initiative de son assureur, à défaut de quoi il serait procédé à la saisine du juge " dans un délai de trois semaines ". Eu égard aux termes dans lesquels il était rédigé, ce courrier du 6 février 2012 informait simplement la commune d'Agen de l'intention de Mme A... de se soumettre à une expertise en vue du chiffrage ultérieur de son préjudice, et ne saurait en conséquence s'analyser en une demande préalable d'indemnisation susceptible d'avoir fait naître une décision implicite de rejet devenue définitive. Par suite, la commune d'Agen n'est pas fondée à soutenir que sa décision du 10 mars 2020, rejetant la demande préalable indemnitaire présentée par Mme A... le 14 janvier 2020, serait confirmative d'une précédente décision définitive. La fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande doit ainsi être écartée. En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale : 4. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit (...) des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de la loi précitée : " La prescription est interrompue par : (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. (...) ". 5. S'agissant d'une créance indemnitaire détenue sur une collectivité publique au titre d'un dommage corporel engageant sa responsabilité, le point de départ du délai de prescription prévu par ces dispositions est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les infirmités liées à ce dommage ont été consolidées. Il en est ainsi pour tous les postes de préjudice, aussi bien temporaires que permanents. 6. Il résulte de l'instruction qu'à la demande de la SMACL, assureur de la commune d'Agen, Mme A... a été examinée par le Dr B... dont le rapport d'expertise du 24 mai 2012 a fixé au 15 octobre 2009 la date de consolidation des infirmités. Toutefois, dans son rapport du 26 mai 2019, le docteur E..., expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif, a relevé que les traitements reçus par Mme A... entre 2010 et 2013 ont été modifiés et intensifiés et que cette " évolution thérapeutique ne permettait absolument pas de consolider Madame A... le 15 octobre 2009 compte tenu de la dégradation de son état respiratoire nécessitant une majoration des thérapeutiques jusqu'en juin 2013 ". L'expert a ainsi estimé que l'état de santé de Mme A... devait être regardé comme consolidé au 24 juin 2013, date à laquelle cette dernière recevait un " traitement maximal " pour soigner sa pathologie respiratoire. Dans ces conditions, la date de consolidation de l'état de santé de Mme A... doit être fixée au 24 juin 2013, et non au 15 octobre 2009, comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges. Il s'ensuit que le délai de prescription quadriennale de la créance invoquée par Mme A... à l'encontre de la commune d'Agen a commencé à courir le 1er janvier 2014 pour expirer, en principe, le 31 décembre 2017. 7. Ainsi qu'il a été dit au point 3, dans son courrier du 6 février 2012 Mme A... a informé la commune d'Agen qu'elle avait chargé son conseil d'obtenir la réparation de ses dommages et de sa décision de saisir le juge des référés du tribunal administratif d'une demande d'expertise. Cette saisine, intervenue dès le 2 novembre 2013, était relative à la créance invoquée par Mme A... à l'encontre de la commune et a eu pour conséquence d'interrompre le délai de la prescription quadriennale en application des dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968. Cette demande d'expertise a été rejetée, pour défaut d'utilité, par une ordonnance n° 1303972 du 6 mars 2014 du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, confirmée par une ordonnance n° 14BX01067 de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 18 septembre 2014. Toutefois, le 12 avril 2018, soit dans le nouveau délai de quatre ans qui a commencé à courir le 1er janvier 2015, Mme A... a saisi le juge des référés du tribunal administratif d'une nouvelle demande d'expertise. Par une ordonnance n° 1801477 du 13 novembre 2018, le juge des référés a fait droit à cette demande en relevant que si Mme A... avait déjà été examinée par plusieurs médecins, il ressortait du rapport d'expertise établi le 13 octobre 2016 par le docteur F..., expert près de la Cour d'appel de Pau, que la consolidation de son état de santé ne pouvait être fixée au 15 octobre 2009 et que " les contradictions relevées entre les différents rapports d'expertise, notamment en ce qui concerne la date à laquelle l'état de Mme A... ne pouvait plus être regardé comme imputable à l'accident et les préjudices directement lié à l'accident de service, soulignent que la demande d'expertise sollicitée conserve, dans cette mesure, son utilité ". L'expert désigné par le tribunal ayant remis son rapport le 26 mai 2019, et la prescription ayant de nouveau couru au 1er janvier 2020, la créance invoquée par Mme A... n'était pas prescrite le 14 janvier 2020, date de sa demande préalable indemnitaire adressée à la commune d'Agen. L'exception de prescription quadriennale doit, dès lors, être écartée. En ce qui concerne la responsabilité sans faute de la commune d'Agen : 8. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, pour les fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, du II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984, et les article 37, 40 et 42 du décret du 26 décembre 2003, relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Compte tenu des conditions posées à leur octroi et de leur mode de calcul, la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. 9. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique. 10. Ainsi qu'il a été dit, Mme A... a été chargée, le 3 octobre 2008, de vaporiser un traitement insecticide sur les oiseaux naturalisés du musée municipal avant leur transfert vers les réserves de l'établissement. Peu après cette intervention, elle présenté une toux sèche qui s'est aggravée dès le lendemain et a justifié son placement en arrêt-maladie du 6 octobre 2008 au 12 janvier 2009, puis à compter du 23 janvier 2009 pour une asthme extrinsèque. Selon le certificat médical initial du docteur C..., daté du 6 octobre 2008, Mme A... aurait eu " une réaction suite à l'exposition de produits potentiellement toxiques ", tandis qu'un médecin pneumologue consulté le 14 octobre 2008 a diagnostiqué chez elle un " syndrome obstructif réversible ". Quant au rapport d'expertise établi à la demande du juge des référés du tribunal administratif par le docteur E... le 26 mai 2019, il relève que Mme A..., qui n'a " aucun antécédent respiratoire ", a présenté des " symptômes aigus, immédiats dès le contact avec le produit incriminé " et " présente un tableau respiratoire induit par une exposition professionnelle lors de l'application d'un produit antimites sur une collection d'oiseaux, collection antérieurement traitée par de l'arsenic, de la mort-aux-rats et de la naphtaline ". Après avis favorable de la commission de réforme du 18 décembre 2008, Mme A... a bénéficié de la reconnaissance de l'imputabilité au service de son accident du 3 octobre 2008 avant d'être mise à la retraite pour invalidité imputable au service par décision du 9 décembre 2011. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu, par des motifs qui ne sont d'ailleurs pas contestés par l'appelante, que la responsabilité sans faute de la commune d'Agen était engagée à raison des préjudices subis par Mme A... après l'accident du 3 octobre 2008. 11. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports des expertises médicales, que Mme A... a reçu, avant l'intervention du 3 octobre 2008, une combinaison intégrale, un masque ainsi que des lunettes et gants de protection. Elle a procédé à la pulvérisation du produit insecticide sur les oiseaux naturalisés de 9 heures à 12 heures puis de 13 heures 30 à 18 heures, ce qui a nécessité l'usage de cinq bombes d'un aérosol mites et larves de marque Kapo, en étant accompagnée d'une collègue chargée pour sa part de ranger les oiseaux dans une armoire dédiée. Si la commune d'Agen soutient que Mme A... a commis une faute l'exonérant de toute responsabilité dès lors que les inhalations de produits qu'elle a subies doivent conduire à s'interroger sur le port effectif des équipements de sécurité remis, alors que l'autre agent présent dans la salle n'a montré aucun signe d'intoxication, ce seul élément ne permet pas d'établir la faute alléguée de la victime qui a procédé seule aux pulvérisations tout au long de la journée et a déclaré à l'expert désigné par le tribunal avoir " reçu les produits dans la figure " en raison du vent ayant pénétré dans la pièce par une fenêtre laissée ouverte. Dans ces circonstances, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'il n'existait pas d'éléments suffisants pour retenir que Mme A... aurait commis une faute à l'origine de son accident et de nature à exonérer la commune d'Agen de sa responsabilité. En ce qui concerne les préjudices : S'agissant des préjudices patrimoniaux : 12. Il résulte du rapport d'expertise qu'en raison de sa pathologie respiratoire qui lui a laissé un déficit fonctionnel permanent de 58 %, Mme A... a besoin, depuis le 24 juin 2013, date de consolidation de son état de santé, de l'assistance d'une tierce personne pour le gros ménage et le port de charge à raison de deux heures par semaine, soit huit heures par mois. En retenant un coût horaire de 14 euros correspondant au coût horaire moyen du salaire minimum au cours de la période considérée, le tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation du préjudice subi à ce titre par Mme A... en le fixant 14 616 euros pour la période allant du 24 juin 2013 à la date de mise à disposition du jugement attaqué. 13. Par ailleurs, s'agissant des préjudices futurs de la victime non couverts par des prestations de sécurité sociale, il appartient au juge de décider si leur réparation doit prendre la forme du versement d'un capital ou d'une rente selon que l'un ou l'autre de ces modes d'indemnisation assure à la victime la réparation la plus équitable. A ce titre, les premiers juges ont octroyé à Mme A... une rente annuelle, destinée à couvrir ses frais d'assistance d'une tierce personne à raison de deux heures par semaine, d'un montant de 1 624 euros, déduction faite des prestations éventuellement perçues par cette dernière à ce titre, avec revalorisation le 1er avril de chaque année par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale. Il ne résulte pas de l'instruction que, ce faisant, les premiers juges auraient procédé à une inexacte évaluation du préjudice subi par Mme A.... S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux : 14. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme A... a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire partiel de 25% pendant la période du 3 octobre 2008 au 23 janvier 2009 et de 50 % entre le 24 janvier 2009 et le 24 juin 2013. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce préjudice en l'évaluant, sur une base de référence de 500 euros par mois en cas d'incapacité totale, à la somme de 13 900 euros. 15. En deuxième lieu, les souffrances endurées par Mme A... ont été évaluées à 4 sur une échelle de 7 par l'expert, en raison " des examens répétés, des lésions initiales, des traitements permanents indispensables et lourds, de l'impact sur le quotidien l'obligeant à s'adapter en permanence ". Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 7 200 euros. 16. En troisième lieu, Mme A... est atteinte d'un déficit permanent partiel que l'expert a évalué à 58 % en raison, d'une part, de son état pulmonaire caractérisé par une asthénie permanente provoquant des dyspnées au moindre effort, et, d'autre part, de l'anxiété qui en résulte pour l'intéressée âgée de 51 ans au 24 juin 2013, date de consolidation de son état de santé. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 120 000 euros, laquelle inclut le préjudice d'agrément subi. Sur l'appel incident de Mme A... : En ce qui concerne la responsabilité pour faute de la commune d'Agen : 17. Les dispositions de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984, et les article 37, 40 et 42 du décret du 26 décembre 2003, relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales, ne font pas obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité. 18. Il résulte de l'expertise judiciaire que les produits utilisés par Mme A... lors de l'intervention du 3 octobre 2008, à savoir des " aérosols antimites de marque Kapo ", comportaient l'information selon laquelle " l'exposition aux vapeurs de solvants contenus dans la préparation au-delà des limites d'exposition indiquées peut conduire à des effets néfastes pour la santé tels que : l'irritation des muqueuses et du système respiratoire... ". C'est précisément en considération du risque que présentent ces produits que la commune d'Agen a remis à Mme A..., avant l'intervention, une combinaison intégrale, un masque, des lunettes ainsi que des gants de protection, sans qu'aucun élément du dossier ne permette d'estimer que ces équipements auraient été insuffisants ou inadaptés. En outre, il résulte de l'instruction que le local dans lequel les pulvérisations ont été effectuées comportait une fenêtre ouverte au moment de l'opération, comme le reconnaît d'ailleurs Mme A..., ce qui était de nature à éviter la concentration du produit dans la pièce. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la commune aurait été tenue d'organiser à l'attention de Mme A..., préalablement à l'intervention du 3 octobre 2008, une formation particulière au maniement des produits insecticides utilisés. 19. Dans ces conditions, la commune d'Agen n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis de Mme A.... Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les demandes de Mme A... tendant à être indemnisée des pertes de gains professionnels actuels et futurs ainsi que de la perte de chance alléguée d'obtenir une promotion professionnelle. En ce qui concerne la réévaluation des préjudices sollicitée par Mme A... : 20. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont fixé à 155 716 euros le montant de l'indemnisation due à Mme A..., outre la rente annuelle de 1 624 euros au titre du coût de l'assistance d'une tierce personne. 21. Il résulte de tout ce qui précède que l'appel principal de la commune d'Agen ainsi que l'appel incident de Mme A... doivent être rejetés. Sur les frais d'instance : 22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par la commune d'Agen tendant à ce que Mme A..., qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de la commune d'Agen une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens. DECIDE Article 1er : La requête de la commune d'Agen est rejetée. Article 2 : Les conclusions d'appel incident présentées par Mme A... sont rejetées. Article 3 : La commune d'Agen versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Agen, à Mme D... A... et à la caisse primaire d'assurance maladie de Lot-et-Garonne. Délibéré après l'audience du 26 février 2024 à laquelle siégeaient : Mme Ghislaine Markarian, présidente, M. Frédéric Faïck, président-assesseur, Mme Caroline Gaillard, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024. Le rapporteur, Frédéric Faïck La présidente, Ghislaine Markarian La greffière, Catherine Jussy La République mande et ordonne au préfet de Lot-et-Garonne en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. N° 22BX02162 2
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de DOUAI, 3ème chambre, 19/03/2024, 23DA00053, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 65 000 euros, portant intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire préalable et capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de faits de harcèlement moral et de l'absence de protection de son état de santé. Par un jugement n° 2009121 du 22 novembre 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes. Procédure devant la cour : Par une requête et des mémoires, enregistrés le 11 janvier 2023, le 31 janvier 2023, le 10 novembre 2023 et le 1er février 2024, Mme A..., représentée par la SCP Gros-Hicter-D'Halluin, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement ; 2°) par l'effet dévolutif, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 64 800 euros en réparation des préjudices moral et patrimonial subis, avec intérêts de droit et capitalisation ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - le tribunal a commis une erreur d'appréciation en refusant de qualifier de harcèlement moral, au sens de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, les agissements qu'elle a subis de la part de son employeur ; - la responsabilité pour faute de l'Etat est engagée tant en raison des faits de harcèlement moral dont elle a été victime qu'en raison des manquements de celui-ci à son obligation de protection de la santé de son agent ; - dès lors que sa pathologie anxiodépressive consécutive aux agissements dont elle a été victime a été reconnue imputable au service, elle est également fondée à rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat ; - elle a droit au versement d'une somme de 50 000 euros réparant ses souffrances physiques et morales et notamment une somme de 5 420 euros correspondant à son déficit fonctionnel permanent, évalué par l'expert médical à 5 % ; - elle est en droit d'obtenir le versement d'une somme de 14 800 euros réparant la perte de revenus professionnels connexes qu'elle tirait régulièrement de sa participation à des actions de formation ou à des jurys de concours administratifs. Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué. Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés. Par une ordonnance du 5 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 19 février 2024 à 12 heures. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; - le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 ; - le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ; - le code des pensions civiles et militaires de retraite ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller, - les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public, - et les observations de Me D'Halluin pour Mme A.... Considérant ce qui suit : 1. Mme B... A... est fonctionnaire titulaire du corps des directeurs des services de greffes judiciaires, et a occupé, à compter du mois de mars de l'année 2008, les fonctions de directrice du greffe du tribunal d'instance de Lille. Elle a été placée en congé de maladie ordinaire du 14 novembre au 3 décembre 2017 pour un état anxiodépressif, reconnu imputable au service par une décision du 13 janvier 2020 et a de nouveau été placée en arrêt de travail à compter du 17 décembre 2018, sans reprise d'activité depuis cette date. Le 2 octobre 2020, par la voie de son conseil, soutenant être victime de faits de harcèlement moral et de manquements de son employeur à ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail, Mme A... a sollicité du ministre de la justice le versement d'une indemnité de 65 000 euros réparant les préjudices moral et financier qu'elle estimait en lien avec ces agissements fautifs. 2. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 65 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de faits de harcèlement moral et de l'absence de protection de son état de santé, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire préalable et capitalisation des intérêts. Mme A... relève appel du jugement du 22 novembre 2022 par lequel ce tribunal a rejeté ses demandes. Sur les conclusions à fin d'indemnisation : 3. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font, en revanche, obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité. En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l'Etat : 4. Mme A... soutient que la pathologie anxiodépressive dont elle souffre est directement imputable à des fautes commises par son employeur en raison, d'une part, d'agissements de harcèlement moral dont elle aurait été victime en sa qualité de directrice du greffe du tribunal d'instance de Lille et, d'autre part, de manquements à l'obligation de garantir sa santé et sa sécurité au travail. S'agissant du harcèlement moral : 5. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ". 6. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. 7. Il résulte de l'instruction qu'au début du mois d'avril 2011, alors qu'elle occupait les fonctions de directrice du greffe du tribunal d'instance de Lille, Mme A... a, conjointement avec la vice-présidente chargée de l'administration de ce tribunal, rédigé un rapport portant sur les effectifs de la juridiction qui a été remis au premier président de la Cour d'appel de Douai et au procureur général près ladite cour. Dans ce rapport, étaient signalées la situation alarmante du tribunal d'instance, en sous-effectifs et la difficulté à le faire fonctionner dans des conditions normales. A la suite de ce signalement, le garde des Sceaux, ministre de la justice a confié à l'inspection générale des services judiciaires (IGSJ), une mission de contrôle portant sur le fonctionnement du tribunal d'instance de Lille. Dans son rapport remis au cours du mois de décembre 2012, l'IGSJ a notamment relevé un mal-être au travail exprimé par certains agents du greffe, imputé au management autoritaire de la directrice de greffe, situation qualifiée de préoccupante rendant nécessaire un changement de comportement de Mme A... dans son mode de gestion des ressources humaines, motif pour lequel les membres de l'inspection ont formulé une recommandation n° 5 préconisant à la vice-présidente du tribunal d'instance de Lille et à sa directrice de greffe, " de veiller à rétablir un climat serein au sein de la juridiction ". 8. Mme A... soutient que la remise du rapport de l'IGSJ marque le commencement d'une série d'agissements de son employeur, visant notamment à la contraindre de quitter ses fonctions de directrice de greffe du tribunal d'instance de Lille, qu'elle qualifie de harcèlement moral. 9. En premier lieu, Mme A... se plaint de ce que le rapport rédigé par l'IGSJ aurait été " à charge et orienté ", notamment en ce que le rapport définitif aurait omis de faire état des observations qu'elle avait formulées en réponse au paragraphe 1.2.3.3 du pré-rapport intitulé " une souffrance au travail révélée à la mission ", dans lequel les inspecteurs généraux relataient que plusieurs agents avec lesquels ils s'étaient entretenus avaient associé cette souffrance au travail au comportement managérial de la directrice de greffe, à qui ils reprochaient " une grande rigidité, en érigeant de nombreuses règles qui laissent peu de place à l'initiative " et de manifester son autorité " par une attitude parfois excessive et inadaptée aux situations et aux interlocuteurs, pouvant être vécue comme dévalorisante et humiliante ". Si le rapport définitif de l'inspection ne comporte pas les observations de Mme A... sur ce paragraphe la concernant personnellement alors même qu'elle en avait pourtant produit, ce dont atteste une magistrate ayant travaillé au greffe du tribunal d'instance de Lille en tant que directrice de greffe adjointe " placée " durant le second semestre et début 2013, une telle circonstance ne saurait par elle-même révéler le caractère partial de l'inspection dès lors qu'en tout état de cause, Mme A... a été entendue par les membres de l'IGSJ et que les observations de la vice-présidente du tribunal apportaient sur ce point des explications permettant d'exprimer le point de vue de la directrice de greffe. En outre, s'il ressort des observations de la vice-présidente consignées dans le rapport définitif ainsi que de l'attestation précitée, la confirmation des réactions de désapprobation que le pré-rapport et le rapport ont pu susciter chez certains agents de greffe et la plupart des magistrats, y compris parmi les chefs de juridiction, une telle circonstance ne saurait par elle-même invalider les opinions divergentes que certains agents ont pu exprimer personnellement auprès des membres de l'inspection. Enfin, s'il est constant que dès le mois de mars 2013, il a été demandé à la vice-présidente du tribunal d'instance et à sa directrice de greffe de justifier des mesures prises et mises en œuvre pour tenir compte des recommandations formulées dans le rapport de l'IGSJ, cette circonstance ne saurait révéler une volonté de mettre l'intéressée en difficulté. 10. En deuxième lieu, si Mme A... soutient avoir fait l'objet, en 2013, de propositions humiliantes de mutation dans des postes de niveau inférieur à celui qu'elle occupait, telles notamment celle concernant un poste nouvellement créé d'adjointe au directeur de greffe du TGI de Cambrai, l'attestation qu'elle produit au soutien de cette affirmation, émanant d'un ancien agent du greffe qui n'y était plus en fonction, ne permet pas de le confirmer. 11. En troisième lieu, Mme A... soutient qu'à partir de la fin de l'année 2017, elle a de nouveau fait l'objet de pressions visant à l'obliger à quitter ses fonctions et que, pour parvenir à cette fin, les services du ministère de la justice ont diligenté une nouvelle mission d'inspection en mai 2018. Il résulte de l'instruction que, par une lettre datée du 9 novembre 2017, le premier président de la cour d'appel de Douai, la procureure générale et la première présidente de chambre ont demandé au sous-directeur des ressources humaines des greffes de recevoir Mme A... pour la convaincre de solliciter sa mutation en faisant état de ce que " la situation des fonctionnaires du tribunal d'instance de Lille est devenue à ce point préoccupante que nous avons dû procéder à la délégation d'une greffière en urgence au tribunal de grande instance de Lille en raison de la souffrance au travail dans laquelle elle se trouvait [Mme A...]". Les magistrats ont conclu leur courrier en indiquant que " si Mme A... persistait dans son refus de quitter son poste, seule une enquête administrative diligentée dans les plus brefs délais permettrait de faire évoluer la situation ". La teneur de ce courrier fait apparaître que les convocations à l'entretien du 17 octobre et du 13 novembre 2017 ne visaient pas exclusivement à assurer un suivi des recommandations formulées à Mme A... et à connaître l'état d'amélioration des difficultés relationnelles depuis l'inspection initiale de 2012, mais également à envisager son avenir professionnel dans d'autres fonctions que celles de directrice du greffe du tribunal d'instance de Lille. Un courriel daté du 24 janvier 2018 du sous-directeur des ressources humaines des greffes fait état d'un constat partagé par Mme A... de la nécessité d'un changement d'affectation, tant pour elle-même que pour les agents du tribunal d'instance de Lille concernés par la situation décrite dans le courrier d'alerte du 9 novembre 2017, d'un mal-être en lien avec le management de la directrice de greffe toujours ressenti par certains d'entre eux, relayé par les organisations syndicales. Il résulte de l'instruction que la recherche de mobilité, notamment sur un poste de directrice générale adjointe au tribunal de grande instance de Nice, ne résultait pas de l'initiative et de la volonté de Mme A... ainsi qu'il ressort d'un courriel du 12 février 2018 adressé au sous-directeur des ressources humaines et des greffes où elle écrit avoir " fini par accepter l'idée d'une éventuelle mobilité, dans la mesure, bien sûr, où celle-ci resterait mon choix ". Pour autant, si ses recherches de mobilité n'ont pu aboutir rapidement, il ne ressort pas de la lettre de mission confiée à la nouvelle inspection diligentée en mai 2018, qui fait état d'une mission d'inspection de fonctionnement du greffe du tribunal d'instance de Lille " afin de procéder à toute constatation utile sur les dispositifs mis en œuvre en matière d'organisation, de gestion des services et des ressources humaines " que celle-ci aurait eu pour seul objet d'accélérer le départ de Mme A.... Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que les suspicions de situations de souffrance au travail auraient été infondées dès lors que, dans ses écritures, Mme A... concède se souvenir qu'une collaboratrice, en 2017-2018, se serait plainte d'être harcelée. Enfin, comme l'a relevé le tribunal, les conditions insistantes dans lesquelles le directeur délégué à l'administration interrégionale judiciaire s'est enquis, auprès de la directrice de l'institut régional d'administration (IRA) de Lille, de l'effectivité de la participation de Mme A..., en janvier 2019 au jury de concours d'admission au recrutement d'attachés de la fonction publique d'Etat, alors qu'elle se trouvait en congé de maladie, n'étaient pas sans rapport avec la mission d'inspection relative au fonctionnement du greffe du tribunal d'instance de Lille et ne visaient pas à la discréditer auprès de la directrice de l'IRA de Lille ou des services préfectoraux. 12. Au vu de l'ensemble de ces éléments, et malgré la circonstance que l'intéressée a été placée en congé de maladie pour un syndrome anxiodépressif reconnu imputable au service du 14 novembre au 3 décembre 2017, puis a de nouveau été placée en arrêt de travail pour cette même pathologie à compter du 17 décembre 2018, sans reprise d'activité depuis cette date, les agissements que Mme A... impute à l'administration, sont justifiées par des considérations étrangères à tout harcèlement moral. S'agissant de la méconnaissance de l'obligation de protection de la santé et de la sécurité au travail : 13. Aux termes de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ". Aux termes de l'article 2-1 du décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale : " Les autorités territoriales sont chargées de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité ". 14. Si Mme A... soutient que l'Etat a commis une faute en ne prenant pas de mesures pour protéger sa santé, il ne résulte pas de l'instruction, au regard notamment des éléments mentionnés précédemment, qu'il aurait méconnu cette obligation. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis au titre de la méconnaissance par celui-ci de ses obligations en matière de protection de la santé et de la sécurité de ses agents. En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat : 15. Il résulte de ce qui a été énoncé au point 3, que la responsabilité de l'Etat peut être engagée à l'égard du fonctionnaire, même en l'absence de faute, y compris pour la première fois en appel, dans l'hypothèse où celui-ci démontrerait avoir subi, du fait de la pathologie imputable au service dont il souffre, des préjudices personnels ou des préjudices patrimoniaux d'une autre nature, pour ces derniers, que ceux réparés forfaitairement par l'allocation d'une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite ou d'une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité. S'agissant des préjudices à caractère patrimonial : 16. Mme A... soutient qu'elle tirait des revenus supplémentaires de sa participation régulière, chaque année, en tant qu'intervenante à des sessions de formation notamment auprès de l'Ecole nationale de la magistrature, du CNFPT, de l'Université de Douai ainsi qu'en tant que membre du jury d'examen de l'institut régional d'administration de Lille. Il résulte de l'instruction que les activités accessoires de Mme A..., auxquelles elle a dû renoncer à compter de la fin de l'année 2018, lui procuraient annuellement un complément de revenu moyen d'environ 3 700 euros. Toutefois, eu égard au caractère accessoire de ces activités dont la reconduction ne constitue pas un droit pour l'agent, ce préjudice présente un caractère purement éventuel. Dans ces conditions, la demande de versement d'une indemnité de 14 800 euros liée à la perte de revenu supplémentaire de quatre années depuis 2018 ne peut qu'être rejetée. S'agissant des préjudices personnels : 17. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise établi le 22 août 2023 par un médecin psychiatre agréé, que Mme A..., dont l'état a été déclaré consolidé avec séquelles à la date précitée, est atteinte d'une incapacité permanente partielle au taux de 5 % en rapport avec les troubles anxieux dont elle est atteinte, sans état antérieur. Mme A... étant âgée de soixante-trois ans à la date de consolidation de son état de santé, il sera fait une juste appréciation du préjudice résultant de son déficit fonctionnel permanent en l'évaluant à la somme de 5 420 euros. 18. D'autre part, il résulte de l'instruction, que les arrêts de travail du 14 novembre au 3 décembre 2017 reconnus imputables au service par la décision du 13 janvier 2020 sont, selon les conclusions du médecin psychiatre agréé ayant examiné Mme A... le 30 août 2019, en lien avec un syndrome anxiodépressif majeur avec une tonalité anxieuse importante, marquée par une atteinte narcissique profonde dont la consolidation, selon le rapport d'expertise cité au point précédent, n'a été fixée qu'à compter du 22 août 2023. Dans ces conditions, les souffrances physiques et morales endurées par Mme A... depuis cette période sont en lien direct avec sa maladie reconnue imputable au service. Par suite, il sera fait une juste appréciation des souffrances physiques et morales subies par Mme A..., en lui allouant une somme globale de 3 000 euros. 19. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, que l'Etat doit être condamné à verser à Mme A... la somme de 8 420 euros au titre de ses préjudices personnels. Par suite, Mme A... est fondée à demander la réformation du jugement attaqué dans cette seule mesure. Sur les intérêts et leur capitalisation : 20. Mme A... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 8 420 euros à compter du 5 octobre 2020, date de la réception de sa demande indemnitaire préalable. 21. La capitalisation des intérêts ayant été demandée pour la première fois dans sa requête de première instance, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 5 octobre 2021, date à laquelle était due, pour la première fois, une année entière d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Sur les frais liés au litige : 22. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente affaire, la somme de 2 000 euros, dont Mme A... demande le versement sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. DÉCIDE : Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme A... la somme de 8 420 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2020 et les intérêts échus à la date du 5 octobre 2021 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure pour produire eux-mêmes intérêts. Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 22 novembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt. Article 3 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à Mme A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice. Délibéré après l'audience publique du 5 mars 2024 à laquelle siégeaient : - Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre, - M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, - M. Frédéric Malfoy, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024. Le rapporteur, Signé : F. Malfoy La présidente de chambre, Signé : M-P. Viard Le greffier, Signé : F. Cheppe La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. Pour expédition conforme Le greffier, F. Cheppe No 23DA00053 2
Cours administrative d'appel
Douai
CAA de DOUAI, 3ème chambre, 19/03/2024, 22DA02131, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 24 février 2021 par lequel le président de la communauté de communes Lieuvin Pays d'Auge a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont elle est atteinte, d'autre part, d'enjoindre à l'administration, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, de régulariser sa situation et de lui notifier la prise en charge de sa maladie professionnelle. Par un jugement n° 2101576 du 20 septembre 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes. Procédure devant la cour : Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 octobre 2022 et le 11 mai 2023, Mme B..., représentée par la SCP Cherrier-Bodineau, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement ; 2°) d'annuler l'arrêté du 24 février 2021 par lequel le président de la communauté de communes Lieuvin Pays d'Auge a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie déclarée le 6 février 2020 ; 3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise psychiatrique afin d'évaluer le taux d'incapacité permanente partielle prévisible ; 4°) d'enjoindre à l'administration, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, de régulariser sa situation et de lui notifier la prise en charge de sa maladie professionnelle ; 5°) de mettre à la charge de la communauté de communes Lieuvin Pays d'Auge, une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - la présence au sein de la commission de réforme d'un médecin spécialiste de la pathologie dont est atteint l'agent constitue une garantie pour celui-ci ; en l'absence d'un médecin spécialiste en psychiatrie parmi ses membres, la commission de réforme était irrégulièrement composée, ce qui vicie la décision du 24 février 2021 contestée ; - l'avis de la commission de réforme est insuffisamment motivé ; - en l'absence de motivation, la décision refusant de reconnaître l'imputabilité de sa maladie au service méconnaît l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ; - l'arrêté est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que les éléments et avis médicaux permettent d'établir que son syndrome anxiodépressif résulte directement de ses conditions de travail et qu'il doit être reconnu imputable au service ; par ailleurs, sa pathologie devait donner lieu à l'évaluation d'un taux d'incapacité permanente partielle supérieur à 25 %. Par un mémoire en défense, enregistré, le 9 décembre 2022, la communauté de communes Lieuvin Pays d'Auge, représentée par Me Gillet, conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement attaqué et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés. Par une ordonnance du 11 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 30 mai 2023 à 12 heures. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des relations entre le public et l'administration ; - le code de la sécurité sociale ; - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; - la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ; - le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 modifié ; - le décret n° 2012-924 du 30 juillet 2012 ; - le décret n° 2019-301 du 10 avril 2019 ; - l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller, - et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public. Considérant ce qui suit : 1. Mme A... B..., fonctionnaire territoriale titulaire du grade de rédactrice territoriale, occupe depuis 2011 les fonctions d'agent d'accueil et de gestion administrative au sein de la communauté de communes Lieuvin Pays d'Auge. Elle a été placée en congé de maladie ordinaire à compter du 23 janvier 2020. Par une déclaration déposée le 6 février 2020, Mme B... a sollicité la reconnaissance de l'imputabilité au service du syndrome anxiodépressif dont elle est atteinte. Un premier avis défavorable a été émis par la commission de réforme à l'issue d'une séance du 25 juin 2020, confirmé lors d'une séance ayant eu lieu le 15 octobre suivant. Le président de la communauté de communes Lieuvin Pays d'Auge, par un arrêté initial du 29 juin 2020, a refusé de reconnaître la maladie déclarée par Mme B... comme étant imputable au service. Après avoir retiré ce premier arrêté par une décision du 24 février 2021, le président a pris une nouvelle décision de refus le même jour. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler ce dernier arrêté du 24 février 2021 et d'enjoindre à la communauté de communes Lieuvin Pays d'Auge, de prendre en charge sa maladie professionnelle. Mme B... relève appel du jugement du 20 septembre 2022 par lequel ce tribunal a rejeté ses demandes. Sur les conclusions à fin d'annulation : 2. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, la commission de réforme comprend : " 1. Deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, s'il y a lieu, pour l'examen des cas relevant de sa compétence, un médecin spécialiste qui participe aux débats mais ne prend pas part aux votes (...) ". 3. Il résulte de ces dispositions que, dans le cas où il est manifeste, eu égard aux éléments dont dispose la commission de réforme, que la présence d'un médecin spécialiste de la pathologie invoquée est nécessaire pour éclairer l'examen du cas du fonctionnaire, l'absence d'un tel spécialiste est susceptible de priver l'intéressé d'une garantie et d'entacher ainsi la procédure devant la commission d'une irrégularité justifiant l'annulation de la décision attaquée. 4. Il ressort des pièces du dossier que la commission de réforme, appelée à se prononcer sur l'imputabilité au service du syndrome anxiodépressif déclaré par Mme B..., s'est réunie le 18 juin 2020 et s'est prononcée sans la présence d'un spécialiste des maladies mentales. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la commission de réforme s'est de nouveau réunie le 15 octobre suivant, pour se prononcer sur l'origine du syndrome anxiodépressif de Mme B... et qu'elle s'était adjointe la participation d'un médecin spécialiste de la pathologie de l'agent. Dans ces conditions, sans qu'ait d'incidence la circonstance que l'arrêté du 24 février 2021 ne mentionne pas ce second avis, la commission départementale de réforme doit être regardée comme ayant régulièrement émis son avis. 5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ". L'article L. 211-5 du même code dispose : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Il résulte de ces dispositions que la décision refusant à un fonctionnaire le bénéfice de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 alors en vigueur doit être regardée comme refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir, au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Elle est ainsi au nombre des décisions qui, en application de cet article, doivent être motivées et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement sous réserve cependant des dispositions figurant à l'article L. 211-6 du même code, selon lesquelles ses dispositions " ne dérogent pas aux textes législatifs interdisant la divulgation ou la publication de faits couverts par le secret ". 6. En outre, en application de l'article 17 de l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, les avis de la commission départementale de réforme doivent être motivés dans le respect du secret médical. 7. D'une part, il ressort du procès-verbal de la séance du 15 octobre 2020 de la commission de réforme que cette dernière a estimé, en précisant le motif de sa saisine et le sens défavorable de son avis, que compte tenu de l'expertise médicale du médecin psychiatre agréé déterminant un taux d'IPP de 15 %, de l'enquête administrative et de la déclaration de l'agent, le syndrome anxiodépressif n'entre pas dans les critères d'une maladie professionnelle hors tableau. Ainsi formulé, cet avis satisfait à l'exigence de motivation qui résulte de l'article 17 de l'arrêté du 4 août 2004. 8. D'autre part, l'arrêté du 24 février 2021 contesté vise les textes applicables, la demande de reconnaissance de maladie professionnelle de Mme B..., le rapport d'enquête administrative du 29 avril 2020, les conclusions du médecin psychiatre agréé en date du 12 mai 2020 concluant à l'existence d'une invalidité partielle de 15 % ainsi que l'avis de la commission de réforme du 18 juin 2020. En outre, il mentionne que l'agent n'établit pas que la maladie dont elle souffre est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et entraîne une incapacité permanente au moins égale à 25 %. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient l'appelante, cet arrêté précise les motifs de droit et de fait sur lesquels l'autorité territoriale a fondé sa décision pour refuser de reconnaître la maladie déclarée imputable au service. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit être écarté. 9. En troisième lieu, aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " I. - Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. Ces définitions ne sont pas applicables au régime de réparation de l'incapacité permanente du fonctionnaire. / Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. La durée du congé est assimilée à une période de service effectif (...) / IV. - Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. / Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée par un tableau peut être reconnue imputable au service lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est directement causée par l'exercice des fonctions. Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article 37-8 du décret du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des comités médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux : " Le taux d'incapacité permanente servant de seuil pour l'application du troisième alinéa du même IV est celui prévu à l'article R. 461-8 du code de la sécurité sociale. / Ce taux correspond à l'incapacité que la maladie est susceptible d'entraîner. Il est déterminé par la commission de réforme compte tenu du barème indicatif d'invalidité annexé au décret pris en application du quatrième alinéa de l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite ". Enfin, l'article R. 461-8 du code de la sécurité sociale dispose que : " Le taux d'incapacité mentionné au septième alinéa de l'article L. 461-1 est fixé à 25 % ". 10. Il résulte des dispositions précitées du IV de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 que dans l'hypothèse où le mécanisme de présomption prévu par le premier alinéa ne peut être retenu, comme le prévoit le troisième alinéa, peut être regardée comme imputable au service une maladie lorsqu'il est démontré qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions, et donc, si elle présente un lien direct avec l'exercice de ces fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de cette maladie, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de cette maladie du service. 11. Le 6 février 2020, Mme B... a adressé à son employeur un formulaire de déclaration de maladie professionnelle, en raison d'un syndrome anxiodépressif constaté par son médecin traitant et pour lequel elle a bénéficié, à compter du 23 janvier 2020, d'un certificat médical la plaçant en arrêt de travail. Il est constant que cette pathologie, compte tenu de sa nature, ne figure pas au nombre de celles pour lesquelles joue le mécanisme de présomption prévu par les dispositions citées au point 9. Pour soutenir que son syndrome dépressif est directement et essentiellement en relation avec son environnement professionnel, Mme B... se prévaut d'un courrier annexé au formulaire de déclaration précité, dans lequel elle a exposé le contexte permettant selon elle de relier sa pathologie à son environnement de travail. 12. Mme B... relate d'abord qu'elle a obtenu la reconnaissance de la qualité de travailleuse handicapée en raison d'une déficience visuelle provoquant une importante fatigue visuelle, une baisse d'acuité, des migraines ophtalmiques et des céphalées, rendant nécessaire un aménagement de son poste de travail, conformément aux recommandations de son médecin ophtalmologue et du médecin de prévention. Mme B... allègue que la plupart des adaptations recommandées à la suite de l'étude réalisée par un ergonome sont restées lettre morte. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment de l'enquête administrative à laquelle a procédé la collectivité employeur pour instruire la demande de reconnaissance d'imputabilité de la maladie au service, que Mme B... a bénéficié à la suite du rapport de l'ergonome d'une modification de son poste de travail, consistant notamment en une amélioration de l'éclairage, l'achat d'un second écran, d'un pied ajustable et d'un logiciel proposant une loupe intégrée. 13. Mme B..., fait ensuite état de ce qu'elle est " sous-affectée " en ce sens que, titulaire du grade de rédactrice territoriale relevant du cadre d'emplois de la catégorie B, elle occupe depuis le 1er janvier 2017 un poste d'agent d'accueil relevant du cadre d'emplois de la catégorie C, ce qui constituerait une " mise au placard ". Il ressort de l'intitulé de sa fiche de poste qu'elle occupe les fonctions d'agent d'accueil et de gestion administrative au sein du service environnement, lesquelles comportent, parmi les missions principales, outre des tâches d'accueil physique et téléphonique et d'enregistrement de dossiers dans le logiciel d'urbanisme, un ensemble de tâches diverses de gestion de la facturation, du programme d'entretien des installations d'assainissement et des contrôles périodiques. De telles tâches participent des tâches de gestion administrative pouvant être confiées à des rédacteurs territoriaux, conformément à l'article 3 du décret du 30 juillet 2012 portant statut particulier du cadre d'emplois des rédacteurs territoriaux. Par suite, le contenu des missions confiées à Mme B..., qu'au demeurant elle avait acceptées dans le cadre de la réorganisation territoriale induite par l'évolution du périmètre de la communauté de communes, ne révèle pas une affectation dans un emploi non compatible avec son cadre d'emplois. 14. Mme B... invoque également être victime sur son lieu de travail de mesures vexatoires, de brimades et d'une mise à l'écart de la part de ses collègues ainsi qu'être l'objet de propos vexatoires de la part de sa hiérarchie. Pour cela, Mme B... se fonde sur deux attestations de son entourage familial et d'un certificat non circonstancié en date du 5 février 2020 émanant d'une psychologue déclarant assurer sa prise en charge psychologique depuis le 10 septembre 2018 " en lien avec une situation de stress au travail où elle décrit un contexte difficile ". Cependant, il ressort des pièces du dossier, et notamment du recueil des témoignages des agents interrogés dans le cadre de l'enquête administrative, collègues ou supérieurs hiérarchiques de Mme B..., qu'aucun élément ne permet de confirmer la situation de souffrance au travail décrite par l'intéressée. La plupart de ces témoignages, dont l'appelante ne conteste pas utilement la teneur, font au contraire état de ce qu'en dépit de leurs bonnes relations de travail, elle s'est placée dans une attitude d'isolement et de distanciation avec les membres de son environnement professionnel. 15. Dans ces conditions, et alors que la commission de réforme a rendu successivement deux avis défavorables à l'imputabilité au service de la pathologie, les pièces produites ne permettent pas d'établir que les conditions de travail de l'intéressée sont essentiellement et directement à l'origine du développement de sa pathologie anxiodépressive. 16. En dernier lieu, Mme B... ne saurait utilement se prévaloir de ce qu'elle présente un taux d'incapacité de 30 % supérieur au taux de 15 % évalué par le psychiatre agréé, dès lors que, comme il vient d'être dit, sa pathologie ne présente pas de lien essentiel et direct avec le service. 17. Il s'ensuit que le président de la communauté de communes Lieuvin Pays d'Auge n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 26 janvier 1984 en refusant de reconnaître l'imputabilité au service du syndrome anxiodépressif développé par Mme B.... 18. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 février 2021 par lequel le président de la communauté de communes Lieuvin Pays d'Auge a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions à fin d'injonction. Sur les frais liés au litige : 19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté de communes Lieuvin Pays d'Auge, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par Mme B... au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire droit aux conclusions présentées par la communauté de communes Lieuvin Pays d'Auge sur ce même fondement et de mettre à la charge de l'intéressée une somme de 500 euros. DÉCIDE : Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée. Article 2 : Mme B... versera la somme de 500 euros à la communauté de communes Lieuvin Pays d'Auge sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la communauté de communes Lieuvin Pays d'Auge. Délibéré après l'audience publique du 5 mars 2024 à laquelle siégeaient : - Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre, - M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, - M. Frédéric Malfoy, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024. Le rapporteur, Signé : F. Malfoy La présidente de chambre, Signé : M-P. Viard Le greffier, Signé : F. Cheppe La République mande et ordonne au préfet de l'Eure en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. Pour expédition conforme Le greffier, F. Cheppe No 22DA02131 2
Cours administrative d'appel
Douai
CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 19/03/2024, 22BX02141, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la région Guadeloupe à lui verser une indemnité de 69 977,50 euros en réparation de ses divers préjudices consécutifs à l'accident de service dont il a été victime le 11 mars 2009 et de la maladie professionnelle dont il souffre depuis cet accident. Par un jugement n° 2101028 du 22 juin 2022, le tribunal a condamné la région Guadeloupe à verser à M. A... la somme de 69 977,50 euros à titre de dommages et intérêts. Procédure devant la Cour : Par une requête et des mémoires, enregistrés le 29 juillet 2022, les 18 octobre 2023 et 19 février 2024, la région Guadeloupe, représentée par la SCP Richer et Associés Droit Public, demande à la Cour : 1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 2101028 du 22juin 2022 ; 2°) de rejeter les demandes de M. A... ; 3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de l'indemnité qui serait due à M. A... à la somme de 3 500 euros. Elle soutient que : En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué : - en se fondant sur un rapport d'expertise médical réalisé à titre privé et non contradictoire, les premiers juges ont méconnu le principe des droits de la défense ; ils auraient dû fonder exclusivement leur solution sur le rapport d'expertise judiciaire. Au fond : - c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la maladie dont souffre M. A... est imputable au service du seul fait qu'elle est apparue quelques mois après l'accident de service du 11 mars 2009 ; il est établi que les pathologies dont souffre M. A... sont antérieures à son accident de service ; cette circonstance fait obstacle à ce que ces pathologies soient reconnues imputables au service en l'absence de lien de causalité directe ; - si la Cour devait retenir cette imputabilité, M. A... n'aurait droit qu'à une indemnisation très limitée dès lors qu'il ressort du rapport d'expertise judiciaire que les pathologies concernées sont dues pour l'essentiel à des éléments étrangers à l'accident de service ; l'accident lui-même n'a eu qu'un rôle mineur sur l'état de santé de M. A... ; - par ailleurs, le tribunal ne pouvait retenir que M. A... n'avait pas justifié son préjudice professionnel tout en indemnisant celui-ci ; - si la Cour devait juger que M. A... a droit à une indemnisation, celle-ci devrait être évaluée à 5 % du montant des sommes demandées. Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 septembre et 21 novembre 2023 et le 21 février 2024, M. D... A..., représenté par la SEBAN Occitanie, agissant par Me Fernandez-Begault, conclut : 1°) au rejet de la requête de la région Guadeloupe ; 2°) à titre subsidiaire, à la condamnation de la région Guadeloupe à lui verser la somme de 69 977,50 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses divers préjudices, avec les intérêts légaux et à ce que les frais de l'expertise judiciaire, arrêtés à la somme de 1 577,44 euros, soient mis à la charge de la région Guadeloupe ; 3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la région Guadeloupe une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; - la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Frédéric Faïck, - les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public, - et les observations de Me Duvignau pour la région Guadeloupe et de Me Denilauler, substituant Me Fernandez-Begault, pour M. A.... Considérant ce qui suit : 1. M. D... A..., agent technique principal de 1ère classe des établissements d'enseignement, exerçait ses fonctions au lycée d'enseignement professionnel du Lamentin où il était chargé de la maintenance générale des installations sanitaires et de chauffage de l'établissement. Le 11 mars 2009, alors qu'il procédait à l'entretien du chauffe-eau de la cuisine du lycée, M. A... a reçu un retour de flamme qui lui a occasionné des brûlures aux mains, aux avant-bras et au visage. La direction du lycée a, le 26 mars 2019, transmis à la région Guadeloupe une déclaration de l'accident de service dont a été victime A..., qui a bénéficié d'un arrêt de travail de trois semaines. En 2010, M. A... a présenté une affection dermatologique, appelée vitiligo universel, se caractérisant par une dépigmentation de la peau qui s'est progressivement étendue sur l'ensemble de son corps. Par un arrêté du 5 février 2018, le président du conseil régional de la Guadeloupe a reconnu que M. A... était atteint d'une maladie professionnelle imputable au service. Par une ordonnance du 22 juillet 2020, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a désigné un expert chargé de décrire l'état de santé de M. A... et d'évaluer l'ensemble de ses préjudices résultant de l'accident. Après le dépôt du rapport d'expertise le 25 mars 2021, M. A... a adressé à la région Guadeloupe une demande préalable d'indemnisation par une lettre du 21 juin 2021, qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. A... a alors saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande tendant à la condamnation de la région Guadeloupe à lui verser la somme de 69 977,50 euros en réparation de ses préjudices consécutifs à l'accident du 11 mars 2009. Par un jugement rendu le 22 juin 2022, dont la région Guadeloupe relève appel, le tribunal administratif a entièrement fait droit à la demande de M. A.... Sur la régularité du jugement attaqué : 2. Il résulte de l'instruction que M. A... a, le 9 mai 2017, demandé à la région Guadeloupe, son employeur, de reconnaître le caractère professionnel de sa maladie. Dans le cadre de l'instruction de cette demande, la région Guadeloupe a sollicité le docteur B..., médecin agréé, aux fins d'examiner M. A... et de se prononcer sur le caractère professionnel de sa pathologie. Le président du conseil régional de la Guadeloupe a, par un arrêté du 5 février 2018, reconnu le caractère professionnel de la maladie de M. A... en se fondant sur les conclusions du rapport, visé dans cet arrêté, favorable à la demande présentée par l'agent. Dans ces circonstances, la région Guadeloupe n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'a jamais eu connaissance du rapport d'expertise établi par le Dr B... le 1er juin 2017, lequel a, en outre, été versé au dossier de première instance et communiqué. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal aurait méconnu le principe du contradictoire, en se prononçant au vu d'une pièce dont la région n'aurait pas eu connaissance, doit être écarté. Sur les conclusions à fin d'indemnisation : En ce qui concerne la responsabilité : 3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduise à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. 4. Il résulte de l'instruction, et tout d'abord de l'expertise du Dr B... réalisée en 2017 à la demande de la région Guadeloupe, que le vitiligo dont souffre M. A... s'est étendu à toutes les parties de son corps depuis l'apparition de cette maladie en 2010. Il s'agit d'une maladie auto-immune liée à des facteurs génétiques, mais dont l'apparition et l'aggravation peut être favorisée par des facteurs non génétiques comme le stress ou l'anxiété. Selon l'expert, l'accident survenu le 11 mars 2009, ajouté au conflit professionnel qui l'avait opposé au proviseur du lycée, ont déstabilisé le système immunitaire de M. A..., favorisé l'apparition de sa maladie de peau et aggravé une dépression déjà existante. Ainsi, l'expert a estimé que le vitiligo et la dépression de M. A... trouvent leur origine dans l'accident du 11 mars 2009, mais aussi dans les relations conflictuelles existantes entre l'intéressé et sa hiérarchie. 5. Selon le rapport d'expertise établi en 2021 par le Dr C... à la demande du juge des référés du tribunal administratif, si le vitiligo est une maladie auto-immune d'origine génétique, le stress est un facteur connu pour déclencher et aggraver cette pathologie chez les patients prédisposés. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que M. A... présentait un état dépressif antérieurement à l'accident du 11 mars 2009, ayant pour origine les conflits relationnels qui l'avaient opposé à sa hiérarchie et à ses collègues depuis son arrivée dans l'établissement en 2007. Néanmoins, l'expert retient que le vitiligo de M. A... a un lien avec l'accident de service, qui a aggravé la dépression de ce dernier. Enfin, selon les conclusions du Dr C..., l'état de santé de M. A... doit être regardé comme consolidé au 1er juin 2017, date de l'expertise réalisée par le Docteur B..., lequel a constaté que l'intéressé était atteint par le vitiligo sur environ 50 % de sa surface corporelle cutanée. 6. Dans ces circonstances, le vitiligo de M. A..., que la région Guadeloupe a d'ailleurs reconnu comme maladie professionnelle par une décision du 5 février 2018 devenue définitive, trouve son origine directe dans l'accident de service du 11 mars 2009. Aucun élément de l'instruction, et notamment les conclusions des rapports d'expertise précités, ne permet d'écarter ce lien direct du seul fait que les parties corporelles de M. A... affectées par le vitiligo sont plus étendues que celles atteintes par l'accident du 11 mars 2009. Cette pathologie a également aggravé l'état dépressif antérieur de M. A... qui présente dès lors un caractère professionnel dans la mesure de cette aggravation. Toutefois, compte tenu de l'état antérieur présenté par M. A... en raison du conflit d'ordre professionnel qui l'a opposé à sa hiérarchie, il y a lieu de juger que l'accident de service du 11 mars 2009 est à l'origine de 70 % des préjudices indemnisables. En ce qui concerne les préjudices : 7. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, pour les fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales du II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984, et les article 37, 40 et 42 du décret du 26 décembre 2003, relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Compte tenu des conditions posées à leur octroi et de leur mode de calcul, la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. 8. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique. Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité. 9. Le tribunal administratif de la Guadeloupe a jugé, par des motifs qui ne sont pas contestés par l'appelante, que l'accident survenu le 11 mars 2009 engageait la responsabilité de la région Guadeloupe sur le terrain de la faute pour avoir ordonné à M. A... d'intervenir sans protection sur un chauffe-eau vétuste et insuffisamment entretenu. 10. En premier lieu, les premiers juges ont évalué à 15 100 euros les préjudices de M. A... au titre de l'incidence professionnelle patrimoniale et extrapatrimoniale de son vitiligo. Toutefois, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... serait susceptible de subir de la part de la région Guadeloupe des discriminations fondées sur son apparence physique emportant des incidences négatives sur ses perspectives d'évolution professionnelle. Une telle conclusion ne saurait être tirée de la circonstance que M. A... serait, en raison de sa maladie, sujet à des moqueries ou à des propos déplacés de la part de ses collègues de travail. Dans ces conditions, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné la région Guadeloupe à verser à M. A... la somme précitée de 15 100 euros. Le jugement doit ainsi être réformé dans cette mesure. 11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise établi par le Dr C..., que les souffrances endurées par M. A... sont évaluées à 3/7 avant consolidation et à 2/7 après cette consolidation. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 4 100 euros après avoir tenu compte de l'état antérieur de M. A... à hauteur de 30 %. 12. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que les taches de dépigmentation consécutives au vitiligo couvrent environ 50 % de la surface corporelle cutanée de M. A... dont le préjudice esthétique doit être évalué à 6/7 pour la période précédant la consolidation et à 5/7 pour la période postérieure à la consolidation. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 19 000 euros, compte tenu de l'incidence de son état antérieur présenté par M. A.... 13. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que M. A... ne peut plus s'adonner aux loisirs de la pêche et de la course à pied compte tenu de l'obligation dans laquelle il se trouve de se protéger du soleil. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation du préjudice d'agrément subi de ce fait par M. A... en l'évaluant à la somme de 5 000 euros après prise en compte de son état antérieur. 14. En quatrième lieu, l'expert a retenu que M. A... a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire de " classe 1 " pendant trois semaines en raison, d'une part, des brûlures, et d'autre part, de ses préjudices psychologiques et esthétiques jusqu'à leur consolidation. Il a également estimé que le déficit fonctionnel permanent subi par M. A... à raison des mêmes préjudices, à l'exclusion des brûlures qui ont guéri sans laisser de séquelles, devait être évalué à 15 %. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ces chefs de préjudice en les évaluant à hauteur, respectivement, des sommes de 7 662,50 euros et de 17 115 euros après prise en compte de l'état antérieur de M. A.... 15. En cinquième et dernier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que M. A... subit, du fait de son apparence physique, un préjudice sexuel que le tribunal n'a pas inexactement évalué en le fixant à 2 000 euros. 16. Il résulte de tout ce qui précède que la région Guadeloupe est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe l'a condamnée à payer à M. A... la somme de 15 100 euros en réparation du préjudice lié l'incidence professionnelle patrimoniale et extrapatrimoniale de la maladie de ce dernier. Dès lors, la somme de 69 977,50 euros que le tribunal a mise à la charge de la région Guadeloupe doit être ramenée à 54 877,50 euros, et le jugement attaqué doit être réformé dans cette mesure. Sur les frais d'instance : 17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions des parties présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. DECIDE Article 1er : La somme de 69 977,50 euros que le tribunal administratif de la Guadeloupe a mise à la charge de la région Guadeloupe est ramenée à 54 877,50 euros Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 2101028 du 22 juin 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt. Article 3 : Le surplus des conclusions de la région Guadeloupe est rejeté. Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la région Guadeloupe, à M. D... A... et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Guadeloupe. Délibéré après l'audience du 26 février 2024 à laquelle siégeaient : Mme Ghislaine Markarian, présidente, M. Frédéric Faïck, président-assesseur, Mme Caroline Gaillard, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024. Le rapporteur, Frédéric Faïck La présidente, Ghislaine Markarian La greffière, Catherine Jussy La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. N° 22BX02141 2
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 19/03/2024, 22BX00555, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 14 septembre 2020 par lequel le maire de Bordeaux l'a admise au bénéfice d'une pension de retraite pour invalidité à compter du 1er octobre 2020. Par un jugement n° 2100278 du 20 décembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 février 2022 et le 26 juin 2023, Mme D... A..., représentée par Me Scaillierez, demande à la Cour : 1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 décembre 2021 ; 2°) de faire droit à sa demande de première instance ; 3°) d'enjoindre au maire de Bordeaux de la réintégrer dans ses fonctions et de reconstituer sa carrière à compter du 1er octobre 2020 ; 4°) de mettre à la charge de la commune de Bordeaux la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - le jugement n'est pas signé par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier ; - l'arrêté en litige a été signé par une autorité dépourvue de délégation de signature exécutoire ; - l'arrêté n'est pas motivé ; - dès lors qu'elle n'est pas inapte à toutes fonctions, elle ne pouvait être mise d'office à la retraite en application de l'article 39 du décret du 26 décembre 2003 ; - elle a fait une demande de reclassement, et la proposition qui lui a été faite ne correspondait manifestement pas à ses compétences et ne pouvait aboutir qu'à un refus de sa part ; aucune autre proposition ne lui a été faite depuis 2015 ; la commune n'a fait aucune démarche loyale et concrète et ne lui a proposé aucune formation ; elle n'était pas tenue de la reclasser dans un emploi d'adjoint administratif. Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mai 2023, la commune de Bordeaux, représentée par la SELAS Elige Bordeaux, agissant par Me Merlet-Bonnan, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme A... le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code général des collectivités territoriales ; - le code des pensions civiles et militaires de retraite ; - le code des relations entre le public et l'administration ; - la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ; - le décret n° 85-1054 du 30 septembre 1985 ; - le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Au cours de l'audience publique, ont été entendus : - le rapport de M. B..., - les conclusions de M. Duplan, rapporteur public ; - et les observations de Me Scaillierez pour Mme A... et de Me Merlet-Bonnan pour la commune de Bordeaux. Considérant ce qui suit : 1. Mme D... A..., adjointe technique territoriale de deuxième classe de la commune de Bordeaux, née le 9 mai 1963, et qui exerçait les fonctions d'agent d'entretien, a présenté des arrêts de travail à compter du 1er octobre 2012. Placée en congés de maladie imputables à une maladie contractée en service jusqu'au 19 mai 2014, puis en congés de maladie ordinaires pendant une durée de douze mois, elle a été ensuite placée en disponibilité d'office pour raisons de santé le 20 mai 2015. Le comité médical départemental réuni le 19 mars 2015 a émis un avis d'inaptitude totale et définitive de l'agent à ses fonctions. En l'absence de reclassement, le maire de Bordeaux a admis d'office Mme A... à la retraite pour invalidité à compter du 1er octobre 2020, par un arrêté du 14 septembre 2020. Mme A... a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Bordeaux, qui a rejeté sa demande. Elle relève appel de ce jugement en date du 20 décembre 2021. Sur la régularité du jugement attaqué : 2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". En l'espèce, il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué a été signée conformément à ces dispositions. La circonstance que l'ampliation notifiée à Mme A... ne comportait pas les signatures exigées par ces dispositions est sans incidence sur la régularité du jugement. Par suite, le moyen doit être écarté comme manquant en fait. Sur le bien-fondé du jugement attaqué : 3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est seul chargé de l'administration, mais il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints et à des membres du conseil municipal ". Et aux termes de l'article L. 2131-1 du même code, dans sa rédaction en vigueur : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement. (...) / La publication ou l'affichage des actes mentionnés au premier alinéa sont assurés sous forme papier (...) ". 4. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté n° 202014091 du 15 juillet 2020, affiché et transmis au représentant de l'Etat le 20 juillet suivant, le maire de Bordeaux a donné délégation de signature à M. E... C..., directeur en charge de la vie administrative et de la qualité de vie au travail, à l'effet de signer, sous la surveillance et la responsabilité du maire, les documents, " relatifs aux pouvoirs propres et exécutifs du Maire et gérés par les services placés sous son autorité sans être placés directement sous l'autorité d'un Adjoint au Directeur général ou d'un Directeur de service du ressort de la Direction générale Ressources humaines et administration générale : 5 - En matière de carrière/paye/statut/ discipline, pour l'ensemble des personnels de droit public et privé : (...) les invalidités y compris retraite. " Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige portant admission à la retraite pour invalidité doit être écarté comme manquant en fait. 5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; (...) ". Et aux termes de l'article L. 211-5 de ce code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". 6. L'arrêté du 14 septembre 2020 vise, outre l'avis du comité médical du 19 mars 2015, la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, le décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, mentionne que Mme A... a été reconnue définitivement inapte à ses fonctions et, qu'en conséquence, il y a lieu de lui accorder le bénéfice d'une pension de retraite pour invalidité. Il comporte ainsi l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. 7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps (...) peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 30 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'impossibilité définitive et absolue de continuer ses fonctions par suite de maladie, blessure ou infirmité grave dûment établie peut être admis à la retraite soit d'office, soit sur demande ". Et aux termes de son article 39 : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service peut être mis à la retraite par anticipation soit sur demande, soit d'office dans les délais prévus au troisième alinéa de l'article 30 ". 8. Contrairement à ce que soutient Mme A..., ces dispositions ne subordonnent pas la mise à la retraite d'office d'un fonctionnaire à la condition qu'il soit inapte à l'exercice de toutes fonctions. Le moyen tiré de l'erreur de droit commise par la commune de Bordeaux doit, dès lors, être écarté. 9. En dernier lieu, aux termes de l'article 81 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version applicable : " Les fonctionnaires territoriaux reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions peuvent être reclassés dans les emplois d'un autre cadre d'emploi, emploi ou corps s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. Le reclassement est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé ". L'article 2 du décret du 30 septembre 1985 relatif au reclassement des fonctionnaires territoriaux reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions précise que : " Lorsque l'état physique d'un fonctionnaire territorial, sans lui interdire d'exercer toute activité, ne lui permet pas d'exercer des fonctions correspondant aux emplois de son grade, l'autorité territoriale ou le président du centre national de la fonction publique territoriale ou le président du centre de gestion, après avis du comité médical, invite l'intéressé soit à présenter une demande de détachement dans un emploi d'un autre corps ou cadres d'emplois, soit à demander le bénéfice des modalités de reclassement prévues à l'article 82 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ". 10. La mise en œuvre de l'obligation de reclassement implique que, sauf si l'agent manifeste expressément sa volonté non équivoque de ne pas reprendre une activité professionnelle, l'employeur propose à ce dernier un emploi compatible avec son état de santé et aussi équivalent que possible avec l'emploi précédemment occupé ou, à défaut d'un tel emploi, tout autre emploi si l'intéressé l'accepte. 11. Mme A... fait valoir qu'elle a sollicité son reclassement par courrier du 5 juin 2015 mais n'a reçu qu'une seule proposition de reclassement, en 2015, qu'elle a été contrainte de refuser car inadaptée à ses compétences et soutient que la commune de Bordeaux n'a pas procédé à des recherches de reclassement de façon sérieuse et loyale. 12. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que dans son avis du 19 mars 2015, le comité médical départemental a estimé que Mme A... était inapte totalement et définitivement à ses fonctions. Si Mme A... reproche à la commune de Bordeaux d'avoir limité ses recherches de reclassement à des emplois d'adjoint administratif, elle n'apporte aucun élément de nature à établir que d'autres emplois d'adjoint technique auraient été compatibles avec son état de santé. 13. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, si un poste d'agent d'accueil dans une mairie de quartier a été proposé à Mme A... au mois de juillet 2015, l'intéressée a refusé ce poste, qui exigeait des compétences en informatique qu'elle ne détenait pas. A la suite de ce refus, la commune de Bordeaux a effectué un bilan des savoirs et compétences de son agent au mois de février 2016, qui a notamment révélé son absence de maîtrise du français écrit, exigeant des cours d'alphabétisation de 200 heures minimum et empêchant également une remise à niveau en matière de bureautique. Alors que Mme A... se borne à se prévaloir de l'importance des effectifs de son employeur, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un emploi d'adjoint administratif ne nécessitant pas la maîtrise du français écrit aurait pu lui être proposé. Enfin, compte tenu de l'ampleur de l'apprentissage nécessaire, et du caractère aléatoire de son succès, la commune de Bordeaux, après l'avis favorable émis par la commission de réforme le 16 octobre 2019, ne saurait être regardée comme ayant fait preuve de déloyauté et manqué à son obligation de reclassement. 14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Sur les frais de l'instance : 15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Bordeaux, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par Mme A..., au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme demandée par la commune de Bordeaux au même titre. DECIDE : Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée. Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Bordeaux sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et à la commune de Bordeaux. Délibéré après l'audience du 26 février 2024 à laquelle siégeaient : Mme Ghislaine Markarian, présidente, M. Frédéric Faïck, président assesseur, M. Julien Dufour, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 mars 2024. Le rapporteur, Julien B... La présidente, Ghislaine Markarian La greffière, Catherine JussyLa République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. N° 22BX00555 2
Cours administrative d'appel
Bordeaux