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CAA de NANTES, 6ème chambre, 19/09/2023, 22NT00776, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, devenu compétent par l'effet de la loi du 13 juillet 2018, d'une part, d'annuler la décision du 1er octobre 2018 en tant que la ministre des armées a insuffisamment évalué le taux de son invalidité et a retenu qu'une partie de son infirmité résultant d'un " Etat de stress post-traumatique " n'est pas imputable au service et, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par un jugement n° 1905858 du 17 janvier 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête enregistrée le 14 mars 2022 et un mémoire complémentaire, enregistré le 21 août 2023 - non communiqué -, M. A..., représenté par Me Holley, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 17 janvier 2022 ; 2°) d'annuler l'arrêté ministériel du 1er octobre 2018 ; 3°) d'ordonner la révision de sa pension militaire d'invalidité et de fixer son taux d'invalidité à 80% ; 4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - dès lors que l'expert a relevé que rien n'indique que les troubles dont il souffre aient préexisté à l'engagement militaire, rien ne justifie alors qu'un abattement de 20% soit appliqué au taux d'invalidité de 40% initialement fixé et qui aurait dû être retenu ; l'avis de la commission consultative médicale n'est pas motivé et ne saurait être pris en compte ; - il est assisté pour les actes de la vie courante par une assistance de service social auprès de l'hôpital d'instruction des armées de Brest ; il a également cessé toute activité professionnelle avant la survenue de cet accident ; il est inapte à tout emploi et atteint de troubles intenses ou très intenses le conduisant à un isolement considérable ; - l'expertise même succincte et la fiche descriptive des infirmités établissent l'existence des nombreux troubles dont il souffre ; si l'expert indique qu'une aggravation serait à rapporter à un accident domestique - un incendie à son domicile -, cette aggravation n'est toutefois pas documentée ; tous les troubles dont il souffre sont établis avant la survenue de cet accident ; Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2023, la ministre des armées conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 avril 2022. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; - la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Coiffet, - et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. M. A..., qui est né le 4 novembre 1970, a effectué sa carrière militaire dans l'Armée de Terre du 1er août 1989 au 30 mai 1998, date de radiation des contrôles. Par une demande présentée le 12 janvier 2017, il a sollicité le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité résultant d'un " Etat de stress post-traumatique " qu'il impute à un évènement survenu en Ex-Yougoslavie en 1992. Par un arrêté ministériel du 1er octobre 2018, une pension militaire d'invalidité lui a été accordée pour cette infirmité à un taux de 20%, étant précisé que sur un taux global de 40%, 20% n'était pas imputable au service. M. A..., souhaitant obtenir une réévaluation de son taux d'invalidité à hauteur de 40%, a contesté cette décision devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Rennes, qui a transféré sa requête au tribunal administratif de Rennes devenu compétent par détermination de la loi. Il relève appel du jugement du 17 janvier 2022 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 1er octobre 2018 et sollicite désormais que son taux d'invalidité soit au moins fixé à 80%. 2. Aux termes, d'une part, de l'article L. 121-4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, en vigueur au moment de la demande de pension : " Les pensions sont établies d'après le taux d'invalidité résultant de l'application des guides barèmes mentionnés à l'article L. 125-3. (...) ". Aux termes du guide barème, s'agissant des névroses traumatiques de guerre, le " taux d'invalidité à évaluer en fonction de l'intensité du syndrome de répétition, notamment des troubles du sommeil et de la gêne provoquée par les autres symptômes " et " en matière de troubles psychiques, ces pourcentages seront utilisés comme un code. Les éléments de celui-ci constituent une échelle nominale, dont les différents termes reçoivent à la fois une définition précise et explicite, s'appuyant sur des critères simples et généraux définissant le niveau d'altération du fonctionnement existentiel. / Dans cette échelle, en pratique expertale, on peut distinguer six niveaux de troubles de fonctionnement décelables, qui seront évalués comme suit : / - absence de troubles décelables : 0 p. 100 ; / - troubles légers : 20 p. 100 ; / - troubles modérés : 40 p. 100 ; / - troubles intenses : 60 p. 100 ; / - troubles très intenses : 80 p. 100 ; - destruction psychique totale avec perte de toute capacité existentielle propre, nécessitant une assistance de la société : 100 p. 100. (...) / Les critères développés ci-dessous correspondent à des situations assez typiques et moyennes reflétant la démarche clinique qui est surtout globalisante et ne procède jamais par des estimations à 5 p. 100 près, mais par niveau de 20 p. 100 sur l'échelle nominale. Ils offrent toute liberté à l'expert pour proposer des pourcentages intermédiaires, dans la mesure où tel cas particulier se situerait entre deux niveaux. ". 3. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". 4. En premier lieu, l'expert qui a examiné M. A... le 31 mai 2018, après avoir décrit et qualifié médicalement les symptômes de son infirmité (état de stress post-traumatique), a évalué globalement cette dernière à un taux 40 %, ce qui correspond à l'existence de " troubles modérés " selon l'échelle nominale du guide barème, évoqué au point 2, auquel se réfère l'article L. 121-4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Pour soutenir que les troubles résultant de l'état de stress post-traumatique dont il souffre ne peuvent être qualifiés de " modérés " mais doivent au contraire être regardés comme " très intenses ", M. A... rappelle, comme en première instance, qu'il est assisté pour les actes de la vie courante, qu'il est inapte à tout emploi et qu'il souffre d'un isolement considérable. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... soit assisté quotidiennement dans la vie courante même s'il consulte très régulièrement le médecin qui le suit à l'hôpital d'instruction des armées de Brest. Par ailleurs, la perte d'emploi, au vu des éléments versés au dossier, résulte de la perte de son permis de conduite pour cause d'alcoolémie au volant et n'est pas en relation avec le stress post-traumatique chronicisé dont il souffre. Enfin, il ressort du rapport d'expertise que, pour qualifier ses troubles de " modérés " et fixer le taux contesté, ont été pris en compte l'agoraphobie et l'isolement dont souffre l'intéressé. M. A... n'apporte pas davantage en appel qu'en première instance d'élément médical pour corroborer ses affirmations et établir ainsi que ses troubles seraient " intenses ou très intenses ", justifiant de réévaluer le taux global de son infirmité. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la ministre des armées aurait insuffisamment évalué le taux de son invalidité au regard du guide barème. 5. En second lieu, M. A... soutient que rien ne permet de justifier, contrairement à ce que retient l'arrêté contesté du 1er octobre 2018, qu'un abattement de 20% soit appliqué au taux d'invalidité de 40% initialement retenu à la suite de l'expertise du 21 mai 2018. Il résulte de l'instruction que, si l'expert a indiqué que le stress post-traumatique dont souffre M. A... avait pour origine une blessure imputable au service reçue en " Yougoslavie " et qu'il a également relevé que " rien n'indiquait que les troubles dont il souffre aient préexisté à l'engagement militaire " écartant ce faisant tout état antérieur, il a toutefois ajouté que cette infirmité avait été " aggravée par un accident dramatique dont il a été victime sept ans auparavant " - soit en 2011- c'est-à-dire après le 30 mai 1998, date de radiation des contrôles comme indiqué au point 1. L'accident en question se rapporte, selon cet expert, à " un incendie dans un studio que M. A... occupait et qui lui aurait occasionné quatre semaines de coma thérapeutique, une rééducation, des séquelles cicatricielles touchant le haut du corps et du visage, une perte de poids de 24 kilos ainsi que l'absorption d'un corps étranger qu'il a fallu extraire par la suite. ". M. A... n'apporte, pas plus en appel qu'en première instance, d'élément médical justifiant d'écarter l'accident non imputable au service survenu en 2011 comme un facteur aggravant de son état de santé, évalué à la date de sa demande de pension. Par ailleurs, le requérant ne saurait se prévaloir d'un avis d'expert privé établi le 9 décembre 2020 qui, comme le relève la ministre des armées dans son mémoire du 17 janvier 2023, s'inscrit dans le cadre de la procédure de renouvellement de la pension de l'intéressé, avec effet à compter du 12 janvier 2020, dont l'objet est distinct du présent litige. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le ministre qui pouvait s'appuyer également sur l'avis de la commission médicale en date du 10 août 2018, lequel était suffisamment motivé, aurait, dans l'arrêté contesté du 1er octobre 2018, commis une erreur d'appréciation en retenant une part non imputable à son engagement militaire à hauteur de la moitié du taux global d'invalidité et fixé à 20 pour cent le taux de sa pension militaire d'invalidité. 6. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Sur les frais liés au litige : 7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. A... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. DÉCIDE : Article 1er : La requête de M. A... est rejetée. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 1er septembre 2023, à laquelle siégeaient : - M. Gaspon, président de chambre, - M. Coiffet, président-assesseur, - Mme Gélard, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 septembre 2023. Le rapporteur, O. COIFFETLe président, O. GASPON La greffière, I. PETTON La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. N° 22NT00776 2
Cours administrative d'appel
Nantes
CAA de NANTES, 6ème chambre, 19/09/2023, 21NT02212, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 31 mai 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité. Par un jugement n° 1905820 du 22 juin 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête enregistrée le 3 août 2021, M. B..., représenté par Me Quinquis, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 22 juin 2021 ; 2°) d'annuler la décision du 31 mai 2018 ; 3°) de dire qu'il doit bénéficier d'une pension militaire d'invalidité au titre de l'infimité " cancer du larynx ", le cas échéant après avoir ordonné une expertise médicale dont les frais seront mis à la charge de l'Etat ; 4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Il soutient que son cancer du larynx est imputable au service au sens des dispositions de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre alors en vigueur ; il établit en effet l'existence d'un lien direct et certain entre sa maladie et le service et plus particulièrement son exposition aux poussières d'amiante durant toute sa carrière alors que l'administration ne démontre pas que d'autres facteurs seraient la cause déterminante de sa pathologie ; Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Gélard, - les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. M. B..., né en 1935, a exercé ses fonctions d'électrotechnicien embarqué en salle des machines dans la marine nationale entre le 18 septembre 1952 et le 5 novembre 1984. A compter du 24 janvier 2000, une pension militaire d'invalidité au taux de 30 % lui a été allouée au titre de l'infirmité " plaques pleurales bilatérales de type asbestosique ". Le 28 août 2015, l'intéressé a sollicité une nouvelle pension militaire d'invalidité au titre du cancer du larynx qu'il a développé, en invoquant le lien entre cette pathologie et son exposition aux poussières d'amiante durant sa carrière militaire. Par une décision du 31 mai 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande. M. B... a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Rennes, devenu compétent par détermination de la loi. Il relève appel du jugement du 22 juin 2021 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa requête. Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision contestée : 2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction alors en vigueur : " Ouvrent droit à pension : (...) 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque le demandeur d'une pension ne peut bénéficier de la présomption légale d'imputabilité prévue à l'article L. 3 du même code et que, par ailleurs, cette imputabilité n'est pas admise par l'administration, il incombe à l'intéressé d'apporter la preuve de l'imputabilité de l'affection au service par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges. Dans les cas où est en cause une affection à évolution lente et susceptible d'être liée à l'exposition du militaire à un environnement ou à des substances toxiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération les éléments du dossier relatifs à l'exposition du militaire à cet environnement ou à ces substances, eu égard notamment aux tâches ou travaux qui lui sont confiés, aux conditions dans lesquelles il a été conduit à les exercer, aux conditions et à la durée de l'exposition ainsi qu'aux pathologies que celle-ci est susceptible de provoquer. Il revient ensuite aux juges du fond de déterminer si, au vu des données admises de la science, il existe une probabilité suffisante que la pathologie qui affecte le demandeur soit en rapport avec son activité professionnelle. Lorsque tel est le cas, la seule circonstance que la pathologie pourrait avoir été favorisée par d'autres facteurs ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité, si l'administration n'est pas en mesure d'établir que ces autres facteurs ont été la cause déterminante de la pathologie. 3. Il résulte de l'instruction que M. B..., incorporé dans la marine nationale à compter du 18 septembre 1952, a été rayé des contrôles le 5 novembre 1984, après avoir exercé toute sa carrière dans la marine nationale. En sa qualité d'électrotechnicien, il était chargé de l'entretien et du dépannage des installations électriques dans les compartiments des machines et des chaudières des navires sur lesquels il était embarqué. Il n'est pas contesté que sur les navires de la marine nationale construits jusqu'à la fin des années quatre-vingt, l'amiante était utilisée de façon courante comme isolant pour calorifuger tant les tuyauteries que certaines parois et certains équipements de bord, de même que les réacteurs et moteurs des avions de l'aéronavale et que ces matériaux d'amiante avaient tendance à se déliter du fait des contraintes physiques imposées à ces matériels, de la chaleur, du vieillissement du calorifugeage, ou de travaux d'entretien en mer ou au bassin. M. B... produit ainsi l'attestation du directeur du personnel militaire de la marine en date du 28 juin 1999 confirmant qu'il a, au cours de sa carrière entre le 1er juin 1953 et le 2 janvier 1984, été exposé aux risques présentés par l'inhalation de poussières d'amiante. Enfin, il est constant que M. B... bénéficie d'une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " plaques pleurales " découverte dans les années 2000. Par suite, tant les conditions de travail de ce marin embarqué, que ses fonctions, permettent de conclure qu'il a été exposé sur une période de plus de 30 ans à un risque élevé de développer une pathologie en lien avec les poussières d'amiante. 4. Il résulte de l'instruction que M. B... a été soumis à une expertise médicale réalisée le 1er février 2017 par un oto-rhino-laryngologiste. Ce spécialiste rappelle que l'intéressé est suivi pour une lésion cordale gauche de carcinome épidermoïde microinfiltrant T1A, traité le 2 février 2015 par cordectomie, avec une reprise de résection pratiquée le 5 mars 2015. Il précise que la législation allemande, à la différence de celle appliquée en France, reconnaît le lien présumé entre l'amiante et les cancers laryngés. Après avoir constaté que l'intéressé ne présentait pas d'autres facteurs de risque, liés notamment au tabagisme, ce spécialiste en a déduit qu'il existait une présomption " certaine directe et exclusive " que le cancer du larynx de M. B... soit lié à l'amiante. Les 16 mai 2017 et 31 mai 2018, la commission consultative médicale puis la commission de réforme des pensions militaire d'invalidité ont émis un avis contraire au motif notamment que la législation française ne reconnaissait pas cette infirmité comme consécutive à une exposition à l'amiante. En outre, M. B... produit l'avis favorable émis le 5 février 2019 par la commission d'examen des circonstances d'exposition à l'amiante (CECEA). Cet organisme, constitué notamment de deux personnalités et de deux médecins spécialisés en matière d'amiante, a reconnu le lien entre son cancer du larynx et son exposition à l'inhalation de poussières d'amiante. Enfin, le requérant se prévaut d'articles scientifiques et notamment d'une thèse de doctorat en épidémiologie soutenue le 15 octobre 2012, concluant à la participation avérée des fibres amiantées dans la survenue du cancer du larynx. Si le ministre soutient que ces recherches ne font pas l'objet d'un consensus médical, il se borne à se référer au site internet de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) rappelant qu'à ce jour le cancer du larynx n'est pas reconnu comme une maladie professionnelle. Le ministre ne produit aucun autre élément de nature à établir que d'autres facteurs de risque seraient la cause déterminante de la pathologie de M. B.... Dans ces conditions, et compte tenu des justificatifs apportés par M. B..., l'intéressé doit être regardé comme établissant un lien de causalité suffisant entre le cancer du larynx dont il est atteint et son exposition à l'amiante au cours de sa carrière professionnelle au sein de la marine nationale. 5. Il résulte de tout ce qui précède, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Sur l'octroi d'une pension militaire d'invalidité complémentaire à M. B... : 6. Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de renvoyer M. B... devant le ministre des armées afin qu'il détermine le montant de la pension militaire d'invalidité à laquelle il peut prétendre au titre de cette seconde infirmité, sur la base du taux d'invalidité non contesté de 20 % reconnu tant par la commission consultative médicale que par la commission de réforme des pensions militaires d'invalidité dans leurs avis respectifs des 16 mai 2017 et 31 mai 2018. Sur les frais liés au litige : 7. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. DÉCIDE : Article 1er : Le jugement n° 1905820 du tribunal administratif de Rennes en date du 22 juin 2021 ainsi que la décision de la ministre des armées du 31 mai 2018 rejetant la demande de pension militaire d'invalidité présentée par M. B... au titre de l'infirmité " carcinome épidermoïde T1 A laryngé traité par cordectomie : dysphonie sans dyspnée " sont annulés. Article 2 : M. B... est renvoyé devant le ministre des armées afin qu'il détermine le montant de la pension militaire d'invalidité à laquelle il peut prétendre au titre de cette seconde infirmité, sur la base du taux d'invalidité de 20 %. Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 1er septembre 2023, à laquelle siégeaient : - M. Gaspon, président de chambre, - M. Coiffet, président-assesseur, - Mme Gélard, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 septembre 2023. La rapporteure, V. GELARDLe président, O. GASPON La greffière, I. PETTON La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2 N° 21NT02212
Cours administrative d'appel
Nantes
CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 18/09/2023, 22BX00424, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 7 décembre 2020 par lequel le maire de Bordeaux l'a licenciée pour inaptitude physique et l'a radiée des cadres à compter du 31 janvier 2021, d'enjoindre au maire de l'admettre à la retraite pour invalidité avec droit à pension et de condamner la commune à lui verser la somme de 22 023,09 euros à titre de dommages et intérêts. Par un jugement n° 2100651 du 6 décembre 2021, le tribunal a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête enregistrée le 7 février 2022, Mme B..., représentée par Me Delavallade, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement n° 2100651 du tribunal ; 2°) d'annuler l'arrêté en litige du 7 décembre 2020 ; 3°) d'enjoindre à la commune de Bordeaux de l'admettre à la retraite anticipée ; 4°) de condamner la commune à lui verser la somme de 22 023,09 euros à titre de dommages et intérêts ; 5°) de mettre à la charge de la commune la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - l'arrêté en litige a été pris par une autorité incompétente dès lors que son signataire ne disposait pas d'une délégation de signature suffisamment précise lui permettant de licencier un agent ; d'autant que plusieurs autres décisions concernant sa situation personnelle ont été prises par une autre autorité de la commune ; - l'arrêté est entaché d'une erreur de droit dès lors que le maire aurait dû non pas la licencier mais l'admettre à la retraite de façon anticipée pour inaptitude physique ; elle a pris, en 2002, un congé de plusieurs années en vue d'élever un enfant âgé de moins de huit ans ; l'article L. 9 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit que le temps passé dans le cadre d'un tel congé est pris en compte pour la constitution du droit à pension ; elle a connu des problèmes de santé durant cette période ; ainsi, ses problèmes de santé, qui ont conduit à son inaptitude totale et définitive à l'exercice de toute fonction, doivent être regardés comme contractés ou aggravés au cours d'une période durant laquelle elle a acquis des droits à pension ; en conséquence, elle avait droit à être admise à la retraite de façon anticipée ; - l'illégalité qui entache la décision en litige constitue une faute qui engage la responsabilité de la commune ; elle doit être indemnisée de son préjudice financier qui résulte du fait que, depuis le 1er juillet 2018, elle perçoit un demi-traitement au lieu d'un plein traitement. Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2023, la commune de Bordeaux, représentée par Me Bach, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme B... la somme de 2 513 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des droits de plaidoirie. Elle soutient que la requête d'appel est irrecevable faute de comporter une critique des motifs du jugement attaqué ; elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme non fondés. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - le code des pensions civiles et militaires de retraite ; - la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Frédéric Faïck, - les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public, - et les observations de Me Chapenoire, représentant Mme B... et de Me Bach représentant la commune de Bordeaux. Considérant ce qui suit : 1. Mme B..., agent territorial spécialisé des écoles maternelles de la commune de Bordeaux, a sollicité un congé parental le 1er octobre 2000 pour élever son enfant, né en 1999. A compter du 27 mai 2002, elle a bénéficié d'une disponibilité de plein droit pour élever son enfant jusqu'à ce que ce dernier atteigne l'âge de huit ans. En 2007, elle est placée en position de disponibilité pour convenances personnelles. Victime de problèmes de santé, Mme B... a été examinée le 15 décembre 2015 par le médecin du travail qui l'a jugée inapte à l'exercice de ses fonctions d'agent des écoles maternelles. Mme B... a demandé toutefois à être réintégrée dans les effectifs de la commune, mais en l'absence d'emplois disponibles, cette dernière l'a maintenue en position de disponibilité dans l'attente d'une proposition d'affectation. A la suite d'un examen effectué le 17 mai 2018, le médecin du travail a considéré que l'état de santé de Mme B... la rendait inapte à l'exercice de toute activité professionnelle, tout comme le comité médical dans son avis du 23 janvier 2019. Aussi, par un arrêté du 7 décembre 2020, le maire de Bordeaux a licencié Mme B... pour inaptitude physique totale et définitive et l'a radiée des cadres. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler cet arrêté du 7 décembre 2020 et de condamner la commune à l'indemniser des préjudices que lui a causé son licenciement. Elle relève appel du jugement du 6 décembre 2021 par lequel le tribunal a rejeté ses demandes. Sur les conclusions à fin d'annulation : 2. En premier lieu, par un arrêté du 14 septembre 2020, le maire de Bordeaux a délégué à Mme A..., adjointe chargée de l'administration générale, sa compétence à l'effet de signer, notamment en matière de carrières des agents, les " licenciements, abandons de poste et radiations des cadres ". Cette délégation, qui n'est pas imprécise, permettait à Mme A... de prendre l'arrêté en litige prononçant le licenciement pour inaptitude physique et la radiation des cadres de Mme B.... La circonstance que d'autres décisions relatives à la situation juridique de Mme B... aient été signées par le directeur de la vie administrative et de la qualité au travail dans le cadre de sa propre délégation, laquelle n'incluait pas le licenciement des agents, est sans incidence sur la compétence du signataire de l'arrêté en litige. Par suite, le moyen soulevé doit être écarté. 3. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le temps passé dans une position statutaire ne comportant pas l'accomplissement de services effectifs au sens de l'article L. 5 ne peut entrer en compte dans la constitution du droit à pension, sauf : 1° Dans la limite de trois ans par enfant né ou adopté à partir du 1er janvier 2004, sous réserve que le titulaire de la pension ait bénéficié : a) D'un temps partiel de droit pour élever un enfant ; / b) D'un congé parental ; / c) D'un congé de présence parentale ; / d) D'une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans ou d'un congé pour convenances personnelles pour élever un enfant de moins de huit ans. (...) ". Aux termes de l'article L. 29 du même code : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps (...) peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office ; dans ce dernier cas, la radiation des cadres est prononcée sans délai si l'inaptitude résulte d'une maladie ou d'une infirmité (...) L'intéressé a droit à la pension rémunérant les services prévue au 2° du I de l'article L. 24 du présent code, sous réserve que ses blessures ou maladies aient été contractées ou aggravées au cours d'une période durant laquelle il acquérait des droits à pension. (...). ". 4. D'une part, si l'article L. 9 précité prévoit que le temps passé en position de congé parental ou de disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans entre, par exception, en compte dans la constitution du droit à pension, il n'en va ainsi que lorsque ce congé, ou cette disponibilité, concernent un enfant né à partir du 1er janvier 2004. Par suite, son enfant étant né en 1999, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que ses années de congé et de disponibilité devaient être prises en compte pour le calcul de son droit à pension. 5. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a, en 2004 et en 2009, subi une hystérectomie puis une mastectomie avec chimiothérapie et radiothérapie, soit durant une période pendant laquelle elle était placée en disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans, puis en disponibilité pour convenances personnelles. Ainsi, la maladie dont Mme B... a été victime, et qui a été à l'origine de son incapacité définitive à exercer toute fonction, ne peut être regardée comme ayant été contractée ou aggravée au cours d'une période durant laquelle elle acquérait des droits à pension au sens des dispositions des articles L. 9 et L. 29 précitées du code des pensions civiles et militaires de retraite. Il résulte au contraire de ces mêmes dispositions que Mme B... n'a acquis aucun droit à pension au cours de la période précitée. 6. Il résulte de tout ce qui précède que l'appelante n'est pas fondée à soutenir qu'en raison des droits à pension qu'elle aurait acquis durant ses périodes de congés et de disponibilité, et du fait qu'elle a contracté une maladie au cours de ces mêmes périodes, le maire de Bordeaux aurait dû non pas la licencier pour inaptitude physique, mais l'admettre à la retraite de façon anticipée avec droit à pension. Enfin, dès lors que Mme B... était inapte à l'exercice de toutes fonctions, et que son reclassement était impossible, le maire a pu légalement prononcer son licenciement pour inaptitude physique. 7. Mme B... n'est, dès lors, pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 7 décembre 2020 en litige. Sur les conclusions à fin d'injonction : 8. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées. Sur les conclusions indemnitaires 9. La commune de Bordeaux n'a pris aucune décision illégale constitutive d'une faute susceptible d'engager sa responsabilité. Par suite, les conclusions indemnitaires de Mme B... doivent en tout état de cause être rejetées. 10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir, que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes. Sur les frais d'instance : 10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par Mme B... tendant à ce que la commune de Bordeaux, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de Mme B... la somme demandée par la commune au titre de ces frais. DECIDE Article 1er : La requête n° 22BX00424 de Mme B... est rejetée. Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Bordeaux au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et à la commune de Bordeaux. Délibéré après l'audience du 28 août 2023 à laquelle siégeaient : M. Luc Derepas, président, M. Frédéric Faïck, président-assesseur, Mme Caroline Gaillard, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 septembre 2023. Le rapporteur, Frédéric Faïck Le président, Luc Derepas La greffière, Catherine Jussy La République mande et ordonne au ministre de la transformation et de la fonction publiques, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. N° 22BX00424 2
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 25/09/2023, 21MA03237, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme B... A... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 2 juillet 2019 par laquelle le président de l'université de Corse l'a déclarée définitivement inapte à l'exercice de ses fonctions et à toutes fonctions et l'a placée en retraite pour invalidité à compter du 1er juillet 2019 et de surseoir à statuer dans l'attente du rapport d'expertise dans le cadre de l'instance en référé n° 1901378 ou d'ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise. Par un jugement n° 1901211 du 9 juillet 2021, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête, enregistrée le 2 août 2021, l'université de Corse, représentée par Me Carreras Vinciguerra, demande à la Cour : 1°) d'annuler le jugement du 9 juillet 2021 ; 2°) de rejeter la demande de Mme C... ; 3°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - c'est à tort que les premiers juges ont admis la recevabilité de la demande de Mme C... alors que cette dernière sollicitait l'annulation d'un acte préparatoire ne lui faisant pas grief ; - en vertu des dispositions combinées de l'article L. 712-2 du code de l'éducation, de l'article 2 du décret n° 85-1534 du 31 décembre 1985 et de l'article R. 49 bis du code des pensions, le président de l'université a reçu délégation de compétence pour prononcer l'admission à la retraite de Mme C..., adjointe technique de recherche et de formation ; - les conditions de sa mise à la retraite d'office étaient réunies, l'intéressée ne justifiant pas que les pathologies la rendant apte de manière totale et définitive sont imputables au service. Mme C... a été mise en demeure de produire ses conclusions le 13 janvier 2023. Un courrier du 12 juin 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2. Un avis d'audience portant clôture immédiate de l'instruction a été émis le 3 août 2023. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code l'éducation ; - le code des pensions civiles et militaires de retraite ; - la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ; - le décret n° 85-1534 du 31 décembre 1985 ; - l'arrêté (nor : ESRH1719924A) du 24 juillet 2017 ; - le code de justice administrative. La présidente de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure, - et les conclusions de M. François Point, rapporteur public. Considérant ce qui suit : 1. Par une décision du 2 juillet 2019, le président de l'université de Corse a déclaré Mme C... définitivement inapte à l'exercice de ses fonctions et à toutes fonctions et l'a placée en retraite pour invalidité à compter du 1er juillet 2019. Mme C... a alors saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Par le jugement du 9 juillet 2021, le tribunal administratif a fait droit à cette demande. L'université de Corse relève appel de ce jugement. Sur le bien-fondé du jugement : En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance de Mme C... : 2. La décision en litige du 2 juillet 2019 du président de l'université de Corse dispose, dans son article 1er, que " l'état de santé de Mme C... est consolidé le 3 mars 2019 ", dans son article 2, que " Mme C... (...) est reconnue inapte définitivement à l'exercice de ses fonctions et à toutes fonctions et est donc placée en retraite pour invalidité à compter du 1er juillet 2019 " et, dans son article 3, que " les pathologies reconnues comme rendant inapte Mme C... à ses fonctions et à toutes fonctions ne sont pas imputables au service ". Contrairement à ce que soutient l'université de Corse, une telle décision ne saurait être regardée comme un acte préparatoire ou un simple avis insusceptible de recours. La circonstance que cette décision n'a pas été exécutée, ou que l'intéressée a tenté de retarder par tout moyen la transmission de son dossier d'admission à la retraite, est sans incidence sur cette analyse. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'université de Corse ne peut être accueillie. En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par les premiers juges : 3. Aux termes de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction applicable à la date de la décision : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladie contractées ou aggravées soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public, soit en exposant ses jours pour sauver la vie d'une ou plusieurs personnes et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office à l'expiration d'un délai de douze mois à compter de sa mise en congé si cette dernière a été prononcée en application des 2° et 3° de l'article 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée. / L'intéressé a droit à la pension rémunérant les services prévue au 2° du I de l'article L. 24 du présent code. Par dérogation à l'article L. 16 du même code, cette pension est revalorisée dans les conditions fixées à l'article L. 341-6 du code de la sécurité sociale. ". 4. Aux termes de l'article L. 29 du même code, dans sa rédaction applicable : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office ; dans ce dernier cas, la radiation des cadres est prononcée sans délai si l'inaptitude résulte d'une maladie ou d'une infirmité que son caractère définitif et stabilisé ne rend pas susceptible de traitement, ou à l'expiration d'un délai de douze mois à compter de sa mise en congé si celle-ci a été prononcée en application de l'article 36 (2°) de l'ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires ou à la fin du congé qui lui a été accordé en application de l'article 36 (3°) de ladite ordonnance. L'intéressé a droit à la pension rémunérant les services prévue au 2° du I de l'article L. 24 du présent code, sous réserve que ses blessures ou maladies aient été contractées ou aggravées au cours d'une période durant laquelle il acquérait des droits à pension. Par dérogation à l'article L. 16 du même code, cette pension est revalorisée dans les conditions fixées à l'article L. 341-6 du code de la sécurité sociale. ". 5. Aux termes de l'article L. 31 du même code : " La réalité des infirmités invoquées, la preuve de leur imputabilité au service, le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions sont appréciés par le conseil médical mentionné à l'article L. 28 selon des modalités qui sont fixées par un décret en Conseil d'Etat. / Le pouvoir de décision appartient, dans tous les cas, au ministre dont relève l'agent et au ministre des finances. (...) ". 6. Aux termes de l'article L. 951-3 du code de l'éducation : " Le ministre chargé de l'enseignement supérieur peut déléguer par arrêté aux présidents des universités et aux présidents ou directeurs des autres établissements publics d'enseignement supérieur, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, tout ou partie de ses pouvoirs en matière de recrutement et de gestion des personnels titulaires, stagiaires et non titulaires de l'Etat qui relèvent de son autorité, dans la limite des emplois inscrits dans la loi de finances et attribués à l'établissement. (...) ". Aux termes de l'article R. 951-3 du même code : " Pour tous les actes relevant de leur compétence, les présidents des universités et les présidents ou directeurs des autres établissements publics d'enseignement supérieur peuvent déléguer, par arrêté, leur signature au secrétaire général de l'établissement et, en cas d'absence ou d'empêchement du secrétaire général, à un fonctionnaire de catégorie A placé directement sous l'autorité de ce dernier. Ces délégations fixent les actes et les corps auxquels elles s'appliquent. / Pour les personnels mentionnés aux 2° et 4° de l'article R. 951-1, les présidents des universités peuvent déléguer, par arrêté, leur signature au directeur de l'unité de formation et de recherche de médecine, d'odontologie ou de pharmacie concernée ou, à défaut, au directeur du département qui assure ces formations. ". Aux termes de l'article 3 de l'arrêté susvisé du 24 juillet 2017, dans sa rédaction applicable : " Les pouvoirs délégués aux présidents et directeurs des établissements publics d'enseignement supérieur pour la gestion des personnels (...) sont les suivants : (...) 8° Reconnaissance de l'état d'invalidité temporaire et ouverture du droit au versement de l'allocation d'invalidité temporaire et, le cas échéant, à la majoration pour tierce personne ; (...) 22° Admission à la retraite. ". 7. La décision attaquée place Mme C..., adjointe technique principale de recherche et de formation, en retraite pour invalidité à compter du 1er juillet 2019, son inaptitude totale et définitive à ses fonctions et à toutes fonctions ayant été reconnue à raison de pathologies non imputables au service. Toutefois, si les présidents d'université ont reçu délégation de pouvoir, d'une part, pour reconnaître l'état d'invalidité temporaire et, d'autre part, pour prononcer l'admission à la retraite des agents techniques de recherche et de formation, ils n'ont en revanche pas reçu délégation de pouvoir pour prononcer l'admission à la retraite pour invalidité, compétence qui ressortit, en vertu des dispositions législatives de l'article L. 31 du code des pensions civiles et militaires de retraite, non à la seule compétence du ministre en charge de l'enseignement supérieur, mais à la compétence conjointe de ce ministre et du ministre en charge des finances. 8. Il résulte de ce qui précède que l'université de Corse n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé la décision du président de l'université du 2 juillet 2019 pour incompétence. Sur les frais liés au litige : 9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de l'université de Corse dirigées contre Mme C... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. D É C I D E : Article 1er : La requête de l'université de Corse est rejetée. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'université de Corse et à Mme B... A... épouse C.... Délibéré après l'audience du 11 septembre 2023, où siégeaient : - M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, - Mme Isabelle Gougot, première conseillère, - Mme Isabelle Ruiz, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 septembre 2023. 2 N° 21MA03237
Cours administrative d'appel
Marseille
CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 18/09/2023, 21BX02874, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 19 février 2019 par lequel le maire de la commune de Vouillé a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie. Par un jugement n°1900891 du 4 mai 2021, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 juillet 2021 et le 21 novembre 2022 (non communiqué), la commune de Vouillé, représentée par son maire en exercice et par Me Gendreau, demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 4 mai 2021 ; 2°) de rejeter la demande de Mme B... ; 3°) subsidiairement, d'ordonner avant dire droit une expertise médicale afin de déterminer si sa maladie est imputable au service ; 4°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - la pathologie dont souffre Mme B... n'est pas une maladie professionnelle : en effet son affectation ne relève pas du tableau n° 98 des maladies professionnelles prévu par l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 dès lors que le poste occupé par l'intéressée au sein des services scolaires de la commune n'implique pas le port de charges lourdes ; - en outre, selon l'avis de la commission de réforme dont elle s'est appropriée les motifs, sa symptomatologie est en rapport avec un état antérieur préexistant qui évolue pour son propre compte, sa maladie ne peut donc être regardée comme une maladie imputable au service ; - subsidiairement, la contradiction étant manifeste entre les conclusions de l'expertise médicale et l'avis de la commission de réforme, une nouvelle expertise médicale ordonnée par le juge est nécessaire afin de déterminer si la pathologie de Mme B... est imputable au service. Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2022, Mme B..., représentée par Me Souet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Vouillé au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; - la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Au cours de l'audience publique, ont été entendus : - le rapport de Mme D..., - et les conclusions de M. Duplan, rapporteur public. Considérant ce qui suit : 1. Mme B..., adjointe technique territoriale, exerce depuis 2005 des fonctions d'agent technique (ménage, cuisine, garderie) au sein du service scolaire de la commune de Vouillé dans le département de la Vienne. A compter du 28 août 2017, elle a été placée en congés de maladie ordinaire. Le 25 août 2018, elle a demandé au maire de la commune de Vouillé, la reconnaissance de sa pathologie en tant que maladie imputable au service. Par un arrêté du 19 février 2019 le maire de cette commune a rejeté sa demande et a placé l'intéressée en congé de longue maladie. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers l'annulation de cet arrêté. Par un jugement du 4 mai 2021, le tribunal a fait droit à sa demande. La commune de Vouillé relève appel de ce jugement dont elle demande l'annulation. 2. D'une part, les droits des agents publics en matière d'accident de service et de maladie professionnelle sont réputés constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie diagnostiquée. Si la commune se prévaut des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 introduit par l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017, ces dispositions n'étaient pas encore entrées en vigueur à la date à laquelle Mme B... a été placée en congé de maladie, le 28 août 2017, faute de décret d'application. Le décret d'application du 10 avril 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique territoriale n'est entré en vigueur que le 13 avril 2019. Par suite la commune de Vouillé ne peut utilement soutenir que la pathologie dont souffre Mme B... ne relevait pas du tableau n° 98 des maladies professionnelles du régime général régi par l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, qui est inapplicable à sa situation. Pour le même motif, la commune ne peut utilement soutenir que le tribunal aurait omis de répondre à un de ses moyens, relatif à l'application des mêmes dispositions. 3. D'autre part, aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 dans sa rédaction applicable au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ". 4. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduise à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. L'existence d'un état antérieur, fût-il évolutif, ne permet d'écarter l'imputabilité au service de l'état d'un agent que lorsqu'il apparaît que cet état a déterminé, à lui seul, l'incapacité professionnelle de l'intéressé. 5. Il ressort des pièces du dossier que, pour déclarer la maladie de Mme B... non imputable au service et estimer que ses arrêts de travail à compter du 28 août 2017 relevaient d'un congé de maladie ordinaire puis d'un congé de longue maladie, la commune de Vouillé a retenu dans son arrêté du 19 février 2019, suivant l'avis de la commission de réforme, que la pathologie lombalgique de l'intéressée était en rapport avec " un état préexistant évoluant pour son propre compte ". Pour annuler l'arrêté du 19 février 2019, le tribunal a estimé au contraire que la commune de Vouillé avait commis une erreur d'appréciation en estimant que sa pathologie n'était pas imputable au service. 6. Pour contester le jugement du tribunal, la commune de Vouillé persiste à soutenir que la pathologie dont souffre l'intéressée relève d'un état préexistant évoluant pour son propre compte et n'est donc pas imputable au service. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment du rapport d'expertise du docteur C..., médecin agréé, établi le 23 octobre 2018, au vu duquel l'autorité territoriale s'est prononcée, que l'intéressée présentait " des douleurs lombaires diurnes et nocturnes " et que " les soins et frais médicaux prescrits sont à prendre en charge au titre de sa maladie professionnelle depuis l'origine le 27 août 2018 et jusqu'à la date de consolidation de sa maladie ". Si ce médecin admet, de manière équivoque, " qu'il existe un état préexistant non déclaré (lombalgie depuis 2010) " il ajoute " qu'il n'y a pas de pathologie indépendante évoluant pour son propre compte ". En outre, le certificat du médecin du travail du 1er février 2019 conclut dans le même sens en indiquant que " les pathologies de Mme B... sont en rapport direct avec l'exercice de son activité professionnelle ". Alors que le poste occupé par Mme B... comportait principalement des missions de ménage, de cuisine scolaire et de garde des enfants, qui sont par nature, physiquement sollicitantes, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'évolution de sa " lombosciatique droite chronique L4-L5 " diagnostiquée depuis 2010, aurait entraîné, à elle seule et indépendamment des conditions d'exécution de son service d'agent technique au sein des services scolaires de la commune de Vouillé qu'elle occupait depuis 2005, l'incapacité professionnelle de l'intéressée à compter du 28 août 2017. 7. Dans ces conditions, en dépit de l'avis défavorable de la commission de réforme, il y a lieu de considérer que les pathologies dont Mme B... a été atteinte à compter du 28 août 2017 sont imputables au service. 8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la commune de Vouillé n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté en litige. Sur les frais d'instance : 9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à verser à la commune de Vouillé une somme sur ce fondement. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Vouillé la somme de 1 500 euros à verser à Mme B... sur le fondement des mêmes dispositions. DECIDE : Article 1er : La requête de la commune de Vouillé est rejetée. Article 2 : La commune de Vouillé versera la somme de 1 500 euros à Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la commune de Vouillé. Délibéré après l'audience du 28 août 2023 à laquelle siégeaient : M. Luc Derepas, président de la cour, M. Frédéric Faïck, président-assesseur, Mme Caroline Gaillard, première conseillère, Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 septembre 2023. La rapporteure, Caroline D... Le président, Luc Derepas La greffière, Catherine Jussy La République mande et ordonne au préfet de la Vienne en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. N° 21BX02874 2
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 19/09/2023, 22MA00384, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia, premièrement, de convoquer les parties à une audience de conciliation sur le fondement de l'article R. 58 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, deuxièmement, d'annuler la décision du 23 août 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de pension pour aggravation des infirmités dont il est atteint, troisièmement, de fixer le taux d'invalidité de l'infirmité de broncho-pneumopathie chronique avec emphysème et insuffisance respiratoire moyenne à 65 %, et enfin, d'enjoindre à la ministre des armées de prendre une nouvelle décision en ce sens. Par un jugement n° 1901543 du 7 décembre 2021, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête, enregistrée le 28 janvier 2022, M. B..., représenté par Me Caviglioli, demande à la Cour : 1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 décembre 2021 ; 2°) d'annuler la décision du 23 août 2019 rejetant sa demande de révision de pension ; 3°) de constater qu'il est victime d'une aggravation de son infirmité " broncho-pneumopathie chronique avec emphysème insuffisance respiratoire grave " ; 4°) de fixer en conséquence le taux global d'invalidité à 65 % ; 5°) d'enjoindre au ministre des armées de prendre une nouvelle décision en ce sens, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard. Il soutient que : - c'est à tort que, pour considérer que son infirmité respiratoire ne s'était pas aggravée et rejeter sa demande, les premiers juges n'ont tenu compte que de la valeur obtenue pour la mesure du syndrome obstructif, omettant de prendre en considération celle de la mesure du syndrome restrictif, tous deux constitutifs de l'invalidité en cause ; - si les constantes au titre du volume expiratoire maximal à la première seconde se sont améliorées, les autres, dont celle de la capacité vitale, se sont aggravées ; - même l'expert désigné par l'administration a conclu à l'aggravation nette de son état et à un taux d'invalidité supplémentaire de 10 % ; - le ministre ne justifie pas de l'affection étrangère à l'infirmité pensionnée qui serait la cause de son aggravation, ni du défaut de fondement de l'expertise qu'elle a elle-même ordonnée, alors que le militaire bénéficie en la matière d'une présomption d'imputabilité. Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête, en faisant valoir qu'aucun des moyens qui y sont développés n'est fondé. Par une ordonnance du 19 juin 2023 la clôture d'instruction a été fixée au 6 juillet 2023, à 12 heures. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2022. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Revert, - les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique, - et les observations de Me Caviglioli, représentant M. B.... Considérant ce qui suit : 1. M. B..., titulaire d'une pension militaire d'invalidité du chef de l'infirmité dénommée " insuffisance respiratoire moyenne ", en a sollicité la révision pour aggravation le 7 décembre 2017. Par une décision du 23 août 2019, prise après avis de la commission de réforme des pensions du 21 août 2019, la ministre des armées a rejeté sa demande. Par un jugement du 7 décembre 2021, dont M. B... relève appel, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision. Sur le bien-fondé du jugement attaqué : En ce qui concerne le cadre juridique applicable : 2. Aux termes de l'article L. 151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicable à la date de la demande de révision de pension de M. B... : " La pension militaire d'invalidité est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. / Il en est de même de la date d'entrée en jouissance de la pension révisée pour aggravation ou pour prise en compte d'une infirmité nouvelle. ". Par ailleurs l'article L. 151-4 du même code, alors en vigueur, dispose que : " Le demandeur a la faculté de provoquer l'examen de sa demande par une commission de réforme (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 154-1 de ce code : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. (...) La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. ". 3. L'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre prévoit que le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée, la pension étant révisée lorsque le degré d'invalidité de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins au pourcentage antérieur. Cette disposition qui exige une aggravation réelle des blessures ou maladies, ne permet pas de remettre en cause, en l'absence d'aggravation effective, les bases de la liquidation initiale notamment en ce qui concerne le libellé des infirmités pensionnées. En ce qui concerne les droits à pension de M. B... : 4. Les recommandations du guide-barème des invalidités, qui, en la matière, ne revêtent aucun caractère contraignant, et dont se prévalent les parties à l'instance, définissent l'insuffisance respiratoire comme la coexistence d'un syndrome restrictif, décrit par le guide-barème comme la diminution de la capacité pulmonaire totale, et d'un syndrome obstructif, décrit par le même document comme la diminution du rapport entre le volume expiratoire maximal à la première seconde (VEMS) et la capacité vitale. Selon le guide-barème, l'insuffisance respiratoire est considérée comme moyenne lorsque le syndrome restrictif correspond à une capacité pulmonaire totale comprise entre 61 et 70 % de la valeur théorique et lorsque le syndrome obstructif renvoie à un VEMS compris entre 51 et 60 %. L'insuffisance respiratoire est qualifiée par le guide-barème de grave si la capacité pulmonaire totale est comprise entre 40 et 60 % de la valeur théorique et le VEMS entre 40 et 50 % de la valeur attendue, mais également si le militaire souffre d'une hypoxémie de repos et d'une apnée du sommeil avec appareillage. 5. Il résulte de l'instruction que l'infirmité dont souffre M. B..., et en raison de laquelle il bénéficie d'une pension militaire d'invalidité à titre définitif au taux d'invalidité de 55 %, consiste en une broncho-pneumopathie chronique avec emphysème, se traduisant par une insuffisance respiratoire moyenne. Pour conclure à l'existence d'une telle insuffisance, et proposer en conséquence un taux d'invalidité de 55 %, qui a été retenu par le tribunal des pensions militaires de Haute-Corse dans son jugement du 8 juillet 2013 pour faire droit à la précédente demande de révision de M. B..., le médecin expert désigné par l'administration des pensions avait considéré le 29 février 2011 au terme d'un examen spirométrique, que l'intéressé présentait une VEMS évaluée à 36,5 % de la norme attendue, et une capacité vitale forcée à 65 % de la valeur théorique, sans calculer la capacité pulmonaire totale. 6. D'une part, M. B... ne peut utilement, ni se plaindre du taux de 55 % auquel sa pension militaire a été précédemment révisée par décision devenue définitive du ministre de la défense du 28 novembre 2013, en exécution du jugement du tribunal des pensions militaires de Haute-Corse du 8 juillet 2013, lui-même devenu définitif, ni soutenir que le taux d'invalidité retenu par la décision litigieuse pour refuser une nouvelle révision de sa pension serait contredit par les propositions de l'expert de la commission de réforme que le ministre n'était, en tout état de cause, pas tenu de suivre. 7. D'autre part, certes le rapport rendu le 17 janvier 2019 par cet expert médical, qui avait déjà examiné M. B... le 29 février 2011, conclut à l'aggravation de son insuffisance respiratoire, qu'il qualifie de grave, et propose à ce titre un taux d'invalidité supplémentaire de 10 %, portant le degré d'invalidité attachée à cette infirmité à 65 %, en relevant tout à la fois une dégradation de la capacité vitale forcée, et l'amélioration du VEMS, qui s'établit alors à 56 % de la valeur attendue, mais sans se prononcer sur sa capacité pulmonaire totale. Cependant, il ne résulte ni de ce document, ni du certificat de son médecin généraliste du 7 décembre 2017, ni d'aucune autre pièce médicale du dossier de M. B... que celui-ci présentait, au jour de sa demande de révision, une double aggravation des syndromes restrictif et obstructif dans des proportions correspondant, notamment selon les indications du guide-barème énoncées au point 4 dont l'intéressé ne remet pas en cause la pertinence, à une insuffisance respiratoire grave ou sévère, et qui justifiaient un taux d'invalidité supplémentaire d'au moins 10 %. Aucun des éléments de l'instruction ne montre en outre que M. B... souffrait, à la même date, d'une apnée du sommeil nécessitant un appareillage et d'une hypoxémie au repos. Si l'intéressé se prévaut des mentions du rapport d'expertise du 17 janvier 2019 mettant au jour une nette accentuation de la trame bronchovasculaire bilatérale à prédominance hilo-basale, ainsi qu'une dyspnée, il n'est ni établi ni allégué par celui-ci qu'il en résulterait pour lui une gêne fonctionnelle supplémentaire. 8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B..., dont l'argumentation relative à l'imputabilité au service de son infirmité est inopérante, compte tenu des motifs de la décision en litige et du présent arrêt, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à la révision de sa pension militaire d'invalidité. Sa requête d'appel doit donc être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction. DECIDE : Article 1er : La requête de M. B... est rejetée. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Pierre Caviglioli et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 5 septembre 2023, où siégeaient : - M. Marcovici, président, - M. Revert, président assesseur, - M. Martin, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2023. N° 22MA003842
Cours administrative d'appel
Marseille
CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 14/09/2023, 21BX02509, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion, d'une part, de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de La Réunion à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation de divers préjudices et, d'autre part, d'annuler la décision du 27 décembre 2019 par laquelle le directeur général du CHU l'a placée du 21 août au 19 décembre 2019 en congé de maladie non imputable au service, ainsi que la décision implicite par laquelle il a rejeté son recours gracieux reçu le 27 février 2020. Par un jugement n° 1901318, 2000479 du 12 mars 2021, le tribunal administratif de La Réunion, après avoir joint les deux demandes, a condamné le CHU de la Réunion à lui verser la somme de 9 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions. Procédure devant la cour : Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 juin 2021 et 10 mai 2023, Mme B..., représentée par Me Antelme, demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 12 mars 2021 ; 2°) de condamner le CHU de La Réunion à lui verser une indemnité de 80 000 euros ; 3°) d'annuler la décision du directeur général du CHU du 27 décembre 2019, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux ; 4°) de mettre à la charge du CHU de la Réunion la somme de 2 712,50 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - le jugement est irrégulier en ce que les premiers juges ont joint deux demandes qui n'étaient pas connexes et qui avaient des fondements et des objets différents, la première étant un recours indemnitaire, la seconde un recours en excès de pouvoir ; il s'est en outre abstenu de répondre à plusieurs moyens et conclusions dans les deux procédures ; - l'établissement a commis des fautes en la faisant travailler bien au-delà de la limite réglementaire, en ne cessant de la solliciter durant son arrêt de travail, en la convoquant à des expertises avec un médecin agréé qu'il a seul choisi et qu'il rémunère, et dont l'objectif était de la licencier pour inaptitude ou la mettre à la retraite pour invalidité, en la plaçant à demi-traitement, en ne lui communiquant pas le deuxième rapport d'expertise, son dossier médical et le procès-verbal de la commission de réforme, en ne répondant pas aux sollicitations de son médecin traitant ou d'elle-même, en ne régularisant pas son dossier auprès de la caisse générale de sécurité sociale et en ne tenant pas compte de sa situation de travailleuse handicapée ; l'employeur s'est abstenu de lui proposer un poste adapté alors qu'il a mentionné le 22 août 2019 comme date de reprise et qu'il a refusé les deux projets de formation qu'elle lui a proposés ; les éléments médicaux qu'elle produit démontrent une absence d'amélioration de son état, et même une dégradation ; - l'indemnisation allouée par le tribunal ne répare que l'incapacité permanente partielle qui lui a été reconnue au taux de 8 %, mais pas les autres postes de préjudice ; la dernière expertise comporte de nombreuses erreurs, et les pièces médicales qu'elle produit sont plus circonstanciées sur le lien direct entre ses lésions et l'accident de service, et remettent en cause tant la date de consolidation que la possibilité d'une reprise d'activité ; l'accident a réduit à néant ses perspectives de carrière et l'a atteinte moralement et physiquement, occasionnant un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ; la circonstance qu'elle ne remplirait pas les conditions de la rente viagère ou de l'allocation temporaire d'invalidité ne fait pas obstacle à la réparation des autres préjudices, dont l'évaluation ne saurait dépendre des seuls éléments avancés par l'employeur ; les certificats et attestations produits justifient la réalité de ses préjudices, qui ne résultent pas seulement d'une tendinite ; - la décision du 27 décembre 2019 est entachée d'un vice de procédure en ce qu'elle n'a pas eu accès à son dossier médical, pas plus que ne lui a été notifié l'avis de la commission de réforme ; - elle est également irrégulière en ce que la commission de réforme n'a pas à être saisie lorsque l'imputabilité au service d'un accident est reconnue par l'administration ; en outre, c'est au fonctionnaire de transmettre un certificat médical de consolidation, ainsi que le prévoit l'article 37-16 du décret du 30 juillet 1987 ; au vu des erreurs contenues dans l'expertise, l'hôpital aurait dû saisir un autre expert, et non pas la commission de réforme, ou engager une médiation ; - la décision est entachée d'une erreur d'appréciation au vu des éléments médicaux circonstanciés de son dossier qui démontrent l'absence de consolidation de son état de santé et l'impossibilité d'une reprise du travail. Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mars 2023, le CHU de la Réunion, représenté par Me Paraveman, conclut au rejet de la requête et demande, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en tant qu'il a alloué une indemnisation à Mme B..., en diminuant son montant. Il fait valoir que : - les règles de procédure ont été respectées ; la commission de réforme devait être obligatoirement consultée pour la détermination de l'incapacité permanente et la constatation officielle de la consolidation de la blessure ; au vu des arrêts de travail transmis par Mme B... après la date de consolidation de son état de santé et la fixation de sa date de reprise, l'établissement pouvait légalement consulter un médecin expert afin de se prononcer sur le caractère imputable ou non de ses arrêts ; - l'établissement n'a fait qu'appliquer les textes et il ne saurait lui être reproché d'avoir manifesté une animosité particulière ou d'avoir refusé une solution alternative ; - l'expertise médicale a conclu que les lésions de Mme B..., postérieures à la date de consolidation, ne pouvaient être imputées, de manière certaine, à son accident de service, évoquant la possibilité d'une hyper laxité ; c'est la raison pour laquelle ses arrêts de travail postérieurs à cette date n'ont pas été reconnus imputables au service, sans qu'il y ait de remise en cause de son état de santé, ni de contradiction avec la proposition de reprise du travail ; - aucune faute ne peut être reprochée, durant la période de congé maladie, à l'établissement qui a seulement vérifié son aptitude à une reprise et recherché un poste adapté ; Mme B... a eu une contre-visite du médecin agréé, plus d'un an après la reconnaissance de l'imputabilité au service de son accident, qui a conclu à la possibilité d'une reprise du travail ; elle a donc été vue par la médecine du travail, puis par ses supérieurs hiérarchiques ; en raison de la prolongation de ses arrêts de travail, elle a rencontré à nouveau le médecin agréé les 30 janvier et 11 mars 2019, et la commission de réforme a confirmé la possibilité d'une reprise sous restrictions ; l'intéressée a eu communication des décisions successives reconnaissant l'imputabilité au service de tous ses arrêts de travail, des convocations aux expertises et des conclusions des experts ; elle a été maintenue, au besoin après régularisation, à plein traitement durant la totalité de son congé maladie ; en vue de préparer un éventuel reclassement, l'avis des experts médicaux concernant l'aptitude de l'agent était nécessaire ; bénéficiaire de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, Mme B... dispose d'une protection renforcée, ce que l'établissement n'a pas ignoré ; - l'accident n'est pas davantage dû à des fautes de l'établissement, le temps de travail de l'agent ayant été conforme à la réglementation ; - l'hôpital n'a eu comme objectif que d'envisager la réintégration de l'intéressée sur un poste adapté à son état de santé, mais son propre comportement a ralenti les démarches, dès lors qu'elle n'a pas répondu à certaines sollicitations en considérant qu'elle avait le droit d'aller au terme des trois ans d'arrêt pour accident de service envisageables au regard de la réglementation ; - la responsabilité sans faute de l'établissement n'est pas davantage engagée ; ne remplissant pas les conditions d'une radiation des cadres ou d'une allocation temporaire d'invalidité, Mme B... ne peut obtenir réparation d'une perte de revenus ou d'une incidence professionnelle ; ses demandes de réparation de préjudices postérieurs à la date de consolidation de son état de santé ne peuvent qu'être rejetées, en l'absence de lien direct avec le service de sa lésion ; - le préjudice allégué, qu'elle n'identifie pas précisément, n'est, au vu du taux d'incapacité permanente partielle retenu à hauteur de 8 %, et du fait qu'elle ne conserve qu'une tendinopathie, ni avéré, ni justifié dans son montant. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code de la santé publique ; - la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ; - le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ; - le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ; - l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Olivier Cotte, - les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. Mme B..., aide-soignante au centre hospitalier universitaire (CHU) de La Réunion depuis septembre 2010, a été victime, le 25 novembre 2016, d'un accident, reconnu imputable au service, qui lui a occasionné un traumatisme de l'épaule droite. Par un courrier du 20 juin 2019, elle a demandé à son employeur de l'indemniser des agissements ou inactions dans la gestion de ses droits à congés, lui ayant occasionné des préjudices qu'elle évalue à 80 000 euros. Par une décision du 18 juillet 2019, le CHU a rejeté cette demande pour absence de faute. Par une décision du 27 décembre 2019, le CHU, après nouvelle expertise de son agent par le médecin agréé et avis de la commission de réforme du 27 juin 2019, a fixé la date de consolidation de la pathologie de Mme B... au 11 mars 2019, a reconnu comme imputables au service les arrêts de travail jusqu'au 20 août 2019, et a placé Mme B... à compter de cette date en congé de maladie ordinaire non imputable au service, à plein traitement pendant trois mois, puis à demi-traitement. 2. Mme B... a saisi le tribunal administratif de la Réunion de deux demandes, la première tendant à la condamnation du CHU à lui verser une indemnité de 80 000 euros en réparation des préjudices subis lors du traitement de ses arrêts de travail imputables au service, la seconde tendant à l'annulation de la décision du 27 décembre 2019 et de la décision implicite rejetant son recours gracieux. Après avoir joint ces deux demandes, le tribunal a condamné le CHU à lui verser une indemnité de 9 000 euros au titre des souffrances physiques et morales endurées et des troubles dans les conditions d'existence du fait de l'accident de service, et a rejeté le surplus des conclusions. Mme B... relève appel de ce jugement, tandis que le CHU de la Réunion demande, par la voie de l'appel incident, de le réformer afin de rejeter la demande d'indemnisation ou, à tout le moins, de réduire le montant des sommes allouées. Sur la régularité du jugement attaqué : 3. La circonstance que les premiers juges ont joint les deux demandes présentées par Mme B..., la première tendant à la condamnation du CHU à réparer son préjudice, la seconde tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une de ses décisions, n'est pas de nature, alors même qu'elles auraient un objet différent et n'auraient pas été connexes, à entacher leur jugement d'irrégularité. Sur les conclusions indemnitaires : En ce qui concerne la responsabilité pour faute du CHU : 4. Mme B... entend engager la responsabilité du CHU pour faute, en raison, d'une part, de ses conditions de travail ayant conduit à l'accident de service du 25 novembre 2016 et, d'autre part, des agissements de l'établissement lors de ses congés maladie ultérieurs. 5. Mme B... n'établit pas, par la seule production du planning de service du mois de novembre 2016, avoir effectué une durée de travail non conforme à la réglementation, qui aurait favorisé la survenue de l'accident de service. 6. Il résulte de l'instruction que l'imputabilité au service de l'accident survenu le 25 novembre 2016, ainsi que des arrêts de travail jusqu'au 24 janvier 2017, a été reconnue par le CHU par décision du 30 janvier 2017. Par des décisions des 29 juin 2018 et 7 mars 2019, l'établissement a également admis l'imputabilité au service des prolongations d'arrêt de travail jusqu'au 5 mars 2019. Si Mme B... estime avoir été trop souvent sollicitée par le CHU durant ses congés maladie, ces sollicitations se justifiaient par la nécessité pour l'administration de se prononcer sur l'imputabilité au service de ses arrêts pendant une durée totale de plus de deux ans, et la première contre-visite n'a été effectuée qu'un an après la reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident. Il appartenait également à l'administration de se prononcer sur la possibilité et les conditions d'une éventuelle reprise du travail, d'autant que le médecin du travail l'avait estimée, dans une fiche d'aptitude du 30 mai 2018, apte à la reprise du travail avec restrictions et aménagement du poste. L'établissement n'a pas davantage commis de faute en confiant le soin de réaliser une expertise de l'état de santé de Mme B..., à deux reprises, les 7 février 2018 et 30 janvier 2019, au même médecin spécialiste agréé, choisi dans le respect des dispositions du décret du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière. Si la première de ces expertises comporte des erreurs factuelles sur la situation de l'agent, celles-ci n'ont pas fait obstacle à la reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident et des arrêts de travail ultérieurs. 7. Mme B... ne peut sérieusement soutenir que l'établissement aurait méconnu sa qualité de travailleuse handicapée, qui lui a été reconnue le 19 juin 2018, et commis une faute en ne lui proposant pas de poste adapté à son état de santé, dès lors que durant toute cette période courant jusqu'au 20 août 2019, et malgré les conclusions du médecin agréé du 7 février 2018 favorables à une reprise, elle a été placée en congé de maladie imputable au service et n'a pas repris le travail. Son état de santé a également justifié le refus de ses deux demandes de formation pour devenir infirmière diplômée d'Etat ou " permanencière ". 8. Si elle a perçu un demi-traitement pour le mois de juin 2018, cette erreur de liquidation a fait l'objet d'une régularisation, et Mme B... n'établit pas avoir subi un quelconque préjudice de ce fait. 9. La circonstance que le médecin agréé n'a pas communiqué son rapport d'expertise du 30 janvier 2019, malgré une demande de Mme B... par l'intermédiaire de son médecin traitant le 2 mars 2019, n'est pas de nature à caractériser une faute de l'établissement, dès lors que ce document n'est pas adressé à l'employeur, qui n'est destinataire que des conclusions de la commission de réforme. L'employeur ne dispose pas davantage du dossier médical de l'intéressée. 10. Enfin, si Mme B... s'est vu réclamer, en mars 2019, par la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion, un indu de prestations pour un montant de 438,97 euros, pour des actes médicaux réalisés en décembre 2016 et mai 2017, au motif de leur absence de justification par un accident de service, cette erreur n'est pas imputable au CHU, dès lors qu'il ressort d'un courrier de cette même caisse qu'elle disposait, à la date du 7 septembre 2018, des documents relatifs à l'accident de service du 25 novembre 2016. 11. Il s'ensuit que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le CHU aurait commis des fautes dans la gestion de son temps de travail et de ses congés de maladie. En ce qui concerne la responsabilité sans faute du CHU : 12. Du fait de l'accident de service dont elle a été victime le 25 novembre 2016 dont elle conserve une incapacité permanente partielle évaluée à 8 %, Mme B... a subi des souffrances, tant physiques que morales, les documents médicaux produits au dossier attestant de l'existence, depuis lors, d'une dépression sévère. La circonstance que le médecin agréé n'ait pu affirmer de manière certaine que les souffrances postérieures à la consolidation, qu'il a fixée au mois de mars 2019, seraient en lien avec l'accident ne permet pas de douter d'un tel lien au regard de l'ensemble des pièces médicales produites au dossier. L'instabilité de son épaule droite empêche également Mme B... d'exercer les activités de bricolage, de pêche et d'équitation auxquelles elle s'adonnait auparavant, ainsi qu'en témoignent ses proches. Dans ces conditions, le préjudice personnel, suffisamment établi, dont elle est fondée à demander réparation, peut être évalué dans sa globalité à la somme de 14 000 euros. 13. Il résulte de ce qui précède que la somme que le CHU de la Réunion a été condamné à verser à Mme B... par le tribunal doit être portée de 9 000 euros à 14 000 euros. Sur la légalité de la décision du 27 décembre 2019 : 14. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa rédaction alors applicable : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de la maladie ou de l'accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales. (...) ". 15. Aux termes de l'article 16 du décret du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière, dans sa rédaction alors applicable : " La commission départementale de réforme des agents des collectivités locales est obligatoirement consultée si la maladie provient de l'une des causes prévues au deuxième alinéa du 2° de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 susvisée. / Lorsque l'administration est amenée à se prononcer sur l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident, elle peut, en tant que de besoin, consulter un médecin expert agréé. (...) ". Aux termes de l'article 31 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, dans sa rédaction alors applicable : " Une commission de réforme est constituée dans chaque département pour apprécier la réalité des infirmités invoquées, la preuve de leur imputabilité au service, les conséquences et le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions. / (...) / L'avis de la commission de réforme est communiqué au fonctionnaire sur sa demande. (...) ". Aux termes de l'article 16 de l'arrêté du 4 août 2004 susvisé : " (...) Dix jours au moins avant la réunion de la commission, le fonctionnaire est invité à prendre connaissance, personnellement ou par l'intermédiaire de son représentant, de son dossier, dont la partie médicale peut lui être communiquée, sur sa demande, ou par l'intermédiaire d'un médecin ; il peut présenter des observations écrites et fournir des certificats médicaux. " 16. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées que l'administration est tenue de saisir la commission de réforme pour apprécier l'imputabilité au service des infirmités de l'agent, les conséquences et le taux d'invalidité qu'elles entraînent et l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions. Si Mme B... se prévaut des dispositions du dernier alinéa de l'article 16 de ce décret, selon lesquelles " La commission de réforme n'est pas consultée lorsque l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident est reconnue par l'administration ", ces dispositions ne font pas obstacle à la saisine de la commission lorsque l'administration envisage de refuser de reconnaître imputables au service les prolongations d'un arrêt de travail consécutif à un accident de service, comme en l'espèce. 17. Avant de se prononcer sur l'imputabilité au service des prolongations d'arrêt de travail présentées par Mme B... et de saisir la commission de réforme, le CHU de La Réunion a consulté, ainsi qu'il lui était loisible de le faire en application de l'article 16 du décret du 19 avril 1988 précité, un médecin expert agréé qui a rendu un rapport d'expertise le 12 mars 2019. Si Mme B... a critiqué, dans un courrier adressé au CHU le 20 juin 2019, l'expertise de ce médecin agréé qui l'avait déjà vue à deux reprises les 7 février 2018 et 30 janvier 2019, aucune disposition n'imposait à l'administration, avant de solliciter la commission de réforme, d'obtenir l'avis d'un autre médecin expert agréé. Par ailleurs, la circonstance que le CHU n'ait pas donné suite à la proposition de médiation de Mme B... est sans incidence sur la régularité de la procédure. 18. Il ressort des mentions de l'avis de la commission de réforme du 27 juin 2019 que Mme B... a été invitée à prendre connaissance de son dossier et a comparu devant la commission. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que l'intéressée a transmis à la commission de réforme trois pièces, un courrier d'un praticien hospitalier en chirurgie orthopédique et traumatologique du 13 juin 2019, un compte-rendu de consultation au centre de rééducation de Sainte-Clotilde du 28 mai 2019 et la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé en date du 19 juin 2018. Si Mme B... soutient qu'elle n'a pas eu accès à son dossier médical, elle n'apporte aucun élément qui démontrerait qu'il n'aurait pas été fait droit à une demande préalable à l'édiction de la décision en litige. Par ailleurs, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que Mme B... aurait sollicité, ainsi que le lui permet l'article 31 du décret du 26 décembre 2003 précité, la communication de l'avis de la commission de réforme avant l'édiction de la décision contestée. 19. Il s'ensuit que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que cette décision aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière. 20. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que l'accident de service dont a été victime Mme B... lui a occasionné une instabilité de l'épaule droite, avec une subluxation postérieure de la tête humérale, mais sans lésion de la coiffe des rotateurs. Le médecin spécialiste agréé qui l'a examinée le 12 mars 2019 à la demande du CHU a estimé que l'écoulement du temps depuis l'accident, la stabilité des lésions et l'absence de soins autres que chirurgical qui seraient de nature à conduire à une amélioration justifiaient que son état de santé soit regardé comme consolidé à la date de l'expertise, et qu'une reprise du travail était possible à mi-temps thérapeutique, sur un poste adapté pour tenir compte des séquelles afin d'éviter le port de charges lourdes et le travail en hauteur au-dessus de l'horizontale. Les certificats du médecin traitant de l'intéressée, d'un praticien hospitalier en chirurgie orthopédique et traumatologique du CHU et d'un médecin de médecine physique et de réadaptation du centre de rééducation de Saint-Clotilde, qui font état de la nécessité de poursuivre les séances de kinésithérapie, ainsi qu'une psychothérapie et un traitement médicamenteux pour traiter sa dépression, n'apportent pas de précisions sur les possibilités d'évolution de l'état de santé de l'intéressée. Par suite, ils ne sont pas de nature à remettre en cause la date de consolidation retenue par l'administration, pas plus que la possibilité de reprendre le travail sur un poste adapté à son état de santé et à sa qualité de travailleur handicapé, ainsi que l'a d'ailleurs reconnu la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées par décision du 19 juin 2018. 21. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision du 27 décembre 2019 serait entachée d'illégalités. 22. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à demander que la somme que le CHU de La Réunion a été condamné à lui verser soit portée de 9 000 euros à 14 000 euros. Sur les frais liés au litige : 23. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de La Réunion une somme de 1 500 euros à verser à Mme B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. DÉCIDE : Article 1er : La somme que le CHU de La Réunion a été condamné à verser à Mme B... est portée de 9 000 euros à 14 000 euros. Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 12 mars 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt. Article 3 : Le CHU versera à Mme B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté. Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au centre hospitalier universitaire de La Réunion. Délibéré après l'audience du 29 août 2023 à laquelle siégeaient : Mme Catherine Girault, présidente, Mme Anne Meyer, présidente assesseure, M. Olivier Cotte, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 septembre 2023. Le rapporteur, Olivier Cotte La présidente, Catherine Girault La greffière, Virginie Guillout La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2 N° 21BX02509
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 14/09/2023, 21BX02779, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. B... D... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 3 septembre 2020 de la commission de recours de l'invalidité rejetant son recours administratif préalable à l'encontre de la décision du 12 novembre 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité, d'annuler la décision du 12 novembre 2019, et de lui attribuer le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au taux de 85 %. Par un jugement n° 2000568 du 17 mai 2021, le tribunal a annulé la décision de la commission de recours de l'invalidité du 3 septembre 2020 et a attribué à M. D... une pension militaire d'invalidité au taux de 85 % à compter du 9 décembre 2013. Procédure devant la cour : Par une requête enregistrée le 29 juin 2021 et un mémoire enregistré le 18 juillet 2022, le ministre des armées demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal. Il soutient que : - le jugement est insuffisamment motivé en ce qu'il n'explique pas en quoi les troubles moteurs et sensitifs de la tétraparésie seraient imputables en totalité à l'accident de service et les autres pour moitié ; - le tribunal, qui a indiqué que le docteur C... concluait à un lien direct entre l'aggravation de l'état de santé de M. D... et l'accident du 15 novembre 2011 pour la totalité des troubles moteurs et sensitifs de la tétraparésie, n'a pas tenu compte de l'état antérieur pour fixer à 60 % le taux d'invalidité correspondant à ces troubles, ce qui entache le jugement d'une contradiction de motifs ; - les taux imputables retenus par le tribunal sont de 60 % pour les troubles moteurs et sensitifs de la tétraparésie, de 15 % pour les troubles digestifs, de 10 % pour les troubles urinaires et de 5 % pour les troubles sexuels, ce dernier taux inférieur à 10 % n'ouvrant pas droit à pension ; ainsi, le taux global d'invalidité calculé en application des règles fixées à l'article L. 14 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre n'est pas de 85 %, mais de 74,4 % arrondis à 75 % ; - comme l'explique l'avis du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité (PMI) du 17 septembre 2019, confirmé par l'avis de la commission consultative médicale du 27 septembre 2019, la tétraparésie et les troubles digestifs, urinaires et sexuels sont en relation avec l'évolution propre de la syringomyélie, maladie dégénérative qui s'était déjà manifestée sous une forme sensitive au membre supérieur droit (hypoesthésie) depuis 2005 ; si le docteur C... conclut à l'accélération de l'aggravation de la symptomatologie du fait de l'évènement du 15 novembre 2011, il ne fait pas état d'une aggravation objective en lien avec cet évènement, et la preuve de l'imputabilité au service ne saurait résulter d'une probabilité, d'une vraisemblance ou d'une simple hypothèse médicale ; ainsi, les infirmités n'ouvrent pas droit à pension. Par des mémoires en défense enregistrés les 22 novembre 2021 et 19 février 2023, M. D..., représenté par Me Lewis, conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que la réformation du jugement soit limitée au taux d'invalidité en le ramenant de 85 % à 80 %, et dans tous les cas à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il fait valoir que : - l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre cité par le jugement prévoit qu'en cas d'aggravation par le fait du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, la pension est établie sur le pourcentage total de l'infirmité aggravée s'il est égal ou supérieur à 60 % ; tel est le cas, puisque le seul pourcentage de l'infirmité relative aux troubles neurologiques à type de tétraparésie est égal à 60 % ; il n'y a donc pas lieu de distinguer l'état antérieur de l'aggravation ; - l'expert a conclu à l'attribution d'un taux de 85 %, auquel l'administration a acquiescé, se décomposant en 60 % pour la partie motrice et sensitive de la tétraparésie en lien avec la syringomyélie et 50 % des signes associés ; si la cour estimait que le taux de 85 % est erroné, les troubles sexuels, qui doivent être majorés de 15 % en application de l'article L. 14 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, doivent être pris en compte au taux de 15 % et non de 5 % comme le soutient l'administration, de sorte que le taux global d'invalidité calculé conformément à l'article L. 14 ne serait pas de 75 %, mais de 80 % ; - l'accident du 15 novembre 2011 reconnu imputable au service est en lien direct avec l'aggravation et l'accélération de la symptomatologie, et les conclusions du rapport d'expertise ne sont pas contredites par les avis non circonstanciés du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité (PMI) et de la commission consultative médicale, alors au demeurant que le livret médical ne faisait état d'aucun symptôme d'évolution de la maladie avant l'accident, contrairement à ce qu'indique le médecin chargé des PMI ; - alors qu'il avait toujours été reconnu apte au service sans restriction, les symptômes de la syringomyélie sont apparus brutalement après l'accident du 15 novembre 2011 ; la syringomyélie est une maladie silencieuse qui peut devenir dégénérative à la suite d'un traumatisme, ce qui a été le cas. Par ordonnance du 18 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 18 février 2023. Un mémoire présenté par le ministre des armées a été enregistré le 6 mars 2023. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme A..., - et les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. M. D..., engagé dans l'armée de terre le 11 septembre 1988 et radié des contrôles le 8 août 2016 au grade de sergent-chef, a déposé une demande de pension militaire d'invalidité enregistrée le 9 décembre 2013 pour les infirmités de troubles neurologiques à type de tétraparésie, de troubles digestifs, de troubles urinaires et de troubles sexuels, toutes en lien avec une syringomyélie aggravée par un accident de service du 15 novembre 2011. Après avoir fait réaliser une expertise médicale, dont le rapport a conclu que cet accident avait directement aggravé une syringomyélie préexistante et était à l'origine d'un taux global d'invalidité de 85 %, la ministre des armées a rejeté la demande de M. D... par une décision du 12 novembre 2019, au motif que la syringomyélie, affection dégénérative étrangère au service, aurait évolué pour son propre compte et n'aurait pas été aggravée par l'accident du 15 novembre 2011. M. D... a saisi le tribunal administratif de la Martinique d'une demande d'annulation de cette décision, ainsi que de la décision de rejet de son recours préalable obligatoire devant la commission de recours de l'invalidité, et a sollicité l'attribution d'une pension militaire d'invalidité au taux de 85 %. Après avoir rejeté comme irrecevables les conclusions à fin d'annulation de la décision de la ministre des armées, à laquelle s'était substituée la décision de la commission de recours de l'invalidité du 3 septembre 2020, le tribunal, par un jugement du 17 mai 2021, a annulé cette dernière décision et a attribué à M. D... le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au taux de 85 % à compter du 9 décembre 2013. Le ministre des armées relève appel de ce jugement. Sur la régularité du jugement : 2. Le jugement relève en son point 12 que M. D..., atteint d'une maladie dégénérative étrangère au service sans aucune restriction d'activité, ayant seulement donné lieu à des symptômes de fourmillements et de perte de sensibilité du membre supérieur droit en 2006, a vu son état de santé se dégrader brutalement après avoir déplacé une remorque dans le cadre du service le 15 novembre 2011, ce qui lui avait causé une vive douleur au bas du dos, suivie de picotements et de sueurs froides. Il décrit cette évolution défavorable, caractérisée par une tétraparésie ainsi que par des troubles urinaires, digestifs et sexuels, et fait référence au rapport d'expertise du 4 juillet 2019 ayant conclu à l'existence d'un lien direct entre l'aggravation de l'état de santé préexistant et l'accident du 15 novembre 2011 pour la totalité des troubles moteurs et sensitifs de la tétraparésie, et pour la moitié des autres troubles. Alors que le jugement rappelle également les dispositions selon lesquelles, si le pourcentage total de l'infirmité aggravée est égal ou supérieur à 60 %, la pension est établie sur ce pourcentage, il a suffisamment motivé la part d'imputabilité à l'accident de service des différentes infirmités. La contradiction de motifs invoquée par le ministre des armées relève du bien-fondé, et non de la régularité du jugement. Sur le droit à pension de M. D... : En ce qui concerne l'imputabilité au service de l'aggravation de la syringomyélie : 3. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicable à la date de la demande de pension : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / (...) / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; / (...). " Une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine consécutive à un fait précis de service. 4. L'expert a retenu que la syringomyélie était antérieure à l'accident du 5 novembre 2011, en précisant que les premiers symptômes de cette maladie avaient été des signes sensitifs à la main droite notés fin 2005, alors rattachés à une névralgie cervicobrachiale, et qu'une IRM médullaire réalisée le 25 septembre 2006 avait permis de visualiser une cavité syringomyélique de C6 à D6. Si l'expert a cité un médecin évoquant au conditionnel, le 2 mai 2006, des troubles sensitifs du pied gauche, il n'a retrouvé au dossier médical aucun autre symptôme antérieur à l'accident, et notamment pas de troubles urinaires, sexuels ou digestifs, et a relevé que M. D... avait continué, avant le 5 novembre 2011, à courir, à pratiquer " tous les sports militaires ", et à exercer son métier sans aucune restriction d'activité. Les lésions constatées le 24 novembre 2011 étaient des troubles de la sensibilité diffus, une hyperesthésie ou douleur de l'avant-bras droit et des troubles sensitifs des deux jambes. De nouveaux symptômes, parmi lesquels un déficit de sensibilité thermoalgique de la jambe droite et une hypoesthésie de la zone paravertébrale, ont été décrits le 16 décembre 2011, et le 11 octobre 2013, l'état clinique était notamment caractérisé par des dysesthésies des membres inférieurs, des problèmes digestifs et urinaires et une instabilité à la marche. En s'appuyant sur ces éléments, l'expert a constaté que les troubles sensitifs décrits fin 2005, qui n'avaient plus été signalés jusqu'à l'accident du 5 novembre 2011, s'étaient, à partir de celui-ci, rapidement aggravés, globalisés et accompagnés de nouveaux symptômes sexuels, urinaires, de constipation et d'instabilité à la marche. Alors qu'il résulte de l'instruction que les symptômes de la syringomyélie, maladie dégénérative d'apparition lente, peuvent progresser rapidement en raison d'un traumatisme de la colonne vertébrale, l'expert n'a pas évoqué une probabilité, une vraisemblance ou une simple hypothèse médicale, mais s'est fondé sur des faits objectifs, médicalement constatés et concordants pour conclure à une aggravation de la lésion préexistante de syringomyélie imputable à l'accident de service, lequel était un traumatisme de la colonne vertébrale causé par le déplacement d'une remorque. L'avis du médecin chargé des pensions militaires du 17 septembre 2019 relève l'existence de symptômes de la syringomyélie antérieurement à l'accident de service, et celui de la commission consultative médicale du 27 septembre 2019 affirme que la syringomyélie n'est pas en relation médicale avec le service, ce qui ne contredit pas l'expertise. En se référant à nouveau à ces avis dont il s'était prévalu en première instance, le ministre des armées ne conteste pas utilement l'aggravation par l'accident de service de la syringomyélie étrangère au service. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal, qui n'a entaché son jugement d'aucune contradiction de motifs, a retenu, en suivant les conclusions de l'expertise, que la totalité des troubles moteurs et sensitifs de la tétraparésie et la moitié des troubles digestifs, urinaires et sexuels résultaient d'une aggravation de la maladie dégénérative, causée par le fait ou à l'occasion du service. En ce qui concerne le taux de la pension : 5. Aux termes de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre applicable au litige : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples. / En cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions définies aux alinéas précédents. / Toutefois, si le pourcentage total de l'infirmité aggravée est égal ou supérieur à 60 %, la pension est établie sur ce pourcentage. " Aux termes de l'article L. 14 du même code : " Dans le cas d'infirmités multiples dont aucune n'entraîne l'invalidité absolue, le taux d'invalidité est considéré intégralement pour l'infirmité la plus grave et pour chacune des infirmités supplémentaires, proportionnellement à la validité restante. / A cet effet, les infirmités sont classées par ordre décroissant de taux d'invalidité. / Toutefois, quand l'infirmité principale est considérée comme entraînant une invalidité d'au moins 20 %, les degrés d'invalidité de chacune des infirmités supplémentaires sont élevés d'une, de deux ou de trois catégories, soit de 5, 10, 15 %, et ainsi de suite, suivant qu'elles occupent les deuxième, troisième, quatrième rangs dans la série décroissante de leur gravité. / (...). " Enfin, l'article L.125-3 du même code précise que " Quand l'invalidité est intermédiaire entre deux échelons, l'intéressé bénéficie du taux afférent à l'échelon supérieur. " 6. L'expert a fixé les taux d'invalidité à 60 % pour la partie motrice et sensitive de la tétraparésie, 30 % pour les troubles digestifs, 20 % pour les troubles urinaires et 10 % pour les troubles sexuels, et a retenu comme imputables à l'accident de service les 60 % de la partie motrice et sensitive de la tétraparésie, ainsi que 50 % des signes associés, ce qui n'est pas contesté. Les troubles sexuels imputables n'atteignant ainsi que 5 %, ils ne peuvent être pris en considération au sens des dispositions précitées, et le relèvement des degrés d'invalidité ne leur est donc pas applicable. Par suite, il y a lieu de retenir, pour calculer le taux global de la pension de M. D..., les infirmités et taux suivants : 1°) tétraparésie avec troubles moteurs et sensitifs : 60 % ; 2°) troubles digestifs : 15 % + 5 % ; 3°) troubles urinaires : 10 % + 10 %. La prise en compte successive de ces infirmités, proportionnellement à la validité restante, aboutit à un taux d'invalidité de 74,4 %. Ce taux étant intermédiaire entre deux échelons, M. D... a droit à une pension d'invalidité au taux global de 75 %. 7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre des armées est seulement fondé à demander que le taux de la pension militaire d'invalidité attribuée à M. D... à compter du 9 décembre 2013 par le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 17 mai 2021 soit ramené de 85 % à 75 %. Sur les frais exposés à l'occasion du litige : 8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. DÉCIDE : Article 1er : Le taux de la pension militaire d'invalidité attribuée à M. D... à compter du 9 décembre 2013 est ramené de 85 % à 75 %. Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique n° 2000568 du 17 mai 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt. Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté. Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. B... D.... Délibéré après l'audience du 29 août 2023 à laquelle siégeaient : Mme Catherine Girault, présidente, Mme Anne Meyer, présidente-assesseure, M. Olivier Cotte, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023. La rapporteure, Anne A... La présidente, Catherine GiraultLa greffière, Virginie Guillout La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2 N° 21BX02779
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 14/09/2023, 21TL03733, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 5 février 2018 de la ministre des armées portant rejet de sa demande de pension militaire d'invalidité du 1er avril 2016 pour ses acouphènes et hypoacousie, et d'enjoindre à l'administration de lui accorder des taux d'invalidité de 10 et 25 %. Par un jugement n° 1905985 du 30 juin 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête, enregistrée le 30 août 2021 sous le n° 21MA03733 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL03733, et un mémoire enregistré le 8 juillet 2022, M. A... E..., représenté par Me Mesans-Conti, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement du 30 juin 2021 ; 2°) d'annuler la décision du 5 février 2018 de la ministre des armées ; 3°) d'enjoindre à l'administration de lui accorder une pension militaire d'invalidité aux taux de 25% et 10% pour chacune des infirmités, à compter du 1er avril 2016 ; 4°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens ainsi que la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - la preuve de l'imputabilité au service des infirmités dont il souffre est établie, dès lors que la perte auditive et les acouphènes bilatéraux résultant de l'affrontement du 8 mars 2003 ont été déclarés blessures de guerre par un certificat d'homologation du 19 octobre 2018 ; - la présomption d'imputabilité est applicable, les deux conditions énoncées à l'article L. 121-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre étant remplies ; - le tribunal n'a pas répondu à ce moyen soulevé dans ses écritures ; - le jugement est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 121-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction entrée en vigueur à compter du 15 juillet 2018 alors que la décision a été prise antérieurement ; - les deux infirmités dont il souffre atteignent un taux d'invalidité atteignant ou dépassant 10%, il est fondé à se voir attribuer une pension calculée conformément aux dispositions des articles L. 121-5 et suivants et R. 121-5 et suivants du code précité. Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 mai 2022 et 11 avril 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que la décision a été prise dans le respect des dispositions des articles L. 2, L. 3, L. 4 et L. 5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre dans ses dispositions applicables au litige. Par ordonnance du 12 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 22 mai 2023. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure, - les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique, - et les observations de Me Mesans-Conti, représentant M. E.... Considérant ce qui suit : 1. M. E..., né le 17 décembre 1975 au Chili, qui s'est engagé dans la Légion étrangère à compter du 1er juin 2001 et a été rayé des contrôles le 1er juin 2021, a sollicité le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité le 1er avril 2016 au titre de trois infirmités concernant une hypoacousie bilatérale, des acouphènes bilatéraux permanents et des séquelles de traumatisme de la cheville gauche. Par décision du 5 février 2018 prise après expertise médicale, la ministre des armées a rejeté sa demande. Par jugement du 12 mars 2019, le tribunal des pensions militaires de Montpellier a, avant-dire droit, ordonné une expertise judiciaire, avant de transmettre la demande de M. E... au tribunal administratif de Montpellier en application du décret du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité. L'expert désigné a déposé son rapport le 23 mars 2021. Par un jugement du 30 juin 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 février 2018 et à ce qu'il lui soit accordé une pension militaire d'invalidité aux taux de 10 et 25 % au titre des acouphènes et de l'hypoacousie bilatérale. M. E... relève appel de ce jugement. Sur la régularité du jugement : 2. Il résulte des termes du jugement attaqué, qu'après avoir fait mention au point 3 du principe selon lequel lorsque la présomption légale d'imputabilité n'est pas applicable, le demandeur d'une pension doit rapporter la preuve de l'existence d'une relation de causalité médicale certaine et directe entre l'origine ou l'aggravation de l'infirmité qu'il invoque et un ou des faits précis ou circonstances particulières de service, le tribunal administratif de Montpellier a statué, au point 4 du jugement contesté, sur le moyen tiré de la présomption d'imputabilité en l'écartant en raison de l'absence de preuve de la filiation médicale entre les infirmités et l'incident survenu le 8 mars 2003. Par suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une omission à statuer sur ce point. Sur les droits à pension : 3. Aux termes de l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable à la date de la demande de pension, la pension militaire d'invalidité est attribuée sur demande de l'intéressé et son entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. Aux termes de l'article L. 2 du même code : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. (...) ". L'article L. 9 de ce code renvoie à un décret le soin de fixer " les règles et barèmes pour la classification des infirmités d'après leur gravité ". Aux termes de l'article L. 26 de ce code : " Toute décision administrative ou judiciaire relative à l'évaluation de l'invalidité doit être motivée par des raisons médicales et comporter, avec le diagnostic de l'infirmité, une description complète faisant ressortir la gêne fonctionnelle et, s'il y a lieu, l'atteinte de l'état général qui justifient le pourcentage attribué ". Pour l'application de ces dispositions, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service. Dans le cas contraire, elle doit être regardée comme résultant d'une maladie. 4. En outre, l'article L. 3 du même code dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; (...) 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. (...) La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, (...) soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas (...) ". 5. Il résulte des dispositions des articles L. 2 et L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre citées précédemment, dans leur rédaction applicable au litige, que le demandeur d'une pension, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité au service, doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle. 6. M. E..., qui a servi dans la Légion étrangère jusqu'au 1er juin 2021, soutient avoir été exposé à un traumatisme sonore le 8 mars 2003, dans le cadre de l'opération " Licorne " en Côte d'Ivoire, au cours de laquelle sa section a été prise à partie par un groupe de rebelles. L'affrontement a donné lieu à un tir nourri d'armes automatiques auquel il a riposté, en sa qualité de tireur antichar très courte portée. Il expose qu'à l'issue des combats, il a souffert de sifflements aigus des oreilles et d'une baisse de l'audition. Selon les conclusions de l'expert médical qui a remis son rapport le 27 septembre 2017, M. E... est atteint d'une perte auditive dont le taux d'invalidité est évalué à 25% et d'acouphènes au taux de 10%. Pour dénier à M. E... un droit à pension au titre de ces infirmités, la ministre des armées a considéré, d'une part, que la preuve d'imputabilité n'était pas établie, en l'absence d'un état médical contemporain du fait de service et, d'autre part, que la présomption d'imputabilité ne pouvait s'appliquer dès lors que les infirmités n'ont pas été constatées pendant une période ouvrant droit à ce bénéfice. Le requérant soutient que le docteur D... a établi un certificat médical de constatations le 8 mars 2003, posant un diagnostic de traumatisme sonore bilatéral, dont la mention a été portée sur son livret médical, et qu'un rapport circonstancié a ensuite été établi par le capitaine B... le 14 mars 2003. Il se prévaut en outre du rapport établi le 6 mai 2003 par le colonel C..., commandant le 2ème régiment étranger de parachutistes, sur la base du certificat médical de constatations du 8 mars 2003 et du rapport circonstancié du 14 mars 2003. Il résulte toutefois des conclusions de l'expert désigné par le tribunal des pensions militaires de Montpellier, qui a remis son rapport le 23 mars 2021, qu'un lien de causalité formelle ne peut être établi entre les infirmités de M. E... et l'accident du 8 mars 2003. L'expert a en effet relevé plusieurs incohérences et anomalies dans le dossier médical de l'intéressé. Ainsi, alors que la consultation médicale du docteur D... en date du 8 mars 2003 ne figure pas dans le livret médical et n'est pas signée par ledit médecin, il a pu constater sur la photocopie qu'il existait un " copier photocopie " avec une superposition de documents différents. En outre, cette consultation n'a donné lieu à aucune exploration audiométrique et le même médecin a indiqué dans le livret médical de l'intéressé, le 13 mars 2003, à l'occasion de la fin de l'opération extérieure " Licorne ", que celui-ci n'avait bénéficié d'aucune consultation et n'avait pas de doléance, en apposant la mention " RAS ". Alors que M. E... a été déclaré apte à la plongée en 2004, sans baisse d'audition ni acouphènes un an après l'accident, aucune visite médicale figurant dans son livret médical jusqu'en 2015 ne fait référence aux traumatismes en cause. Il relève que l'intéressé, qui a intégré un peloton de parachutistes jusqu'en 2008 puis des régiments d'infanterie jusqu'à sa radiation des contrôles le 1er juin 2021, n'a bénéficié d'examens audiométriques qu'à trois reprises les 30 mai 2011 et 13 août 2012 alors qu'il était en mission à Kourou (Guyane), et le 28 juillet 2015, lesquels révèlent un déficit auditif. Ainsi, au regard de l'intervalle de huit ans qui s'est écoulé entre l'accident supposé responsable et la première consultation pour déficit auditif en 2011, des mentions figurant sur son livret médical et des anomalies figurant dans son dossier médical, l'imputabilité des infirmités avec l'accident survenu le 8 mars 2003 ne peut être tenue pour établie. M. E... ne peut utilement se prévaloir du certificat d'homologation de blessure de guerre en date du 16 octobre 2018 concernant les faits survenus le 8 mars 2003, en l'absence de constat médical des séquelles ayant résulté de cet accident, ainsi qu'il résulte de ce qui vient d'être exposé. Dans ces conditions, alors que M. E... ne peut prétendre au bénéfice de la présomption d'imputabilité, il ne résulte pas de l'instruction que les infirmités dont il souffre concernant sa perte auditive et ses acouphènes soient imputables au service. 7. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Sur les frais liés au litige : 8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 797 euros, à la charge définitive de l'Etat. 9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. E... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. D E C I D E : Article 1er : La requête de M. E... est rejetée. Article 2 : Les frais et honoraires de l'expert désigné par le tribunal régional des pensions militaires de Montpellier, taxés et liquidés à la somme de 797 euros, sont laissés à la charge définitive de l'Etat. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 31 août 2023, à laquelle siégeaient : Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre, Mme Blin, présidente assesseure, M. Teulière, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023. La rapporteure, A. Blin La présidente, A. Geslan-Demaret La greffière, M-M. Maillat La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. N° 21TL03733 2
Cours administrative d'appel
Toulouse
CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 14/09/2023, 21TL23718, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme D... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 22 novembre 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité et de faire droit à sa demande de pension au titre de son syndrome anxiodépressif à un taux d'invalidité minimum de 30%, avec effet à compter du 7 octobre 2016, date de sa demande. Par un jugement n° 1906504 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête, enregistrée le 16 septembre 2021 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux sous le n°21BX03718, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n°21TL23718, et un mémoire enregistré le 24 mai 2022, Mme D... A... épouse B..., représentée par Me Brangeon, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement du 6 juillet 2021 ; 2°) d'annuler la décision du 22 novembre 2018 de la ministre des armées ; 3°) de lui octroyer une pension militaire d'invalidité avec effet rétroactif au 7 octobre 2016 ; 4°) de mettre à la charge de l'Etat au profit de son conseil la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 alinéa de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat. Elle soutient que : - un taux d'invalidité de 30% doit lui être attribué, ainsi que l'a estimé l'expert judiciaire ; elle remplit bien la première condition nécessaire à l'ouverture du droit à pension ; - les troubles psychologiques à l'origine de sa maladie sont en lien direct avec son exercice professionnel extrêmement sollicitant et avec le vécu d'un événement traumatisant, le suicide d'un collègue dont elle était proche ; l'existence de ce lien direct et certain entre les troubles anxiodépressifs et le service a été confirmée par l'expert judiciaire. Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 avril et 24 juin 2022, la ministre des armées conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que l'infirmité de la requérante n'est pas imputable au service pour défaut de preuve et de présomption. Par ordonnance du 27 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 26 août 2022. Mme A... épouse B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 7 octobre 2021. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; - la loi n° 97-641 du 10 juillet 1991 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure, - et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. Mme A... épouse B..., née le 25 septembre 1968, a servi en tant que maréchal des logis-chef au sein de la gendarmerie nationale jusqu'à sa radiation des cadres le 13 juillet 2021. Le 7 octobre 2016, elle a sollicité l'octroi d'une pension militaire d'invalidité au titre d'un état dépressif sévère dans un contexte de surmenage professionnel décompensé après le suicide d'un collègue de travail. Par une décision du 22 novembre 2018 prise après expertise et avis des organismes consultatifs, la ministre des armées a rejeté cette demande au motif que l'infirmité " Syndrome anxiodépressif. Phobies " était évaluée au taux de 20%, inférieur au minimum indemnisable requis de 30% pour l'ouverture d'un droit à pension en cas de maladie contractée en temps de paix. Par jugement du 8 juillet 2019, le tribunal des pensions militaires d'Agen a, avant-dire droit, ordonné une expertise judiciaire, avant de transmettre la demande de Mme A... épouse B... au tribunal administratif de Toulouse en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité. L'expert désigné a déposé son rapport le 13 mars 2020. Par jugement du 6 juillet 2021 dont Mme A... épouse B... relève appel, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Sur le bien-fondé du jugement : 2. Aux termes de l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable à la date de la demande de pension, la pension militaire d'invalidité est attribuée sur demande de l'intéressé et son entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. Aux termes de l'article L. 2 du même code : " Ouvrent droit à pension : (...) 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / (...) 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / (...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. (...) 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; (...) ". Il résulte de ces dispositions que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. 3. Il résulte des dispositions précitées du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans leur rédaction applicable au litige, que le demandeur d'une pension, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité au service, doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle, ni des conditions générales de service partagées par l'ensemble des militaires servant dans la même unité et soumis de ce fait à des contraintes et des sujétions identiques. Dans les cas où sont en cause des troubles psychiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération l'ensemble des éléments du dossier permettant d'établir que ces troubles sont imputables à un fait précis ou à des circonstances particulières de service. 4. Il résulte de l'instruction que Mme A... épouse B..., qui exerçait des fonctions d'analyste judiciaire au sein de la cellule d'information et de rapprochement judiciaire d'Auch depuis le 16 juin 2001, a été placée en congé de maladie à compter du 22 janvier 2016 en raison d'un état dépressif caractérisé d'évolution prolongée dans un contexte d'épuisement professionnel. Elle a ensuite été placée en congé de longue durée pour maladie à compter du 13 juillet 2016, jusqu'à sa radiation des cadres de la gendarmerie par mise en réforme définitive pour infirmités le 13 juillet 2021. Mme A... épouse B..., qui a présenté sa demande de pension militaire d'invalidité le 7 octobre 2016, soit au-delà de la date lui permettant de se prévaloir d'une présomption d'imputabilité au service, soutient que son infirmité, dont le taux de 30% n'est pas contesté, résulte, d'une part, d'un exercice professionnel extrêmement sollicitant et, d'autre part, d'un évènement traumatisant survenu en novembre 2015, le suicide d'un collègue de travail dont elle était très proche. La requérante se prévaut notamment des conclusions rendues par l'expert missionné par jugement avant-dire droit du 8 juillet 2019 du tribunal des pensions militaires d'Agen, selon lequel elle souffre d'un état dépressif manifeste et chronique se matérialisant par une aboulie, une anhédonie, une douleur morale et une restriction de ses activités dans un contexte de troubles phobiques et de la vie sociale. Selon l'expert, ce syndrome anxiodépressif s'est nourri d'" une progressivité des faits par trop sollicitant, au point d'acquérir de par la sommation des répétitions une potentialité traumatique psychique, tels qu'ils ont émaillé une vie professionnelle qui semble avoir été durablement bien notée. Ce récit incline à créditer l'imputabilité de son trouble à des faits survenus au décours d'un exercice qui a posteriori semble avoir été excessivement sollicitant ". En outre, un médecin en chef du service psychiatrie de l'hôpital d'instruction des armées atteste que l'intéressée présente " un syndrome anxio-dépressif déclenché initialement dans un contexte d'épuisement progressif de ses mécanismes de défense en lien avec une activité professionnelle intense et éprouvante ". Il résulte de l'instruction que le syndrome anxiodépressif de Mme A... épouse B... a été déclenché alors qu'elle était plus particulièrement chargée des auditions de mineurs victimes d'agressions sexuelles, dites auditions " Mélanie ", et que la répercussion psychologique de cette activité spécifique est responsable de sa pathologie. Toutefois, en dépit du caractère éprouvant émotionnellement et psychologiquement de telles auditions, la requérante n'établit pas que ces auditions dont elle était notamment en charge aux côtés d'autres collègues depuis 2006 et qui relèvent des compétences inhérentes à ses fonctions, auraient été exercées dans des circonstances particulières ou exceptionnelles dérogeant aux conditions normales de leur exercice. Si elle soutient ainsi avoir été contrainte d'exercer seule ces missions à compter de l'année 2014, aucune pièce ne vient cependant justifier ses dires. Alors qu'elle a exposé devant l'expert psychiatre qu'elle aurait procédé seule à une centaine d'auditions au cours de l'année 2015, dont une vingtaine sur une même semaine, et produit un tableau récapitulatif établi par ses soins, la lettre de félicitations du commandant de groupement du 26 mars 2015 fait état de son concours très actif dans le cadre de plusieurs enquêtes judiciaires en procédant seule à treize auditions de mineurs victimes d'infractions sexuelles et à leurs retranscriptions en procédure au cours de la période du 16 au 25 février 2015. Aucune pièce ne vient cependant remettre en cause les termes du rapport établi le 11 juillet 2016 par le lieutenant C..., selon lequel au cours de l'année 2015 elle a effectué 1502 heures de travail en 190 jours, soit une moyenne de 8 heures par jour, et réalisé 69 auditions de mineurs victimes d'infractions sexuelles représentant un total de 129 heures et 45 minutes consacrés à cette activité, soit un peu moins de deux auditions par semaine. En outre, selon ce rapport, " lorsqu'il a été question de réduire son implication dans cette activité qui ne constitue pas véritablement le cœur de métier de la cellule d'information et de rapprochement judiciaire, la maréchale des logis-chef A... s'est dite très attachée à cette mission qu'elle considérait comme sa " bouffée d'oxygène ", comme un moyen pour elle de sortir des " tableaux " et de " garder un contact avec le terrain " ". Ainsi, si le fort investissement de la requérante dans ses missions est établi, tel n'est pas le cas de circonstances particulières de service à l'origine de son infirmité. Si elle soutient que le suicide d'un collègue gendarme dont elle était très proche, survenu en novembre 2015, a constitué un événement traumatisant ayant provoqué la décompensation de son syndrome, il ne résulte cependant pas de l'instruction que cet événement, dont le lien avec le service n'est pas suffisamment établi par la seule circonstance qu'une psychologue ait été requise par le service pour accompagner les agents en fonction, doive être regardé dans les circonstances de l'espèce comme un fait de service ou une circonstance particulière de service de nature à justifier l'imputabilité de son infirmité. Par suite, Mme A... épouse B..., qui ne rapporte pas la preuve du lien entre l'affection en cause et le service, ne peut prétendre à l'octroi d'une pension militaire d'invalidité à raison de cette pathologie. 5. Il résulte de ce qui précède que Mme A... épouse B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions relatives aux frais liés au litige ne peuvent qu'être rejetées. D E C I D E : Article 1er : La requête de Mme A... épouse B... est rejetée. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... épouse B..., à Me Brangeon et au ministre des armées. Délibéré après l'audience du 31 août 2023, à laquelle siégeaient : Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre, Mme Blin, présidente assesseure, M. Teulière, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023. La rapporteure, A. Blin La présidente, A. Geslan-Demaret La greffière, M-M. Maillat La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. N° 21TL23718 2
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