Jurisprudence
La jurisprudence est l'ensemble des décisions rendues par les juridictions administratives, pendant une certaine période dans une matière, dans une branche ou dans l'ensemble du droit.
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CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 14/12/2021, 19MA05836, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Par une requête, enregistrée le 11 mars 2019 au tribunal administratif de Marseille, et transmise au tribunal régional des pensions militaires de Montpellier, Mme A... C..., veuve de M. B... E..., a demandé au tribunal d'annuler la décision de la ministre des armées du 29 août 2018 rejetant sa demande de pension de conjoint survivant. Par un jugement n° 19/00010 du 30 octobre 2019, le tribunal régional des pensions militaires de Montpellier a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête, enregistrée le 11 décembre 2019 par la Cour régionale des pensions de Montpellier et transmise le 12 décembre 2019 à la présente Cour qui l'a enregistrée sous le n° 19MA05836, Mme C..., représentée par Me Affane Bellabes, demande : 1°) d'annuler le jugement du tribunal régional des pensions militaires de Montpellier du 30 octobre 2019 ; 2°) de lui accorder le bénéfice de la pension demandée. Elle soutient que le tribunal a inexactement apprécié, au regard du contexte sociétal algérien, les éléments médicaux fournis à l'appui de sa demande de pension et établis par un médecin ayant traité son mari qui est décédé à son domicile le 20 février 2005, des suites de sa maladie. En application des dispositions du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif, la cour administrative d'appel de Marseille est saisie de la présente affaire. Par un mémoire, enregistré le 23 novembre 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête de Mme C.... Elle soutient que Mme C... ne remplit pas les conditions de l'article L. 45 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre pour obtenir le bénéfice de la pension de conjoint survivant, faute d'établir, par un rapport médico-légal, le lien de causalité entre le décès de son époux et les maladies contractées en service. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Badie, - et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public. Considérant ce qui suit : 1. Mme A... C... est veuve de M. B... E..., présumé né en 1932 et décédé le 20 février 2005, titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive au taux de 50 %, à compter du 24 février 2005, pour des séquelles de tuberculose pulmonaire et des séquelles d'amibiase. Par une décision du 29 août 2018, la ministre des armées a rejeté la demande reçue le 3 septembre 2013, par laquelle Mme C... sollicitait le bénéfice d'une pension en qualité de conjoint survivant. Celle-ci relève appel du jugement du 30 octobre 2019 par lequel le tribunal régional des pensions militaires de Montpellier a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cette décision et à ce qu'il soit fait droit à sa demande. 2. Aux termes de l'article L. 43 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans leur version applicable au litige: " Ont droit à pension : (...) 2° Les conjoints survivants des militaires et marins dont la mort a été causée par des maladies contractées ou aggravées par suite de fatigues, dangers ou accidents survenus par le fait ou à l'occasion du service (...) ". Aux termes de l'article L. 45 de ce même code : " Les demandes de pension autres que les pensions de réversion, formulées par les conjoints survivants ou orphelins de militaires décédés dans leur foyer, doivent être accompagnées d'un rapport médico-légal, établi par le médecin qui a soigné l'ancien militaire ou marin pendant la dernière maladie ou, à défaut de soins donnés pendant la dernière maladie, par le médecin qui a constaté le décès. / Le rapport visé à l'alinéa précédent fera ressortir d'une façon précise la relation de cause à effet entre le décès et la blessure reçue ou la maladie contractée ou aggravée en service. / Les postulants à pension y joindront tous documents utiles pour établir la filiation de l'affection, cause du décès, par rapport aux blessures ou aux maladies imputables au service dans les conditions définies à l'article L. 2 (...) ". 3. Mme C... produit un certificat médical, établi le 22 janvier 2019 par le docteur D..., indiquant que M. B... E... était suivi depuis l'année 2004 pour " séquelle de tuberculose ancienne en 1956 ayant entraîné une insuffisance respiratoire chronique nécessitant une prise en charge à 100% " et mentionnant simplement son décès le 20 février 2005. En présence de ce seul document, postérieur de près de 14 ans au décès de M. B... E..., les conditions énoncées par les dispositions précitées de l'article L. 45 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ne peuvent être regardées comme remplies faute, d'une part, d'un rapport médico-légal établi par le médecin qui a soigné l'ancien militaire, ou à défaut de soins donnés pendant la dernière maladie, par le médecin qui a constaté le décès, et, d'autre part, de tout élément faisant ressortir de façon précise la relation certaine, directe et déterminante entre la maladie contractée en service et le décès de M. B... E..., comme l'ont considéré à bon droit les premiers juges dans le jugement attaqué, et dont il y a lieu de confirmer les motifs. 4. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal régional des pensions militaires de Montpellier a rejeté sa requête. D É C I D E : Article 1er : La requête de Mme A... C... est rejetée. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., veuve de M. B... E..., et à la ministre des armées. Délibéré après l'audience du 9 novembre 2021, où siégeaient : - M. Badie, président, - M. Revert, président-assesseur, - M. Ury, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition du greffe, le 14 décembre 2021. 2 N° 19MA05836
Cours administrative d'appel
Marseille
CAA de PARIS, 1ère chambre, 09/12/2021, 20PA03672, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. K... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 27 février 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à modifier son nom afin d'y adjoindre celui de " N... ", et d'enjoindre à ce ministre de l'autoriser à substituer ainsi à son nom celui de " C... N... ". Par un jugement n° 1909005 du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête enregistrée le 30 novembre 2020 et un mémoire enregistré le 24 mars 2021, M. K... C..., représenté par Me Gateau, demande à la Cour : 1°) d'annuler le jugement n° 1909005 du 1er octobre 2020 du tribunal administratif ; 2°) d'annuler la décision du 27 février 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à substituer à son nom celui de " C... N... " ; 3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, d'autoriser le changement de nom sollicité pour lui-même et ses enfants mineurs, et ce dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard ; 4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme d'un euro en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le tribunal administratif n'a pas examiné le moyen tiré de ce qu'il justifie de circonstances exceptionnelles, fondant un motif affectif caractérisant un intérêt légitime au changement de son nom ; - la décision litigieuse est insuffisamment motivée faute de caractériser l'absence d'intérêt légitime prévu à l'article 61 du code civil ; - le ministre a commis une erreur de droit en regardant sa demande de changement de nom comme irrecevable au motif que, son grand-père ayant fait l'objet d'une légitimation adoptive et non d'une simple adoption, la procédure de l'article 61 ne peut avoir pour effet de permettre que soient repris les attributs d'une filiation désormais rompue ; - le nom revendiqué présente un caractère illustre, dès lors qu'il est celui de son grand-père biologique, mort pour la France en 1944 dans les rangs des Forces françaises de l'intérieur ; - ce nom est également menacé d'extinction, comme l'établissent les études généalogiques produites, dès lors qu'il est insusceptible d'être transmis par d'autres membres de la famille descendant de son arrière-grand-père paternel. Par un mémoire en défense enregistré le 23 février 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que : - aucun des moyens de la requête n'est fondé ; - il est fondé à demander que soit substitué au motif, tiré de l'irrecevabilité de la demande de changement de nom résultant de la circonstance que le père a fait l'objet d'une adoption, ceux de l'absence de justification du caractère illustre et du risque d'extinction du nom revendiqué. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code civil ; - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 portant réforme de l'adoption ; - le décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française ; - le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Diémert, - les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique, - les observations de Me Gateau, avocat de M. K... C.... Une note en délibéré a été présentée le 18 novembre 2021 pour M. K... C.... Considérant ce qui suit : 1. M. K... C..., né le 27 juin 1980, agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses enfants mineurs A..., F..., né le 27 septembre 2009 et B..., L..., née le 29 juillet 2011, a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 27 février 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à modifier son nom afin d'y adjoindre celui de " N... ", et d'enjoindre à ce ministre de l'autoriser à substituer ainsi à son nom celui de " C... N... ". Par un jugement du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Paris, après avoir admis la demande de substitution de motifs présentée en défense par le ministre, a rejeté sa demande. M. C... relève appel de ce jugement devant la Cour. Sur la régularité du jugement attaqué : 2. Dans sa demande devant l'administration comme dans sa demande devant le tribunal administratif de Paris, M. C... a exposé l'ensemble des raisons le conduisant à solliciter le changement de son patronyme. Il a ainsi longuement développé dans sa demande à l'administration sa volonté d'honorer le nom de son grand-père Robert N..., au regard de son appartenance à la Résistance mais également des autres circonstances familiales qui ont conduit à l'adoption des quatre enfants de l'intéressé et de la relation de son propre père, F..., avec M. G... C... qui l'a adopté. Par ailleurs, ses écritures de première instance mentionnent explicitement la jurisprudence regardant des motifs affectifs comme pouvant constituer, dans des circonstances exceptionnelles, l'intérêt légitime au changement de nom requis par le premier alinéa de l'article 61 du code civil. Les premiers juges ont d'ailleurs analysé la demande comme se prévalant de tels motifs. Toutefois, le jugement attaqué ne répond aux moyens articulés à l'encontre de la décision litigieuse que sur les seuls terrains du relèvement d'un nom illustre ou d'un nom menacé d'extinction. M. C... est, dès lors, fondé à soutenir que le jugement est irrégulier pour n'avoir pas répondu à un moyen de droit pourtant explicitement exposé dans les écritures du demandeur. 3. Il y a donc lieu d'annuler le jugement attaqué et, l'affaire étant en état, de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation. Sur la légalité de la décision litigieuse : 4. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret. ". En ce qui concerne la motivation de la décision : 5. Aux termes de l'article 6 du décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom : " Le refus de changement de nom est motivé. " 6. Le requérant soutient que la décision litigieuse ne caractérise pas précisément le défaut d'intérêt légitime de sa demande au sens des dispositions de l'article 61 du code civil. 7. La décision litigieuse, après avoir rappelé le principe selon lequel, en application de l'article 61 du code civil, il ne peut être dérogé au principe de dévolution et d'immutabilité du nom de famille qu'en vertu d'un intérêt légitime, expose que : " votre désir d'adjoindre à votre patronyme le nom " N... ", porté par votre grand-père paternel biologique au motif qu'il est mort pour la France et que vous souhaiteriez éviter l'extinction de son nom n'est pas recevable. En effet l'adoption de votre père par Monsieur G... C... ayant rompu la filiation qui le relie à sa famille par le sang, vous ne seriez être autorisé à reprendre par la procédure de changement de nom, les attributs de cette filiation. ". 8. La motivation ainsi exposée, pour contestable qu'elle soit au fond, comme il sera évoqué aux points 9 à 12 du présent arrêt, comporte cependant l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et permet ainsi à son destinataire de saisir, à sa simple lecture, les raisons pour lesquelles l'administration a rejeté sa demande. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit donc être écarté comme manquant en fait. En ce qui concerne l'erreur de droit : 9. Le requérant soutient que la décision litigieuse est entachée d'une erreur de droit, dès lors que le garde des sceaux, ministre de la justice, a regardé sa demande comme irrecevable au motif qu'elle aurait pour conséquence de reconstituer une filiation par le sang désormais rompue, son père ayant fait l'objet d'une légitimation adoptive, alors qu'en réalité ce dernier n'a fait l'objet que d'une adoption simple. 10. La procédure de changement de nom instituée par l'article 61 du code civil est en principe applicable sans qu'y fassent obstacle d'autres dispositions du même code relatives à la filiation, pourvu que le demandeur justifie d'un intérêt légitime. La circonstance qu'un ascendant du demandeur a fait l'objet d'une adoption ne saurait dès lors, par elle-même, faire obstacle à l'exercice du droit reconnu par l'article 61 précité du code civil à toute personne justifiant d'un intérêt légitime à demander à changer de nom, y compris pour reprendre le nom porté par cet ascendant à sa naissance. Par suite, lorsque le nom revendiqué est celui d'un parent biologique qui n'a pas été transmis par l'effet d'une adoption, et quelle que soit la nature de cette dernière, il appartient en tout état de cause au ministre de la justice de se prononcer sur la demande de changement de nom en tenant compte de l'intérêt légitime invoqué, sans qu'il puisse opposer au demandeur une quelconque " irrecevabilité " au motif que l'adoption ainsi survenue a rompu les liens de la filiation par le sang. 11. En l'espèce, le garde des sceaux, ministre de la justice s'est exclusivement fondé, dans les termes mêmes de sa décision tels que reproduits au point 7, sur le caractère irrecevable de la demande de M. K... C... à raison de l'adoption de son père, F... N..., par M. G... C.... Le ministre s'est ainsi cru tenu d'appliquer une règle en réalité inexistante, et a dès lors commis une erreur de droit. 12. M. K... C... est donc fondé à soutenir que la décision litigieuse est entachée d'illégalité sur ce point. 13. Dès lors que la Cour doit examiner les autres moyens articulés par M. C... à l'encontre de la décision attaquée, et tirés, respectivement, de ce qu'il justifie de motifs légitimes en raison tant d'un motif affectif reposant sur des circonstances exceptionnelles que du caractère illustre du nom revendiqué, et que ce nom est menacé d'extinction, il sera, en tout état de cause, satisfait à la demande de substitution de motifs présentée par le garde des sceaux, ministre de la justice, lequel fait valoir qu'il aurait pris la même décision de rejet de la demande de M. C... s'il s'était fondé initialement à la fois sur l'absence de justification du caractère illustre et de risque d'extinction du nom N.... En ce qui concerne le motif d'ordre affectif : 14. Des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi. 15. En l'espèce, il résulte des pièces du dossier, d'une part, que le grand-père du requérant, M. G... N..., a appartenu aux Forces françaises de l'intérieur et a été tué par la division " Das Reich " le 30 juin 1944 à Gigouzac, et a été reconnu Mort pour la France à ce titre. Il a alors laissé orphelins quatre fils, nés en 1935, 1940, 1941 et 1942, dont la mère, son épouse, est décédée en janvier 1945. Les quatre enfants ont alors été séparés et confiés à des familles différentes, l'un auprès d'un oncle, les trois autres auprès de familles tierces qui les ont adoptés. Le père du requérant, F... (né en 1941), a ainsi été adopté en 1946 par les époux C... ; toutefois, M. G... C... a abandonné son épouse et l'enfant au cours de l'année 1954 et a été condamné pour abandon de famille en 1958 et Mme C... a obtenu l'année suivante le bénéfice du divorce aux torts exclusifs de son époux. M. F... C... a lui-même, après le décès de Mme C... à laquelle il était très attaché, entamé des démarches pour reprendre le nom de " N... ", tant en raison de son attachement à sa famille d'origine qu'eu égard à la défaillance de M. C.... L'ensemble de ces faits constitue des circonstances exceptionnelles qui fondent un motif d'ordre affectif de nature à caractériser l'intérêt légitime requis par le premier alinéa de l'article 61 du code civil. 16. Dès lors, M. K... C... est fondé à soutenir que sa demande remplit, quant à l'existence d'un intérêt légitime, les conditions posées par le premier alinéa de l'article 61 du code civil. En ce qui concerne le caractère illustre du nom revendiqué : 17. M. K... C... soutient qu'il justifie d'un intérêt légitime à relever le nom de son grand-père paternel biologique, Robert N..., qui revêt un caractère suffisamment illustre dès lors que ce dernier est " Mort pour la France ", tombé le 30 juin 1944 alors qu'il combattait l'occupant allemand dans les rangs des Forces françaises de l'intérieur. 18. D'une part, la reprise d'un nom patronymique en raison de son illustration peut être demandée au titre de l'intérêt légitime mentionné au premier alinéa de l'article 61 du code civil. Si ce nom doit avoir été porté dans la famille du demandeur par des personnes qui ont contribué à lui conférer une illustration certaine et durable, pour la mise en œuvre de ce principe, l'illustration d'un nom ne saurait se réduire à sa renommée ou à sa notoriété, mais suppose un éclat particulier. 19. D'autre part, en vertu du neuvième alinéa (4°) de l'article L. 511-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, la mention " Mort pour la France " est apposée sur l'acte de décès " d'une personne décédée en combattant pour la libération de la France ou en accomplissant des actes de résistance ". La qualité de " Mort pour la France " au sens de ces dispositions législatives, par l'action éclatante qui fonde sa reconnaissance, suffit à conférer au nom du décédé une illustration certaine et durable sur le plan national. 20. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier et de ce qui a été rappelé au point 15 que le grand-père paternel biologique du requérant est " Mort pour la France " au sens des dispositions évoquées au point précédent. Il s'ensuit que M. K... C... est fondé à soutenir qu'il justifie ainsi de l'intérêt légitime, prévu à l'article 61 du code civil, à relever son nom. S'agissant du risque d'extinction du nom revendiqué : 21. Le relèvement d'un nom, ou d'une partie d'un nom, afin d'éviter son extinction ne saurait s'appliquer à un nom d'usage mais suppose qu'il soit établi que le nom en cause a été légalement porté, ou qu'il pouvait l'être, par un ascendant de celui qui demande à changer de nom, ou par un collatéral, jusqu'au quatrième degré inclus. Le nom, ainsi choisi dans cette limite, peut être porté, ou avoir été porté, par tout ascendant ou collatéral du demandeur, vivant ou décédé, dès lors que cet ascendant ou ce collatéral est séparé du demandeur par, au plus, quatre degrés de parenté, mais le demandeur peut tout aussi bien décider de fixer son choix, à un degré moindre de parenté, sur le nom d'un ascendant aux premier, deuxième ou troisième degré (celui de ses parents qui ne lui a pas transmis le nom, de ses grands-parents ou de ses arrière-grands-parents), ou d'un collatéral aux deuxième ou troisième degré (tel qu'une sœur, un demi-frère ou une demi-sœur, ou un enfant qui en est issu). 22. L'extinction d'un nom doit notamment être regardée comme établie lorsque le nom en cause n'a pu être transmis, ou risque manifestement de ne plus l'être, dans aucune autre branche collatérale de l'ascendant ou du collatéral dont le relèvement du nom est sollicité. La démonstration de cette menace d'extinction s'établit généralement et avec la plus grande plausibilité, mais sans que ce mode de preuve revête un caractère exclusif, au vu des éléments de généalogie afférents au degré de parenté immédiatement supérieur à celui du titulaire du nom revendiqué et des lignes collatérales qui en sont éventuellement issues. La menace d'extinction s'apprécie, en outre, à la date de la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice décide ou non de faire droit à la demande dont il est saisi, au regard des éléments dont il dispose. 23. Par ailleurs, l'exigence que le nom revendiqué ait été légalement porté par un ascendant du demandeur doit être regardée comme satisfaite lorsque ce nom a été porté par un ascendant biologique antérieurement à son adoption, si cette dernière a entrainé une modification de son nom et ce, que cette adoption emporte les effets d'une adoption simple ou d'une adoption plénière. 24. En application des principes ci-dessus rappelés, lorsque le demandeur sollicite le relèvement du nom porté par l'un de ses grands-parents (deuxième degré), y compris ses grands-parents biologiques dans le cas où l'un de ses parents a été adopté et a alors changé de nom, il y a lieu, pour établir que ce nom est menacé d'extinction, de s'assurer qu'il n'est plus porté ou n'est plus manifestement susceptible d'être transmis à quiconque, outre par les grands-parents biologiques du demandeur eux-mêmes, au travers des oncles et tantes du demandeur, mais également dans les branches de la famille issues de son arrière-grand père biologique, (troisième degré), c'est à dire par un grand-oncle ou une grand-tante du demandeur et leurs éventuels descendants. 25. Il est constant, en tout état de cause, que le père du requérant, F... N..., a fait l'objet d'une adoption simple par les époux C.... En effet, les dispositions alors en vigueur du code civil, issues de l'article 101 du décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française, opéraient alors une distinction, au sein du titre huitième du livre Ier de ce code, intitulé " De l'adoption et de la légitimation adoptive ", entre " l'adoption ", régie par le chapitre Ier dudit titre comportant les articles 343 à 367, et " la légitimation adoptive " régie par le chapitre II dudit titre comportant les articles 368 à 370. L'article 350 du code civil disposait que : " L'adoption confère le nom de l'adoptant à l'adopté (...). / Si l'adopté est mineur de 16 ans (...) l'adoption confirme purement et simplement le nom de l'adoptant (...) ". Le premier alinéa de l'article 351 du même code disposait que : " L'adopté reste dans sa famille naturelle et y conserve tous ses droits ". L'article 352 du même code disposait que : " Nonobstant les dispositions de l'alinéa premier de l'article précédent, le tribunal, en homologuant l'acte d'adoption, peut à la demande de l'adoptant et s'il s'agit d'un mineur de vingt et un ans, décider après enquête que l'adopté cessera d'appartenir à sa famille naturelle (...) ". Or, d'une part, il résulte clairement du jugement du 27 juin 1946 du tribunal civil de la Seine produit au dossier, et notamment de son dispositif qui se limite à décider que : " il y a lieu à adoption " et que : " en conséquence et conformément à l'article trois cent cinquante du code civil, que le nom de famille des adoptants sera conféré à l'adopté de telle sorte que celui-ci s'appellera désormais " N... au lieu de C... ", que F... C... a ainsi fait l'objet, non d'une légitimation adoptive, mais d'une adoption, et qu'il n'a pas cessé d'appartenir à sa famille naturelle. D'autre part, les effets de cette adoption doivent être regardés comme étant désormais ceux d'une adoption simple, conformément à l'article 13 de la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 portant réforme de l'adoption qui dispose que : " L'adoption antérieurement prononcée emporte, à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi, les mêmes effets que l'adoption simple. /Toutefois, si le tribunal avait décidé, conformément à l'ancien article 354 du code civil, que l'adopté cesserait d'appartenir à sa famille d'origine, les dispositions du deuxième alinéa dudit article 354 demeureront applicables. En outre, dans ce cas, le tribunal pourra, à la requête de l'adoptant, si l'adopté avait moins de quinze ans lors du prononcé de l'adoption, décider que celle-ci emportera les effets de l'adoption plénière. /En tout état de cause, le nom et les prénoms conférés à l'adopté en application de l'ancien article 360 du code civil lui demeureront acquis. ". 26. Il s'ensuit que les dispositions du deuxième alinéa de l'article 61 du code civil sont applicables à la demande de M. K... C..., fils de M. F... C..., né sous le nom N..., en tant qu'il demande à relever un nom porté par un ascendant dans la famille naturelle de son père et ce, nonobstant l'adoption de ce dernier prononcée par le jugement susmentionné du 27 juin 1946. 27. Il résulte des pièces du dossier que, de l'arrière-grand-père biologique du requérant, Léon N... (1862-1946), sont issus deux fils : Georges (grand-oncle du requérant), 1898-1976, n'a eu, de ses deux mariages, qu'un fils D..., né en 1931 et adopté sous le nom de H... en 1944, et Robert (grand-père du requérant), 1900-1944, qui a eu cinq enfants de deux de ses trois mariages. Du premier mariage de Robert N... est issu Jacques (1921-2010), lequel eu une fille O..., née en 1959, et qui n'a pas de descendance de son mariage avec M. I.... De son troisième mariage avec Marie-Pulchérie Antérieur (1909-1945) sont issus, outre F..., père du requérant, d'une part, Monique, née et morte en 1932, et, d'autre part, Claude, né en 1935, oncle du requérant, sans enfants issus de ses deux mariages, puis D... (1940-2012), oncle du requérant, adopté sous le nom de J... en 1944 et qui a eu une fille M..., née J... et, enfin, Guy, oncle du requérant (1942-2000), adopté sous le nom de P... en 1947 et qui a eu de ses deux mariages successifs cinq enfants, E... (né en 1966), Jane (née en 1970), Sandy (née en 1979), Anthony (née en 1983) et Loana (née en 1990) auxquels il a transmis le seul nom de P.... De F..., père du requérant, né en 1941, sont issus, outre le requérant, son frère David (né en 1971) et sa soeur Karine (née 1976) qui portent le nom de C.... Le nom de N..., qui n'est manifestement plus susceptible d'être transmis à quiconque dans la famille issue de l'arrière-grand-père biologique paternel du requérant, doit ainsi être regardé comme menacé d'extinction au sens et pour l'application du deuxième alinéa du code civil. 28. Dès lors, M. K... C... est fondé à soutenir que sa demande remplit les conditions posées par le deuxième alinéa de l'article 61 du code civil. 29. Il résulte de tout ce qui précède que M. K... C... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris, par le jugement attaqué, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 27 février 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à substituer à son nom celui de " C... N... ". Ses conclusions d'appel qui tendent à l'annulation dudit jugement et de cette décision doivent donc être accueillies. Sur les conclusions à fin d'injonction : 30. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". 31. En l'espèce, les motifs du présent arrêt impliquent nécessairement que M. K... C..., agissant également au nom de ses deux enfants mineurs A..., F... et B..., L..., soit autorisé, dans les conditions prévues par l'article 61 du code civil, à substituer à son nom celui de " C... N... ". Il y a donc lieu d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de présenter au Premier ministre un projet de décret autorisant ce changement de nom dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par le requérant. Sur les frais du litige : 32. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État (ministère de la justice) le versement à M. K... C... Q... la somme d'un euro qu'il réclame sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. DÉCIDE : Article 1er : Le jugement n° 1909005 du 1er octobre 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé. Article 2 : La décision du 27 février 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté la demande de M. K... C..., tendant à adjoindre à son nom celui de " N... " afin de s'appeler désormais " C... N... " est annulée. Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de présenter au Premier ministre un projet de décret autorisant M. K... C... et ses enfants mineurs A..., F... et B..., L..., à adjoindre à leur nom celui de " N... " afin de s'appeler désormais " C... N... ", dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Article 4 : L'État (ministère de la justice) versera à M. C... la somme d'un euro (1 €) en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. K... C... est rejeté. Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. K... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice. Délibéré après l'audience du 18 novembre 2021, à laquelle siégeaient : - M. Lapouzade, premier vice-président, - M. Diémert, président-assesseur, - M. Gobeill, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 décembre 2021. Le rapporteur, S. DIÉMERTLe président, J. LAPOUZADE La greffière, Y. HERBER La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 3 N° 20PA03672
Cours administrative d'appel
Paris
CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 08/12/2021, 19BX03225, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une somme totale de 133 090,85 euros en réparation du préjudice professionnel permanent et du déficit fonctionnel permanent résultant de sa prise en charge au sein du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux. Par un jugement n° 1801196 du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'ONIAM à lui verser une somme de 103 312,85 euros, a mis à la charge de l'ONIAM une somme de 1200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 août 2019 et 10 avril 2020, l'ONIAM demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement du 2 juillet 2019 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il l'a condamné à verser à Mme A... une somme de 101 222 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ; 2°) de rejeter la demande de Mme A... devant le tribunal administratif tendant à la réparation de son déficit fonctionnel permanent. Il soutient que : - en vertu de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique, l'ONIAM indemnise la victime déduction faite des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, et plus généralement des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice ; entrent notamment dans le champ de ces dispositions la pension de retraite pour invalidité et la rente viagère d'invalidité prévues aux articles 36 et 37 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales ; ces prestations doivent s'imputer sur l'indemnisation tant des préjudices professionnels que, s'il reste un solde, du déficit fonctionnel permanent ; la Cour de Cassation retient ce mode d'imputation en matière de rente d'accident de travail et de pension d'invalidité versées par la sécurité sociale, de pension militaire d'invalidité et de rente d'invalidité ; le Conseil d'Etat opère une distinction en fonction de la nature de la prestation servie ; s'il a jugé que la rente d'accident du travail et la pension d'invalidité prévue à l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale ne sauraient être imputées sur un poste de préjudice personnel, il a rejoint la position de la Cour de Cassation s'agissant de la pension militaire d'invalidité ; le Conseil d'Etat ne s'est pas explicitement prononcé sur la question de l'imputation, sur le déficit fonctionnel permanent, de la pension de retraite d'invalidité et de la rente viagère d'invalidité perçues par les fonctionnaires civils en application des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou, comme en l'espèce, des dispositions particulières du décret du 26 décembre 2003 ; la décision n° 353798 du 16 décembre 2013 qui juge que la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité servies aux fonctionnaires civils ont vocation à réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique, n'emploie pas le terme " exclusif " ; il serait d'une bonne administration de la justice que la jurisprudence administrative s'aligne sur celle de la juridiction judiciaire ; la solidarité nationale n'a pas vocation à intervenir de façon différente selon que l'accident médical s'est produit dans un établissement public ou privé ; la solution adoptée par la Cour de Cassation respecte le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime, contribue à la sauvegarde des deniers publics et garantit le principe de subsidiarité de la solidarité nationale ; - en l'espèce, Mme A... a perçu une pension de retraite anticipée pour invalidité et une rente viagère d'invalidité servies au titre des articles 36 et 37 du décret du 26 décembre 2003, qui doivent s'imputer sur l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent ; le mode de calcul de la rente viagère d'invalidité, qui diffère de celui de la pension d'invalidité versée en application de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale, tient uniquement compte de l'atteinte physiologique, et non de l'aptitude ou de la qualification professionnelle de l'agent ; la rente viagère d'invalidité est versée indépendamment de la perte effective de revenus ; la pension de retraite anticipée pour invalidité est majorée pour les fonctionnaires handicapés et peut être assortie d'une majoration spéciale en cas de besoin constant d'assistance par tierce personne ; l'indemnisation couverte par ces prestations dépasse donc les préjudices strictement professionnels et s'étend à d'autres préjudices en lien avec l'atteinte physique ; - l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent de Mme A... est entièrement couverte par le reliquat de ces prestations, après déduction de la perte de revenus futurs et en l'absence non contestée d'incidence professionnelle distincte de cette perte ; aucune indemnisation au titre de ce préjudice ne pouvait donc être mise à sa charge. Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 décembre 2019 et 23 avril 2020, Mme A..., représentée par Me Journaud, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'ONIAM d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de porter l'indemnisation qui lui a été allouée par le tribunal à 133 090, 85 euros. Elle soutient que : - l'ONIAM ne démontre pas que sa pension d'invalidité et sa rente d'invalidité auraient pour finalité d'indemniser, outre ses préjudices professionnels, son déficit fonctionnel permanent ; compte tenu des conditions posées à leur octroi et de leur mode de calcul, ces prestations doivent être regardées comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle ; la jurisprudence administrative relative à l'imputation de la pension d'invalidité servie au titre de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale est transposable à ces prestations ; - son déficit fonctionnel permanent doit être évalué à 131 000 euros ; - à titre subsidiaire, alors même que les prestations en cause devraient s'imputer sur l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent, elle aurait droit à une réparation à ce titre ; elle subit en effet une perte de retraite qui doit être évaluée à 76 998, 65 euros, de sorte que sa perte de revenus totale s'élève à 129 556, 40 euros ; elle a également subi un préjudice d'incidence professionnelle évalué à 10 000 euros ; dans ces conditions, si ses préjudices professionnels sont entièrement compensés par les revenus de remplacement, pension d'invalidité et rente viagère d'invalidité, le reliquat de ces prestations, de 83 791, 50 euros, ne couvre pas entièrement son déficit fonctionnel permanent et elle devrait se voir allouer la somme de 47 208,50 euros. Par une ordonnance du 24 décembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er février 2021. Vu : - les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions civiles et militaires de retraite ; - le code de la santé publique ; - le code de la sécurité sociale ; - le décret n° 68-756 du 13 août 1968 pris en application de l'article L. 28 (3ème alinéa) de la loi n° 64-1339 du 26 décembre 1964 portant réforme du code des pensions civiles et militaires de retraite ; - le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Beuve Dupuy, première conseillère, - les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique, - et les observations de Me Ravaut, représentant l'ONIAM, et de Me Journaud, représentant Mme A.... Considérant ce qui suit : 1. Mme A..., qui était aide-soignante, a présenté en 2007 une lombosciatique paralysante, qui a été reconnue comme maladie professionnelle. Le 20 novembre 2012, elle a subi, dans le cadre d'un protocole de recherche médicale, une intervention chirurgicale réalisée au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux consistant à mettre en place un stimulateur médullaire, destiné à soulager ses douleurs lombaires. Elle a été hospitalisée en urgence le 22 novembre 2012 pour une compression médullaire, et a subi le 23 novembre 2012, au CHU de Bordeaux, une intervention de laminectomie avec retrait du stimulateur. Conservant des séquelles neurologiques, Mme A... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de la région Aquitaine, qui a diligenté deux expertises, dont les rapports ont été remis les 10 septembre 2014 et 19 octobre 2015. Mme A... et l'ONIAM ont conclu les 8 avril 2016 et 22 mars 2017 deux protocoles transactionnels partiels. Mme A... a en revanche refusé les propositions indemnitaires de l'Office relatives à sa perte de revenus actuels et à son déficit fonctionnel permanent, et a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la condamnation de l'ONIAM à lui verser une somme totale de 133 090,85 en réparation de ces préjudices. Par un jugement du 2 juillet 2019, le tribunal, après avoir estimé que les conditions prévues par les articles L. 1142-1 et D. 1142-1 du code de la santé publique pour une indemnisation au titre de la solidarité nationale étaient réunies, a évalué la perte de gains professionnels actuels à 2 090, 85 euros et le déficit fonctionnel permanent à 101 122 euros, et a en conséquence condamné l'ONIAM à verser à Mme A... une somme totale de 103 312, 85 euros. L'ONIAM relève appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamné à verser à Mme A... une indemnité au titre de son déficit fonctionnel permanent de 50 %. Par la voie de l'appel incident, Mme A... demande à la cour de porter l'indemnité allouée par le tribunal au titre de son déficit fonctionnel permanent à 131 000 euros et, par voie de conséquence, de porter son indemnisation totale à 133 090, 85 euros. 2. Pour demander que soit annulée sa condamnation à indemniser le déficit fonctionnel permanent de Mme A..., l'ONIAM fait valoir que le total des sommes représentant la pension de retraite anticipée et la rente viagère d'invalidité est supérieur aux pertes de revenus professionnels de l'intéressée, qui n'a pas subi de préjudice d'incidence professionnelle, si bien que le solde devrait être regardé comme réparant son déficit fonctionnel permanent, et être déduit, en l'espèce pour sa totalité, de l'indemnisation à verser à ce titre. Il appartient au juge, pour apprécier le lien entre une prestation et un préjudice, de tenir compte de l'objet de la pension ou de la rente, des conditions posées à son octroi et de son mode de calcul. 3. Aux termes de l'article 36 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " Le fonctionnaire qui a été mis dans l'impossibilité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées, soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public, soit en exposant ses jours pour sauver la vie d'une ou plusieurs personnes, peut être mis à la retraite par anticipation soit sur sa demande, soit d'office, à l'expiration des délais prévus au troisième alinéa de l'article 30 et a droit à la pension rémunérant les services prévue au 2° de l'article 7 et au 2° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Par dérogation à l'article 19, cette pension est revalorisée dans les conditions fixées à l'article L. 341-6 du code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article 7 de ce décret : " Le droit à pension est acquis (...) 2° Sans condition de durée de services aux fonctionnaires rayés des cadres pour invalidité résultant ou non de l'exercice des fonctions ". Aux termes de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " I. - La liquidation de la pension intervient (...) 2° Lorsque le fonctionnaire est mis à la retraite pour invalidité et qu'il n'a pas pu être reclassé dans un emploi compatible avec son état de santé (...) ". Aux termes de l'article L. 341-6 du code de la sécurité sociale : " Les salaires servant de base au calcul des pensions et les pensions déjà liquidées sont revalorisés au 1er avril de chaque année par application du coefficient mentionné à l'article L. 161-25 ". Aux termes de l'article 34 du décret précité : " I.- Lorsque le fonctionnaire est atteint d'une invalidité d'un taux au moins égal à 60 %, le montant de la pension prévue aux articles 36 et 39 ne peut être inférieur à 50 % du traitement visé à l'article 17 et revalorisé dans les conditions prévues à l'article L. 341-6 du code de la sécurité sociale. /Si le fonctionnaire est dans l'obligation d'avoir recours d'une manière constante à l'assistance d'une tierce personne pour accomplir les actes ordinaires de la vie, il a droit à une majoration spéciale dont le montant est égal à la valeur de l'indice majoré 227 au 1er janvier 2004 revalorisé dans les conditions prévues à l'article L. 341-6 du code de la sécurité sociale (...) ". Aux termes de l'article 24 bis de ce décret : " I.- Une majoration de pension est accordée aux fonctionnaires handicapés mentionnés au II de l'article 25 (...) III.- La pension ainsi majorée ne peut excéder la pension qui aurait été obtenue par application du pourcentage maximum mentionné au I de l'article 16 ". Aux termes de l'article 16 dudit décret : " I.- La durée des services et bonifications admissibles en liquidation s'exprime en trimestres. Le nombre de trimestres nécessaires pour obtenir le pourcentage maximum de la pension est fixé à cent soixante trimestres. /Ce pourcentage maximum est fixé à 75 % du traitement mentionné à l'article 17. /Chaque trimestre est rémunéré en rapportant le pourcentage maximum défini au deuxième alinéa au nombre de trimestres mentionné au premier alinéa ". 4. Il résulte des dispositions précitées que la pension prévue à l'article 36 du décret du 26 décembre 2003 a pour finalité de réparer une incapacité permanente de travail en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service. Son montant est calculé en fonction du traitement brut perçu avant la mise à la retraite anticipée de l'agent et ne peut être inférieur à 50 % de ce traitement si le taux d'invalidité est d'au moins 60 %. Si, comme le fait valoir l'ONIAM, les fonctionnaires handicapés bénéficient d'une majoration de pension, le montant de la pension ainsi relevé ne peut cependant excéder 75 % du traitement. Cette pension doit ainsi être regardée comme ayant pour objet de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité. Par ailleurs, lorsqu'elle est assortie de la majoration spéciale prévue à l'article 34 du décret, la pension a également pour objet la prise en charge, non pas du déficit fonctionnel permanent comme le soutient l'ONIAM, mais des frais afférents à l'assistance par une tierce personne. 5. Aux termes de l'article 37 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales " I.- Les fonctionnaires qui ont été mis à la retraite dans les conditions prévues à l'article 36 ci-dessus bénéficient d'une rente viagère d'invalidité cumulable, selon les modalités définies au troisième alinéa du I de l'article 34, avec la pension rémunérant les services prévus à l'article précédent (...) II. -Le montant de la rente d'invalidité est fixé à la fraction du traitement, défini à l'article 17, égale au pourcentage d'invalidité. Si le montant de ce traitement dépasse un montant correspondant à la valeur de l'indice majoré 681 au 1er janvier 2004, revalorisé dans les conditions prévues à l'article L. 341-6 du code de la sécurité sociale, la fraction dépassant cette limite n'est comptée que pour le tiers. Il n'est pas tenu compte de la fraction excédant dix fois ce montant brut. III.- Le taux d'invalidité est déterminé compte tenu du barème indicatif prévu pour les fonctionnaires de l'Etat par le quatrième alinéa de l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite ". Il résulte de l'article 34 de ce décret que le montant cumulé de la rente viagère d'invalidité et de la pension rémunérant les services ne peut excéder le traitement mentionné à l'article 17, soit le traitement correspondant à l'indice de l'échelon effectivement détenu depuis six mois au moins par le fonctionnaire au moment de sa mise à la retraite. 6. Compte tenu des conditions posées à son octroi et de son mode de calcul tels que ci-dessus rappelés, la rente viagère d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. 7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 6 du présent arrêt que la pension de retraite anticipée et la rente viagère d'invalidité allouées à Mme A... en application des articles 36 et 37 du décret du 26 décembre 2003 ont pour seul objet de réparer ses pertes de revenus et son préjudice d'incidence professionnelle du fait de son incapacité physique, et non l'atteinte à son intégrité physique. Contrairement à ce que soutient l'ONIAM, ces prestations ne sauraient ainsi s'imputer sur l'indemnisation allouée à l'intéressée en réparation de son déficit fonctionnel permanent. 8. Mme A... reste atteinte, depuis la consolidation de son état de santé le 17 septembre 2015, d'un déficit fonctionnel permanent lié à ses séquelles neurologiques, en particulier une paraparésie, des troubles urinaires et des troubles sensitifs au niveau du pied. Ce déficit a été estimé à 50 % par l'expertise diligentée par la CCI, dont le rapport a été remis le 19 octobre 2015. Compte tenu de l'âge de Mme A... à la date de consolidation, soit 58 ans, le tribunal ne s'est pas livré à une insuffisante évaluation de ce préjudice en lui allouant une réparation de 101 122 euros. 9. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que l'ONIAM n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif l'a condamné à verser à Mme A... une somme totale de 103 312, 85 euros, d'autre part, que l'appel incident de cette dernière doit être rejeté. 10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens. DÉCIDE : Article 1er : La requête de l'ONIAM est rejetée. Article 2 : L'ONIAM versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel de Mme A... est rejeté. Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à Mme B... A..., à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, au Comité des œuvres de gestion sociale et à la Mutuelle nationale des hospitaliers. Délibéré après l'audience du 16 novembre 2021 à laquelle siégeaient : Mme Catherine Girault, présidente, Mme Anne Meyer, présidente-assesseure, Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2021. La rapporteure, Marie-Pierre Beuve Dupuy La présidente, Catherine Girault La greffière, Virginie Guillout La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. 2 N° 19BX03225
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 08/12/2021, 19BX04888, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. C... B... a demandé au tribunal des pensions de Bordeaux d'annuler la décision du 5 juin 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité de lombo-sciatalgies chroniques avec enraidissement segmentaire et amyotrophie crurale gauche, et d'enjoindre à la ministre de lui attribuer une pension militaire d'invalidité au taux de 10 % assortie d'une majoration pour trois enfants, avec effet à compter du 15 juin 2016. Par un jugement n° 1900059 du 16 octobre 2019, le tribunal a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête enregistrée le 13 décembre 2019 et des mémoires enregistrés les 16 mars, 6 juillet et 17 septembre 2021, M. B..., représenté par Me Segol, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement ; 2°) d'annuler la décision de la ministre des armées du 5 juin 2018 ; 3°) d'enjoindre à la ministre de lui attribuer une pension militaire d'invalidité au taux de 10 % assortie d'une majoration pour trois enfants, avec effet à compter du 15 juin 2016. Il soutient que : - il s'est engagé dans la marine le 28 février 1995 et s'est blessé le 18 mai 1995 au niveau du rachis lombaire, des genoux et des pieds, ce qui l'a rendu inapte à la spécialité de fusilier marin ; il s'est réorienté vers la spécialité de fourrier, et le 29 janvier 1996, alors qu'il était chargé d'assister l'équipe du bureau habillement, il s'est blessé au dos en déchargeant un camion contenant des cartons de vêtements militaires ; le diagnostic de cervico-dorso lombalgie a été posé le même jour ; le 5 février 1996, le médecin a posé le diagnostic : " lombaire antélisthésis C6-S1 + anomalie transitionnelle " et " spina bifida occulta L5-S1 " ; l'accident du 29 janvier 1996 est à l'origine d'une blessure ; - le compte-rendu médical établi le jour de l'accident en précise les circonstances, le médecin a posé un diagnostic six jours plus tard, et il ne présentait aucune pathologie du dos lorsqu'il s'est engagé dès lors qu'il a subi des tests et n'aurait pu être déclaré apte pour les troupes aéroportées s'il avait souffert d'un antélisthésis ; les comptes rendus des examens réalisés à la suite du premier accident du 18 mai 1995 n'ont pas davantage mentionné cette pathologie ; la spondylolyse peut résulter d'un choc violent, avec une prévalence de 20 % chez les sportifs de haut niveau, ce qui était son cas puisqu'il avait été déclaré apte aux troupes aéroportées ; en l'espèce, le spondylolisthésis a pour origine le choc violent résultant des opérations de déchargement, et l'IRM du 19 janvier 2018, qui avait pour objet de poser le diagnostic de l'infirmité actuelle, n'avait pas vocation à préciser si elle était ou non d'origine traumatique ; ce faisceau d'indices démontre que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il apporte la preuve d'une blessure en service le 29 janvier 1996 ; - le tribunal n'a pas tenu compte de la faute commise par l'administration qui n'a pas conservé les documents le concernant dont elle avait la garde ; la Commission d'accès aux documents administratifs a déduit à tort de ce que le Centre des archives du personnel militaire de Pau ne détenait pas son dossier médical que celui-ci n'existait pas, alors qu'il a été égaré ; les documents transmis par courrier du 16 mars 2016 ne sont pas un dossier médical, mais seulement les certificats médicaux établis par le centre hospitalier Calmette de Lorient lors de ses deux passages dans cet établissement ; - l'accident est survenu pendant qu'il était en service et la blessure a été constatée avant son renvoi dans ses foyers, de sorte que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il bénéficie de la présomption d'imputabilité prévue à l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre applicable à la date de sa demande ; - contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'article L. 2 du code n'impose pas de démontrer une continuité des soins, mais seulement que l'infirmité résulte de la blessure invoquée ; le spondylolisthésis diagnostiqué en 2018 est de même nature que l'antélisthésis constaté en 1996 ; l'étiologie de la maladie est traumatique puisqu'il ne souffrait d'aucune blessure avant les opérations de déchargement de janvier 1996 ; dès lors que l'étiologie de l'infirmité démontre sa filiation médicale avec la blessure subie, il n'y a pas lieu de démontrer une continuité des soins ; au demeurant, il démontre cette continuité par la production de certificats médicaux du 3 avril 1997 et du 15 juin 2016 ; - il a droit à une pension d'invalidité au taux de 10 % sur le fondement de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par des mémoires en défense enregistrés les 12 février, 11 mai et 30 août 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que : - l'antélisthésis C6-S1, l'anomalie transitionnelle et la spina bifida constatés sur le bilan radiographique réalisé en février 1996 ne peuvent être reliés au service s'agissant de maladies constitutionnelles, et aucun élément en faveur d'un traumatisme n'a été relevé lors de la consultation du 5 février 1996 ; le taux de 5 % lié au " spondylolisthésis de L5 sur S1 par lyse isthmique et rétrécissements foraminaux bilatéraux " retenu par l'expert n'est pas imputable au service, mais résulte de maladies constitutionnelles sans rapport avec le service ; - selon l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, la filiation médicale doit être établie entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet d'une constatation et l'infirmité invoquée, ce qui n'est pas le cas en l'absence de tout document médical démontrant cette filiation jusqu'à la date de la demande ; - s'il n'est pas contesté que le livret médical de M. B... n'a pas été retrouvé, la disparition des archives n'a pas pour effet de dispenser le demandeur de la charge de la preuve de l'imputabilité au service ; le dossier médical, les rapports circonstanciés (RC) et les extraits du registre des constatations (ERC) étant des documents de nature différente, l'absence de RC et d'ERC s'explique par l'absence de fait de service authentifié par l'autorité militaire ; - en l'absence d'atteinte traumatique, les efforts de chargement notés lors de la consultation du 29 janvier 1996 ne peuvent être regardés comme caractérisant une blessure survenue en service. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 janvier 2020. Vu les autres pièces du dossier. - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; - la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ; - le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme A..., - les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique, - et les observations de Me Segol, représentant M. B.... Considérant ce qui suit : 1. M. B..., engagé dans la Marine nationale le 28 février 1995, a été radié des contrôles pour raison familiale le 9 novembre 1998. Le 27 juin 2016, il a sollicité une pension militaire d'invalidité pour une infirmité de " spondylolyse L5-S1, discopathie dégénérative, rétrécissement foraminal L4-L5, dégénérescence arthrosique et lombalgies chroniques " dont il attribuait l'origine à un accident survenu à l'école des fusiliers marins de Lorient en janvier 1996. Par une décision du 5 juin 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande. M. B... relève appel du jugement du 16 octobre 2019 par lequel le tribunal des pensions de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cette décision. 2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable à la date de la demande de pension : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service / (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition: / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / (...) / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / En cas d'interruption de service d'une durée supérieure à quatre-vingt-dix jours, la présomption ne joue qu'après le quatre-vingt-dixième jour suivant la reprise du service actif. / La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, soit pendant le service accompli au cours de la guerre 1939-1945, soit au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale, compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas. / (...). " Il résulte de ces dispositions que, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité, le demandeur d'une pension doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité est apparue durant le service, ni d'une probabilité même forte, d'une vraisemblance ou d'une simple hypothèse médicale. 3. M. B... ne se trouve dans aucun des cas dans lesquels la présomption peut s'appliquer. S'il ressort des pièces du dossier que son dossier médical a été égaré par l'administration, cette circonstance n'a pas pour effet de dispenser le demandeur de la charge de la preuve d'imputabilité au service, laquelle ne saurait résulter d'une hypothèse ou d'une probabilité. 4. M. B... produit des pièces relatives à sa prise en charge au centre hospitalier des armées de Lorient les 29 janvier et 5 février 1996, conservées par cet établissement. Il ressort du compte rendu du 29 janvier 1996 qu'il a consulté pour des " cervico dorso-lombalgies suite à des efforts de déchargement ", ce qui suffit à corroborer ses déclarations selon lesquelles ces douleurs sont apparues alors qu'il déchargeait un camion contenant des cartons de vêtements militaires. Toutefois, les examens ont seulement mis en évidence, le 29 janvier, une scoliose sinistro-convexe modérée et une contracture modérée à la palpation, et le 5 février, une raideur lombaire avec contracture des trapèzes et des muscles paravertébraux, ce qui a conduit le médecin militaire à prescrire une kinésithérapie d'assouplissement. Le bilan radiologique, commenté par le compte rendu du 5 février 1996, a montré une absence de signe de luxation des cervicales et, au niveau lombaire, un antélisthésis C6-S1 avec anomalie transitionnelle et une spina bifida occulta L5-S1. Un examen réalisé le 21 avril 2017 dans le service d'imagerie médicale de l'hôpital d'instruction des armées de Bordeaux a mis en évidence une lyse isthmique bilatérale probable avec spondylolisthésis (glissement en avant du corps vertébral et de l'arc postérieur) antérieur de grade I au niveau L5-S1 et une déhiscence des arcs postérieurs L5 et S1. Cette pathologie était également retrouvée sur une IRM du rachis lombaire réalisée en février 2015 pour le bilan d'une sciatique gauche, le spondylolisthésis sur lyse isthmique bilatérale en L5-S1 étant alors associé à des remaniements de type Modic inflammatoire et à un rétrécissement foraminal bilatéral d'origine discarthrosique. Selon l'article produit par le requérant, le spondylolisthésis, dont la fréquence est estimée à 5 % de la population et qui est associé à une lyse isthmique en L5 dans 95 % des cas, peut avoir pour causes une hypoplasie de l'arc postérieur de L5, une spina bifida occulta (défaut de fermeture en cours de grossesse au niveau de l'épineuse fragilisant la structure ligamentaire paravertébrale), une scoliose ou une inclinaison excessive de la pente sacrée, ces dernières pouvant résulter d'une mauvaise attitude ou d'un défaut constitutionnel. Il est précisé que 20 % des scolioses lombaires s'accompagnent d'un spondylolisthésis et que des douleurs, habituellement lombaires, sont l'occasion de la découverte de la pathologie dans plus de la moitié des cas. L'hypothèse de la survenue d'une spondylolyse aiguë à la suite d'un choc violent, qualifiée par l'article de rare avec une prévalence moyenne de 20 % chez les sportifs de haut niveau, ne peut être retenue dans le cas de M. B..., dont l'aptitude aux troupes aéroportées ne vaut pas reconnaissance de l'exercice d'un sport à haut niveau, les chocs violents en hyperextension susceptibles de déclencher la pathologie n'étant d'ailleurs pas de même nature que les efforts physiques requis pour le déchargement d'un camion. Ainsi, les pièces produites par M. B... sont seulement en faveur de la découverte du spondylolisthésis d'origine congénitale dont il souffre à l'occasion des douleurs ressenties lors de ce déchargement le 29 janvier 1996, et non d'une filiation entre cette pathologie et la blessure survenue en service. 5. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions de Bordeaux a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées. DÉCIDE : Article 1er : La requête de M. B... est rejetée. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à la ministre des armées. Délibéré après l'audience du 16 novembre 2021 à laquelle siégeaient : Mme Catherine Girault, président, Mme Anne Meyer, présidente-assesseure, Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2021. La rapporteure, Anne A... La présidente, Catherine GiraultLa greffière, Virginie Guillout La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. 4 N° 19BX04888
Cours administrative d'appel
Bordeaux
CAA de LYON, 7ème chambre, 09/12/2021, 21LY00437, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 2 août 2018 par laquelle la société Orange a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de son époux, diagnostiquée le 29 septembre 2015. Par jugement n° 1806210 du 14 décembre 2020, le tribunal a rejeté sa demande. Procédure devant la cour Par une requête enregistrée le 14 février 2021, Mme A... B..., représentée par Me Macouillard, demande à la Cour : 1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 14 décembre 2020 et la décision du 2 août 2018 ; 2°) d'enjoindre à la société Orange de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont est décédé son époux ; 3°) de mettre à la charge de la société Orange le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - son époux a effectué l'intégralité de sa carrière au sein de la société France Télécom devenue Orange durant laquelle il a été amené à être en contact avec des parasurtenseurs radioactifs ; il a été aussi régulièrement exposé à des poussières et vapeurs de plomb et à des ondes électromagnétiques émises par son téléphone portable professionnel ; - le 29 septembre 2015, alors âgé de 59 ans, il s'est vu diagnostiquer un glioblastome de stade IV, forme maligne de tumeur cérébrale emportant son décès le 20 novembre 2015 ; - plusieurs médecins dont le médecin de travail auprès de la société Orange, ont conclu à la possibilité d'un lien de causalité entre la pathologie développée par M. B... et les fonctions exercées et notamment avec l'exposition radioactive, la manipulation et l'utilisation de parasurtenseurs ainsi que le contact prolongé et rapproché avec les antennes de téléphonie mobile ; - la décision en litige est entachée d'erreur d'appréciation quant aux éléments radioactifs manipulés par son époux et quant à son exposition professionnelle aux rayonnements ionisants et le lien de causalité entre ces expositions professionnelles et les tumeurs au cerveau est scientifiquement démontré ; - les radiofréquences utilisées pour les téléphones mobiles sont aussi classées cancérogènes possibles pour les risques de gliome ; son époux a été exposé lors de ses activités de technicien à plusieurs facteurs de risques avérés ou suspectés pour les tumeurs cérébrales sur une durée de presque 40 ans et notamment à des rayonnements ionisants, à des radiofréquences par l'usage intensif du téléphone mobile et aux vapeurs et poussières de plomb lors des travaux sur câbles téléphoniques. Par mémoire enregistré le 23 juin 2021, la société Orange, représentée par Me Guillaume, conclut au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge de Mme B... le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en soutenant que les moyens invoqués ne sont pas fondés. Par ordonnance du 17 juin 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 juillet 2021. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; - le code des pensions civiles et militaires ; - le code de justice administrative ; Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; Après avoir entendu au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Burnichon, première conseillère, - les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public, - et les observations de Me Macouillard pour Mme B... et de Me Perche substituant Me Guillaume pour la société Orange ; Considérant ce qui suit : 1. M. B..., agent public de France Télécom devenue la société Orange, après avoir fait valoir ses droits à la retraite le 1er janvier 2014, a demandé, le 29 septembre 2015, la reconnaissance de l'imputabilité au service de la tumeur cérébrale qui venait de lui être diagnostiquée. Après son décès, survenu le 20 novembre 2015, son épouse a contesté devant le tribunal administratif de Grenoble la décision du 2 août 2018 portant refus de reconnaissance d'imputabilité au service. Elle relève appel du jugement du 14 décembre 2020 par lequel le tribunal a rejeté sa demande. 2. Aux termes de l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires : " Le fonctionnaire civil radié des cadres (...) a droit à une rente viagère d'invalidité cumulable (...) avec la pension rémunérant les services. / Le droit à cette rente est également ouvert au fonctionnaire retraité qui est atteint d'une maladie professionnelle dont l'imputabilité au service est reconnue par la commission de réforme postérieurement à la date de la radiation des cadres (...) ". 3. Dans les cas où est en cause une affection à évolution lente et susceptible d'être liée à l'exposition d'un agent à un environnement ou à des substances toxiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération les éléments du dossier relatifs à l'exposition de l'agent à cet environnement ou à ces substances, eu égard notamment aux tâches ou travaux qui lui sont confiés, aux conditions dans lesquelles il a été conduit à les exercer, aux conditions et à la durée de l'exposition ainsi qu'aux pathologies que celle-ci est susceptible de provoquer. Il revient ensuite aux juges du fond de déterminer si, au vu des données admises de la science, il existe une probabilité suffisante que la pathologie qui affecte le demandeur soit en rapport avec son activité professionnelle. Lorsque tel est le cas, la seule circonstance que la pathologie pourrait avoir été favorisée par d'autres facteurs ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité, si l'employeur n'est pas en mesure d'établir que ces autres facteurs ont été la cause déterminante de la pathologie. En outre, des facteurs multiples d'exposition ne peuvent emporter une nocivité supérieure à chacun d'eux que si, isolément, ils sont reconnus comme une cause possible de la maladie survenue en raison ou lors du service. 4. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., entré en fonction en 1974 auprès de France Télécom, a tout d'abord été auxiliaire service lignes à compter du 5 août 1974 puis agent technique à partir du 25 avril 1978, avant d'exercer les fonctions d'agent câbles régionaux SIDR à compter du 4 février 1994 et de technicien de production et maintenance à compter du 1er juillet 1996. Selon le rapport de son supérieur hiérarchique direct, les fonctions de l'intéressé comprenaient de la maintenance curative en réseaux souterrains, des travaux de maintenance préventive, de la mise en service client et des relations clients emportant la réalisation de travaux en intérieur et extérieur au quotidien avec l'utilisation notamment d'un téléphone mobile. 5. Il ressort des pièces du dossier que l'exposition de M. B... au radium 226 et au tritium, éléments radioactifs contenus dans les parafoudres et paratenseurs est avérée à raison d'une fois par mois, ainsi qu'il l'a lui-même indiqué dans un questionnaire d'évaluation des risques professionnels, le 10 juin 2013. Si France Télécom a cessé de s'approvisionner en parafoudres équipés de composants radioactifs dès 1978, les paratenseurs radioactifs ont été maintenus jusqu'en 2013. Il suit de là que M. B... a été exposé jusqu'à la cessation de son activité à des équipements émettant des radiations ionisantes. 6. Toutefois, l'étude sur pièces réalisée à la demande de la commission de réforme, si elle rappelle que les radiations ionisantes sont des cancérigènes établis et que le risque s'accroît avec la dose reçue, conclut à l'innocuité des doses auxquelles a pu être exposé M. B... tout au long de sa carrière, à raison tant des faibles rayonnements émis par les équipements qu'il entretenait que de la fréquence de leur manipulation, d'où une exposition estimée à des valeurs comprises entre 0,003 et 0,07 milli-sievert par an, alors que la limite règlementaire d'exposition annuelle est de 20 milli-sievert. Ces éléments, non sérieusement contestés, tendent à démontrer qu'en l'état des connaissances scientifiques, l'exposition de M. B... ne peut être la cause de la pathologie qu'il a développée, sans que puisse être utilement invoquée l'absence de suivi dosimétrique des agents qui, s'il avait été pratiqué sur M. B..., n'aurait fait que confirmer sa faible exposition. 7. Enfin, si M. B... ne présentait aucune prédisposition ou facteur favorisant l'apparition de sa pathologie, le rapport précité a relevé à partir des données de la littérature médicale, d'une part, que le risque de glioblastome augmente linéairement avec l'âge jusqu'à 75 ans et que les hommes y sont plus particulièrement exposés, d'autre part, que le délai d'apparition de la tumeur ne permet pas de regarder l'exposition occasionnelle aux équipements radioactifs décrits plus haut comme un facteur aggravant d'une prédisposition à développer la maladie. 8. Compte tenu de la faible exposition de M. B... aux éléments radioactifs lors de son activité professionnelle, de la nature de sa pathologie, de la période de son diagnostic et de son évolution rapidement défavorable, nonobstant le caractère cancérigène des éléments radioactifs contenus dans les parafoudres qu'il a été amené à manipuler, les données acquises de la science ne permettent pas de retenir une probabilité suffisante que la pathologie qui a affecté M. B... soit en rapport avec son activité professionnelle. 9. S'agissant d'une part, de l'exposition de M. B... aux poussières de plomb et, d'autre part de l'exposition aux radiofréquences compte tenu de l'utilisation dans le cadre professionnel d'un téléphone mobile durant deux heures par journée de travail, en l'état actuel de la science, aucun lien de causalité n'a été relevé entre ces deux facteurs de risques et le développement d'une tumeur au cerveau. Par suite, Mme B... n'est pas davantage fondée à soutenir que l'exposition de son époux lors de son activité professionnelle a provoqué l'apparition de la pathologie qui lui a été diagnostiquée en septembre 2015. 10. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 2 août 2018 par laquelle la société Orange a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de son époux diagnostiquée le 29 septembre 2015. Ses conclusions aux fins d'annulation doivent être rejetées, ainsi que, et par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la société Orange n'étant pas partie perdante. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Orange sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. DECIDE : Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée. Article 2 : Les conclusions présentées par la société Orange tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la société Orange. Délibéré après l'audience du 10 novembre 2021 à laquelle siégeaient : M. Arbarétaz, président de chambre, M. Seillet, président-assesseur, Mme Burnichon, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 décembre 2021. N° 21LY00437
Cours administrative d'appel
Lyon
CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 14/12/2021, 19MA05284, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. A... B... a demandé au tribunal départemental des pensions du Gard d'annuler la décision du 18 juillet 2017, par laquelle la ministre des armées a refusé de faire droit à sa demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " Séquelles fonctionnelles minimes de la plaie de la cuisse droite par balle ". Par un jugement n° 18/00016 du 8 mars 2019, le tribunal départemental des pensions du Gard a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : La cour d'appel de Nîmes a transmis à la cour administrative d'appel de Marseille, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité, la requête présentée par M. B..., enregistrée à son greffe 18 avril 2019. Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 avril, 27 mai, 18 décembre et 30 décembre 2019, 9 juillet, 9 septembre et 6 novembre 2020, M. B..., représenté par Me Mordacq, demande à la Cour : 1°) d'annuler ce jugement du tribunal départemental des pensions du Gard du 8 mars 2019 ; 2°) d'annuler la décision du 18 juillet 2017 de la ministre de la défense ; 3°) d'ordonner à la ministre de la défense de réexaminer sa demande de pension militaire d'invalidité ; Il soutient que son infirmité provoque une gêne fonctionnelle attestée par les certificats médicaux qu'il produit et qu'il doit par suite être indemnisée au taux de 10 %. Par trois mémoires en défense, enregistrés le 3 juillet 2019 et le 13 août et 1er décembre 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens du requérant ne sont pas fondés. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 juin 2019. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; Après avoir entendu au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Ury, rapporteur, - et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public. Considérant ce qui suit : 1. M. B..., né le 16 avril 1940, a servi en qualité de harki du 1er juin 1958 au 31 mars 1962. Le 27 mars 1959 il a été blessé à la cuisse droite par balle et à la face par quelques éclats de grenade. Le 28 avril 2016, faisant valoir à son âge avancé des douleurs permanentes pour marcher, se lever ou se relever après une longue position assise résultant selon lui des séquelles de cette blessure, et un retentissement psychologique, il a sollicité une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " Séquelles de blessure à la cuisse droite par balle survenue en 1959 en Algérie ". Par une décision du 18 juillet 2017, la ministre des armées a refusé de faire droit à sa demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " Séquelles fonctionnelles minimes de la plaie de la cuisse droite par balle ". Par la présente requête, M. B... demande l'annulation du jugement du 8 mars 2019 du tribunal départemental des pensions du Gard qui rejette son recours contre cette décision. Sur le droit applicable au litige : 2. D'une part, aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ouvrent droit à pension : /1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; (...) Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle (...) sauf faute de la victime détachable du service. " Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Est présumée imputable au service : (...) 2° Toute blessure constatée durant les services accomplis par un militaire en temps de guerre, au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, d'une opération extérieure mentionnée à l'article L. 4123-4 du code de la défense ou pendant la durée légale du service national et avant la date de retour sur le lieu d'affectation habituelle ou la date de renvoi dans ses foyers ; (...). " L'article L. 121-2-3 dudit code précise que " La recherche d'imputabilité est effectuée au vu du dossier médical constitué pour chaque militaire lors de son examen de sélection et d'incorporation. Dans tous les cas, la filiation médicale doit être établie entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. ". 3. D'autre part, aux termes de l'article L. 121-4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le taux d'invalidité résultant de l'application des guides barèmes mentionnés à l'article L. 125-3. " L'article L. 121-5 précise que " La pension est concédée : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le taux global d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; (...) / Aucune pension n'est concédée en deçà d'un taux d'invalidité de 10 %. ". 4. Par ailleurs, en vertu l'article L. 151-2 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, anciennement article L. 6 de ce code, l'administration doit se placer à la date de la demande de pension pour évaluer le degré d'invalidité entraîné par l'infirmité invoquée. Cette évaluation doit, en application des termes mêmes de l'article L. 151-6 de ce code, qui reprend les dispositions de l'article L. 26 du même code, tenir compte de la gêne fonctionnelle engendrée dans le temps par ces infirmités. Sur le droit à pension : 5. Il est constant que, le 27 mars 1959, M. B..., lors d'une embuscade en Algérie, a été blessé et que cette blessure s'est traduite par une " plaie transfixiante par balle de l'extrémité inférieure de la cuisse droite sans lésions vasculo-nerveuses importantes ". Il résulte de l'instruction, et plus précisément de l'expertise du 20 mars 2017 du médecin conseil près le consulat de France à Alger mandaté par l'administration pour examiner M. B..., que l'intéressé est conscient, coopérant, dyspnéique et qu'il se déplace avec une canne. Celui-ci s'est alors plaint de douleurs des membres inférieurs, dorsalgies et gonalgie bilatérale ainsi que de vertiges. Le médecin conseil a fixé un taux de 10% d'invalidité mais sans mentionner des troubles fonctionnels, ni amyotrophie ou raccourcissement du membre concerné. En l'absence d'une gêne fonctionnelle relevée par cet expert, le médecin chargé des pensions militaires d'invalidité a considéré le 14 juin 2017 que le taux d'invalidité correspondant à l'infirmité en cause était inférieur au minimum de 10%. La ministre des armées a alors rejeté la demande de l'intéressé pour ce motif. 6. En premier lieu, d'une part, M. B... produit un certificat médical du 11 mars 2020 signé par un spécialiste en orthopédie et traumatologie qui propose un taux d'incapacité permanente partielle de 90% lié aux dorsalgies, lombalgies, et gonalgies bilatérales rebelles aux médications, en rapport avec des lésions d'arthrose vertébrale dorso-lombaires. Cependant, ce certificat médical, postérieur à la date de la demande de pension du 28 avril 2016, n'explique pas l'état de santé de M. B... en relation avec la blessure du 27 mars 1959 qu'il n'évoque d'ailleurs même pas. Aussi, il ne saurait valablement être retenu pour apprécier le droit à pension de l'intéressé. D'autre part, le requérant produit également un certificat médical du 16 avril 2019 du même spécialiste qui relève une impotence douloureuse des deux genoux avec limitation de la flexion/extension avec retentissement des troubles de l'appui et de la marche sur le bassin (déséquilibre) et le rachis lombaire (arthrose très sévère décompensée). Ce médecin note également un symptôme post-traumatique chez M. B..., et il conclut en indiquant qu'un tel état de santé justifie une indemnisation. Néanmoins, il fait état d'une blessure par perforation au genou gauche et d'un traumatisme du genou droit, alors que la plaie transfixiante porte sur la jambe droite. En outre, M. B... n'a pas demandé à être indemnisé pour une invalidité au rachis lombaire ni pour un syndrome post-traumatique. Par ailleurs, le certificat médical du 2 avril 2019, émanant d'un autre médecin que le précédent, propose un taux d'invalidité de 15% en se référant certes à un traumatisme balistique au genou gauche, mais aussi à des lésions d'arthrose compartimentale des genoux, et à une opération pour canal lombaire étroit d'origine arthrosique en 2016, alors que, ainsi qu'il vient d'être dit, la blessure en cause porte exclusivement sur la cuisse droite et que les atteintes aux genoux et au canal lombaire sont sans liens établis avec la plaie transfixiante. 7. En deuxième lieu, et d'une part, il résulte des termes de l'expertise médicale du 20 mars 2017 du médecin mandaté par l'administration, que celui-ci a relevé que l'intéressé marche avec un appui (canne). A supposer même, comme l'allègue le requérant sans l'établir par les éléments versés au dossier, que son infirmité participe à sa boiterie, le médecin expert n'a pas retenu sa filiation médicale avec la blessure reçue. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que ce médecin n'aurait pas procédé à un examen clinique complet de son état de santé, au seul motif qu'il n'a admis aucune gêne fonctionnelle liée à sa blessure. D'autre part, M. B... soutient que ses dorsalgies sont en relation avec un fait militaire lié à une intervention sur sa colonne vertébrale. Cependant, cette circonstance résulte de ses seules déclarations, notamment au médecin mandaté par l'administration pour l'examiner qui en a fait état dans son expertise du 20 mars 2017, alors d'ailleurs que cet expert médical n'a pas mis en relation les dorsalgies avec la blessure reçue le 27 mars 1959. Enfin, la concession d'une pension militaire d'invalidité qui exige une gêne fonctionnelle objective ne peut être établie au regard des seules douleurs exprimées par le postulant au niveau des deux jambes ou de son état psychologique dégradé. 8. Il résulte dès lors de tout ce qui précède que M. B... n'établit aucune gêne fonctionnelle directement liée à des séquelles de la blessure reçue le 27 mars 1959. Ainsi, il ne démontre pas que le taux d'invalidité de son infirmité doit être fixé à un taux au moins égal à 10% exigé par les dispositions précitées de l'article L. 121-5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre pour ouvrir droit à pension. Par suite, M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal départemental des pensions du Gard du 14 juin 2019 qui rejette sa contestation de la décision du 18 juillet 2017 de la ministre des armées. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées. D É C I D E : Article 1er : La requête de M. B... est rejetée. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre des armées. Délibéré après l'audience du 9 novembre 2021, où siégeaient : - M. Badie, président, - M. Revert, président assesseur, - M. Ury, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 décembre 2021. N° 19MA052844
Cours administrative d'appel
Marseille
CAA de NANCY, 4ème chambre, 07/12/2021, 19NC03191, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : La cour régionale des pensions de Metz a transmis à la cour administrative d'appel de Nancy, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité, la requête présentée par M. C..., enregistrée à son greffe le 6 août 2019. Procédure contentieuse antérieure : M. D... C... a demandé au tribunal des pensions militaires de Metz d'annuler la décision du 7 juin 2018 de la ministre des armées portant rejet de sa demande d'attribution de pension militaire d'invalidité et de lui accorder une pension militaire d'invalidité pour les deux infirmités " cervico-dorso-lombarthrose. Raideur du rachis cervico-lombaire " à un taux d'invalidité qui sera fixé à 30 % et " acouphènes bilatéraux permanents " qui sera fixé à un taux d'invalidité de 10 % et à titre subsidiaire, de désigner deux experts judiciaires aux fins de fixer le taux des deux infirmités litigieuses et d'indiquer leur imputabilité au service. Par un jugement n° RG 18/00009 du 13 juin 2019, le tribunal des pensions militaires de Metz a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête enregistrée à la cour administrative d'appel de Nancy le 1er novembre 2019, M. C..., représenté par Me Boulkaibet, demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires de Metz du 13 juin 2019 ; 2°) à titre principal, d'ordonner une mesure d'expertise pour chacune des infirmités en litige et donner mission à l'expert de fixer les taux d'invalidité et de lui réserver le droit de conclure au fond par la suite ; 3°) à titre subsidiaire, de dire que le taux d'invalidité de l'infirmité " acouphènes bilatéraux permanents " est fixé à 25 % ; 4°) de constater que le taux global des deux premières infirmités " cervico-dorso-lombarthrose-raideur du rachis cervico-lombaire " et " acouphènes bilatéraux permanents " est de 45 %, de sorte qu'il a le droit à une pension au titre des infirmités multiples. Il soutient que : en ce qui concerne l'infirmité " cervico-dorso-lombarthrose-raideur du rachis cervico-lombaire " : - cette infirmité résulte d'une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du service ; - le taux d'aggravation de 10 % fixé par le Docteur B... ne reflète pas la réalité ; en ce qui concerne l'infirmité " acouphènes bilatéraux permanents " : - la ministre des armées retient un taux de 15 % (hypoacousie de réception) et omet d'y inclure un taux de 10 % (bourdonnement d'oreilles bilatéraux) ; - il a donc le droit à une pension au titre d'infirmités multiples car au regard de ces deux premières infirmités, il a un taux global d'infirmité de 45 % ; en ce qui concerne l'infimité " gonalgies droites intermittentes avec examen clinique normal " : - le rapport d'expertise du 29 novembre 2017 qui fixe un taux d'invalidité inférieur à 10 % n'a pas suffisamment pris en compte ses douleurs ; en ce qui concerne l'infirmité " séquelles du traumatisme du genou droit " : - le rapport d'expertise du 29 novembre 2017 qui fixe un taux d'invalidité inférieur à 10 % n'a pas suffisamment pris en compte ses douleurs ; en ce qui concerne l'infirmité " séquelles d'entorse du 4ème doigt droit " : - le rapport d'expertise du 29 novembre 2017 qui fixe un taux d'invalidité inférieur à 10 % n'a pas suffisamment pris en compte ses douleurs. Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête de M. C.... Elle fait valoir que : - ses conclusions relatives aux infirmités " gonalgies droites intermittentes ", " séquelles de traumatisme du coude droit ", " séquelles d'entorse du 4ème doigt droit " ne sont pas recevables car elles n'ont pas été contestées en première instance ; - le taux de l'infirmité " hypoacousie de perception " est distinct de celui des acouphènes bilatéraux ; - les deux infirmités restantes contestées ne sont pas imputables au service ; - les taux de ces deux infirmités sont en tout état de cause inférieurs aux taux minimums indemnisables de 40 % en vertu de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par une ordonnance du 1er mars 2021, la clôture d'instruction été fixée au 6 avril 2021. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, - et les conclusions de M. Michel, rapporteur public. Considérant ce qui suit : 1. M. A... C..., né le 27 août 1946, engagé dans 1'armée de terre le 1er novembre 1965, a été placé à sa demande en position de retraite le 2 mai 1987 et radié des cadres de l'armée active le 3 mai 1987. Par une demande enregistrée le 15 mars 2016 auprès du service des armées, M. C... a sollicité une demande de pension militaire d'invalidité pour cinq infirmités. Sa demande a été rejetée par une décision de la ministre des armées du 7 juin 2018. M. C... relève appel du jugement du 13 juin 2019 par lequel le tribunal des pensions militaires de Metz a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 juin 2018 en tant qu'elle a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " cervico-dorso-lombarthrose. Raideur du rachis cervico-lombaire " à un taux évalué à 30 % et pour l'infirmité " acouphènes bilatéraux permanents " à un taux évalué à 10 %. Sur la recevabilité des conclusions d'appel relatives aux infirmités " gonalgies droites intermittentes ", " séquelles de traumatisme du coude droit " et " séquelles d'entorse du 4ème doigt droit " : 2. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a contesté devant le tribunal des pensions de Metz la décision de la ministre des armées du 7 juin 2018 en tant qu'elle concerne les infirmités " cervico-dorso-lombarthrose. Raideur du rachis cervico-lombaire " et " acouphènes bilatéraux permanents ". Les conclusions d'appel de M. C... en ce qu'elles concernent les trois infirmités " gonalgies droites intermittentes ", " séquelles de traumatisme du coude droit " et " séquelles d'entorse du 4ème doigt droit " soulèvent un litige distinct de celui dont a eu à connaître le tribunal des pensions de Metz. Par suite, la ministre de armées est fondée à soutenir que les conclusions de M. C... relatives à ces trois infirmités, nouvelles en appel, sont irrecevables. Sur les conclusions d'appel relatives aux infirmités " cervico-dorso-lombarthrose. Raideur du rachis cervico-lombaire " et " acouphènes bilatéraux permanents " : 3. Aux termes de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, devenu l'article L. 121-5 : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. Il est concédé une pension :1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples. En cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions définies aux alinéas précédents. Toutefois, si le pourcentage total de l'infirmité aggravée est égal ou supérieur à 60 %, la pension est établie sur ce pourcentage ". Aux termes de l'article L. 14 du même code, devenu le nouvel article L. 125-8 : " Dans le cas d'infirmités multiples dont aucune n'entraîne l'invalidité absolue, le taux d'invalidité est considéré intégralement pour l'infirmité la plus grave et pour chacune des infirmités supplémentaires, proportionnellement à la validité restante. A cet effet, les infirmités sont classées par ordre décroissant de taux d'invalidité. Toutefois, quand l'infirmité principale est considérée comme entraînant une invalidité d'au moins 20 %, les degrés d'invalidité de chacune des infirmités supplémentaires sont élevés d'une, de deux ou de trois catégories, soit de 5, 10, 15 %, et ainsi de suite, suivant qu'elles occupent les deuxième, troisième, quatrième rangs dans la série décroissante de leur gravité. Tous les calculs d'infirmités multiples prévus par le présent code, par les barèmes et textes d'application doivent être établis conformément aux dispositions de l'alinéa premier du présent article sauf dans les cas visés à l'article L. 15 ". Aux termes de l'article L. 9 du même code : " (...) Le taux de la pension définitive ou temporaire est fixé, dans chaque grade, par référence au degré d'invalidité apprécié de 5 en 5 jusqu'à 100 %. Quand l'invalidité est intermédiaire entre deux échelons, l'intéressé bénéficie du taux afférent à l'échelon supérieur. (...) ". 4. M. C... a sollicité une pension militaire d'invalidité enregistrée le 15 mars 2016 auprès du service des armées pour cinq infirmités dont le " cervico-dorso-lombarthrose. Raideur du rachis cervico-lombaire " et les " acouphènes bilatéraux permanents ". Par la décision litigieuse du 7 juin 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande au motif que les maladies " cervico-dorso-lombarthrose. Raideur du rachis cervico-lombaire " (20 %) et " acouphènes bilatéraux permanents " (15 %) entraînaient un degré d'invalidité global de 32 %, inférieur au minimum indemnisable fixé, par l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre précité, à 40 % dans le cas d'infirmités multiples. En ce qui concerne l'infirmité " cervico-dorso-lombarthrose. Raideur du rachis cervico-lombaire " : 5. Il résulte de l'instruction et plus particulièrement du rapport d'expertise médical, très circonstancié, réalisé le 29 novembre 2017, que la pathologie rachidienne de M. C... est d'origine exclusivement dégénérative sans lésion unique ou identifiable, sans perte d'autonomie ni appareillage et pour laquelle on peut retenir un taux de 20 %. Les pièces versées au dossier par M. C... et notamment des certificats médicaux de 2002 à 2007 qui font état de lombalgies à répétition, ne permettent pas de remettre en cause sérieusement ce taux de 20 % retenu par l'expert médical qui, contrairement à ce qui est soutenu, prend en compte les douleurs de l'intéressé et ses limitations d'amplitude. En ce qui concerne l'infirmité " acouphènes bilatéraux permanents " : 6. La décision attaquée du 7 juin 2018 a retenu un taux de 15 % pour l'infirmité " acouphènes bilatéraux permanents " avec un correctif de 5 %. Cette infirmité correspond à celle pour laquelle M. C... a sollicité une pension militaire d'invalidité dans sa demande du 10 mars 2016. Pour contester ce taux, M. C... ne peut utilement se prévaloir de la circonstance que l'expertise médicale du 7 décembre 2017 a également proposé un taux de 15 % pour l'" hypoacousie de perception " qui constitue une infirmité distincte de celle des acouphènes (bourdonnements) et dont le taux ne peut ainsi se rajouter à celui des " acouphènes bilatéraux permanents ". 7. Par suite, à supposer que ces infirmités puissent être imputées au service, il ne résulte en tout état de cause pas de l'instruction que le requérant puisse bénéficier au titre de ces deux infirmités d'un taux de 40 %, lui ouvrant la possibilité, en application des dispositions précitées, d'obtenir une pension militaire d'invalidité. 8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Metz a rejeté sa demande. D E C I D E : Article 1er : La requête de M. C... est rejetée. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à la ministre des armées. 2 N° 19NC03191
Cours administrative d'appel
Nancy
CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 07/12/2021, 19MA05151, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. B... A... a demandé au tribunal des pensions de Bastia d'annuler la décision de la ministre des armées du 18 janvier 2018 en tant qu'elle a rejeté sa demande tendant à la majoration de sa pension militaire d'invalidité pour aide par tierce personne, au titre de l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par un jugement n° 18/00017 du 19 novembre 2018, le tribunal des pensions de Bastia a annulé, dans cette mesure, la décision de la ministre des armées du 18 janvier 2018 et a accordé à M. A... le bénéfice de l'allocation prévue par l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, à compter du 14 mars 2017. Procédure devant la Cour : Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2019 par la cour régionale des pensions militaires de Bastia, la ministre des armées relève appel du jugement du tribunal des pensions de Bastia du 19 novembre 2018, dont elle demande l'annulation. Elle soutient que : - le jugement est irrégulier dès lors que le respect du contradictoire a été méconnu ; - les infirmités pensionnées dont souffre M. A... ne requièrent pas l'aide constante d'une tierce personne pour accomplir tout au long de la journée les actes les plus nombreux de la vie. Par acte de transmission du dossier, enregistré le 1er novembre 2019, et en application des dispositions du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif, la cour administrative d'appel de Marseille est saisie de la présente affaire. Par un mémoire, enregistré le 18 janvier 2021 par la Cour, M. A..., représenté par Me Eon, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui accorder cette allocation à compter du 14 mars 2017. Il soutient que les moyens ne sont pas fondés. Par un mémoire, enregistré le 15 février 2021, la ministre des armées persiste dans ses conclusions, par les mêmes moyens. Par décision du 21 février 2019, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Renault, - les conclusions de M. Ury, rapporteur public, - et les observations de Me Fiocca, substituant Me Eon, représentant M. A.... Considérant ce qui suit : 1. M. B... A..., né le 5 juin 1954, est titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive concédée au taux global de 100% +21 par arrêté du 7 juillet 2014, pour six infirmités imputables au service, dont l'infirmité " bronchite chronique compliquée d'accès d'asthme, insuffisance respiratoire sévère, hypoxémie de repos, retentissement cardiaque, oxygénothérapie de longue durée ", au taux de 100%. Il a demandé, le 14 mars 2017, la révision de sa pension pour cette infirmité, ainsi que le bénéfice de la majoration de sa pension pour assistance d'une tierce personne. Par décision du 18 janvier 2018, la ministre des armées a rejeté ses demandes. M. A... a contesté cette décision en tant qu'elle refusait de lui accorder le bénéfice de la majoration de sa pension pour assistance par tierce personne. La ministre des armées relève appel du jugement du 19 novembre 2018 par lequel le tribunal des pensions de Bastia a fait droit à la demande de M. A... et annulé, sur ce point, sa décision. Sur la régularité du jugement attaqué : 2. La ministre des armées soutient que le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal des pensions de Bastia a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure, qui, devant être observé devant les juridictions des pensions, fait obstacle à ce qu'une décision juridictionnelle se prononçant sur les droits à pension militaire d'invalidité soit régulièrement rendue sur la base d'un dossier de procédure ne comprenant pas les conclusions produites par le requérant. 3. Il ressort des termes du jugement attaqué que M. A... a contesté la décision de la ministre des armées du 18 janvier 2018 par lettre enregistrée le 20 avril 2018, jointe au dossier de procédure, au terme de laquelle il demandait l'annulation de cette décision en tant qu'elle lui refusait le bénéfice de l'avantage prévu par l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre en se prévalant des conclusions de l'expert médical désigné pour l'examiner avait considéré qu'il justifiait largement du droit à bénéficier de cet avantage. Le jugement indique en outre que, par la voix de son conseil, Me Eon, M. A... avait maintenu et développé ses demandes lors des débats à l'audience du 17 septembre 2017, au cours de laquelle le commissaire du Gouvernement représentant la ministre des armées avait maintenu ses conclusions tendant au rejet de la demande de l'intéressé. Dès lors que les parties peuvent, devant la juridiction des pensions, développer oralement leurs conclusions, qui, en l'espèce, ont été intégralement maintenues sans que soient ajoutées de nouvelles demandes, le principe du contradictoire n'a pas été méconnu. La ministre des armées n'est par suite pas fondée à soutenir que le jugement est irrégulier et à en demander, pour ce motif, l'annulation. Sur le bien-fondé du jugement : 4. Aux termes de l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Les invalides que leurs infirmités rendent incapables de se mouvoir, de se conduire ou d'accomplir les actes essentiels de la vie et qui, vivant chez eux, sont obligés de recourir de manière constante aux soins d'une tierce personne, ils ont droit, à titre d'allocation spéciale, à une majoration égale au quart de la pension. (...) ". 5. D'une part, si ces dispositions ne peuvent être interprétées comme exigeant que l'aide d'un tiers soit nécessaire à l'accomplissement de la totalité des actes essentiels de la vie, elles imposent, toutefois, que l'aide d'une tierce personne soit indispensable ou bien pour l'accomplissement d'actes nombreux se répartissant tout au long de la journée ou bien pour faire face soit à des manifestations imprévisibles des infirmités dont le pensionné est atteint, soit à des soins dont l'accomplissement ne peut être subordonné à un horaire pré-établi et dont l'absence mettrait sérieusement en danger l'intégrité physique ou la vie de l'intéressé. 6. D'autre part, les infirmités qui doivent être prises en considération pour apprécier si un invalide remplit les conditions spéciales d'invalidité auxquelles le bénéfice de l'hospitalisation ou de la majoration est subordonné sont exclusivement celles qui ouvrent droit à pension au profit de l'intéressé. 7. Il ressort des pièces du dossier et en particulier du rapport d'expertise du docteur C..., médecin expert auprès de la sous-direction des pensions, dont le contenu n'est pas contesté par la ministre, que, lors de l'examen réalisé le 21 août 2017, M. A... " présente une BPCO évoluée responsable d'une insuffisance respiratoire sévère, oxygénodépendante avec retentissement cardiaque global. Cette insuffisance cardiorespiratoire sévère est responsable d'une dyspnée permanente avec sensation d'étouffement et d'une asthénie intense. Il se voit contraint de passer ses journées dans un fauteuil et tout déplacement s'avère difficile. Il a besoin d'être assisté par son épouse et d'une tierce personne pour assurer toutes les tâches quotidiennes et pour les gestes de la vie courante, tels se lever, se coucher, s'alimenter, se vêtir, se dévêtir, se déplacer, aller aux toilettes... ". L'expert ajoute que " ce handicap entraîne fortement une dégradation de sa qualité de vie avec une importante perte d'autonomie " et que l'intéressé " présente un retentissement majeur de sa pathologie cardio-respiratoire avec incapacité constante à accomplir seul tous les gestes essentiels de la vie courante. La pathologie présente une évolution constante progressivement péjorative aboutissant à une oxygénodépendance importante et à la nécessité d'une aide constante. ". 8. D'une part, contrairement à ce que soutient la ministre, les actes qui nécessitent une l'assistance d'une tierce personne se répartissent tout au long de la journée et ne peuvent pas être subordonnés à un horaire préétabli. D'autre part, la dyspnée permanente avec sensation d'étouffement, susceptible de mettre sérieusement en danger l'intégrité physique ou la vie de l'intéressé nécessite une surveillance permanente, en particulier la mise à sa disposition d'une assistance respiratoire par oxygénothérapie, geste qu'il ne peut accomplir sans aide. Enfin, si la ministre des armées invoque en défense une autre cause possible des difficultés de M. A..., comme un surpoids déduit du simple rapport entre son poids et sa taille, cette cause éventuelle, étrangère au service, ne ressort d'aucun document médical. L'état de santé de M. A... nécessitant l'aide d'une tierce personne étant, dans ces conditions, exclusivement dû à une infirmité pensionnée, ce dernier remplissait les conditions pour bénéficier de l'allocation prévue par les dispositions précitées de l'article L. 133-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. 9. Il résulte de ce qui précède que la ministre des armées n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal des pensions de Bastia a annulé la décision de la ministre des armées du 18 janvier 2018 en tant qu'elle rejetait la demande d'allocation au titre de l'article L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et lui en a accordé le bénéfice à compter du 14 mars 2017. D É C I D E : Article 1er : La requête de la ministre des armées est rejetée. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées, à M. B... A... et à Me Eon. Délibéré après l'audience du 23 novembre 2021, où siégeaient : - M. Badie, président, - M. Revert, président assesseur, - Mme Renault, première conseillère. Rendu public par mise à disposition du greffe, le 7 décembre 2021. 5 N° 19MA05151
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Marseille
CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 14/12/2021, 20MA02379, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. B... A... a demandé au tribunal des pensions de Bastia, qui a transmis sa demande au tribunal administratif de Bastia, d'annuler la décision en date du 31 mai 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité au titre de l'infirmité de type " asthénopie de l'œil gauche". Par un jugement n° 1901513 du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande. Procédure devant la Cour : Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 20 juillet 2020, et les 26 janvier et 31 mars 2021, M. A..., représenté par Me Caporossi-Poletti, demande : 1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 9 juin 2020 ; 2°) à titre principal, d'annuler la décision de la ministre des armées du 31 mai 2017 rejetant sa demande de révision de pension ; 3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise pour déterminer la réalité et le taux de l'aggravation de l'asthénopie dont il souffre. Il soutient que : - la décision rejetant sa demande de révision a été prise au terme d'une procédure irrégulière, faute d'avoir donné lieu à une expertise médicale, malgré l'annonce qui lui en a été faite, et à l'avis d'un médecin ; - le taux d'invalidité correspondant à l'asthénopie de l'œil gauche doit être réévalué à 10 %, au lieu de 5 %, compte tenu des certificats médicaux qu'il produit. Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 mars et 28 avril 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête, en soutenant que les moyens qui y sont présentés ne sont pas fondés. Par ordonnance du 13 octobre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 octobre 2021, à 12 heures. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 27 novembre 2020. Un mémoire, enregistré le 21 octobre 2021, a été présenté par la ministre des armées. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Revert, - les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public, Considérant ce qui suit : 1. M. A..., titulaire d'une pension militaire d'invalidité au taux global de 90 %, dont 65 % au titre de l'énucléation de l'œil droit consécutive à une blessure oculaire et 5 % au titre de l'asthénopie de l'œil gauche, a demandé le 27 août 2015 la révision de sa pension pour aggravation de cette seconde infirmité. Par jugement du 9 juin 2020, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 31 mai 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de pension. 2. Aux termes de l'article R. 28 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, en vigueur à la date de la demande de révision de pension : " Les demandes en révision prévues à l'article L. 29 sont pour tout ce qui concerne les visites médicales et les règles de la procédure, soumises aux dispositions du chapitre V ", lesquelles sont relatives aux demandes de pension. En vertu de l'article R. 7 du même code, la demande de pension est adressée au service désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre et dès que ce service est en possession des documents et renseignements nécessaires à l'étude du dossier, il avise l'intéressé des lieu, jour et heure auxquels il sera soumis aux visites médicales réglementaires. L'article R. 11 de ce code dispose en outre que : " Les visites auxquelles sont soumis les militaires ou marins en vue de l'obtention d'une pension d'invalidité sont effectuées par un seul médecin que désigne le médecin chef du centre de réforme chargé de l'instruction de la demande. (...) ". L'article R. 12 du code précise quant à lui que : " Préalablement à l'examen de l'intéressé, le médecin expert doit être mis en possession des pièces de l'instruction nécessaires à cet examen. Il établit un certificat qui est revêtu de sa signature. (...)". 3. Il ne résulte d'aucune des dispositions législatives et réglementaires applicables à l'instruction des demandes de révision de pension, qu'avant de statuer sur de telles demandes, la ministre des armées puisse se dispenser de l'avis du médecin expert prévu aux dispositions réglementaires citées au point 2. 4. Il résulte de l'instruction, et il est du reste constant, qu'avant le rejet de sa demande de révision de pension, et alors que par lettre du 9 novembre 2016, le chef du bureau chargé des relations avec les usagers lui indiquait que l'examen de son dossier conduisait l'administration à désigner un médecin-expert pour déterminer son taux d'invalidité, M. A... n'a pas été soumis à une visite médicale effectuée par un médecin-expert, ainsi que le prévoient pourtant les dispositions réglementaires citées au point 2. 5. Certes, pour refuser de faire droit à la demande de révision de pension, présentée au seul titre de l'aggravation de l'infirmité qualifiée d'anesthopie de l'œil gauche, la ministre des armées a considéré que le degré d'invalidité déjà attribué à ce titre constituait le taux maximum prévu par le guide-barème pour une infirmité unique. En effet, alors qu'une circulaire du 7 mars 1980 fixait les modalités d'indemnisation de cette infirmité, en ne prévoyant son indemnisation que pour les personnes souffrant d'une affection neurologique centrale et pour celles pensionnées pour le syndrome dit de Targowla, l'instruction du ministre chargé de la défense, en date du 27 octobre 2009, dont se prévaut la ministre en première instance, prévoit en cas de monophtalmie que l'anesthopie de l'autre œil ouvre droit à une majoration de 5% du taux d'invalidité alloué pour l'infirmité principale. 6. Toutefois, ni le guide-barème, bien que n'évoquant pas l'anesthopie au nombre des infirmités susceptibles de se voir attribuer des degrés d'invalidité, ni en tout état de cause l'instruction ministérielle précitée, dont l'adoption n'est prévue par aucune disposition législative ou réglementaire, ne dispensaient la ministre des armées de saisir un médecin-expert de la demande de révision de pension présentée par M. A.... Ainsi, celui-ci est fondé à soutenir, tant devant le tribunal que devant la Cour, que la décision du 31 mai 2017 refusant de faire droit à cette demande est intervenue au terme d'une procédure irrégulière et qu'elle doit être pour ce motif annulée. 7. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque et de la décision du 31 mai 2017. DECIDE : Article 1er : Le jugement n° 1901513 du 9 juin 2020 et la décision de la ministre des armées du 31 mai 2017 sont annulés. Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre des armées. Délibéré après l'audience du 9 novembre 2021, où siégeaient : - M. Badie, président, - M. Revert, président assesseur, - M. Ury, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 décembre 2021. N° 20MA023792
Cours administrative d'appel
Marseille
Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 10/12/2021, 442111
Vu la procédure suivante : M. C... I... a demandé au tribunal des pensions de Marseille de réformer l'arrêté du 23 octobre 2017 portant révision de la pension militaire d'invalidité dont il est titulaire, en tant que cet arrêté ne prévoit pas son indemnisation à raison d'une infirmité nouvelle de " séquelles d'entorses de la cheville droite traitées chirurgicalement ". Par un jugement n° 17/00145 du 13 septembre 2018, ce tribunal a accordé à M. I..., à raison de cette infirmité, une pension militaire d'invalidité au taux de 20 %, dont 15 % imputables au service. Par un arrêt n° 19MA05050 du 16 juin 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la ministre des armées, annulé ce jugement et rejeté la demande de M. I.... Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 juillet 2020 et 1er juillet 2021, M. I... demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler cet arrêt ; 2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la ministre des armées ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - le protocole provisoire du 27 juin 1977 fixant les conditions de stationnement des forces françaises sur le territoire de la République de Djibouti après l'indépendance et les principes de la coopération militaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Djibouti ; - le code des pensions militaire d'invalidité et des victimes de la guerre ; - le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes, - les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ; Considérant ce qui suit : 1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. I..., militaire dans la Légion étrangère entre 2004 et 2015, est titulaire d'une pension militaire d'invalidité, concédée par arrêté du 19 janvier 2015 et révisée par arrêté du 23 octobre 2017, au taux de 55 %, pour " séquelles d'entorses de la cheville gauche traitées chirurgicalement, hypoacousie bilatérale et acouphènes bilatéraux permanents ". A l'occasion de la révision de cette pension, la ministre des armées a rejeté la demande de M. I... tendant à ce que soit indemnisée une infirmité nouvelle de " séquelles d'entorse de la cheville droite traitée chirurgicalement " au motif que si le taux global de cette infirmité était de 20 %, elle ne résultait qu'à concurrence d'un taux de 5 % d'un accident survenu lors d'un exercice en Nouvelle-Calédonie le 1er septembre 2014 et n'était par suite imputable au service que dans cette mesure. M. I... a demandé au tribunal des pensions de Marseille de réformer cet arrêté en tant qu'il portait rejet de sa demande tendant à l'indemnisation de cette infirmité. Il faisait notamment valoir que cette entorse avait été constatée dès le 3 juin 2008, alors qu'il était affecté à Djibouti dans le cadre d'un renfort temporaire à l'étranger. Par un jugement du 13 septembre 2018, le tribunal des pensions de Marseille, faisant droit à sa demande, lui a accordé le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour " séquelles d'entorses de la cheville droite traitées chirurgicalement " au taux de 20 %, dont 15 % imputables au service. M. I... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 16 juin 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la ministre des armées, annulé ce jugement et rejeté sa demande. 2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable à la date de la constatation de l'infirmité invoquée par M. I...: " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; / 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service. ". L'article D. 1 du même code, également applicable à cette date, précise que : " Sont considérées comme missions opérationnelles, au sens des dispositions du 4° de l'article L. 2, les missions suivantes : / a) Les opérations extérieures conduites sous la responsabilité de l'état-major des armées quelle que soit leur nature et les missions effectuées à l'étranger au titre d'unités françaises ou alliées ou de forces internationales conformément aux obligations et engagements internationaux de la France (...) ". 3. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour juger que l'administration avait pu à bon droit rejeter la demande de M. I... tendant à la révision de sa pension, la cour administrative d'appel de Marseille s'est fondée sur ce qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'affectation temporaire de ce dernier à Djibouti entre le 19 juin et le 22 octobre 2008, au titre d'une mission de renfort temporaire à l'étranger, aurait été justifiée par la participation à une mission effectuée à l'étranger au titre d'unités françaises ou alliées ou de forces internationales conformément aux obligations et engagements internationaux de la France. En statuant ainsi, alors que la présence militaire française à Djibouti, qui résultait de la mise en œuvre du protocole provisoire du 27 juin 1977 fixant les conditions de stationnement des forces françaises conclu entre la France et la République de Djibouti, constituait une mission opérationnelle au sens du a) de l'article D. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et que les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents entre le début et la fin de cette mission étaient en conséquence susceptibles d'ouvrir droit à pension, en vertu du 4°) de l'article L. 2 du même code, au bénéfice des militaires qui y participaient, la cour a commis une erreur de droit. 4. Il résulte de ce qui précède que M. I... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. I... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.D E C I D E : -------------- Article 1er : L'arrêt du 16 juin 2020 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé. Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille. Article 3 : L'Etat versera à M. I... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C... I... et à la ministre des armées. Délibéré à l'issue de la séance du 1er décembre 2021 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. H... M..., M. E... L..., M. J... G..., M. B... N..., Mme K... A..., M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat et M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes-rapporteur. Rendu le 10 décembre 2021. Le président : Signé : M. Guillaume Goulard Le rapporteur : Signé : M. Jean-Marc Vié La secrétaire : Signé : Mme D... F...ECLI:FR:CECHR:2021:442111.20211210
Conseil d'Etat